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Critiques de Jean-Yves Jouannais (23)
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Les barrages de sable : Traité de castellolog..

Découvert lors d’une rencontre en librairie, Jean-Yves Jouannais m’avait littéralement séduite, pendue à ses lèvres je buvais ses paroles. Derrière l’écrivain se cache un conférencier hors norme – ou devrais-je dire : plus qu’écrivain, Jean-Yves Jouannais est conférencier. De fait, tout un chacun peut l’écouter sur scène lors d’une performance qu’il poursuit depuis 2009 au Centre Pompidou : L’encyclopédie des guerres. Chaque conférence est l’occasion d’ouvrir une entrée, dans l’ordre alphabétique, de cette encyclopédie. S’il est interdit d’avancer trop vite en passant outre certaines lettres, l’orateur s’autorisent des retours en arrière, des renvois vers des concepts clés qui s’étoffent un peu plus à chaque séance, au gré des improvisations. Les barrages de sables : traité de castellologie littorale est un essai/récit biographique issu de ces spectacles et dérivé de l’entrée « barrage » que l’auteur développe, dénoue, déroule en commençant son récit littéraire par ce réflexe primaire que nous avons tous, quel que soit notre âge, ce plaisir sans cesse renouvelé lors de nos vacances en bord de mer d’édifier des forteresses dans le seul but de les opposer à l’inexorable montée des eaux qui les détruira nécessairement.



De cette idée saugrenue, Jean-Yves Jouannais enchaine les anecdotes pour nous proposer une surprenante et probable vision de l’homme dans son combat contre l’incommensurable – certains n’y verront peut-être que des châteaux de sable…



Je suis aussi et surtout frappée de la démarche de l’auteur qu’il nous présente lors de cette rencontre – et développe également dans le livre. Une question l’obsède : en quoi la guerre le concerne-t-elle ? Cette interrogation est le point de départ à la fois du livre mais aussi de ses prestations à Beaubourg – où des psychanalystes viennent l’étudier comme un spécimen modèle de développement personnel. Elle est également à l’origine de la « bibliothèque de guerre » de l’auteur qu’il constitue en échangeant les ouvrages de son ancienne bibliothèque contre n’importe quel autre livre – peu importe le genre – concernant la guerre.



Cet engagement me fascine. Cet entêtement – plusieurs années – pour formuler enfin une question à laquelle il semble prêt à consacrer l’ensemble de ses jours à venir me sidère et me passionne. Je respecte et admire.



L’ensemble de ces idées et de nombreuses autres sur la guerre est synthétisé dans un style direct et rythmé dans Les barrages de sable. Alternant anecdotes familiales, rencontres incongrues et détails militaires, Jean-Yves Jouannais s’attèle avec humour à nous transmettre cette étrange passion hors des sentiers battus des discours historico-plombants. Bref, je recommande ;)
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Les barrages de sable : Traité de castellolog..

Loin des châteaux de sable de concours, de leur esthétique improbable de meringues de plage, ce traité de castellologie littorale est une méditation sur les barrages de sable, lorsqu’adultes et enfants ensemble se mesurent à l’océan, avec ce loisir qui est en réalité une activité de guerre, un combat sans espoir, et dont les enjeux sont de savourer le spectacle de la disparition de ce que l’on édifie, de mesurer le temps qui nous sépare d’une défaite inéluctable contre la mer, activité captivante, aussi essentielle que de mesurer l’écoulement du temps de sa propre existence.



«Alors qu’aurions-nous à répondre à untel qui nous demanderait ce que nous faisons là, les mains abîmées par ce matériau pulvérulent, nos épaules offertes aux coups de soleil, à faire se dresser d’aussi illusoires remparts face à notre désert des Tartares. Rien. Ce que nous faisons c’est rien. […] Quand nous déclarons occuper nos enfants, nous voulons dire clairement que nous organisons des activités destinées à leur faire passer le temps, à ne pas les laisser dans l’oisiveté, à les distraire par cette forme d’amusement. Mais «occuper» du latin occupare signifie «s’emparer de». C’est très précisément l’action de se rendre maître militairement, de s’établir par la force, de s’imposer par la terreur. Occuper des enfants à la construction de bunkers éphémères, c’est, sous couvert du loisir, leur inculquer la prédation guerrière, l’excitation de la bataille, les saveurs contrastées de la violence.»



