Le mouvement #MeToo a érigé le consentement en notion de premier plan. Doit-on pour autant considérer ce concept comme le sésame absolu de l'égalité entre les femmes et les hommes ? C'est ce que nous allons essayer de comprendre dans cet épisode.
Pour nous guider dans cette réflexion, nous recevons la philosophe Manon Garcia, dont le deuxième essai La Conversation des sexes vient de paraître chez Flammarion.
Nous ferons ensuite la connaissance de la Brestoise Marine Bruneau. Elle a créé un cabinet de conseil et de formation autour des questions d'égalité, Égaluce, dont elle nous parlera plus en détails.
Et nous terminerons cet épisode avec la bibliographie de notre libraire Catherine.
Bibliographie :
- La Conversation des sexes de Manon Garcia (éd. Flammarion)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/19792514-la-conversation-ds-sexes-philosophie-du-consen--manon-garcia-climats
- On ne naît pas soumise, on le devient, de Manon Garcia (éd. Flammarion)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/14416278-on-ne-nait-pas-soumise-on-le-devient--manon-garcia-flammarion
- Julian est une sirène, de Jessica Love (éd. Pastel)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16334832-julian-est-une-sirene-jessica-love-ecole-des-loisirs
- le Bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh (éd. Glénat)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/4624393-le-bleu-est-une-couleur-chaude-jul-maroh-glenat-bd
- La Mère d'Eva, de Sylvia Ferreri (éd. Pocket)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18781878-la-mere-d-eva-silvia-ferreri-pocket
- N'essuie jamais de larmes sans gants, de Jonas Gardell (éd. Gaïa)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/13627647-n-essuie-jamais-de-larmes-sans-gants-jonas-gardell-gaia
- Les Corps abstinents, d'Emmanuelle Richard (éd. Flammarion)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16170929-les-corps-abstinents-j-ai-discute-avec-celle--emmanuelle-richard-flammarion
- le Coeur sur la table, de Victoire Tuaillon (éd. Binge Audio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/19675600-le-cur-sur-la-table-pour-une-revolution-roman--victoire-tuaillon-binge-audio
- La Fille qu'on appelle, de Tanguy Viel (éd. de Minuit)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18932927-la-fille-qu-on-appelle-tanguy-viel-les-editions-de-minuit
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Raconter est une sorte de devoir.
Une manière d'honorer, de pleurer, de se souvenir.
Une manière de mener la lutte de la mémoire contre l'oubli.
Le deuil qui vous marque de son sceau devient une partie intégrante de votre personne. Et puisque le deuil est une marée, il n'est donc pas rare qu'il remonte et vous submerge avec une force époustouflante, alors que vous aviez le sentiment que tant de temps s'est écoulé, que les années ont succédé aux années. Mais puisque le deuil est une marée, il n'est pas rare non plus qu'il se retire, vous découvrez à ce moment-là que vous avez les pieds au sec et que vous devriez peut-être vous étirer les jambes et aller faire une promenade.
- A ce qu'on m'a raconté, ces élans sont blancs à cause d'une disposition génétique. Ils ne sont pas albinos mais bêtement différents. Dans cette région du Värmland, il en existe toute une lignée. Autrefois on leur attribuait des pouvoirs magiques, paraît-il qu'en tuer un portait malheur.
- Qui voudrait tuer un aussi bel animal ? s'exclame maman incrédule.
- Beaucoup de gens. Des gens qui trouvent qu'il n'a rien à faire chez nous , que son existence est une aberration de la nature. Qu'il est dégénéré si tu vas par là.
- Pourtant il existe proteste Rasmus.
- Certes, mais... Oui, non, enfin si, soupire papa. Il existe, ça on ne peut pas lui enlever.
Raconter est une sorte de devoir.
Une manière d'honorer, de pleurer, de se souvenir.
Une manière de mener la lutte de la mémoire contre l'oubli.
Pendant qu'il vide son champagne avec détermination, il repense aux mois qu'il vient de passer à Stockholm. Il se voit comme une proie qui veut à tout prix être capturée, qui se place sciemment bien en vue, là où le chasseur pourra le viser facilement.
Est-ce de la timidité ou de la lâcheté, ce comportement qui consiste à n'être jamais celui qui choisit mais celui qui est choisi (ou qui n'est pas choisi) ? De ne jamais dire non. D'être toujours plein de gratitude. Même quand le mec le dégoûte. Cet immonde besoin de tendresse qu'il éprouve malgré lui, ce désir pathétique d'avoir quelqu'un qui après s'être vidé restera un peu avec lui. (p. 247, éditions Alto)
L'amour humain peut prendre de nombreuses expressions. Il peut être violent et passionnel. Il peut être tranquille et modeste. Il peut être jubilatoire et tragique. Il peut être angoisse et souffrance. Il peut être pathétique et même un peu ridicule. Mais il y a une chose qu'il ne peut jamais être : Il ne peut jamais être honteux.
Nous sommes vivants si peu de temps alors que nous sommes morts pendant si longtemps.
L'ultraconservateur américain Pat Buchanan a peut-être eu la formulation la plus précise : « Les pauvres homosexuels – ils ont déclaré la guerre à la nature, et voilà que la nature leur inflige un terrible châtiment. » Des raisonnements semblables se retrouvent néanmoins dans la bouche de médecins dits « objectifs » pour expliquer pourquoi l'infection touche principalement les homosexuels. Là encore, la culpabilité de leur mort leur incombe entièrement : le malade n'est pas en premier lieu une personne que la société doit protéger, il est une personne dont la société doit SE protéger.
- Une dernière chose, mon cœur, pour être sûr de ne pas avoir loupé un épisode…
Benjamin est désarçonné. Il ne comprend pas et répond, incertain :
- Oui ?
L’étranger fait une grimace comme s’il hésitait à révéler le fond de sa pensée, comme si la réflexion qu’il se faisait n’était pas opportune ou appropriée. L’instant d’après, il semble cependant se dire : Pff ! Et puis merde. On s’en fout. C’est comme ça, point barre. Du coup, il y va franco, et sans détour. Il le dit. Comme un fait. Pas comme une question.
- Tu le sais, hein, que tu es homosexuel ?
La plupart du temps ils l'ont surtout traité de sale pédé.
Ils n'avaient pas tord. Ils le savaient avant lui.
Sale pédé.
C'est exactement ce qu'il est.
Mais un sale pédé qui leur a échappé. Il les a tous plantés là. Ils n'existent plus. Ils ont définitivement cessé d'exister. Comme quelque chose dont on se débarrasse en se secouant et qu'on abandonne.
Avec à la fois un haussement d'épaule et un frisson.
Avec dans la bouche un arrière-goût amer de cendre et de bile.
Avec des santiags en daim rouge aux talons biseautés qui claquent contre le marbre dans le grand hall de la gare centrale, avec un mince gilet arlequin sur son corps chétif.
Avec un coeur qui cogne comme après la dose de nicotine envoyée par la première cigarette du matin.
Et on ne se retourne pas ! On ne se retourne surtout pas.
Parce qu'on leur a échappé. On a échappé à ce Koppom de merde et ce collège de merde et ce lycée de merde et cet Erik de merde et ce Conny de merde et ce Henning de merde et à tout ce Värmland puant et dégoulinant de merde. Ils ne peuvent plus l'atteindre.
Il remodèle la honte. Il va en faire une identité et une fierté.