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Critiques de Jürgen Habermas (24)
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L'avenir de la nature humaine. : Vers un eu..

Le « genetic supermarket » est en route. Fantasme ou réalité ? Les scientifiques ont raison lorsqu'ils tentent d'éclairer la chose mais tort lorsqu'ils négligent le sens commun.

Jusqu'à preuve du contraire il existe encore des états de droits et plus généralement des communautés morales auxquels sont soumises des questions de bioéthiques.

Mais jusqu'à quand ? L'auteur ne cache pas son inquiétude face au vide moral qui se crée insensiblement – autrement dit la chosification ou la réification de l'homme. Il laisse à d'autres « les fantasmes nietzschéens qui encouragent “les fractions culturelles majeures” à exercer le pouvoir sélectif qu'ils ont de fait conquis ». L’eugénisme excite autant l’imagination qu’il provoque le scepticisme.

A la parution du livre, les deux questions bioéthiques qui sont soumises à l'état allemand sont celles du diagnostic pré-implantatoire et celle de la recherche sur l'embryon humain, c'est-à-dire l'expérimentation sur les embryons humains surnuméraires. Mais l'impression immédiate c'est que la question est déjà tranchée ailleurs, par d'autres états, par des intérêts privés. L'argument tout trouvé qui ne peut que remporter l'adhésion du plus grand nombre est la promesse de la thérapeutique génétique.

Cet argument de l'eugénisme négatif se présente avec la garantie d‘une frontière infranchissable qui prémuni d’un eugénisme positif et donc de la réalisation de ses fantasmes les plus rebutants comme l'élevage humain. Il y a bien en effet une différence d'attitude entre la médecine qui établit théoriquement un dialogue avec le patient, et l'instrumentation qui ne demande rien à l'instrumenté. Cependant, entre le normal et le pathologique, la perception est déjà glissante « à la faveur de normes de santé toujours plus exigeantes et d'interventions génétiques permises.» Mais surtout la recherche n'a pas de frontières théoriques, ni la demande du public pour l'amélioration de l'espèce, ni pratiquement les intérêts capitalistes en jeu.

Puisque la réponse à la question de l'eugénisme libéral semble presque tranchée, je trouve que ce livre manque le problème de la liberté concrète des parents, c'est-à-dire des conditions pour que TOUS les parents puissent accéder à un choix éclairé et à des possibilités égales d'accès aux biotechnologies. Dans le cas contraire la technologie offre l'avantage discriminatoire escompté par les "maîtres-nés" et les fantasmes nietzschéens pourront en effet se concrétiser. Et c'est bien le problème, car en suivant Kant, l'auteur traine aussi les casseroles de ce dernier, notamment un universalisme abstrait (son horreur du goût barbare).

La question morale que soulève l'auteur est celle d'un adolescent qui aurait été génétiquement « amélioré » au stade embryonnaire, et qui aurait des difficultés à se retrouver sur un pied d'égalité avec les autres membres de sa soi-disant communauté morale. Cette « hétéro-détermination » dans la vie anté-personnelle interpelle forcément par sa précocité et son irréversibilité, mais je n’arrive pas à me convaincre que c’est autre chose qu’une variation par rapport au poids de la détermination sociale que cet adolescent aura également « subi » après sa naissance. Après l’analyse dans ce livre des différentes objections qui font débat, le problème qui ressort nettement est celui de la pertinence des choix faits par les parents dans tous les cas. Ce qui devrait nous ramener au problème des conditions universelles concrètes pour permettre à tous un choix éclairé et une variété de possibilités dans la perspective d’un eugénisme libéral – problème crucial à mon avis tant on connaît déjà les inégalités creusées par l’origine sociale.

L’auteur rappelle évidemment que le choix, même éclairé et plein d’amour, des parents reste un pari sur l’avenir. De cette simple remarque il découle à mon sens que l’avenir de l’espèce humaine est déterminé par la variété de ces paris, comme toute espèce vivante, selon la théorie de l’évolution, est déterminée par le hasard des variations génétiques.

