Citations de Jean Orizet (160)
CHANSON DE FORTUNIO – Alfred de Musset
Si vous croyez que je vais dire
Qui j'ose aimer,
Je ne saurais, pour un empire,
Vous la nommer.
Nous allons chanter à la ronde,
Si vous voulez,
Que je l'adore et qu'elle est blonde
Comme les blés.
Je fais ce que sa fantaisie
Veut m'ordonner,
Et je puis, s'il lui faut ma vie,
La lui donner.
Du mal qu'une amour ignorée
Nous fait souffrir,
J'en porte l'âme déchirée
Jusqu'à mourir.
Mais j'aime trop pour que je die
Qui j'ose aimer,
Et je veux mourir pour ma mie
Sans la nommer.
Aidons-nous mutuellement,
La charge des malheurs en sera plus légère ;
Le bien que l’on fait à son frère
Pour le mal que l’on souffre est un soulagement.
Extrait de L’AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE – Jean-Pierre Claris de Florian
A MADAME DU CHATELET – Voltaire
Si vous voulez que j’aime encore,
Rendez-moi l’âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours,
Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l’Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M’avertit que je me retire.
De son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage,
Qui n’a pas l’esprit de son âge,
De son âge à tout le malheur.
Laissons à la belle jeunesse
Ses folâtres emportements.
Nous ne vivons que deux moments :
Qu’il en soit un pour la sagesse.
Quoi ! Pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel, qui me consoliez
Des amertumes de la vie !
On meurt deux fois, je le vois bien ;
Cessez d’aimer et d’être aimable,
C’est une mort insupportable ;
Cessez de vivre ce n’est rien.
Ainsi je déplorais la perte
Des erreurs de mes premiers ans ;
Et mon âme, aux désirs ouverte,
Regrettait ses égarements,
Du ciel alors daignant descendre,
L’Amitié vint à mon secours ;
Elle était peut-être aussi tendre,
Mais moins vive que les Amours.
Touché de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis ; mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu’elle.
LA COMPLAINTE (Fragment) - Rutebeuf
Les maux ne savent seuls venir :
Tout ce qui m'était à venir
Est advenu.
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés ?
Je crois qu'ils sont trop clair semés :
Ils ne furent pas bien fumés,
S'ils m'ont failli.
Ces amis-là m'ont bien trahi,
Car, tant que Dieu m'a assailli
En maint côté,
N'en vis un seul en mon logis :
Le vent, je crois, les m'a ôtés.
L'amour est morte :
Ce sont amis que vent emporte,
Et il ventait devant ma porte :
Les emporta.
LE COEUR TROP PETIT
Quand je serai grand
Dit le petit vent
J’abattrai
La forêt
Et donnerai du bois
A tous ceux qui ont froid.
Quand je serai grand
Dit le petit pain
Je nourrirai tous ceux
Qui ont le ventre creux.
Là-dessus s’en vient
La petite pluie
Qui n’a l’air de rien
Abattre le vent
Détremper le pain
Et tout comme avant
Les pauvres ont froid
Les pauvres ont faim.
Mais mon histoire
N’est pas à croire :
Si le pain manque et s’il fait froid sur terre
Ce n’est pas la faute à la pluie
Mais à l’homme, ce dromadaire
Qu’à le cœur beaucoup trop petit.
Jean Rousselot
(p. 217-218)
Alphonse de Lamartine
1790-1869
LE LAC
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
" Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
" Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! "
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !
Ne rien dire de mon corps…
Ne rien dire de mon corps
que les sommeils colportent d’une nuit à l’autre
comme un cavalier nu
ne rien dire des veines décousues par les doigts des hommes
ni de cette poitrine sur laquelle marchent les oiseaux
ne pas parler non plus des fées féroces
que le travail a penchées sur leur rouet
surtout ne pas citer les mots
qui ouvriraient mon ventre comme une voile
//Claire Genoux , Suisse, née le 08/09/1971
De l’autre côté de la nuit,
Il y a cette présence et ce silence
Espérés,
De ce côté, l’attente,
Et cette lancinante question.
De l’autre côté du jour,
Il y a les chimères de la vie,
Une ferveur inassouvie,
De ce côté, l’interminable fuite
Des jours et des nuits.
Sylvestre Clancier (1946)
Un petit roseau m'a suffi
Pour faire frémir l'herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi;
Un petit roseau m'a suffi
A faire chanter la forêt.
(...)
Odelette, Henri de Régnier (1864-1936)
L'horizon tout entier s'enveloppe dans l'ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d'or de son rouge éventail.
Soleil couchant, José Maria de Heredia, page 129.
Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir
Chanson du Mal Aimé, Guillaume Apollinaire, page 184.
Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire ;
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité du bois.
L'Automne, Alphonse de Lamartine, page 65.
Je me rattrape
par mes yeux
à tous les corps
car chacun
est un soleil
je le sais
puisque je vais
de lumière
en lumière à
chaque rencontre
et je me fais
ainsi de
jour en jour
mon propre
système solaire
Henri Meschonnic
La poésie est le dimanche de la vie.
Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre !
L'air immense ouvre et referme mon livre (...).
Le Cimetière marin, Paul Valéry, page 171.
L’or sous le givre
Grise et blanche
Une froide alchimie nocturne
Brise l’instant
Au matin
C’est le couperet du soleil
Qui tranche
Une pie cherche de l’or
Sous le givre
De la branche
J'ai tant fait patience
Qu'à jamais j'oublie,
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Chanson de la plus haute tour, Arthur Rimbaud, page 142.
Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor ?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?
Roncevaux ! Roncevaux ! dans ta sombre vallée
L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée !
Le Cor, Alfred de Vigny, page 70.
...
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise: "Ils ont aimé!".
Extrait de Le lac (Harmonies poétiques et religieuses de Lamartine)
Le jeune mendiant
(D’après Murillo)
Au nu du matin
n’être qu’une main tendue
ce geste à peine
immobile
au nu de l’après-midi
au nu du soir
n’être que par l’attente
du frôlement
parfois lâchant sa pièce
sursis d’un jour
d’attente
au nu de la mémoire
non-main du cœur et de l’esprit dans l’élan du monde
main absurde
non-main de la vie construisant la vie
main de rien
pour rien
au nu de l’avenir
Reculer dans l’ombre ma semblable
se fondre enfin
Ce vent doux
voudrait laisser croire
//Gilles Sicard France (1943 -)