Jean-Yves Jouannais construit ce récit traversé de fulgurances, comme un fleuve sinueux ou une longue rêverie, puisant dans la matière et la forme, tout en digressions poétiques et en rapprochements captivants, de sa phénoménale Encyclopédie des guerres, en commençant par l’entrée «Barrage», anagramme de bagarre.

A paraître fin août 2014, «Les barrages de sable» n’est sans doute pas la bonne porte d’entrée dans une œuvre de Jean-Yves Jouannais qui est comme une somme ; c’est un livre résolument inclassable au carrefour de L’encyclopédie des guerres et de «L’usage des ruines» (Editions Verticales, 2012), et qu’on appréciera davantage en étant familier de Félicien Marbœuf, cet inspirateur de Marcel Proust évoqué dans «Artistes sans œuvres» (Hazan 1997, réédité chez Verticales en 2009).



On croisera ici Agésipolis Ier, roi de Sparte, qui fit détourner le cours de la rivière Ophis pour la conquête de Mantinée, Alexandre le Grand lors du siège de Tyr, mais aussi Hendrik Geeraert, simple éclusier flamand qui en inondant le champ de bataille permit la victoire sur les Allemands lors de la bataille de l’Yser à l’automne 1914, Hiro Onoda obstiné combattant japonais terré dans la jungle des Philippines, qui ne rendit les armes qu’en 1974, soit vingt-neuf ans après la fin de la seconde guerre mondiale, ou encore l’escadron spécial de la Royal Air Force - Briseurs de barrages pendant la seconde guerre mondiale -, tous placés sous la figure tutélaire de Jorge Luis Borges, car le pays qu’habite Jean-Yves Jouannais est bien la littérature.



«"Entreprendre l’écriture de romans entre onze et quinze ans. Plus tard, se consacrer à la littérature." Félicien Marbœuf écrivait cela à Marcel Proust, le 3 janvier 1902. Je me souvenais de ce pays si particulier que la littérature m’avait paru être, à cet âge en effet, pays dont cela avait été un si grand souhait de ma part d’en être l’habitant. Avant de comprendre que personne n’avait jamais habité la littérature. Jorge Luis Borges et les châteaux de sable me l’ont fait comprendre.»

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Les barrages de sable : Traité de castellolog..

Le château de sable comme tentative de métaphore intime et ultime de la guerre.



Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/09/19/note-de-lecture-les-barrages-de-sable-traite-de-castellologie-littorale-jean-yves-jouannais/

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Les barrages de sable : Traité de castellolog..

Originale et délectable escapade littéraire que la lecture tout en découvertes historiques et curiosités philosophiques de cet ouvrage buissonnier — mi-essai, mi-rêverie — autour des châteaux de sable de nos enfances estivales.
Lien : http://www.telerama.fr/criti..
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L'usage des ruines: Portraits obsidionaux

Somptueuse construction, assemblage de vignettes inattendues, qui parvient à jouer avec le chaos.



Publié en 2012 aux éditions Verticales, le sixième ouvrage de Jean-Yves Jouannais marque une convergence, voire une synthèse provisoire, entre le travail sur l'art "de réserve et d'attente" (en décalant outrageusement une formule de François Géré issue d'un tout autre contexte), tel qu'abordé depuis "Artistes sans œuvres", et le cycle de conférences aux allures foisonnantes, baroques et néanmoins incroyablement structurées qu'est "L'encyclopédie des guerres".



"L'usage des ruines", sous-titré "Portraits obsidionaux", marque aussi la poursuite et l'enrichissement inlassable du "jeu" littéraire et amical entre Jean-Yves Jouannais et Enrique Vila-Matas, le livre étant présenté comme une série de portraits offerts par... Vila-Matas, à... Jouannais - qui lui avait manifesté son désir d'incarner un personnage de roman, afin qu'il y fasse son choix...



