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Critiques de Jules Renard (246)
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Histoires naturelles

Jules Renard, dans son journal, se montre souvent d'une férocité implacable envers les humains, y compris contre ses collègues écrivains.

Le 14 novembre 1907, il accueille Victor Ségalen qui avec "Les Immémoriaux "publié sous le nom de Max Anély espère être goncourable. Voici ce que Renard écrit:

"Reçu la visite de Max Anély, auteur des "Immémoriaux". Pas trente ans, je crois, Médecin de marine. A fait son tour du monde. L'air jeune, souffreteux, pâle, rongé, trop frisé, la bouche pleine de l'or qu'il aurait rapporté de là-bas avec la tuberculose. Situation médiocre et suffisante.

Voudrait le prix Goncourt, non pour de l'argent, mais pour écrire un autre livre."

Toute l'attention, toute l'empathie de Jules Renard se reportent sur les animaux, la nature qui l'entoure.

Dans sa préface intitulée "Le chasseur d'images" il révèle son extrême sensibilité:

"Il entre au bois. Il ne se savait pas doué de sens si délicats. Vite imprégné de parfums, il ne perd aucune sourde rumeur, et, pour qu'il communique avec les arbres, ses nerfs se lient aux nervures des feuilles.

Bientôt, vibrant jusqu'au malaise, il perçoit trop, il a peur, quitte le bois et suit de loin les paysans mouleurs regagnant le village. "

Le titre "Le chasseur d'images"m'a fait penser au recueil qui me tient le plus à cœur , dans la poésie contemporaine:"Les Chasseurs", d'André Hardellet.

Ce dernier, proche des surréalistes, présente ainsi son ouvrage:

"Depuis mon jardin d'enfance, à Vincennes, je n'ai jamais interrompu ma chasse. Ce que les mots laissent parfois échapper malgré eux, les scènes qui se jouent pour un public inconnu derrière le complot des apparences--voilà mon gibier.

J'ai choisi quelques exemples où ils se rejoignent;. H pour Hardellet . R pour Renard:

Les Fourmis

H: Sable noir d'un sablier horizontal



R: Chacune d'elle ressemble au chiffre 3. Et il y en a !

Il y en a 333333333333...jusqu'à l'infini.



La Libellule

H: Suspendue à un fil invisible, vibre la libellule électrique qui surveille et inquiète les roseaux. A peine la croyez-vous partie qu'elle se reforme, insistante, à la même place - ou peu s'en faut.



R: [la Demoiselle] Elle soigne son ophtalmie.

D'un bord à l'autre de la rivière, elle ne fait que tremper dans l'eau fraîche ses yeux gonflés.

Et elle grésille comme si elle volait à l'électricité.



Le Loriot

H: Le Loriot et "Le temps des cerises", s'entendaient au fond de l'été - parfaitement d'accord.



R: Je lui dis:

-Rends-moi cette cerise, tout de suite.

- Bien, répond le loriot.

Il rend la cerise et, avec la cerise, les trois cent mille larves d'insectes nuisibles qu'il avale chaque année.
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Histoires naturelles

Jules Renard publie ses « Histoires naturelles » alors que la France était encore un pays essentiellement rural, que l'auteur parisien venait se mettre au vert dans sa Nièvre ancestrale.

Il s’agit d’un abrégé, une sélection d’observations, une leçon de choses de l’auteur sur les animaux de la campagne notamment, domestiques (vache, moutons…), sauvages (Serpent, grenouille, lézard…) ou sur les plantes alentour (la vigne, les coquelicots…) souvent sous forme de prose poétique et méditative dont cette magnifique envolée (si je puis dire) sur le papillon :



« Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur. »



Mais aussi avec une bonne dose d’humour et de clins d’œil, ainsi sur la couleuvre :



« De quel ventre est-elle tombée, cette colique? »



Ou le serpent : « Trop long. » et bien sûr le dialogue du chien de berger et des moutons, facétie qu’on ressert à l’envi sans savoir d’où elle vient vraiment :

« LES MOUTONS –. Mée…Mée… Mée…

LE CHIEN DE BERGER -.Il n’y a pas de mais ! »



Parfois en un récit de quelques pages ou en deux mots comme ici, l’auteur fait du Buffon poétique et se pose en « Chasseur d’images », observateur émérite et minutieux de sa campagne et de ses habitants.