L'auteur reconnaît « le “caractère abyssal” que revêt une discussion concernant les fondements naturels de la compréhension qu'ont d'elles-mêmes les personnes qui agissent de manière responsable ». Cette remarque appelle plutôt une approche pragmatique, mais qui est aux antipodes du transcendantalisme proposé par Kant. De ce dernier, l’auteur retient néanmoins la possibilité pratique d’une communication entre croyants et non-croyants, qui est un aspect important tant on sait la force du clivage sur les questions bioéthiques en particulier. Il faut dire en effet que pendant que la modernité fait rage en épuisant les « matelas de traditions », certaines communautés religieuses manifestent, éventuellement avec violence, le fait qu'elles ne s'engageront pas vers une autre destinée que celle qui est prévue par leur dogme. L’endoctrinement religieux tenu pour acquis par certains pays est bien à ma connaissance ce qui les empêche de ratifier sans réserve la convention internationale des droits de l’enfant.

L’auteur suggère donc que, si pour vivre ensemble au milieu des différentes visions du monde, la sécularisation est requise, alors il faut aussi reconnaître certaines intuitions en provenance des religions. Son programme est de « régénérer les énergies morales qui soudent les sociétés » notamment pour faire face aux menaces que préfigure la consommation jugée « obscène » d’embryons humains aux fins de la recherche. Ce programme ne fait pas pour autant de l'existence de Dieu la meilleure hypothèse possible dans « les mondes vécus qui ont pris conscience de l’immanence de leur autoconstruction ».

L'hétéro-détermination, la manipulation, la programmation génétique peuvent aussi donner lieu à d'autres scenarios de fictions très instructifs. A la lecture de ce livre, j'ai imaginé une manipulation accidentelle, plus probable peut-être qu'une programmation génétique permettant d'obtenir par exemple la bosse des maths. Donc cette manipulation accidentelle qui échapperait à tout contrôle, des scientifiques et des pouvoirs en place, engendrerait des individus peu fertiles avec nous et franchement fertiles entre eux, en un mot l'isolement reproductif. C'est bien ça l'idée, la création FORTUITE d'une nouvelle espèce hétéro-déterminée, l'hétéro-sapiens (sic) à côté de l'homo-sapiens à l'intérieur de la famille des grands singes. Cool !... Non ? La question morale deviendrait une question d'éthique animale. En suivant l'auteur du livre nous devrions alors observer les devoirs moraux réservés « à toutes les créatures sensibles à la souffrance », et donc à nos lointains cousins comme à nos nouveaux et futurs cousins - chacun étant un animal sensible pour l'autre. Je m'arrête là sur le changement de paradigme.

Ce scénario "maison" me parait du reste moins déprimant qu'une humanité chosifiée entièrement sous contrôle. Le livre manifeste certes contre la réification de l'homme, mais Il faut encore dire ici le prix de la raison morale kantienne, le sacrifice de la sensibilité, la guerre comme mobile pour passer de l’état sauvage de la nature à l’état social.

Non vraiment, la référence continuelle à Kant dans ce livre assombri le débat. L’auteur évoquant même la succession de Kant, on se demande alors pourquoi il faudrait lui succéder. Mais pour revenir au débat, ce qui peut à nouveau l’éclairer, c’est la poursuite de l’expérience fictive, celle proposée par l'auteur, de l'ado manipulé génétiquement. Je dirai qu'il est aimé de ses parents, qu'il a des potes et peut-être une amoureuse. L'amour et l'amitié, voilà à mon sens la source renouvelable « des énergies morales qui soudent les sociétés ». L’auteur de ce livre nous dit que cet ado aurait une « conscience précaire de son statut de titulaire des droits civiques », mais tous les ados ont cette « conscience précaire », et ils ont aussi le don de nous faire flipper et de nous réserver des surprises.
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Théorie de l'agir communicationnel : tome 2

Déclassée depuis la mise au point des méthodes scientifiques par la physique, mise à mal par l'empirisme des sciences économiques et sociales, épuisée par la politique, concurencée par des schémas de pensée qui se sont développés sans elle, dans notre monde moderne, la philosophie idéaliste est à la peine. C'est pourtant bien la rationalité dont la philosophie se fait la championne qui mène et fait le monde et Jürgen Habermas entend bien le démontrer.



