Citations de Jean Sénac (73)
"L'artiste, parce qu'il s'adresse à tous, est responsable de la misère, des espoirs de tous... Sa place est sur les barricades partout où souffle la révolte."
Je t’ai trouvée
ta voix suffit le monde s’ouvre
nous arracherons l’homme à son ombre
ensemble nous fermons les plaies.
Si une lumière marche…
Si une lumière marche
les lumières immobiles finiront par la suivre.
Je chante pour la main
Vivante
Dans la main.
Limpides sont alors les phrases du poète .
MIROIR DE L'EGLANTIER
Feu de sarments dans tes yeux
feu de ronces sur tes joues
feu de silex sur ton front
feu d'amandes sur tes lèvres
feu d'anguilles dans tes doigts
feu de laves sur tes seins
feu d'oranges dans ton cœur
feu d'œillets à ta ceinture
feu de chardons sur ton ventre
feu de glaise à tes genoux
feu de bave sous tes pieds
feu de sel et feu de boue
un incendie réel
tout droit sur la falaise
un faisceau de saveurs
où je me reconnais
Mère ma ténébreuse.
Alger, 24.XI.49
L’HOMME OUVERT
Cet homme portait son enfance
sur son visage comme un bestiaire
il aimait ses amis
l’ortie et le lierre l’aimaient
Cet homme avait la vérité
enfoncée dans ses deux mains jointes
et il saignait
À la mère qui voulut enlever son couteau
à la fille qui voulut laver sa plaie
il dit « n’empêchez pas mon soleil de marcher »
Cet homme était juste comme une main ouverte
on se précipita sur lui
pour le guérir pour le fermer
alors il s’ouvrit davantage
il fit entrer la terre en lui
Comme on l’empêchait de vivre
il se fit poème et se tut
Comme on voulait le dessiner
il se fit arbre et se tut
Comme on arrachait ses branches
il se fit houille et se tut
Comme on creusait dans ses veines
il se fit flamme et se tut
Alors ses cendres dans la ville
portèrent son défi
Cet homme était grand comme une main ouverte.
Paris, 21 avril 1952
(p.116-117)
LA GRANDE MURAILLE
J'ai vécu, à 45 ans*, dans la misère et le désordre.
A 50 ans, pour ne pas périr, j'ai essayé de voir clair.
A 60 ans, je respire un peu. J'ai décrassé des alvéoles.
Je sais aimer sans mourir chaque matin.
p.738
* Aujourd'hui.
PASSAGE DE L'INCONNU
Fuyez ! Ne laissez rien !
Pas une trace obscure
sur le roc ! La mer est passée.
Que la lumière joue,
la mémoire ne dure
que l'instant d'un baiser.
Ton visage… Était-il
mitoyen de l'aurore
ou crispé dans sa nuit ?
Cheveux fous ! De mon cœur
il ne reste qu'un cri
que le soleil dévore.
LE BUISSON SUR LE GOUFFRE
Il ne me reste rien qu'un peu de plaie nocturne,
La blessure frontale où notre amour pourrit,
Des phrases oxydées où plus rien ne témoigne
De ce qui fut un chant.
Pont sur le gouffre et l'arceau de rocaille.
L'ange mugit et retient par l'entaille
Ce corps déjà qui fuit de toute part.
O cœur, sauter ici et fondre dans la glaise
Ton dernier battement !
Mais lâche. Et je demeure comme l'aile du bronze
À ma pierre attaché.
Constantine, l'air gronde.
Où fut le cœur je ne tiens plus que l'ombre
Torride et démusclée d'un os
Que des chiens purifient.
Mythe du froid
Je souris quand les anges parlent
de ma cantinière
elle marche depuis tant d'années
dans mes veines
que son visage est imprégné
de mes querelles roturières
son visage dont me voici frappé
Viendra l'incendie l'ode rouge
mais le blé tendre pourra-t-il
retrouver son usage
sous tant de cendres ordonnées ?
S'il y avait la mer à Paris
J'aurais aimé Paris
S'il y avait des comités de gestion à Madrid
Je serais revenu à Madrid
Mais à Alger
Il y a la mer qui décuple les vagues
Et les comités de gestion qui monopolisent les justices
C'est pourquoi
Je n'aime pas Paris quoique j'aime la Seine
C'est pourquoi
Je n'aime pas Madrid quoique j'adore la Plaza del Sol.
Rachid Boudjedra
Ton regard…
Ton regard se fait complice
des pierres et du soleil
pour une absence limpide.
Nous n’avons rien à partager…
Nous n’avons rien à partager
que des promenades et des mots
c’est suffisant pour vivre encore
LES LEÇONS D'EDGARD
3
Ne ris pas, tes dents m'éclairent
Et j'ai besoin de me fuir.
L'amour est une lumière
Dont on ne peut guérir.
Toi plus, dans ton blanc tu serres
Les rayons de mon loisir,
Comme une précieuse pierre
Qui pourrait tout contenir.
Parle, parle, je n'écoute
Que le bruit de ta beauté,
Ton sourire goutte à goutte.
Je m'enivre, je m'apaise,
Et parfois je ne te baise
Que pour cueillir ta clarté.
p.123
Je t’ai trouvée…
Je t’ai trouvée
ta voix suffit le monde s’ouvre
nous arracherons l’homme à son ombre
ensemble nous fermons les plaies.
La mer ce n’est jamais que le rivage le plus courbe
Perdu dans un soupir la paume d’une main
Et plus qu’une coquille étrangère au chagrin
La pure éternité d’une vacance trouble.
Le double fruit des grands sables doyens
Votre baiser mémoire et la fuite des robes
La mer c’est votre appui mon enfant qui dérobe
À la terre sa ruse aux vagues leur dédain
Le chiffre du varech
Nous alimente avec
La grâce du jeune homme
Et ce couteau suffit
À partager la nuit
Celle du secret lit et celle que je nomme.
La mer, ce n’est jamais que ce peu de salive
Ce crabe sourcilleux qui tremble sous tes yeux
Et le talon léger qui des marelles vives
Jette vers l’invisible un défi rocailleux.
Je suis né dans l'enfer
j'ai vécu dans l'enfer
et l'enfer est né en moi
et dans l'enfer
sur la haine _ce terreau qui flambe_
ont poussé des fleurs.
Youcef Sebti
« Je suis de ce pays. Je suis né arabe, espagnol, berbère, juif, français. Je suis né mozabite et bâtisseur de minarets [...] »
Je reprends grâce à toi…
Je reprends grâce à toi le souffle et la mesure
le coquillage d’eau est au creux de ta chair
il m’enseigne à rouler aussi vrai que la mer
les galets dans ma gorge
avant de les donner aux hommes qu’ils rassurent.
Toute tendresse est infinie
Le temps que coule ton plaisir
Et que sèchent nos draps.
Toute tendresse inaltérable
Le temps qu’autour de tes fragiles bras
Je lie et je délie les ordres de la fable.