Ces 21 ou 22 portraits recensent avec obstination et imagination la fonction, intellectuelle, culturelle et symbolique des "ruines" dans la civilisation, et pas uniquement dans le corpus guerrier. De généraux chinois du IIIème siècle en grands bâtisseurs nazis, d'amiraux hollandais du Grand Siècle en généraux de Louis XIV, de conquérants assyriens en explorateurs coloniaux français, de photographes soviétiques en stratèges romains, tous se relaient avec une immense sagacité pour servir d'écrin, ou de catafalque, peut-être, à l'auteur suédois (Dagerman) que la confrontation aux ruines mène au suicide, et à l'auteur allemand (Sebald) qui invente, sans doute, la véritable signification de la destruction, tous deux s'inscrivant dans l'immédiat lendemain du grand chaos de 1945...



À nouveau, l'érudition, le sens de l'analogie, et la subtilité discrètement philosophique de Jouannais, étroitement enserrées dans sa toujours surprenante écriture rigoureusement poétique, font merveille, et incitent à en redemander, encore et encore.
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Artistes sans oeuvres : I would prefer not to

Marrant, ça, de vouloir être un artiste sans faire d'art ou presque. Pourquoi et comment ? Ce bouquin s'y intéresse et on se rend compte qu'un grand nombre de personnes ont participé au mouvement abstentionniste, mouvement qui, fidèle à son esprit, n'existe pas vraiment non plus.

On rit presque en lisant ce livre, à trouver tous les arguments possibles pour ne pas en faire plus que nécessaire. Puis on commence à se poser la question : est-ce que ce n'est pas eux finalement qui ont raison ? Pourquoi vouloir à tout prix déflorer l'imagination en la couchant sur des supports aussi vils que la matière ? Pourqsuoi à tout prix vouloir montrer son œuvre ? Existerait-elle sans le regard des autres ? Serait-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Et ce genre de raisonnements peut aller très, très loin.

En-dehors du sujet que traite le livre, on apprécie également tout le reste. Enfin un bouquin qui considère la littérature comme un art au même rang que la peinture. On apprend énormément de choses pour notre culture : rien que le passage sur Chateaubriand est une anecdote énorme qui ferait trembler tous les profs de Lettres classiques. Un mot également sur le style : il est fluide, passant facilement d'une idée à une autre tout en multipliant les questionnements intelligents. Mais malheureusement, à trop user de métaphores et de problèmes sans réponse, certains finiront par se sentir fortement agacés. Du reste, il est parfaitement accessible, en-dehors d'un ou deux termes techniques.

Même moi qui serais plutôt dans la branche maximaliste, je reconnais qu'il y a énormément de pertinent dans ce livre. Une réussite, en somme, et très pratique pour justifier vos zérochromes lors des oraux du bac d'arts plastiques.
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Les barrages de sable : Traité de castellolog..

Jouannais repousse les limites de la littérature avec cet étonnant traité poétique qui mélange érudition et éléments autobiographiques. C'est plein de digressions mais cela suit néanmoins à peu près une ligne directrice qui est aussi celle de son programme de vie : consacrer son temps à une encyclopédie de la guerre. Etonnant.
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Les barrages de sable : Traité de castellolog..

L'outil de travail de Jean-Yves Jouannais est actuellement son cycle de conférences-performances L'Encyclopédie de la guerre. C'est en voulant s'en éloigner qu'il s'en est rapproché, ou réciproquement. Dans ce traité de castellologie littorale, l'auteur de précieux essais comme L'idiotie, Artistes sans œuvres ou encore le sublime L'usage des ruines (parus chez Verticales il y a deux ans - très recommandé!), va discuter des barrages avec Olivier Cadiot, utiliser la fiction, la forme journalistique - et en cela il se rapproche d'Enrique Vila-Matas et son Journal volubile -, mais aussi de la littérature, de son obsession pour les ruines notamment, une forme qui rappelle l'essai De la destruction du regretté Sebald (et du coup donne envie de le relire).

Jean-Yves Jouannais ne veut pas faire un livre avec ses conférences, il y arrive pourtant indirectement avec ce brillant ouvrage : Les barrages de sable.
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La bibliothèque de Hans Reiter

A la demande d'un de ses commanditaires, le narrateur se rend à une vente aux enchères sur l'ile de Rügen, en Allemagne. Là, il doit acquérir une partie de « La bibliothèque de Hans Reiter ». C'est son métier, acheter et vendre des livres anciens. Lors de ses achats il est toujours interrogatif quant à l'esprit et la logique ayant conduit à la création puis à l'unicité d'une collection de livres. Ici pourtant, impossible de comprendre le propriétaire, si ce n'est que la plupart des livres traitent de la guerre, mais de la guerre partout, à diverses époques, sans qu'il y ait une unité de lieu ou de temps par exemple. Et fait étrange, dans tous les livres qu'il a achetés une page est arrachée. Mystère que le narrateur n'aura de cesse d'élucider.