En réalité, ce n'est pas le dogmatisme qui pousse le philosophe allemand à raisonner, mais le refus de sombrer dans un relativisme absolu : si tous les modes de pensée sont équivalents les uns aux autres, comment et sur quelles bases devrait-on organiser la société ? Il s'agit donc de proposer la rationalité comme socle commun à l'organisation sociale et de montrer la manière dont elle pourrait intentionnellement continuer à se construire. La solution est d'approfondir la rationalisation de la société par la conceptualisation d'un agir communicationnel, c'est-à-dire des conditions idéales d'oganisation d'une intercompréhension fondée sur la raison.



Si la densité de l'écriture d'Habermas et le niveau de précision de ses exposés sont tout à fait impressionnants, il accroît encore la difficulté de sa lecture en engageant une double réflexion sur la philosophie du langage d'une part et l'histoire de la rationalité d'autre part, ce qui, plutôt que de concentrer l'approche du sujet, a plutôt tendance à l'écarteler...



Du point de vue de l'histoire de la rationalité, j'ai regretté que tant de pages aient été consacrées à Weber et Adorno - il m'a semblé que l'aperçu aurait pu être plus rapide, ou intégrer d'autres auteurs : la réduction de cette analyse ne tend pas à apporter des arguments en faveur de l'universalité de la rationalité si ses promoteurs doivent être si peu nombreux et... tous germanophones ! (il est vrai que quelques lignes sont consacrées à Condorcet, Durckheim et Lévi-Strauss mais tout de même !).



Mais surtout, je reste dubitatif sur l'approche du modèle de l'agir communicationnel... si la proposition d'un quadruple monde (objectif, subjectif, social et vécu) pour sa conceptualisation est séduisante, on se demande où passent les questions interculturelles (l'intercompréhension se fait aussi entre locuteurs de cultures différentes... qui se construisent des mondes vécus différents...) et identitaires (l'identité n'est ni objective, ni subjective et partiellement sociale...), comment s'intègre le temps dans cette société univoque et figée dans ses concepts, où sont les émotions et les autorités qui jouent un rôle important dans la communication, comment s'intègrent les communications médiatisées, etc... Les réponses sont, j'espère, dans le second tome...
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La technique et la science comme « idéologie »

lol
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Idéalisations et communication

Depuis Kant, le monde a changé. ll ne s'agit plus de former en esprit une image idéale du monde qui permettrait de déterminer les conditions et les limites de la connaissance par le biais de l'expérience dans le monde objectif. Il s'agit plutôt d'appréhender la réalité "du dedans" dans un rapport intersubjectif et communicationnel. Mais sauf à verser dans l'extrême inverse, celui où la réalité ne serait appréhendée que sous sa forme présentifiée et matérialisée au prix de la disparition de tout modèle conceptuel, il faut envisager que le monde continue d'être compris en relation avec des "présuppositions idéalisantes". Ce compromis entre idéalisme et réalisme implique une "détranscendentalisation" du monde objectif vers le monde social. Habermas se propose de nommer les présuppositions idéalisantes à l'accès à la vérité dans un tel monde détranscendentalisé en partant du point de vue opposé à celui de Kant, celui des philosophes analytiques. Il conclut à la nécessité d'un espace public où l'information pertinente soit idéalement accessible et exprimée afin de donner au seul outil envisageable et irremplaçable d'accès à la vérité que nous ayons les moyens de se déployer : la raison.
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Morale et communication

essentiel
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L'avenir de la nature humaine. : Vers un eu..

Habermas est connu pour être le philosophe de l'état de droit et du patriotisme constitutionnel. Je ne pense pas surprendre si j'affirme que son éthique de la discussion constitue une prémisse nécessaire aux conceptions qui sont défendues ici, car l'argumentaire tourne autour de la possibilité du sujet à entrer dans un cadre constitutionnel égalitaire où il pourrait développer sur ce mode sa conscience de soi. Face à ce qu'il n'hésite pas à désigner sous l'expression d'eugénisme, Harbermas utilise en effet l'argument suivant, tenant compte du processus social d'individuation : si les parents interviennent génétiquement sur l'organisme prépersonnel (l'embryon), l'adolescent aura probablement un rapport réflexif à soi qui perdra de vue le cadre communicationnel égalitaire et constitutionnel, en ce qu'il sera contraint de vivre avec un coauteur de ses projets de vie, c'est-à-dire en ce qu'il ne pourra pas s'interposer communicationnellement à ses parents et aux antagonistes en espérant une réponse ou une possibilité de sortie. Comment s'assurer qu'il puisse communiquer symétriquement dans ces circonstances, c'est-à-dire développer sa conscience réflexive et communicationnelle sans se heurter à la disparition des limites entre le fabriqué qu'il est devenu et le naturel qui permettait une contingence de départ propre à constituer la base d'un projet de vie ? Il y avait cependant un repproche important, et qui se pose pour celui qui refuse l'abandon de la métaphysique : s'imaginer vivre sans cette intervention lorsqu'on en a vécu une, c'est déjà s'imaginer une autre personne. Pourtant, en effet, cela ne change pas le problème : le refus communicationnel est toujours impossible, l'asymétrie demeure.
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Connaissance et intérêt

