Avec Rim Battal, Vanille Bouyagui, Jacques Darras, Guillaume Decourt, Chloé Delaume, Arthur H, Paloma Hermina Hidalgo, Abellatif Laâbi, Christophe Manon, Virginie Poitrasson, Jean Portante, Omar Youssef Souleimane, Milène Tournier
Accompagnés par Lola Malique (violoncelle) et Pierre Demange (percussions)
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2024 rassemble 116 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique de la grâce. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie francophone de notre époque.
Pour en donner un aperçu ce soir, douze poètes en lecture, accompagnés de musique.
À lire Ces instants de grâce dans l'éternité, Anthologie de poésie réunie et présentée par Jean-Yves Reuzeau, Castor Astral, 2024.
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En quelques mots comment qualifieriez-vous cette année 1913 ?
1913 est, pour le renouveau de la poésie française, une année de rupture cruciale. C’est le moment de la publication d’Alcools d’Apollinaire. C’est aussi celui de la parution de Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, de Blaise Cendrars. Et se consolide dans le paysage éditorial français l’œuvre majeure de Valery Larbaud, à savoir Les poésies de A. O. Barnabooth. En d’autres mots, 1913 est l’année qui acte définitivement l’explosion du vers classique et l’avènement dans le poème du vers libre. Le poème entre du modernisme dans la modernité. C’est, disons, l’explosion du « monde d’hier », pour reprendre une formule de Stefan Zweig. La Première Guerre mondiale, quelques mois plus tard, dans laquelle d’ailleurs Apollinaire a été blessé à la tête, alors que Cendrars y a perdu son bras droit, fera, elle, exploser, dans une boucherie industrielle sans précédent, toutes les valeurs que les humains avaient accumulées des siècles durant. De cette destruction, que sur le plan artistique l’on retrouvera chez les dadaïstes, puis les surréalistes, l’art du XXe siècle a pu naître en faisant table rase du passé.
Un jeu de poupées
russes qui vient de Moscou
ton tout premier rêve
s'ouvre et dedans il y a
le deuxième qui ne s'ouvre pas
Parfois de la fumée s'échappe et demeure
suspendue au-dessus du jardin.
Du feu en tomberait si elle savait imiter les nuages
gouttes de feu en été juste avant l'orage
neige de feu en hiver
grêle ardente parfois
en automne ou au printemps
Dans cette rue qui depuis la maison ne
fait que descendre les arbres entrent
plus tôt que d’habitude dans l’obscurité
de nuit on le sait les troncs et les branches
et les feuilles font penser à un orchestre
muet j’aime depuis le balcon applaudir
les musiciens de la nuit et quand se lève
le premier hautbois la tête dans les
nuages les pieds dans l’eau une imperceptible
harmonie déchire le rideau nous
n’attendons que cela pour éteindre nos lampes
parfois avant même le dernier battement de
main la lumière revient mais ne sait
pas encore parler qui
a dit que qui part a souvent
quelque chose à raconter
Penser le monde…
Penser le monde c’est l’éteindre
Respirer en dehors du destin
comme pour s’absenter
brièvement
Les forces puisées ailleurs
nous permettent de survivre
//Anise Koltz
Ashen Lady, The Doors
Petit rituel de pluie
feu de camp
de ma cigarette
sur le balcon.
Toi, mon homme
es très loin
de moi
comme la lune.
et si proche.
Ma cigarette sous la pluie
s’éteint, je fais tourner
ma bague.
Tu viens,
me donnes du feu.
//Michèle Thoma
Il y a des jours où si les marées montent elles
mettent les mots sur les choses et disent
par exemple ceci ce qui vient de la mer
n’est pas un souvenir liquide ce sont des mots
dans une bouteille des mots qui ont
traversé toute l’humidité comme un dialogue
qui les morts le savent a fait le voyage
du mur à la chute du silence à
ce qu’on disait avant je regarde vers le
large et dans l'air de la mer flotte un
irrespirable bleu pas parce que l’eau soudain
serait devenue bavarde mais à cause de toi
qui quand tu viens mets tant de mer dans ma
valise tu ne te fatigues donc jamais ne t'a-t-on
jamais dit que l'eau salée que tu amasses
est la clé de ta lourdeur ne t’a-t-on jamais dit
que regarder la mer pèse plus lourd que les mots
qui d’ici alourdissent ta valise il y a au large une
clé qui ouvre les bouteilles et une main aussi
ni la tienne ni la mienne mais prête à tout
Est-ce en août que juillet revient
avec un prénom pris dans les nuages
août passeur de frontières
une mer ce fossé rempli d’eau
et tout bateau une pensée
qui part et n’oublie pas de semer sur l’eau
ses petits cailloux et ses bouts de pain
l’autre boîtier…
l’autre boîtier
même si on ne le sait pas
il faut y croire
le monde est là, où aucun mot
tu n’dis rien, t’es dehors
tu le notes, tu veux dire
écoute et répète
rejoins-moi dans le boîtier
faisons comme si : ce serait à nous
ni portes ni fenêtres
en revanche des murs pour y grimper
des écrans aussi, malheureusement
tapis roulant sous les pieds
pas de coins, pas de direction
même pas de hamster dans la roue
homme boule, mais autrement
à ne pas séparer
on ne peut pas savoir
se bat pour des gousses et espère
qu’elles éclatent un jour
l’intérieur ne serait pas creux
//Elise Schmit
Est-ce un rêve cette colonne
qui en moi monte et redescend
fumée là-haut mémoire en tombant
les mains y sont-elles pour quelque chose
ne faudrait-il pas les ouvrir aujourd’hui
s’en échapperait un nuage de sud et de lumière
comme l’air qui me traverse le larynx et parle