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Citations de Joseph Ponthus (462)


L'autre jour à la pause j'entends une ouvrière dire à un de ses collègues
Tu te rends compte aujourd'hui c'est tellement speed que j'ai même pas le temps de chanter » Je crois que c'est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière
Ces moments où c'est tellement indicible que l'on n'a même pas le temps de chanter
Juste voir la chaîne qui avance sans fin l'angoisse qui monte l'inéluctable de la machine et devoir continuer coûte que coûte la production alors que
Même pas le temps de chanter

Page 193, La Table ronde, 2019.
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À l'usine
L'attaque est directe
C'est comme s'il n'y avait pas de transition avec le monde de la nuit
Tu re-rentres dans un rêve
Ou un cauchemar
La lumière des néons
Les gestes automatiques
Les pensées qui vagabondent
Dans un demi-sommeil de réveil
Tirer tracter trier porter soulever peser ranger Comme lorsque l'on s'endort Ne même pas chercher à savoir pourquoi ces gestes et ces pensées s'entremêlent
À la ligne

Page 16, La Table ronde, 2019.
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Certains ayant vécu une expérience de mort imminente assurent avoir traversé un long tunnel inondé de lumière blanche
Je peux assurer que le purgatoire est juste avant le tunnel de cuisson d'une ligne de bulots
Pourquoi donc continuer
Pour maintenir une production dont je n'ai rien à foutre
Pour tester mes limites
Pour me dire que le bulot n'aura pas ma peau mes bras mes reins mon dos et surtout mon crâne C'est la viande verte de mon cerveau qui tient
Qui tiendra

Page 105, La Table ronde, 2019.
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On dit que l'usine compte deux tiers d'intérimaires pour un tiers d'embauchés
Pourquoi au vu des salaires respectifs
Les patrons doivent savoir
Eux
Pourquoi ce chef aux cheveux poivre et sel ne salue-t-il jamais personne alors que d'autres sont plutôt humains dans ce monde machinal
Quelle part de machine intégrons-nous inconsciemment dans l'usine

Page 22, La Table ronde, 2019.
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Le matin
Entre mes deux nuits
Je suis là sans y être
Comme si
J'étais en transition
La vraie vie sera à la débauche
Je veux croire que l'usine
J'y suis en transition
En attendant de trouver mieux
Même si ça fait un an et demi quand même que je ne trouve pas
Je veux croire
Que je suis là sans y être

Page 202, La Table ronde, 2019.
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La pause
Cette foutue pause
Espérée rêvée attendue dès la prise de poste Et même si elle sera de toute façon trop courte
Si elle vient trop tôt
Que d’heures encore à tirer
Si elle vient trop tard
N’en plus pouvoir n’en plus pouvoir

Pages 55-56, La Table ronde, 2019.
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En entrant à l'usine
Bien sûr j'imaginais
L'odeur
Le froid
Le transport de charges lourdes
La pénibilité
Les conditions de travail
La chaîne
L'esclavage moderne
Je n'y allais pas pour faire un reportage
Encore moins préparer la révolution
Non
L'usine c'est pour les sous
Un boulot alimentaire

Page 11, La Table ronde, 2019.
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Demain
En tant qu'intérimaire
L'embauche n'est jamais sûre
Les contrats courent sur deux jours une semaine tout au plus
Ce n'est pas du Zola mais on pourrait y croire On aimerait l'écrire le et l'époque des ouvriers héroïques
On est au xxre siècle
J'espère l'embauche
J'attends la débauche
J'attends l'embauche
J'espère

Page 18, La Table ronde, 2019.
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Les heures passent ne passent pas je suis perdu Je suis dans un état de demi-sommeil extatique de veille paradoxale presque comme lorsque l'on s'endort et que les pensées vagabondent au gré du travail de l'inconscient Mais je ne rêve pas
Je ne cauchemarde pas
Je ne m'endors pas
Je travaille

Page 49, La Table ronde, 2019.
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Quelques jours plus tard je file un coup de main dans une autre équipe
On me parle de son mariage
Ils voulaient se pacser mais avec la nouvelle loi c'est plus simple pour adopter s'ils se marient
Je souris tendrement
Je pense fort à Mme Taubira qui a eu si raison qu'un petit pédé ouvrier puisse avouer à l'usine
Fût-ce plus dur chez ses parents
Qu'il est gay
Qu'il a la loi pour lui
Et même s'il a dû en chier et que le bizutage dut être un peu raide
Ils vont se marier
Au distributeur de canettes je me prends un Perrier à la fin de ma nuit
Champagne

Page 44, La Table ronde, 2019.
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Je me souviens de la vanne à la con
« C'est quoi la différence entre un ouvrier et un intellectuel
L'ouvrier se lave les mains avant d'aller pisser
L'intellectuel après »
Je ne me lave plus les mains
Pas envie de devenir schizo

