Somptueuse construction, assemblage de vignettes inattendues, qui parvient à jouer avec le chaos.
Publié en 2012 aux éditions Verticales, le sixième ouvrage de
Jean-Yves Jouannais marque une convergence, voire une synthèse provisoire, entre le travail sur l'art "de réserve et d'attente" (en décalant outrageusement une formule de
François Géré issue d'un tout autre contexte), tel qu'abordé depuis "Artistes sans oeuvres", et le cycle de conférences aux allures foisonnantes, baroques et néanmoins incroyablement structurées qu'est "L'encyclopédie des guerres".
"L'usage des ruines", sous-titré "Portraits obsidionaux", marque aussi la poursuite et l'enrichissement inlassable du "jeu" littéraire et amical entre
Jean-Yves Jouannais et
Enrique Vila-Matas, le livre étant présenté comme une série de portraits offerts par... Vila-Matas, à...
Jouannais - qui lui avait manifesté son désir d'incarner un personnage de roman, afin qu'il y fasse son choix...
Ces 21 ou 22 portraits recensent avec obstination et imagination la fonction, intellectuelle, culturelle et symbolique des "ruines" dans la civilisation, et pas uniquement dans le corpus guerrier. de généraux chinois du IIIème siècle en grands bâtisseurs nazis, d'amiraux hollandais du Grand Siècle en généraux de
Louis XIV, de conquérants assyriens en explorateurs coloniaux français, de photographes soviétiques en stratèges romains, tous se relaient avec une immense sagacité pour servir d'écrin, ou de catafalque, peut-être, à l'auteur suédois (Dagerman) que la confrontation aux ruines mène au suicide, et à l'auteur allemand (Sebald) qui invente, sans doute, la véritable signification de la destruction, tous deux s'inscrivant dans l'immédiat lendemain du grand chaos de 1945...
À nouveau, l'érudition, le sens de l'analogie, et la subtilité discrètement philosophique de
Jouannais, étroitement enserrées dans sa toujours surprenante écriture rigoureusement poétique, font merveille, et incitent à en redemander, encore et encore.