D'autant que lors de la vente un certain Ernest Gunjer lui a âprement disputé les enchères. Cet homme va le contacter pour le rencontrer. Rencontre avec un homme improbable, mais le narrateur s'embarque alors avec ce quasi inconnu pour une aventure livresque assez inhabituelle. Il découvre que la passion de Hans Reiter pour les livres qui traitent de la guerre a débuté à l'occasion d'une joyeuse soirée dans un cabaret à Vienne le 28 avril 1939 lorsqu'il a entendu le discours d'Hitler. A partir de cette date, seul contre tous, ayant perçu ce que nul autre n'avait compris, il n'a eu de cesse de démontrer que « La guerre avait commencé par un blague, par rien d'autre qu'une blague ».

Les questionnements du narrateur sont autant d'arguments pour lire des extraits des livres qu'il a réussi à acquérir, prétexte à développer quelques anecdotes historiques dont l'auteur est un spécialiste puisqu'il poursuit un cycle de conférences sur l'encyclopédie des guerres. Alors nous sortons moins ignares, sur Kafka et ses créatures, proches d'Hitler se terrant dans ses bunkers, sur la campagne de Russie, sur Napoléon, sur le soldat inconnu, sur Hitler bien sûr. Si les sujets sont vastes, ils traitent néanmoins tous de la guerre. C'est un livre assez court, mais dans lequel on pourrait puiser des connaissances pendant des heures. Une lecture dense et étonnante.


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La bibliothèque de Hans Reiter

La guerre, une farce qui tourne mal.



Commissionné par un bibliophile, le narrateur, un double fictionnel aux proximités sympathiques avec Jean-Yves Jouannais, se rend sur l’île de Rügen pour tenter d’acquérir lors d’une vente aux enchères tout ou partie de la bibliothèque d’un certain Hans Reiter. L’île de Rügen, station balnéaire allemande située sur les côtes de la mer Baltique connut son heure de gloire entre les deux guerres, et les nazis y firent édifier une barre de béton de trois kilomètres de long bordant la plage, afin de leur servir de lieu de villégiature. Découvrant les ouvrages d’Hans Reiter, collection dépareillée qui traite de toutes les guerres à travers tous les âges et sous toutes les latitudes, le narrateur se passionne et entre avec un autre acheteur dans une concurrence d’enchères qui prend l’allure d’un duel.



Tandis que, dans un futur qu’on imagine très proche, le monde s’est embrasé, et que Paris, en état d’urgence permanent, s’est transformé en ville-bunker, il tente à son retour en France, aidé par les échanges avec son vieil ami Éric Mangion, de déchiffrer la logique qui a présidé à la constitution de cette collection, et celle des pages manquantes, arrachées, sur lequel il tombe régulièrement, tandis qu’il est poursuivi par les messages elliptiques de son adversaire des enchères dont les visées restent obscures.



La suite sur mon blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2016/03/09/note-de-lecture-la-bibliotheque-de-hans-reiter-jean-yves-jouannais/
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Artistes sans oeuvres : I would prefer not to

Un livre au titre déjà trompeur. Il est aussi question d’artistes, et d’écrivains d’abord, discrets, qui auraient préféré ne pas créer mais qui n’ont pas pu s’en empêcher, un tout petit peu, parce qu’il faut bien vivre... Ce n’est certainement pas une anthologie de tous les artistes discrets ou sans œuvres, ce n’est pas non plus un éloge du vide, pas plus une tentative de réhabilitation d’écrivains oubliés, ou une réflexion sur le statut de l’artiste en général, ce n’est pas un livre théorique ni de fiction, ce n’est pas un livre sérieux ou drôle et il est loin d’être triste, il n’est pas mal écrit, il n’est pas tout à fait accessible sans être du tout abstrus. La question « A quoi bon ? » a déjà été trop posée. « L’angoisse de la page blanche » a été un sujet trop ressassé, tout comme les liens entre la fiction et la réalité. Alors, à quoi bon revenir là-dessus ?