Que dire d’autre sur ces « histoires naturelles » qui n’ait été dit. L’ouvrage se prête assez peu au résumé et à la chronique, étant chronique lui-même, on sombre vite dans la paraphrase. Que dire sinon que ces textes furent longtemps utilisés pour les dictées à cause du choix de leurs mots simples, que cela sent bon le verbe d’antan et la France rurale d’avant la première guerre, qu’on retrouve dans les descriptions bucoliques de Colette plus tard et que ça se lit comme on boit un vin doux avec je ne sais quel bonheur retrouvé.

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Huit jours à la campagne

Une pièce de théâtre très vivante! Des répliques alléchantes, des personnages bien ficelés! L'intrigue se construit astucieusement, malicieusement, on rit, oui, des personnages nous font rire sans qu'ils nous entrainent dans une bouffonnerie aberrante! Une petite philosophie sur l'accueil d'un citadin à la campagne, vous venez les mains vides, c'est avec des points fermés qu'on vous accueille! Plus vite vous débarrassez le plancher, plus vite les points fermés se desserrent!
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Huit jours à la campagne

Bien que j'aie déjà beaucoup lu et avec plaisir des textes de Jules Renard, je n'étais jusqu'à présent pas une assidue de ses pièces de théâtre.



Celle-ci est tout bonnement étonnante. En apparence drôle, le fond est triste, presque tragique, car, de mon point de vue, c'est tout ce qui n'est pas dit, tout ce qui n'est pas montré sur scène qui fait la force de cette pièce. Au sortir de ladite pièce, le lecteur doit se perdre en conjectures pour comprendre l'ensemble de l'implicite. Et même si certaines scènes ne manquent pas de piquant (presque de loufoque), ce qui reste au fond de son âme, c'est un goût acidulé voire amer de pathétique, une certaine image pessimiste des relations entre classes sociales et univers différents.



Mais, précisons ce qui pourrait en être le "pitch" (!!!????). Maurice Perrier a rencontré, en faisant ses études, un jeune Parisien, Georges Rigal. Ils se lient d'amitié, c'est du moins, ce qui est dit, et Maurice insiste lourdement pour que Georges passe huit jours de vacances chez lui (en fait, chez sa mère et sa grand-mère) en province.



Le lecteur et le spectateur (au théâtre) assistent alors de scène en scène à une succession de chocs culturels, qui reposent tant sur des attentes erronées, sur des stéréotypes, que sur des caractères. Celui de la grand-mère de Maurice, est, selon moi, ce qui fait une partie du noeud de l'histoire.



Une fois de plus, dans l'oeuvre de Jules Renard, auteur du très autobiographique Poil de Carotte, la maîtresse de maison est une maîtresse -femme pour ainsi acariâtre à ses heures ; le pont est vite franchi si on fait le lien avec la très méchante Madame Lepic du roman Poil de Carotte. Qu'il s'agisse de "Huit jours à la campagne" ou de "Poil de carotte", les femmes ( à quelques exceptions près) n'y ont pas le beau rôle et dans les familles, le père brille soit par sa soumission soit par son inexistence (voir "Huit jours à la campagne").



Jules Renard, qui est pourtant connu pour certains aphorismes fins, drôles et percutants, révèlent dans certaines de ses oeuvres une vision triste de la société et des relations humaines.



D'aucuns disent que la plupart des clowns est en réalité tristes. Cette pièce m'en convaincrait presque.


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Journal (1887-1910)

Jules Renard n'aime pas les dentelles, c'est un paysan qui va droit au but.

Il montre avec un naturalisme la vie des paysans (homme de femmes), des bourgeois parisiens, des artistes qu'il cotoie, et se montre lui-même sans fard.



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Journal (1887-1910)

un très touchant journal d'écrivain, où Jules Renard n'épargne personne, y compris lui-même!
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Journal (1887-1910)

Ayant souvent entendu encenser le journal de Jules Renard, c'est avec une anticipation joyeuse que je l'ai ouvert à l'année 1887 (le début.)

Ouf !

1ère page :

"Vous avez vos nerfs, madame, moi je n'en ai qu'un, mais il est de boeuf."