*Les analyses sont fines et complètes et si on passe souvent du temps sur un même cadre c'est pour bien explorer toutes les nuances de ce qui est traité. Toutefois, les chapitres mériteraient d'être divisés en parties thématiques pour mieux montrer le déroulé du raisonnement. En tout cas, la réflexion proposée permet de comprendre les auteurs d'une manière qui me semble très solide. L'ouvrage dispose d'une grande cohérence interne et est très sérieux.

*Une conclusion générale aurait été appréciable. En outre la question de l'intérêt est introduite tardivement et synthétiser les résultats pour parachever le système supposé par tous les commentaires aurait été appréciable. La postface est ceci très appréciable.

*L'auteur utilise certains concepts de manière assez large, notamment le positivisme et le scientisme. Cela ne provoque pas l'affaiblissement de son système mais peut faire manquer certaines nuances.

*La distinction fondamentale entre les sciences de la nature et les sciences morales semble pâtir d'une prémisse extrême : la distinction entre herméneutique et approche positive est ici très radicale, bien plus radicale qu'une simple distinction entre le normatif et l'objectif.

*Habermas critique Hegel car il en vient à critiquer le fait qu'il auto-supprime la théorie de la connaissance en faveur d'une philosophie de l'identité. Mais cette dernière peut très bien se réaliser sans détruire la théorie de la connaissance : en vérité, ces deux là peuvent être la face d'une même pièce. Pour le reste l'auteur a très bien vu comment Fichte unissait connaissance et intérêt avec le concept d''autoréflexion.

*Les sciences morales sont trop réduites au social alors que le dédoublement de soi peut être davantage traité.

*In fine, une défense de la théorie critique et de la théorie de la connaissance, l'intérêt uni à la connaissance pour elle-même, en critiquant les aspects vus comme "positivistes" et contradictoires chez les auteurs étudiés : appréciable, d'une certaine façon
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L'Ethique de la discussion et la question d..

Il s’agit ici de la publication de conférences données par Jürgen Habermas à Paris, en février 2001, afin de présenter son ouvrage « Vérité et justification ».

Ce petit livre de 90 pages constitue une bonne introduction à la pensée de ce philosophe allemand contemporain. De nombreux termes peuvent sembler obscurs, surtout dans les questions qui lui sont posées, mais celui-ci sait répondre avec une relative clarté. Et c’est comme avec les langues étrangères, on peut saisir le sens général même si quelques mots ou notions nous sont inconnus. Nos sociétés dites modernes ont eu de tels changements que des philosophes de ce calibre sont utiles, c’est tout au moins ce que je vais essayer de montrer dans cet article.



Il aborde le thème de l’interprétation du monde par les individus et les groupes, notamment à travers la discussion. Il part du fait que, jusqu’à ce jour, les théories philosophiques de la discussion ont attribué une grande place aux individualités mais beaucoup moins au(x) collectif(s). Pour lui la discussion va bien au-delà de la liberté de donner chacun son opinion mais demande aux participants de rechercher, concernant un problème requérant une régulation par exemple, une pratique avec laquelle il serait dans l’intérêt de tous de poursuivre l’échange jusqu’à dégager une norme acceptable par tous. Je trouve que cette étude des règles de discussion, ce qu’il nomme une éthique de la discussion, est très intéressante. Elle devrait même être mise en avant dans l’éducation afin de préparer le plus grand nombre à une vie sociale inclusive au lieu de cultiver le rapport de force, à terme destructeur.

