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Citations de Jorge Semprun (455)


A Buchenwald, les S.S., les Kapo, les mouchards, les tortionnaires sadiques faisaient tout autant partie de l'espèce humaine que les meilleurs , les plus purs d'entre nous, d'entre les victimes... La frontière du Mal n'est pas celle de l'inhumain, c'est tout autre chose. (p.174)
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Nous regardions monter sur la plate-forme ce Russe de vingt ans, condamné à la pendaison pour sabotage à la "Mibau", où l'on fabriquait les pièces les plus délicates des V-1. Les prisonniers de guerre soviétiques étaient fixés dans un garde-à-vous douloureux, à force d'immobilité massive, épaule, contre épaule, à force de regards impénétrables. Nous regardons monter sur la plate-forme ce Russe de vingt ans et les S.S. s'imaginent que nous allons subir sa mort, la sentir fondre sur nous comme une menace ou un avertissement. Mais cette mort, nous sommes en train de l'accepter pour nous-mêmes, le cas échéant, nous sommes en train de la choisir pour nous-mêmes. Nous sommes en train de mourir de la mort de ce copain, et par là même nous la nions, nous l'annulons, nous faisons de la mort de ce copain le sens de notre vie. Un projet de vivre parfaitement valable, le seul valable en ce moment précis. Mais les S.S. sont de pauvres types et ne comprennent jamais ces choses-là.
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Je regarde le S.S., je le connais. C’est un « Block-führer » qui n’arrêtait pas de gueuler et de brimer les types sous sa férule. Je regarde les deux jeunes, j’allais leur dire : « Fusillez-le sur place, et regroupez-vous, nous continuons », mais les paroles me restent dans la gorge. Car je viens de comprendre qu’ils ne feront jamais ça. Je viens de lire dans leurs yeux qu’ils ne feront jamais ça. Ils ont vingt ans, Ils sont embêtés à cause de ce prisonnier, mais ils ne vont pas le fusiller. Je sais bien que c’est une erreur, historiquement. Je sais bien que le dialogue devient possible, avec un S.S. quand le S.S. est mort. Je sais bien que le problème, c’est de changer les structures historiques qui permettent l’apparition du S.S. Mais une fois qu’il est là, il faut exterminer le S.S., chaque fois que l’occasion s’en présentera au cours du combat. Je sais bien que ces deux jeunes vont faire une sottise, mais je ne vais rien faire pour l’éviter.
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Personne ne peut se mettre à ta place, pensais-je, ni même imaginer ta place, ton enracinement dans le néant, ton linceul dans le ciel, ta singularité mortifère. Personne ne peut imaginer à quel point cette singularité gouverne sourdement ta vie : ta fatigue de la vie, ton avidité de vivre ; ta surprise infiniment renouvelée devant la gratuité de l’existence ; ta joie violente d’être revenu de la mort pour respirer l’air iodé de certains matins océaniques, pour feuilleter des livres, pour effleurer la hanche des femmes, leurs paupières endormies, pour découvrir l’immensité de l’avenir.
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Avais-je le droit de vivre dans l’oubli ? De vivre grâce à cet oubli, à ses dépens ? Les yeux bleus, le regard innocent de la jeune Allemande me rendaient insupportable cet oubli. Pas seulement le mien ; l’oubli général, massif, historique, de toute cette ancienne mort.
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Mon problème à moi, mais il n’est pas technique, il est moral, c’est que je ne parviens pas, par l’écriture, à pénétrer dans le présent du camp, à le raconter au présent… Comme s’il y avait un interdit de la figuration du présent… Ainsi, dans tous mes brouillons, ça commence avant, ou après, ou autour, ça ne commence jamais dans le camp… Et quand je parviens enfin à l’intérieur, quand j’y suis, l’écriture se bloque…
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Soudain, non seulement il devenait évident, clairement lisible, que je n’étais pas chez moi, mais encore que je n’étais nulle part. Ou n’importe où, ce qui revient au même. Mes racines, désormais, seraient toujours nulle part, ou n’importe où : dans le déracinement en tous les cas.
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Pour mon malheur, ou du moins ma malchance, je ne trouvais que deux sortes d’attitudes chez les gens du dehors. Les uns évitaient de vous questionner, vous traitaient comme si vous reveniez d’un banal voyage à l’étranger. Vous voilà donc de retour ! Mais c’est qu’ils craignaient les réponses, avaient horreur de l’inconfort moral qu’elles auraient pu leur apporter. Les autres posaient des tas de questions superficielles, stupides –dans le genre : c’était dur, hein ?-, mais si on leur répondait, même succinctement, au plus vrai, au plus profond, opaque, indicible, de l’expérience vécue, ils devenaient muets, s’inquiétaient, agitaient les mains, invoquaient n’importe quelle divinité tutélaire pour en rester là. Et ils tombaient dans le silence, comme on tombe dans le vide, un trou noir, un rêve.
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Ainsi, dans le sursaut du réveil, ou du retour à soi, il nous arrivait de soupçonner que la vie n’avait été qu’un rêve, parfois plaisant, depuis le retour de Buchenwald. Un rêve dont ces deux mots nous réveillaient soudain, nous plongeant dans une angoisse étrange par sa sérénité. Car ce n’était pas la réalité de la mort, soudain rappelée, qui était angoissante. C’était le rêve de la vie, même paisible, même remplie de petits bonheurs. C’était le fait d’être vivant, même en rêve, qui était angoissant.
