John Lawton -
Retour de flammes .
A l'occasion du festival Quai du Polar à Lyon,
John Lawton vous présente son ouvrage "
Retour de flammes" aux éditions 10-18. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/john-lawton-retour-flammes-9782264064974.html Note de musique : "Polar Stratospheric Clouds" - Project 5am Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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Elle était dans ses bras, mais il était entre ses mains.
- T'as raison. Je suis morte. Des fois, j'ai du mal à m'en souvenir. Ici, j'essaie de comprendre qui je suis, aveuglée comme Samson, ignorant tout des mœurs du Hertfordshire, perdue dans le désert des comtés anglais, coincée entre le supermarché et la boutique de prêt-à-porter, prise entre le marteau et l'enclume, entre le diable et la femme en robe bleue qui sort de l'institut de beauté, dérivant entre le respect des bonnes manières et la honte coupable de la masturbation, se demandant si la propriété c'est vraiment le vol ou si son sac à main beige est bien assorti à son tailleur, affolée de ne pas savoir ce qui va nous détruire en premier, la bombe H ou la fourchette placée du mauvais côté de l'assiette. Et j'en oublie que je suis morte. Merde, merde et merde !
En moins de dix ans, les Britanniques, maîtres du monde, sont devenus les mendiants de la planète. Ils nous tient par les couilles. L'une de ses maximes préférées : si l'on tient un homme par les couilles, le cœur et l'esprit ne tardent pas à suivre.
- Regarde, là, il y a une agrafe et une bride... J'arrive jamais à les accrocher... Tu peux m'aider ?
Troy tripota maladroitement la fermeture.
- C'est pour cela que les filles se marient, à mon avis. Juste pour avoir un homme sous la main pour agrafer leur jupe.
La District Line circulait par endroits si près de la surface que les vitres des wagons avaient été masquées par des rideaux de black-out - règlement de la défense passive -, seuls quelques losanges découpés dans les tissus noirs laissaient filtrer la lumière. La nuit, dehors, était infiniment préférable à cette suffocante obscurité, vestibule de l'enfer.
- Rod, la guerre n'est pas un putain de pique-nique ! Des millions d'êtres humains sont partis à l'abattoir, et tout ça pour quoi ? Pour alimenter la nostalgie des survivants ?
- Bon, j'ai compris. Troy, va voir ton médecin. Rends-moi ce service. On ne plaisante pas avec la tête. C'est trop près du cerveau.
La porte s'ouvrit. La jolie petite blonde vint déposer une note sur le bureau et repartit.
- Hep ! Une minute, sergent !
Elle s'immobilisa, la main sur la poignée, et jeta un coup d'oeil faussement effarouché par-dessus son épaule. Troy suivit le regard de Zelig, de la chute de reins jusqu'aux talons aiguilles.
- Votre jupe, vous êtes sûre qu'elle est réglementaire ?
- Elle est verte, non ?
- Les dollars et les pommes aussi. Elle est sacrément moulante. Elle vous colle aux fesses. Quand vous marchez, on dirait qu'on vous a cousu les genoux ensemble. Et ces chaussures...
- Quoi, mes chaussures ?
- Elles ne sont pas réglementaires non plus.
- Vous pouvez vous les mettre où je pense.
Et elle claqua la porte.
L'agent se mit presque au garde-à-vous, doigts sur la couture du pantalon. Il n'avait guère plus de dix-neuf ou vingt ans, grand, maigre, avec une pomme d'Adam proéminente qui s'agitait au-dessus du dernier bouton de sa tunique. Troy eu pour lui le regard qu'il recevait lui-même des vieilles badernes - sachant que, d'un jour à l'autre, ce jeunot en uniforme bleu serait appelé pour la grande offensive sur les plages de Calais ou de Normandie qu'Eisenhower aurait choisies comme lieu de boucherie. La mort avait déjà posé sa griffe sur lui.
L'état de la capitale jurait avec le temps radieux. Londres se réchauffait. Londres bourgeonnait. Londres souffrait. Comme un muscle trop longtemps contracté par l'effort, elle aspirait à la détente. La fin de la guerre était presque tangible. La ville n'allait-elle pas rendre l'âme, comme une vieille dame ayant usé ses dernières forces à affronter l'hiver et qui n'a plus d'énergie pour continuer à vivre ? Peintures écaillées, boursouflées, vitres brisées, fenêtres condamnées, murs effondrés, toits béants se révélaient au soleil. Depuis quatre longues années, les civils s'entendaient répéter "faites avec et réparez". Une ville roussie, noircie, couturée, dépenaillée, rapiécée, sous la lumière du printemps.