Habermas reste très vague sur la question de l’inégalité des participants au débat et a été accusé de naïveté. Il en reste à des généralités, intéressantes certes, mais bien difficiles à mettre en œuvre. Il se place à un niveau d’abstraction théorique élevé : « De manière emphatique, nous pouvons affirmer qu’en ce sens une personne ne peut être libre que si toutes les personnes appartenant à cette communauté le sont également. »



Habermas parle de patriotisme constitutionnel car ces règles de discussion sont bien sûr avant tout des règles politiques. « Les citoyens peuvent alors considérer que la constitution est un projet collectif visant la réalisation toujours plus complète d’un système de droits fondamentaux déjà établi. Les citoyens prenant part à ce projet commun peuvent, de manière cohérente, militer en faveur de l’amélioration des conditions autorisant un accès adéquat et une participation effective à la politique délibérative, tout en pouvant, d’un point de vue rationnel, compter sur la mise en œuvre de règles assurant le respect des normes. »



Il a développé dans d’autres écrits la notion d’espace public, différent de l’Etat. L’espace public part du bas, des gens. La sphère publique institutionnelle, les médias officiels tendent à nier l’espace public. Même s’ils s’en réclament, ce n’est qu’une mise en scène, une captation intéressée (le pouvoir a été élu alors il est autorisé à agir pratiquement comme il l’entend...). L’espace public, au contraire, c’est la citoyenneté, ce qui émane de la population. Les médias de masse sont critiqués de toute part car de moins en moins en phase avec la vie réelle. On se souvient, il y a tout juste un an, de la panique de journalistes effarés observant le gouffre d’incompréhension dévoilé lors de la crise des « gilets jaunes ».

Pourrait-on considérer les réseaux sociaux comme un exemple actuel d’espace public car accessible à tous et en dehors de l’institution ? A la lumière de ma récente expérience des blogs et autres réseaux sociaux je pense répondre oui même si ces outils, actuellement aux mains de multinationales, ne sont pas garants d’impartialité, tant s’en faut.



L’action communicationnelle est en lien avec les échanges économiques. « Les mécanismes du marché s’institutionnalisent selon les principes que définissent les éléments fondamentaux du droit privé (contrat et propriété). Cette institutionnalisation légale est destinée à permettre aux acteurs du marché, à agir sur un mode stratégique. Ils sont libres d’agir comme ils l’entendent. Ils calculent et pensent en termes de gains ou de pertes. » Il en appelle alors, concernant la nécessaire justice distributive compensatrice d’un système déséquilibré, à des « ... évaluations démocratiques et non à des projections théoriques articulées à la seule variable du fonctionnement ou du dysfonctionnement des marchés ».



La question centrale de la vérité est aussi abordée ici dans le chapitre « Réalisme, vérité épistémique (relatif à la connaissance en général) et vérité morale. » Là les choses se corsent nettement avec cette notion qui ne se laisse pas facilement approcher — pourtant beaucoup prétendent la connaître ! Il affirme « cela ne doit pas déboucher sur un déni de la vérité et de l’objectivité. Tandis que nous nous attachons à faire face aux problèmes auxquels nous ne pouvons échapper, nous devons présupposer, dans nos discussions, tout autant que dans nos actions, un monde objectif qui n’est pas de notre fait et qui est en grande partie le même pour nous tous. »



Il conclut en affirmant que contrairement à l’expert, l’intellectuel s’adresse à la sphère publique et dépend de sa résonance. Et parmi les intellectuels une place centrale est réservée au philosophe (ou devrait l’être... Ceci dit, les philosophes de la Grèce antique sont toujours parmi nous... Le temps fait son tri, contribuons à ce qu’il en soit toujours ainsi.)



« Pour travailler à certaines questions, les philosophes sont mieux armés que d’autres catégories d’intellectuels, qu’ils soient écrivains, artistes, spécialistes ou scientifiques. Ils peuvent tout d’abord contribuer à la réflexion sur le discours de la modernité à la lumière duquel les sociétés complexes peuvent parvenir à une meilleure compréhension de leur situation passée et présente. Dans la mesure où la philosophie maintient un lien étroit à la science, d’une part, et au sens commun, d’autre part, ceux qui la pratiquent peuvent être à même de développer une critique des pathologies sociales — une critique, par exemple, des souffrances moins visibles résultant de la commercialisation, de la bureaucratisation, de la judiciarisation et de la scientification de la société. Enfin, les philosophes peuvent revendiquer une compétence spéciale pour l’analyse des problèmes de justice politique et, en particulier, « des blessures cachées » de la marginalisation sociale et de l’exclusion culturelle. Nous le voyons, la philosophie et la démocratie ne partagent pas seulement une commune origine, elles dépendent aussi, en un sens, l’une de l’autre. »