"La vertu des femmes, au contraire des lattes de boulanger, a d'autant moins de valeur qu'on y fait d'entailles."

"Aussi navrant que le "attendez que je mouille" d'une vierge."

"Une femme a l'importance d'un nid entre deux branches. "

2ème page :

"Meublée en arrière comme une jument de 1200 francs."

"Comme des ciseaux, la femme, avec ses cuisses qui s'ouvrent, coupe les gerbes de nos désirs."

"Appelons la femme un bel animal sans fourrure dont la peau est très recherchée."

3ème page ...

Non, je vais arrêter là et croire sur parole ceux qui crient ô merveille !

Car pour compenser tant de bêtise vulgaire, il faut en effet monter très haut et je ne doute pas qu'il le fasse (pourquoi remettre en cause l'avis unanime des lecteurs ?)

Seulement il arrive que les génies aient mauvaise haleine.

Certes il était un homme du 19 ème siècle et il était libre d'écrire ce qu'il voulait dans son journal. Comme je le suis d'en caler mon armoire, en attendant que passe ma déception.

J'avais beaucoup aimé Poil de Carotte : le talent ne devrait pas s'abaisser avec complaisance à la facilité hussardière. Une pochade en passant aurait suffi.

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Journal (1887-1910)

« Et ce Journal qui me distrait, m'amuse et me stérilise! », ainsi paraphrasait Jules Renard sur ses écrits quotidiens. J'aime beaucoup la forme littéraire du Journal, surtout lorsque rédigé par un écrivain renommé qui a marqué son époque. Lorsque François Busnel de La Grande Librairie a remis sur le tapis celui de Jules Renard, je me suis empressée d'aller m'en chercher un exemplaire à la bibliothèque. L'édition empruntée comportait une préface, une chronologie de la vie de l'auteur ainsi qu'un index des illustres écrivains évoqués dans l'ouvrage. Sur une dizaine de jours, je me suis imprégnée des tourments de Jules Renard : soucis d'inspiration, ennuis familiaux, crises existentielles et craintes de n'être pas reconnu à sa juste valeur par ses contemporains et par la postérité. Le Journal s'étale de 1887 (Renard a 24 ans) à 1910 (l'année de sa mort à 46 ans) et fait surgir la Belle Époque, les théâtres de Paris, les salons littéraires, les assemblées politiques enflammées et aussi la campagne natale de Renard (département de la Nièvre), dont il décrit si bien les fulgurances et les habitants. Par des phrases lapidaires, Renard nous livre aussi des portraits sans fard de ses collègues et amis écrivains, lesquels profitent de judicieuses notes de bas de page pour se rappeler à nos mémoires (la mienne étant particulièrement déficiente). Ses mots d'esprit amusent autant qu'ils surprennent (un peu de misogynie, un soupçon d'intolérance, une goutte d'antisémitisme, peut-on dire que c'était un homme de son temps? ). Les travers humains y sont disséqués minutieusement, lui-même ne s'épargne pas et écorche au passage sa famille et le monde des arts. « Un écrivain dont l'oeil était aussi aigu que les mots », Jules Renard s'est efforcé dans son oeuvre de « donner la plante de la réalité avec ses racines ». Et un échange récent avec MarjorieD m'a convaincue d'entreprendre la lecture de Poil de Carotte...
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Journal (1887-1910)

Jules Renard est très célèbre par son "Poil de Carotte". Mais il ne fait pas partie des poids lourds de la littérature française. Pourtant son "Journal" écrit entre 1887 et 1910 et paru après sa mort (après avoir été expurgé) a été classé parmi les « cent livres du XXème siècle ». Il faut dire que l'auteur était caractérisé par sa lucidité hors du commun. de plus, il connaissait bien le Tout Paris littéraire de son époque. Au fil des jours, il a écrit ainsi de très nombreuses notes, parfois courtes, parfois plus développées.