Et puis, Jouannais n’est qu’un critique d’art. Et vous savez ce que disait Blanchot sur la critique, dans un remarquable texte qui mériterait d’être cité en entier : « Ici, la parole critique, sans durée, sans réalité, voudrait se dissiper devant l’affirmation créatrice : ce n’est jamais elle qui parle, lorsqu’elle parle ; elle n’est rien ; remarquable modestie ; mais peut-être pas si modeste. Elle n’est rien, mais ce rien est précisément ce en quoi l’œuvre, la silencieuse, l’invisible, se laisse être ce qu’elle est : éclat et parole, affirmation et présence, parlant alors comme elle-même, sans s’altérer, dans ce vide de bonne qualité que l’intervention critique a eu pour mission de produire. La parole critique est cet espace de résonance dans lequel, un instant, se transforme et se circonscrit en parole la réalité non parlante, indéfinie de l’œuvre. Et ainsi, du fait que modestement et obstinément elle prétend n’être rien, la voici qui se donne, ne se distinguant pas d’elle, pour la parole créatrice dont elle serait comme l’actualisation nécessaire ou, pour parler métaphoriquement, l’épiphanie. » Et un peu plus loin : « On se plaint de la critique qui ne sait plus juger. Mais pourquoi ? Ce n’est pas elle qui se refuse paresseusement à l’évaluation, c’est le roman ou le poème qui s’y soustrait, parce qu’il cherche à s’affirmer à l’écart de toute valeur. Et, dans la mesure même où la critique appartient plus intimement à la vie de l’œuvre, elle fait l’expérience de celle-ci comme de ce qui ne s’évalue pas, elle la saisit comme la profondeur, et aussi l’absence de profondeur, qui échappe à tout système de valeurs, étant en-deçà de ce qui vaut et récusant par avance toute affirmation qui voudrait s’emparer d’elle pour la valoriser. »

Qui sait, il sera peut-être réservé à un critique aussi dégagé de préoccupations publicitaires, aussi épris de vitalité que Jean-Yves Jouannais de réconcilier la critique et ceux qu’elle ignore ? En tout cas, il y en a au moins un à qui ce livre a été utile, c’est Enrique Vila-Matas, l’auteur d’une préface dans laquelle il reconnait toute sa dette à Jouannais. Car son « Bartleby et compagnie » est plus qu’une variation sur « Artistes sans œuvres », moins qu’un prolongement, ce sont quasiment deux livres jumeaux, à tel point qu’on peut se demander si l’un ne serait pas le fantôme de l’autre. Toutefois je préfère le roman de Vila-Matas.

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Les barrages de sable : Traité de castellolog..

Jean-Yves Jouannais raconte dans Les Barrages de sable son saisissement devant ses enfants, ces soldats qui s'ignorent, en train d'édifier un château de sable. Son essai met malicieusement en parallèle cette activité et l'art de la guerre.


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Artistes sans oeuvres : I would prefer not to

Une malicieuse et follement intelligente réflexion sur la "production" (et son absence) en art.



Publiée en 1997, la première œuvre de Jean-Yves Jouannais marquait l’apparition d’une voix bien particulière, pour un travail résolument difficile à classer, entre l’essai social et politique, la réflexion historique et littéraire et le jeu langagier subtil.



Servi par une écriture élégante et efficace qui parvient à distiller au fil des pages de distincts brins de poésie au sein des sujets semblant parfois le moins s’y prêter, l’auteur s’engageait ici dans une démarche d’étude et de réflexion sur les « artistes sans œuvres », créateurs réels ou même parfois fictifs, ayant choisi de « ne pas » produire d’œuvre, en tout cas au sens classique du terme, et ce pour des raisons à la fois bien précises et très variables pour chaque individu concerné.



Traquant ces émules du Bartleby de Melville (le sous-titre d’ « Artistes sans œuvres » est d’ailleurs bien « I would prefer not to »), Jean-Yves Jouannais entame aussi un incroyable trajet parallèle et néanmoins convergent à celui du Catalan Enrique Vila-Matas (dont l’« Abrégé d’histoire de la littérature portative » de 1985 serait l’emblème, reconnu d’emblée comme point de départ par Jouannais), qui conduira les deux écrivains à devenir amis et complices intimes dans la construction croisée de réflexions littéraires flirtant bien habilement avec le canular sérieux : la préface de Vila-Matas pour la réédition d’ « Artistes sans œuvres » en 2007, ou l’introduction de Jouannais à « L’usage des ruines » en 2012, en sont d’éclatants exemples.