Au final, c’est une belle découverte que ce philosophe contemporain (il est très âgé mais toujours en vie). Jürgen Habermas est très certainement un des philosophes et sociologues contemporains les plus importants. Il se place dans la continuité de l’idéal d’émancipation des Lumières qui reste, selon lui, à réaliser. Il est l’auteur d’une œuvre colossale qui aborde la plupart des questions philosophiques, avec des textes assez difficiles à aborder pour les non spécialistes... Même si ses analyses et réponses ne sont pas évidentes, on voit bien qu’il pose des questions tout à fait actuelles. Intellectuel engagé, il a pris des positions courageuses et novatrice sur la mondialisation, le rôle de l’Etat dans la réduction des inégalités sociales, les guerres, la responsabilité des Allemands face au passé nazi, la réunification... Célèbre en Allemagne, il est, me semble-t-il, beaucoup moins connu chez nous, raison de plus pour en parler ici !



Pour en savoir plus, je conseille d’écouter l’excellente émission d’Adèle Van Reeth, diffusée le mercredi 20 novembre, qui avait invité la philosophe Estelle Ferrarese pour parler de Jürgen Habermas. Celle-ci est l'auteure de « Éthique et politique de l'espace public : Jürgen Habermas et la discussion » paru chez l'édition Vrin en 2015, collection la vie morale.

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Espace public et démocratie délibérative : Un tou..

Le philosophe allemand analyse les bouleversements liés à la montée en puissance des acteurs numériques et prend la défense des médias traditionnels.
Lien : https://www.la-croix.com/Cul..
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Pourquoi lire

Ce livre est un recueil de raisons pour lire, ou ne pas lire. Plusieurs auteurs se cachent derrière ces quelques pages où l'on découvre les raisons propres à chacun qui peuvent nous amenés à lire, à aimer le monde des lettres et qu'est-ce qu'iels en retirent dans leur vie en générale.



Chacun des auteurs y va de sa petite anecdote, de son histoire personnelle, avec son propre style, ce qui donne une lecture enrichissante et intéressante.



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Droit et démocratie

zaz
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Théorie de l'agir communicationnel : tome 2

zaz
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Vers la constitution de l'Europe

Le ton est souvent direct, parfois irrité, toujours motivé par l'urgence de la situation. En ces temps de crise et d'injustice sociale, le philosophe allemand […] épingle l'inquiétant fossé qui sépare l'Europe des gouvernements et l'Europe des peuples.
Lien : http://www.telerama.fr/criti..
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Espace public et démocratie délibérative : Un tou..

Sous forme d'un entretien, Habermas répond de manière développée aux questions posées par son interlocuteur. Il expose les développements récent de sa théorisation de l'espace public, notamment face à l'émergence de nouvelles formes de communication (par les réseaux sociaux et internet), qui remettent en cause le consensus démocratique. Habermas après avoir analysé les problèmes posées par les évolutions sociales et politiques récentes, propose des pistes pour assurer une meilleure régulation de l'espace public afin de préserver cet élément indispensable au fonctionnement sain des démocraties.
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L'avenir de la démocratie

Le volume L’Avenir de la démocratie, qui vient de paraître, a le grand mérite de recentrer notre regard sur le foyer politique qui anime l’œuvre de Habermas depuis les années 1950. En son fond, elle demeure une réflexion profonde sur une démocratie qui tire sa légitimité de l’échange d’arguments entre citoyens, dans une situation que l’auteur nomme « communicationnelle ».
Lien : https://www.lemonde.fr/livre..
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La technique et la science comme « idéologie »

Cet ouvrage contient cinq essais portant sur la conception qu'a Habermas de l'agir instrumental ou stratégique (souvent appelé "activité rationnelle par rapport à une fin"), et sur la nécessité, face à ce type d'agir, de rétablir des activités communicationnelles, dans lesquels les sujets puissent interagir ensemble, chercher à se comprendre par le biais du langage, pour instituer des normes communes.