J'ai tenté de me plonger dans ce long, très long Journal. Mais j'ai été incapable d'en faire une lecture intégrale. J'ai lu quelques dizaines de pages par ci par là, pour voir si les sujets abordés à diverses périodes de la vie de Jules Renard pouvaient m'intéresser. En fait, il se réfère très souvent à des personnages dont j'ignorais tout ou presque tout - et cela m'a démotivé. J'ai abandonné assez vite. Mais je comprends que ce livre puisse être une source précieuse pour les historiens de la littérature et plus généralement pour les spécialistes des années autour de 1900.
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Journal (1887-1910)

Ah Jules Renard, qui fait souvent les bonnes citations des Grosses Têtes ! Cela m’a toujours intrigué d’avoir un auteur aussi savoureux et caustique alors que Poil de Carotte était quand même un livre pour enfant. Je n’ai pas été déçu par ce journal sans filtre où chacun en prend pour son grade (Mallarmé, intraduisible même en français), y compris l’auteur lui même, qui a été très amoureux de Marinette sa femme, sans renoncer aux autres pour autant, qui a perdu son frère et son père très vite et qui lui même dès 1910, n’était plus. Il voyait la vie en « rosse » ainsi qu’il le dit très joliment. Certaines références sont quand même très datées et passent souvent au dessus du lecteur. Dommage que l’édition ne compense pas ces failles. Mais bravo Jules, je pense que j’aurais très souvent des réminiscences de cette lecture !
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Journal (1887-1910)

C'est amusant, on trouve beaucoup de citations mais aucune critique sur le journal de Jules Renard. Les notes m'avaient poussé à ouvrir cet ouvrage. Au début j'ai cru que toutes ces pensées mises bout à bout ces réflexions qui ne suivent pas consistaient en une sorte d'introduction. Et puis au fil des pages cela continue, je me suis forcé à poursuivre mais j'ai du renoncer, j'ai abandonné en me demandant ce qu'on pouvait bien trouver à cet amas de phrases mis bout à bout.
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Journal (1887-1910)

S il y avait un seul livre que je garderai le jour où je quitterai cette terre, c est bien celui-ci. C est l écrivain qui vous décrit, vous détaille et vous explique à la fois l âme et le physique des hommes en une phrase. Et on a tout compris, on a tout saisi. L essence même derrière quelques mots. Une plume qui scalpe. Une plume qui cisaille le moindre recoin des personnages avec très peu de moyens et un vocabulaire toujours juste, précis et renouvelé. Renard a le mot percutant et rien n échappe à sa sagacité. Il n a pas nous plus la jalousie et la petitesse des frères Goncourt. Lui-même ne s épargne pas. Il a l œil inégalé d un artiste qui nous plonge dans son XIX s. bouillant qui décrypte sans equivoque les castes sociales de son époque, sa beauté et ses malheurs. Oui, c est ce livre que j emmènerai car il me permettra là-haut de ne pas m ennuyer, de me faire rire et surtout de me rappeler et de garder la nostalgie des qualités et des travers de l homme que je ne serai plus.

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Journal (1887-1910)

C'est une bible, un journal littéraire unique où les phrases en pointe sèche croquent toute une époque. Jules Renard parle de lui, des autres, du temps qui passe, de ses contemporains, avec une douce ironie, une tendre férocité. L'homme a le regard du peintre. Dérision, humour sont les palettes de cet auto-portrait unique. "Il y a des moments où tout réussit, il ne faut pas s'effrayer : ça passe !"
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Journal (1887-1910)

Jules Renard (1864-1910) a tenu son journal très régulièrement pendant les 22 dernières années de sa vie de 1887 à 1910. Il est mort à 46 ans.



Il m’est difficile, voire impossible, de lire ce gros volume au jour le jour, comme s’il s’agissait d’un roman alors je picore de temps en temps ici et là et je l’oublie le plus souvent sur son étagère.

C’est pourquoi, à l’occasion d’un rangement, je l’ ai ressorti pour ne lire que ses notes anniversaires des débuts de printemps, écrites chaque fin du mois de mars.