Avec les figures ici de Jacques Vaché, d’Armand Robin, de Félix Fénéon, de Roland Barthes, des dandies et des shandies, de Valéry Larbaud, de Jacques Rigaut, « de Marcel Duchamp, de Félicien Marbœuf, de Joseph Joubert, de Mychkine, d’Yves Klein ou encore de Gilles Barbier, le tout sous le haut patronage initial de Borges (et de sa décapante analyse sur l’inutilité d’écrire une fois que le concept de l’œuvre existe), Jouannais réalise un tour de force captivant, ouvrant à chaque chapitre, en souriant malicieusement, des abîmes de réflexion et d’érudition enjouée sous les yeux du lecteur.



Une bien belle découverte pour moi.
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L'usage des ruines: Portraits obsidionaux

Créateur des conférences « L’encyclopédie des guerres » qu’il présente depuis 2008 à Beaubourg, une exploration systématique de la représentation des conflits militaires depuis l’Antiquité, Jean-Yves Jouannais est un critique d’art devenu artiste et écrivain.



L’usage des ruines, essai romanesque publié en 2012, nous livre, dans un style très vila-matasien revendiqué (Enrique Vila-Matas est présenté en préambule comme le véritable auteur du livre), une galerie de portraits d’hommes qui ont « en commun d’avoir reconnu leur obsession au contact d’une ville assiégée », depuis l’Antiquité jusqu’au début du XXIe siècle.



La dimension romanesque, parfois fantasque, peut déranger au regard de l’horreur de la guerre, mais l’érudition artistique et guerrière de Jean-Yves Jouannais, sa capacité à rêver les lectures et les obsessions de ces chefs de guerre ou de ces témoins de ruines qui les assiègent, forment des récits passionnants, vingt-trois portraits obsidionaux qui nous donnent à voir les décombres de la raison humaine reflétées dans les ruines de la guerre.



Il y a l’obsession d’Albert Speer de construire des bâtiments pensés et réalisés pour produire de belles ruines. Cette obsession d’un empire qui pensait sa propre mythologie fut contrecarrée par le Teufelsberg, la colline érigée avec les débris de Berlin détruite, sous laquelle est enfouie l’université nazie construite par Albert Speer, contrariant ainsi le « devenir-ruines fantasmé et programmé du monument nazi tout en oblitérant les marques de combat et donc d’héroïsme que ses façades arboraient ».



On croise encore l’obsession de gloire du colonel Louis Archinard, militaire français qui contribua à la colonisation de l’actuel Mali, marchant vers la conquête d’un Tombouctou rêvé, déjà disparu depuis des siècles.

« Louis Archinard marche vers un leurre. Depuis des siècles, plus rien de ce rêve ne correspond à une quelconque réalité. Un sultan marocain et ses troupes ont effacé Tombouctou dans les dernières années du XVIe siècle. […] Mais Tombouctou rayonne encore. Perchée très en hauteur, protégée par des déserts intransigeants, elle continue de briller à la manière d’un objet céleste dont la nouvelle d’une mort déjà ancienne ne nous serait pas parvenue. Sa magnitude apparente est un mensonge. »



Fascinante traversée du temps sur les ruines, comme si seule la poussière pouvait rendre compte de la folie humaine.
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Artistes sans oeuvres : I would prefer not to

« Artistes sans œuvre », anatomie en coupe des artistes qui n’ont rien produit, pourrait passer pour un exercice futile ou absurde, une apologie gratuite de la paresse. Il n’en est rien.



Ce parcours autour des artistes ayant choisi l’éclipse, qui inspirât Enrique Vila-Matas pour son « Bartleby et compagnie », n’est pas uniquement l’excitation d’une curiosité face à une bibliothèque ou un musée-fantôme, le soufflé d’un fantasme cherchant à atteindre une beauté qui se dérobe.

Grâce à son érudition, à son œil éclectique ouvert aux arts et aux hasards du monde, Jean-Yves Jouannais nous fait entrer dans l’univers de ces artistes qui ont profondément influencé leur époque, porteurs d’idées souvent plus neuves que les artistes consacrés, mais qui ont fait le choix différent et risqué, de sortir de l’asservissement à la production et à la reconnaissance.