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barbie ... il lui tendit triomphalement un feuillet où il avait inscrit son vrai nom, mais incorrectement orthographié : Moulins.
Alors, Jean Moulin, physiquement brisé, détruit, mais moralement indemne, se borna à tendre la main et à biffer ce "s" inutile.
Voilà : Moulin !
Je ne connais pas de geste plus sublime, plus significatif de la capacité de l'homme à affirmer son humanité en se surpassant. En surpassant sa propre finitude, sa misérable condition humaine.
Après ce récit, il y eut du silence entre Frager et moi. Silence peuplé pourtant d'ombres fraternelles. Nous en tombâmes d'accord, en effet, ce jour là : l'expérience de la torture n'est pas seulement, peut être même pas principalement, celle de la souffrance, de la solitude abominable de la souffrance. C'est aussi, surtout sans doute, celle de la fraternité.
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La vie n'est pas parfaite on le sait, elle peut-être un chemin de perfection
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Mais ce qui pèse le plus dans ta vie, ce sont certains êtres que tu as connus. Les livres, la musique, c'est différent. Pour enrichissants qu'ils soient, ils ne sont jamais que des moyens d'accéder aux êtres. (p. 35)
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On sait, toutes sortes de témoignages et de documents l’attestent, que les déportés français ont dû s’imposer, dans les camps nazis, et à Buchenwald en particulier, auprès de leurs compagnons d’infortune – s’imposer moralement, s’entend – par leur courage et leur esprit de solidarité, afin de changer, de modifier du moins, l’exécrable réputation politique de la France parmi les citoyens des pays du centre et de l’est de l’Europe – exécrable réputation due à ce qu’ils considéraient tous comme une trahison, un abandon, un renoncement égoïste et craintif : la capitulation de Munich devant les exigences de l’Allemagne hitlérienne.
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Jamais, plus tard, toute une vie plus tard, même sous le soleil de Saint-Paul-de-Vence, dans un paysage aimable et policé portant l'empreinte vivifiante du travail humain, jamais, sur la terrasse de la Fondation Maeght, dans l'échancrure de ciel et de cyprès entre les murs de brique rose de Sert, jamais je ne pourrais contempler les figures de Giacometti sans me souvenir des étranges promeneurs de Buchenwald : cadavres ambulants dans la pénombre bleutée de la baraque des contagieux ; cohortes immémoriales autour du bâtiment des latrines du Petit Camp, trébuchant sur le sol caillouteux, boueux dès la première pluie, inondé à la fonte des neiges, se déplaçant à pas comptés - ô combien l'expression banale, toute faite, se glissant impromptu dans le texte, prend ici un sens, se chargeant d'inquiétude : compter les pas, en effet, les compter un par un pour ménager ses forces, pour ne pas faire un pas de trop, dont le prix serait lourd à payer ; mettre un pas dans l'autre en arrachant les galoches à la boue, à la pesanteur du monde qui vous tire par les jambes, qui vous englue dans le néant!
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Les petits prolos tapaient dans notre ballon de cuir - ils en usaient pour la première fois de leur vie ! - avec un entrain et souvent une adresse qui faisaient plaisir à voir. Qui réduisaient, en somme, le champs de la lutte des classes à la dimension et aux enjeux d'une terrain improvisé de football.
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L'histoire a continué de se décomposer, de fabriquer de la mort : un terreau riche et gras, un humus sans doute fertile où ne lèvent pour l'instant que les moissons du désespoir.
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C'est Kafka qui est responsable de la publication de ses oeuvres inachevées, et non pas Max Brod. Il n'avait qu'à les détruire lui-même, s'il en était vraiment insatisfait !
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La vie était encore vivable. Il suffisait d’oublier, de le décider avec détermination, brutalement.
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Depuis quelques jours, le ravitaillement du camp était assuré par l’armée américaine. […]
Mais le vieux Français ne devait pas y croire, il devait se méfier. C’était trop beau pour durer, devait-il penser. […] Il se nourrissait à tout hasard, même s’il n’avait plus réellement faim. Il étalait des couches épaisses de margarine sur les tranches de pain noir, il les découpait en tout petits carrés qu’il mâchait lentement, avec du saucisson. Probablement mangeait-il ainsi depuis longtemps. Probablement n’avait-il pas l’intention de s’arrêter avant d’avoir tout avalé, tout dégluti. Il mâchait lentement, faisait durer le plaisir. Mais ce mot ne convient certainement pas : il y a de la gratuité dans le mot plaisir. Il y a de la légèreté, de l’imprévisible. C’est un mot trop désinvolte pour parler du sérieux avec lequel le vieux Français accomplissait, quelque peu hystériquement, le rite de se nourrir.
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Ils ont en face de moi, l'oeil rond, et je me vois soudain dans ce regard d'effroi : leur épouvante.
Depuis deux ans, je vivais sans visage. Nul miroir, à Buchenwald. Je voyais mon corps, sa maigreur croissante, une fois par semaine, aux douches. Pas de visage, sur ce corps dérisoire. De la main, parfois, je frôlais une arcade sourcilière, des pommettes saillantes, le creux d'une joue. J'aurais pu me procurer un miroir, sans doute. On trouvait n'importe quoi au marché noir du camp, en échange de pain, de tabac, de margarine. Même de la tendresse, à l'occasion.
Mais je ne m'intéressais pas à ces détails.
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