En voici quelques-unes..
Lien : http://liratouva2.blogspot.c..
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Journal (1887-1910)

Le talent est une question de quantité. Le talent, ce n’est pas d’écrire une pagne: c’est d’en écrire trois cents, (1887)
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Journal (1887-1910)

Le "journal" est un style littéraire très risqué car il peux vite se révéler ennuyeux: Rien de tout ceci ici et ce journal nous fait revivre avec bonheur la fin du dix neuvième siècle et le début du vingtième et n'est jamais longuet: beaucoup d'anecdotes, de faits réels bien relatés bref une réussite peux etre le meilleur ouvrage de l'auteur en tout cas ne vraie decouverte et une belle lecture.
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Journal (1887-1910)

Quelques jours avant de mourir, Jules Renard notait dans son Journal qu'il avait fait pipi au lit, comme jadis Poil de carotte. Entre ces deux pollutions nocturnes, une vie d'homme ponctuée de sarcasmes et de notations sur l'impossible "douceur" qui aurait dû dompter la vie. Il aurait surtout voulu dompter son silence. Il n'y est pas tout à fait parvenu. Témoin, ce Journal, grêlé, où pleut une petite eau bien froide, comme l'urine des draps. L'ironie servira d'alèse.
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Journal (1887-1910)

Jules Renard, c’est bien sûr « Poil de carotte » et les « Histoires naturelles », mais pour ceux et celles qui s’intéressent à la littérature de plus près, le « Journal » qu’il composa de 1887 à 1910 a une importance inestimable : De par ses qualités intrinsèques d’écriture d’une part, où on retrouve l’esprit piquant et acéré de ses ouvrages, ainsi que la clarté lumineuse et l’humour caustique et bon enfant à la fois qui le caractérise, mais aussi par le tableau extrêmement vivant qu’il donne de la société (en particulier de la société culturelle) de son époque.

Et son époque, précisément c’est « La Belle époque ». Une époque d’une richesse inouïe en beaux esprits, en personnalités de premier ordre, inscrite dans un progrès technique et social qui renverse des siècles d’avancées de tortues, un monde où l’écrivain fait un double témoignage : sur lui-même et sur le monde qui l’entoure.

Sur lui-même, bien sûr. Parce qu’un journal, qu’il soit intime (sans autre destinataire que soi-même) ou destiné un jour à la publication, est avant tout une œuvre personnelle, qui vient de soi et va à soi. C’est d’abord une confidence intime, avec peut-être (ce n’est pas toujours le cas) le souci de « laisser une trace », sur soi et sur les autres, en tous cas sur la perception qu’on en a eue.

Sur les autres également, le « diariste » (anglicisme : il n’existe pas en français un terme précis pour désigner le rédacteur d’un journal intime) fait aussi office de témoin (rarement objectif puisque étant à la fois juge et partie) d’un monde qui lui apporte tour à tour joies et tristesses, amours et haines, la vie, quoi.

Jules Renard nous apprend beaucoup de choses sur lui-même. Ses œuvres précédentes, où l’autobiographie parfois devenait évidente, nous révélaient par leur style caractéristique les qualités et peut-être les défauts de l’homme. Jules Renard est un timide qui s’exprime mieux à l’écrit qu’à l’oral (j’en connais un autre). Il a des idées bien arrêtées sur tous les sujets : en politique, il est dreyfusard. Dans l’intimité, c’est un misogyne acharné. En littérature il a ses amis et ses têtes de turc.

Et comme nous tous, il est pétri de contradictions : anticlérical convaincu et militant, il confesse : « J’ai l’esprit clérical et un cœur de moine ». Sur les femmes, il déclare : « Je les aime toutes, je fais des folies pour elles » Sacha Guitry dira un peu comme lui (à peine un peu plus tard) : « Je suis contre les femmes. Tout contre. »

Enfin le « Journal » de Jules Renard est un objet littéraire : parce qu’il parle de littérature, bien sûr en invoquant les grands noms de l’époque (ils y passent à peu près tous, dans l’Edition Bouquins, un index judicieux vous permet de voir ce que l’ami Jules pensait d’eux, ça va du mordant au touchant) ; et sur le travail de l’écriture, où avec modestie et constance et grand effort de volonté il exprime sa façon de voir, en particulier la qualité première de son humour : l’ironie plus ou moins appuyée : « les ironistes, ces poètes scrupuleux, inquiets jusqu’à se déguiser » : tout Jules Renard est là : l’ironie, le scrupule (question d’honnêteté envers le lecteur) et cette inquiétude quasi métaphysique qui tient au ventre la plupart des (vrais) écrivains.