Felix Fénéon (1861-1944) est l’un de ces discrets, publiant dans la presse des nouvelles anonymes de quelques lignes, points de condensation ultimes de la comédie humaine : «Quittée par Delorce, Cécile Ward refuse de le reprendre, sauf mariage. Il la poignarde, cette clause lui ayant paru scandaleuse». Felix Fénéon ne publia rien en son nom mais porta devant le public certains des textes les plus célèbres de Mallarmé, Apollinaire et Rimbaud, « le sacerdoce tout de légèreté d’un homme qui n’était pas amoureux de son nom. »



De l’éclipse la plus discrète à la plus lumineuse, Jean-Yves Jouannais consacre des pages superbes à Borges, soucieux de ne pas encombrer les étagères déjà surchargées de la bibliothèque de Babel, qui écrit des résumés de livres dont on feint qu’ils existent déjà, envisageant son œuvre comme « une évacuation, un désamorçage des possibilités, une limitation du pire. L’œuvre de Borges n’est pas à proprement parler une chose de plus ajoutée au monde, comme le sont tous les hauts et superbes volumes dans la bibliothèque de l’Auteur, elle est l’inverse, une saignée à blanc, la violente extinction de la littérature par les Lettres elles-mêmes… L’apnée, la respiration retenue de part et d’autre du livre pourrait-on dire, la sensation de profondeur, l’euphorie cérébrale qu’elles entraînent, confirment l’intuition que l’espace est hanté par une sourde culpabilité, celle de n’avoir pas respecté le silence, d’avoir importé du trop dans l’économie pléthorique de l’univers. »



Invention et humour habitent aussi ce livre hybride, avec les Hydropathes ou les Incohérents, qui tournent en dérision les conventions bourgeoises et les salons officiels à la fin du XIXème siècle, avec le romanesque Félicien Marboeuf, « le plus grand des écrivains n’ayant jamais écrit », inspirateur fictif de la Recherche du temps perdu, ou encore avec la communauté shandy imaginée par Vila-Matas (Abrégé d’histoire de la littérature portative), communauté d’écrivains qui se revendiquent mobiles, insolents, légers et curieux, et dont l’œuvre doit impérativement tenir dans une mallette.



Dénonciation d’une époque essentiellement marchande ou méthode du bonheur, «Artistes sans œuvres» est un livre précieux, dans lequel légèreté et érudition sont enfin réconciliés.
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La bibliothèque de Hans Reiter

Jean-Yves Jouannais est un artiste, écrivain et bibliothécaire. L'Encyclopédie de la guerre est son oeuvre majeure et continue puisqu'elle s'écrit tout au long des conférences qu'il donne au Centre Pompidou ; on en trouve des traces dans ses derniers livres comme l'Usage des ruines, malheureusement épuisé, qui fait le lien entre ruine et littérature, ainsi que dans Les barrages de sable, son traité de castellologie littorale qui expliquait, entre autre, que les hommes guerroyaient pour inscrire leur nom dans l'histoire et aussi (surtout) : dans la littérature. La bibliothèque de Hans Reiter est ainsi dans la continuité des Barrages de sable ; ce n'est ni un roman, ni un essai, ni un résumé de ses activités d'artiste-bibliothécaire pour l'Encyclopédie de la guerre, mais plutôt tout cela à la fois. On apprendra au fil de cette lecture de quoi est faite cette mystérieuse "bibliothèque de guerre" et dans quel but son propriétaire, Hans Reiter, l'a construite pour, au final, composer un volume unique à base de citations arrachées dans chacun des livres. Ce que propose Jean-Yves Jouannais est un regard sur les raisons des guerre, ou plutôt, leurs déraisons. L'histoire se termine par une mise en abyme, dans le Paris de l'après 13 novembre. Mais on passe aussi l'Île de Rügen et ses falaise de craie (peinte par Friedrich), par la Suisse, on y fait allusion à Proust, Kleist et Joy Division aussi, tiens. C'est fascinant, intéressant, et souvent haletant. Un livre hors-norme pour lecteur curieux.
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La bibliothèque de Hans Reiter

Sachant que l’auteur Jean-Yves Jouannais, poursuit, depuis 2008, un cycle de conférences-performances intitulé « l’encyclopédie des guerres », le sujet du livre portant sur la guerre n’est pas étonnant.



