Journal de Edmond et Jules de Goncourt aux éditions Folio Classique
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La religion est la maladie honteuse de l'humanité. La politique en est le cancer.
Du moment qu'il y a un concert universel d'éloges dans la presse sur un livre, on peut presque affirmer que ce livre n'est pas bon - exemple : L'Oeuvre de Zola
Jeudi 9 novembre 1893.
Voici qu'en sortant de table, Léon Daudet, avec son emballement ordinaire, se met à proclamer que Wagner est un génie supérieur à Beethoven, et se montant, se montant, arrive à affirmer que c'est un génie aussi grand qu'Eschyle, que son PARSIFAL égale PROMETHEE.
Là-dessus, son père lui dit que, dans le langage 'non articulé' qui est la musique, Wagner lui a donné des sensations comme aucun musicien, mais que dans le langage 'articulé', qui est la littérature, il connaît des gens qui sont infiniment au-dessus de lui, notamment le nommé Shakespeare.
Alors Rodenbach, qui est là, prend la parole --et ce soir, il parle merveilleusement --, déclarant que les vrais grands sont ceux qui s'affranchissent des modes, des enthousiasmes, des engouements épileptiques d'un temps, et établissant que la supériorité de Beethoven est de parler à la 'cérébralité', tandis que Wagner ne s'adresse qu'aux nerfs, déclarant qu'on sort de l'audition de Beethoven avec un sentiment de sérénité, tandis qu'on sort de l'audition de Wagner endolori, comme si on avait été roulé par les vagues, un jour de grosse mer.
Puis la conversation déraille, et elle va à Rops, à cet aquafortiste du royaume de Satan, et c'est pour Rodenbach une occasion pour faire un amusant historique de la légion satanique, en tête de laquelle étaient Baudelaire et Barbey d'Aurevilly, et qui se continue aujourd'hui par Verlaine et Huysmans, légion qui avait pour opposition la légion 'bondieusante' et mystique, dont Veuillot avait le commandement.
p. 884.
Mercredi 20 novembre 1889.
Aujourd'hui, le sculpteur Carriès, qui s'occupe de céramique, est venu me voir pour étudier mes poteries japonaises. Il a parlé d'une manière très intéressante de la cuisson en plein air ou dans des fours non complètement fermés, où le lèchement des flammes apporte des réussites imprévues, inespérées. Et son admiration va, comme la mienne, à ce qui n'a rien de porcelaineux, de glaceux, à de la poterie semblable à un morceau de bambou ou à une enveloppe de coloquinte.
En me rendant à pied chez la Princesse, je m'arrête un moment devant le fruitier exotique de la rue de Berri, qui a exposé un fruit qu'il désigne sous le nom de 'jack', fruit de l'Indo-Chine. Le curieux de ce fruit à l'écorce brunâtre et qui a le grain d'une peau du Levant, avant qu'elle soit écrasée pour la reliure, c'est que c'est tout à fait la couverte d'un porte-bouquets japonais que je montrais deux heures avant à Carriès et qui est bien certainement l'imitation de ce fruit.
p. 349
Vendredi 3 février 1888.
Je m'étais promis d'avance, comme une occupation charmeresse, de travailler toute cette quinzaine à notre JOURNAL et de mener à sa fin la copie du troisième volume, mais soudain, au milieu du déchiffrement de la microscopique écriture de mon frère dans les dernières années de sa vie, je me sens un trouble dans les yeux, qui se mettent à se remplir de sang, et je ne puis continuer : la lumière me fait mal et me force à me coucher... Alors, la pensée noire de ne pas pouvoir finir mon travail pour l'impression et de voir s'interrompre la publication de ce journal, dont je ne puis confier le manuscrit à personne. Et au fond, le hantement de l'idée fixe, alors, la pensée noire de devenir aveugle - ce que je crains, depuis vingt ans, sans vouloir me l'avouer -, oui, de devenir aveugle, moi, dont tous les bonheurs qui me restent sur la terre viennent uniquement de la vue.
p. 93
Vendredi 19 avril 1889.
Je voulais travailler aujourd'hui, mais les roulades des oiseaux, la nage folle des poissons sortant de leur léthargie de l'hiver, le bruissement des insectes, l'étoilement du gazon par les blanches marguerites, le vert pointant dans le haut des pousses pourprées des pivoines, le vernissage des jacinthes et des anémones par le soleil, le bleu tendre du ciel, la joie de l'air d'un premier jour de printemps m'ont fait paresseux et habitant de mon jardin toute la journée.
p. 260
Dimanche 27 janvier 1895.
Je pensais, cette nuit, qu'une des causes des implacables inimitiés littéraires que je rencontre était la propreté de ma vie. Oui, c'est positif en ce temps, on a le goût de la vie malpropre. En effet, quels sont, en ce moment, les trois dieux de la jeunesse ? Ce sont Baudelaire, Villiers de l'Isle-Adam, Verlaine : certes trois hommes de talent, mais un bohème sadique, un alcoolique, un pédéraste assassin.
p. 1079
Mardi 24 septembre 1895.
Un quartier de lune d'argent sur un ciel rose, les sommets des grands arbres dans une brume de chaleur ; et dans le silence endormi du parc, le bruit de pluie d'un jet d'eau.
p. 1177
Bar-sur- Seine 6 septembre 1869
Le profond sentiment de tristesse , de revoir ces bords de la seine qu'on a vu plein de santé et de force productive, de repasser dans ces sentiers, le pas traînant, sans que la nature parle au littérateur qui est en vous...
On voyage pour être revenu. Le ruisseau de la rue Saint-Georges est plus beau que le Tibre, et le trottoir de la rue Le Pelletier est la meilleure des voies Appiennes.