Il faut avoir lu le « Journal » de Jules Renard : il est très facile à lire, le style est celui qu’on connait, caustique, ironique et tout ce que vous voulez, mais familier et proche de vous, et puis c’est le ton de la confidence, vous n’êtes pas avec l’auteur Jules Renard, vous êtes avec l’ami Jules qui fait la causette avec vous, en buvant un pastis (ou une absinthe pour faire plus vrai).

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Journal (1887-1910)

Membre du jury Goncourt de 1907 à sa mort en 1910, Jules Renard en dévoile ce qui s’y joue dans son célèbre « Journal ». Et ce n’est pas toujours glorieux…
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L'Ecornifleur

Je ne connaissais Jules Renard que pour son Poil de Carotte. À dire vrai, je me souvenais même fort peu de celui-ci, souvent confondu dans mon esprit avec L’Enfant de Vallès, que je confonds lui-même bien des fois avec Le Petit Chose de Daudet, et le tout m’évoque assez les démesures verbales et impitoyables du Solal de Cohen. J’ai une mémoire singulière, je sais bien, je n’en sors pas. Je trouve ces livres cousins, voilà, ils ont un air de famille : on y retrouve une ironie cruelle de victimes. Un être souffre et, sans s’en ficher pour autant, avec recul, il rit de lui qui a eu tant mal. Un rire jaune, quelque chose comme l’inverse de pleurer de rire : rire de pleurer. Une thérapie un peu cynique où l’on critique la bassesse qu’on expose pour ne pas s’anéantir de douleur. Se montrer à peu près comme rien, et prétendre : « Après tout, le néant aurait tort de se plaindre ! c’est juste ! ». Une morale plutôt aigre de sacrifié ou de blasé. Un livre où le coup est présenté comme l’acte naturel d’une vermine : l’homme. On n’y peut rien, n’est-ce pas ? c’est de l’homme, tout ça, la pauvre espèce !

L’Écornifleur, cela signifie le pique-assiette, le parasite – je dois l’explication à Robert, grand ami, très cultivé : allez donc faire sa connaissance ! Henri y est un poète bohème, à qui doit s’identifier Jules Renard : celui-là se coagule à un couple de bourgeois, les Vernet, qu’il impressionne de simagrées littéraires et qu’il parvient à fasciner, dont il devient la fierté, l’alibi artistique, un véritable trophée. Lui sait tout de son imposture : il a de ces trucs tout préparés, de ces citations et de ces mensonges qui stupéfient comme s’il côtoyait le génie et les génies ; il se fait admettre comme destin, promis à une gloire inéluctable par des gens aimables mais intellectuellement communs et faciles à leurrer, qui le payent en repas et en sympathie sincère : il s’en remplit l’estomac – et l’orgueil ! Et, n’ignorant rien de cela, tartufe, il s’en méprise presque aussitôt.

L’Écornifleur, c’est le récit d’une double vie de pose continuelle : celle de ces dilettantes fortunés qui ne reconnaissent l’art que dans ses apparences mondaines et qui cherchent à s’en attribuer la découverte et à s’en attirer le prestige (les Vernet si on m’a bien compris), et aussi celle de ces artistes peut-être véritables mais réduits, par impatience du succès, à feindre le talent et qui, différant l’ouvrage, vivent à l’excès dans un monde virtuel de littérature où leurs références perpétuelles leur tiennent lieu d’existence.

Mme Vernet est une Mme Bovary pleine de mièvres postures soyeuses et vivant un rêve valorisant de rencontre éblouissante où elle se figure conseillère et muse.

Henri est un lecteur impotent du livre de sa propre vie : il n’agit que par paroles, toute sa préoccupation au mieux est à des actions de lui espérées par d’autres ; il ne tâche qu’à correspondre à l’image qu’il veut donner, idéal cliché dont il se sent prisonnier ; il se regarde sans cesse, se demandant toujours ce qu’il siérait de faire, dans tel contexte narratif semblable à sa position, s’il était protagoniste d’une histoire romanesque. Le récit d’un vrai homme qui doute, et qui voudrait être un personnage qui siège et qui trône.