Les trois premiers essais (dont le premier, le plus long, donne son nom à l'oeuvre) sont assez proches, voire parfois répétitifs, dans leur contenu. Après avoir montré que la technique moderne, dont le progrès a mis à mal les idéologies du passé, pouvait donner lieu à une nouvelle idéologie dans sa tendance technocratique à considérer que tout débat politique devenait stérile, Habermas s'interroge sur la manière dont les nouvelles connaissances scientifico-techniques pouvaient être traduites dans un langage ordinaire susceptible d'être manié par l'opinion publique. A cette question, il ne semble pas fournir de réponse précise, pas plus qu'à la question, centrale dans le troisième texte, du type de relations que doivent entretenir expertise technique et décision politique. Si Habermas refuse à la fois le technocratisme et le décisionnisme, sa thématisation d'une communauté politique qui redéfinirait ses intérêts à la lumière des acquis techniques disponibles, et d'un progrès technique qui s'orienterait différemment selon de tels intérêts, reste assez vague.



Le quatrième texte, "Connaissance et intérêt", s'appuie sur le constat husserlien du rejet de l'idée de la "théorie pure" dans la science moderne. Si les reproches d'Habermas à l'encontre d'Husserl semblent assez rapides et peu convaincants, le texte parvient à distinguer trois formes d'intérêt dont la philosophie doit reconnaître la légitime présence à travers trois types de sciences.



Le dernier texte, "Travail et interaction. Remarques sur la philosophie de l'esprit de Hegel à Iéna", est le plus difficile de l'oeuvre, Habermas commentant la manière dont Hegel, dans des textes de jeunesse, s'oppose à la conception kantienne du sujet transcendantal. Après avoir distingué trois milieux (famille, travail, langage) dans lesquels la conscience se constituait, Habermas commente le lien entre ces différents milieux, notamment celui entre le domaine du travail, lieu de l'agir instrumental, et celui de l'interaction familiale. A cela s'ajoute une indication des raisons pour lesquelles cette tripartition aurait été mise de côté dans les textes ultérieurs de Hegel. Cet essai est à la fois d'un grand intérêt du point de vue de l'histoire de la philosophie, et de la manière dont la philosophie de Habermas s'y rapporte.



Habermas s'exprime d'une manière précise, souvent technique, nullement jargonneuse, mais sans se soucier d'expliquer suffisamment les concepts qu'il discute pour que son propos soit accessible au grand public. L'oeuvre contient de multiples références à l'histoire de la philosophie et reste donc conseillée à des connaisseurs.
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Pourquoi lire

Mis à part ceux d’Annie Ernaux et de 3-4 autres auteurs sur les 13, les textes de ce recueil sont très exigeants sur le plan du vocabulaire et/ou de l’écriture et surtout passent souvent à côté de la question « Pourquoi lire ? », n’y revenant que dans le paragraphe final. C’est vraiment dommage car on trouve ici et là des arguments très pertinents (pas toujours en faveur de la lecture d’ailleurs).
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Espace public et démocratie délibérative : Un tou..

Le philosophe s’inquiète du délabrement de nos démocraties délibératives. Il l’attribue principalement à la répercussion négative de la numérisation des médias sur l’espace public.
Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
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Espace public et démocratie délibérative : Un tou..

Jürgen Habermas revient dans cet ouvrage sur le concept d'« espace public » en prenant en compte l'influence des réseaux sociaux et la manipulation qu'ils peuvent exercer sur la société civile.
Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
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De l'éthique de la discussion

Habermas, fameux théoricien de l'état de droit, expose ici sa philosophie morale par comparaison. Sa morale, néo-kantienne (mais plus liée à la responsabilité qu'à la conviction, moins rigide), est "postmétaphysique" : c'est ainsi qu'il n'entend pas faire de l'éthique à proprement parler, laquelle est liée au bien métaphysique et à la vie bonne (comme chez Aristote par exemple), mais faire de la morale, qui revient aux règles de validité d'une norme diffusée dans la discussion. Il répond aux critiques des contextualistes et des aristotéliciens (ou de ceux qui veulent justement le primat du bien sur le juste et une fondation métaphysique de la morale) mais aussi aux points de vue de déontologues ou de gens comme Rawls. Bref, il est égal à lui-même et cette constance se retrouve dans l'ensemble du texte.

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