Il s’agit d’un homme, commissionné par un bibliophile parisien pour acheter des livres ayant appartenus à Hans Reiter lors d’une vente aux enchères, mais dans le même temps, un homme allemand le concurrence dans ses achats et le menace. Il se met alors à lire ces livres de guerre dans le but de trouver le point commun reliant la collection de Hans Reiter, mais il y manque des pages. Ne trouvant alors pas de fil conducteur à cette collection, le personnage est de plus en plus intrigué.



L’auteur est très pointilleux, détaille beaucoup de faits qui ne sont pas forcément relatifs aux guerres, et rend le roman plutôt difficile à lire. La trame est rapidement posée, mais au fil du récit, rien ne se passe. On pourrait alors croire que les détails servent au dénouement de l’histoire mais il n’en est rien. L’auteur est très cultivé mais il nous assène de détails et de faits qui ne nourrissent pas l’intrigue, au contraire, qui rendent difficile la lecture. Il semble difficile alors de voir où l’auteur veut nous emmener. La véritable trame de l’histoire parait presque absente jusqu’au milieu du livre.



Le roman ne contient que très peu de personnages, et pourtant, aucun d’eux ne se dévoilent. Tous ont des choses à raconter mais alors que ces éléments se font attendre, ils sont donnés assez facilement et ont moins d’intérêt que ce qu’il pouvait en paraître.



Puis, l’intrigue reprend enfin son court au milieu du roman. Il semblerait alors que nous en sachions plus sur ce collectionneur Hans Reiter. Il parait être le seul élément qui serve à l’intrigue. Son portrait et sa collection se dessinent peu à peu.



Mais alors que nous apprenons finalement les raisons de cet intérêt pour ce collectionneur. Une question transparait. En réalité, la véritable question que pose la lecture de ce roman part du constat de Hans Reiter « la guerre avait commencé par une blague ». Mais alors, cette réalité est-elle acceptable voire supportable pour les morts, les survivants dans la douleur et les familles endeuillées ?


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Prolégomènes à tout château d'eau

«Nulle autre ambition, ici, que de démontrer l’existence des châteaux d’eau. Peu de gens y croient.»



Intelligence, érudition et grand éclat de rire sont contenus dans ce très court essai de 2001, autant de traits qui caractérisent l’œuvre de Jean-Yves Jouannais.



«La plus étriquée des problématiques, l’animal le plus anodin vivotant au fond à droite des mers chaudes, le souvenir d’enfance du dernier des gendarmes appelle le livre, convainc l’éditeur, trouve son lecteur. Le château d’eau, non. J’en fus jusqu'à concevoir l’inquiétante intuition que, plongé dans une sorte de folie, j’avais fantasmé un objet qui n’était pas réel.»



Sous forme de lexique en ordre alphabétique, de Bas-Kœnigsburg à Théorème, l’auteur cherche à appréhender l’objet de sa quête absurde, le château d’eau. Jean-Yves Jouannais utilise les creux et les manques, ou bien les représentations esthétiques réelles ou imaginaires, pour dévoiler l’identité étrange et familière de ces silhouettes des bords de nationales : détournement de textes de Flaubert ou de Proust, inventaire inexistant du parc de châteaux d’eau, dissimulation dans le paysage et absence de nom, abus de langage de son appellation.



Arpentage à l’allure systématique qui laisse en réalité une grande place au hasard, cette exploration des châteaux d’eau semble renvoyer en écho à Un livre blanc de Philippe Vasset.

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MOAB: Epopée en 22 chants

Monstrueux et sublime, le pot-pourri de la guerre, bouchère et paradoxale.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2018/10/22/note-de-lecture-moab-epopee-en-22-chants-jean-yves-jouannais/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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L'idiotie

Bonne description de l'art contemporain, parfait catalogue de références. Les arguments sont pratiquement "bouffés" par les exemples, ce qui rend la lecture ludique mais bien moins prenante qu'espéré. Dommage, Jean-Yves-Jouannais ne pose pas assez ses idées et ne prend que très peu de risques dans sa critique... Ce sera peut-être pour une autre lecture
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