Je n’interprète rien : le livre est volontairement hilarant de ridicules et d’embarras bien rendus. On se moque de ces guinderies de bourgeois qui paradent ou qui louent, on s’amuse des excès de cette baudruche de poète qui critique tout y compris lui-même, on se divertit en somme de cette vacuité de bonne compagnie fondée sur d’affectueuses affectations !

Tout cela exprimé dans une prose artiste, vivante, chaleureuse, foisonnante, tantôt sèche et froide pour rendre la plate consternation de l’imposture reconnue, tantôt ample et outrée pour singer les exaltations poétiques de l’esthète : or, cette virtuosité est incontestablement celle d’un grand esthète ! Impertinent, gouailleur, astucieux, sardonique, inventif, énergique, truculent : Jules Renard avec délectation collectionne les figures épinglées pour la frime, s’émulationne d’envols surexcités suivis presque aussitôt de retombées cocasses ou triviales, son esprit bouillonne de trouvailles audacieuses et superbes, d’assemblages hétéroclites, de façonnements inédits – et il en rit, le bougre ! et l’on entend ce rire par-delà la page virevoltante, gros rire bonhomme qui se contemple avec ardeur sans pouvoir se croire génial, se mirant à distance, honteux d’être fier, incertain peut-être de valoir quelque chose, se sachant original et ceci du moins avec certitude. Il faut lire, je crois, ce petit ouvrage avec une acuité particulière, relire – j’ai lu lentement – maintes fois pour les entendre des fulgurances d’idées drôles ou méchantes, le tout apparemment balancé sans intention ni travail, mais prodigieux de fausse nonchalance, amateur constant d’une toute feinte négligence, bien trop inquiet, peut-être, d’être admiré pour ce que vaudrait son sérieux quand ses ironies sont déjà si pétillantes.

Et c’est peut-être la faiblesse de ce livre qu’il soit tout de forme et d’un fond si maigre : on en sort enivré-pas-nourri, on a l’aperçu d’un bel éblouissement mais issu d’une lucarne trop étroite, on est tout à fait mouillé… jusqu’au genou seulement ! Le récit est construit d’une succession d’ingénieuses et courtes situations dont le rythme entraîne mais qui manque à faire l’ampleur d’un roman : de la vivacité, de l’énergie, de l’élan, mais… guère de souffle ! On croit à un exercice de style, au défoulement vigoureux d’une humeur qui s’élance et bondit, tant enjouée et frénétique qu’on ne peut la retenir, mais, faute de sujet profond et d’intrigue préparée pour la soutenir, ne rendant que des chroniques, que des brèves et que des anecdotes mises bout à bout dont la somme ne suffit pas à faire un chef d’œuvre : une rencontre d’esbroufe à Paris, un voyage au bord de la mer tout en déclinaisons de poncifs drôles, un amour trop fantasmé de romans, et pas de dénouement, une précipitation pour achever cela quand l’humeur s’en va et que l’envie cesse. Le dernier tiers – et peut-être toute la seconde moitié – est moins brillant quoique agréable encore, on y trouve une moindre quantité de bons mots étourdissants, on sent une certaine langueur de l’artiste qui ne sait trop où il se dirige ni s’il a vraiment la force d’achever ; un doute l’a pris, il fallait en finir en retombant à peu près sur ses pieds, il a achevé à peu près « comme il faut ».

Cette pulsion vitale agrémentée de couleurs si originales fut pour moi une réjouissance : l’amoralité même du récit le rend piquant, chatouillant, poivré ; et j’aime l’épice qui est ce qui fait le plus défaut à notre société du caramel à la crème allégée et surtout digeste. Ne presque rien dire, et produire un bon livre tout de même, c’est déjà une performance qui m’émeut ; mais on veut – je quête sans relâche – des grandeurs, des hauteurs d’où ma moindreur serait obligée à la soumission : mon appréciation de ce Renard va pour l’admiration de son fort caractère à travers la maîtrise de son surprenant style ; une prochaine fois, je l’espère, pour la vénération de sa profondeur d’esprit.



P.-S. : Je n’ai guère compris la préface de Gardair ; c’est du pédant et ça n’explique rien. Ah ! me rappeler d’éreinter un jour ces préfaces si déconnectées des goûts du lecteur qu’elles lui éventent tout le livre en le résumant imbécilement de A à Z.


Lien : http://henrywar.canalblog.com
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