Page 146, La Table ronde, 2019.
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J'égoutte du tofu
Je me répète cette phrase
Comme un mantra
Je recherche le contrepet que j'avais trouvé tout à l'heure mais ne le trouve plus
Je me dis qu'il faut avoir une sacrée foi dans la paie qui finira bien par tomber dans l'amour de l'absurde ou dans la littérature
Pour continuer

Page 49, La Table ronde, 2019.
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Le travail précaire
Au gré des RH qui appellent l'intérim qui ruine toute organisation prolétaire pour covoiturer ou autre
Mais bien plus profondément de manière insidieuse
Je prends un exemple
Tu travailles de nuit ou tu fais une sieste après le boulot
L'agence d'intérim t'appelle
Ton portable est coupé
Message au réveil
« Tu embauches deux heures plus tôt que d'habitude »
L'agence est fermée quand tu essaies de rappeler pour dire que tu ne peux pas C'est trop tard
Tu devrais être déjà à ton poste
Un autre intérimaire te remplacera demain

Pages 61-62, La Table ronde, 2019.
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Je rêve de mes collègues titulaires bien au chaud dans leur lit qui seront sans doute respectés tout à l'heure quand ils se baladeront en cortège avec tous leurs drapeaux « CGT abattoir »
Un beau troupeau de grévistes avec la force de leurs bras et de leur regard
J'aurais été bien parmi eux à foutre un coup de pression aux flics devant la préfecture
J'aurais été si heureux d'être parmi ces « illettrés » que Macron conchie
De ceux qui ne bossent pas pour se payer un costume mais une polaire Décathlon vu le froid dans lequel nous bossons
D'être de cette force collective et de se marrer sur les fainéants qu'il présume que nous sommes
Eh Manu
Tu viendrais pas avec nous demain matin pousser un peu de carcasses qu'on rigole un peu

Page 175, La Table ronde, 2019.
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Je m'emballe
Revenons à l'écrit
« J'écris comme je parle quand l'ange de feu de la conversation me prend comme prophète » écrivait en substance dans je ne sais plus quoi Barbey d'Aurevilly
J'écris comme je pense sur ma ligne de production divaguant dans mes pensées seul déterminé
J’écris comme je travaille
À la chaîne
À la ligne

Pages 14-15, La Table ronde, 2019.
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Une de mes tantes est passée à l'improviste avant-hier à la maison une heure ou deux après la débauche
Je mangeais une réchauffe de choucroute du weekend avec un verre de blanc
On cause un peu de l'usine
On boit un coup
Je dois avoir les yeux un peu secs et rares du retour et la parole qui lutte J'essaie de dire
Mes mots peinent autant que mon corps quand il est au travail
« Mais tout ça en fait on ne peut pas le raconter » me dit-elle

Pages 92-93, La Table ronde, 2019.
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Sortir de l'usine le soleil et la chaleur quand il y en a
Fumer
Rentrer
Boire
Baiser Pleurer
Rire
Vivre sa vie ailleurs qu'à la crevette
Dormir
Mettre le réveil
Dormir d'un sommeil de plomb
Demain retourner à la crevette

Page 24, La Table ronde, 2019.
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« Ne pas parler de poésie
Ne pas parler de poésie
En écrasant des fleurs sauvages
Et faire jouer la transparence
Au fond d'une cour aux murs gris Où l'aube aurait enfin sa chance »

Barbara
Perlimpinpin

À l'usine on chante
Putain qu'on chante
On fredonne dans sa tête
On hurle à tue-tête couvert par le bruit des machines
On sifflote le même air entêtant pendant deux heures
On a dans le crâne la même chanson débile entendue à la radio le matin
C'est le plus beau passe-temps qui soit
Et ça aide à tenir le coup Penser à autre chose
Aux paroles oubliées
Et à se mettre en joie

Page 190, La Table ronde, 2019.
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Et même si nous ne sommes que mercredi et que l'enfer sera sans doute ce nouveau samedi travaillé L'usine serait ma Méditerranée sur laquelle je trace les routes périlleuses de mon Odyssée Les crevettes mes sirènes
Les bulots mes cyclopes
La panne du tapis une simple tempête de plus
Il faut que la production continue
Rêvant d’Ithaque
Nonobstant la merde

Pages 105-106, La Table ronde, 2019.
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Le capitalisme triomphant a bien compris que pour exploiter au mieux l'ouvrier
Il faut l'accommoder
Juste un peu
À la guerre comme à la guerre
Repose-toi trente minutes
Petit citron
Tu as encore quelque jus que je vais pressurer
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