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Citations de Karen Russell (23)


Comment pourrait-on se tromper quand on n'a pas le choix ?
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Parfois, quand je voyais le soleil décliner et que la panique me gagnait, je risquais un coup d’œil en direction de l’Oiseleur. Imaginez ces milliers d’oiseaux auxquels il savait commander ! Des régiments d’oiseaux, des colonies entières. Ces couleurs sous les ailes – à mes yeux ce qu’il y a de plus joli au monde – cet homme pouvait peindre le ciel avec cela ! Et chose extraordinaire, il m’avait appelée, moi…
-Ava.
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"Notre mère entrait en scène dans la clarté des étoiles. Qui avait eu cette idée ? Je ne l’ai jamais su. Sans doute Chef Bigtree, et c’était une bonne idée – neutraliser la poursuite pour laisser le croissant de lune se détacher dans le ciel, sans chaperon ; couper le micro, laisser les projecteurs sous leurs paupières de fer afin de permettre aux touristes d’apprécier ce cadre nocturne ; encourager le public à anticiper le palpitant numéro exécuté par la vedette de Swamplandia – la fameuse dompteuse d’alligators : Hilola Bigtree. Quatre fois par semaine, notre mère grimpait à l’échelle qui surplombait la fosse dans son deux pièces vert pour aller se placer au bord du plongeoir, prenant sa respiration. S’il y avait du vent, ses longs cheveux voletaient autour de son visage, mais le reste de sa personne restait immobile. Les nuits dans les marécages étaient sombres et tachetées d’étoiles – notre île était à une cinquantaine de kilomètres du réseau électrique du continent – et même si, à l’oeil nu, on pouvait apercevoir Vénus et la chevelure bleu saphir des Pléiades, le corps de notre mère n’était qu’une vague silhouette, une tache floue sur fond de palmiers.
Juste en dessous, des dizaines d’alligators déplaçaient leurs sourires ambigus et les diamants superbes de leurs têtes dans un bassin d’eau filtrée. Au niveau du cône noir où plongeait maman, il y avait neuf mètres de profondeur. Ailleurs, la nappe d’eau s’affinait pour n’être plus qu’un clapotis boueux formé de végétaux décomposés contre du sable ocre. Au milieu, un îlot rocheux émergeait ; dans la journée, une trentaine d’alligators pouvait venir y former une pyramide pour prendre un bain de soleil.
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"Quand on n’est qu’au commencement de la fin, on peut très bien se croire déjà au milieu. Quand j’étais petite, je ne voyais pas ces nuances. C’est seulement après la déchéance de Swamplandia que le temps s’est mis à avoir comme un début, un milieu et une fin. En bref, je peux résumer toute l’histoire d’un seule mot : chute."
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Quand on n'est qu'au commencement de la fin, on peut très bien se croire déjà au milieu. Quand j'étais petite, je ne voyais pas ces nuances. C'est seulement après la déchéance de Swamplandia que le temps s'est mis à avoir comme un début, un milieu et une fin. En bref, je peux résumer toute l'histoire d'un seule mot : chute.
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Je ne vois pas en quoi c'est une chance. Moi, j'aurais aimé naître avec une tête colossale de taureau - la plus grosse possible. les gens se comportent comme si ma normalité apparente était tout aussi étrange, voire encore plus suspecte.
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"Ta connerie n'est même pas authentique. Tu plagies d'autres cons."
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Elle partit à travers la gadoue, aussi vive qu'une continentale craignant de rater le ferry. Ses traces de pas se gorgeaient d'eau et je vis une dizaine de mini-lacs éclore entre nous.
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On se trouvait dans le dôme de cyprès, en train de ramasser pétales et racines pour l'un de ses "sortilèges". Les arbres qui constituent le coeur d'un dôme ont trente mètres de haut ; leurs racines ou "genoux" dépassent de l'eau et respirent pour eux ; avec leurs veines-lianes, on dirait de la pluie pétrifiée. Oui, on croirait marcher à travers la pluie des dinosaures. Le fossile gris-bleu d'un orage, lâchant maintenant de petites feuilles.
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Les alligators ne sont pas des animaux de compagnie, me répétait le Chef. C'est un estomac dans une valise en cuir. Un alligator ne te rendra jamais ton affection.
Et pourtant je les aimais ! J'avais peur aussi de leur regard d'extraterrestre et de leurs brusques pointes de vitesse. (p.25/26)
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Nous n’avions qu’un seul mammifère, Judy Garland, une ours brune de Floride, sauvée par mes grands-parents alors qu’elle était toute petite, à l’époque où l’espèce hantait encore les pinèdes au nord. Sa fourrure ressemble à une carpette roussie – mon frère prétendait qu’elle souffrait d’un genre de pelade. Elle savait faire un tour, enfin, une sorte de tour : le Chef lui avait appris à hocher la tête pendant Somewhere Over The Rainbow. Une horreur. Ses dodelinements terrifiaient les petits enfants et scandalisaient leurs parents. « Au secours ! s’écriaient-ils. Cette bête a une crise cardiaque ! » C’est vrai qu’elle n’avait pas le sens du rythme, mais il fallait la garder, selon le Chef, parce qu’elle faisait partie de la famille.
Notre parc bénéficiait d’une promotion publicitaire comparable à celle des meilleurs parcs aquatiques ou minigolfs ; la bière y était la moins chère de toute la région et on y présentait un « combat au corps à corps contre les alligators » tous les jours de l’année, qu’il pleuve ou qu’il vente, y compris les jours fériés. Notre tribu avait ses problèmes, bien sûr, comme tout un chacun – Swanplandia avait toujours eu plusieurs ennemis, naturels ou pas. Nous étions menacés par les niaoulis, ou Melaleuca, une espèce d’arbres envahissante qui asséchait de vastes espaces de marais au nord-est. Et tout le monde surveillait la raffinerie de sucre et la progression sournoise des banlieues résidentielles au sud. Mais notre famille sortait toujours gagnante, me semble-t-il. Tous les samedis soir (et très souvent en semaine !), notre mère nageait avec les Seths et s’en tirait toujours. Des milliers de fois nous avions vu le plongeoir vibrer dans son sillage.
Puis elle tomba malade, plus malade qu’on ne devrait être autorisé à l’être. J’avais douze ans quand le diagnostic tomba et cela me rendit furieuse. Il n’y a ni justice ni logique disaient les cancérologues. Je ne me rappelle pas exactement les termes, mais il n’y avait pas d’espoir dans leur voix. Une infirmière m’apporta des chocolats du distributeur, qui me restèrent en travers de la gorge. Ces médecins se penchaient toujours pour nous parler, du moins me semblait-t-il comme s’il n’y avait que des géants dans ce service. Maman arriva au stade terminal de son mal à une vitesse différente. Elle ne ressemblait plus à notre mère. Son crâne était chauve et lisse comme celui d’un bébé. On eû dit qu’elle plongeait en elle-même. Un soir, elle plongea et ne refit pas surface. Au niveau du vide laissé, on ne vit ni bulles ni tremblements. Hilola Bigtree, dompteuse d’alligator de classe internationale, cuisinière exécrable et mère de trois enfants, s’éteignit dans son lit d’hôpital par une journée nuageuse, le mercredi 10 mars, à trois heures douze de l’après-midi.
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Et si la personnalité d’Olivia s’était détachée d’elle et évaporée dans le chaotique amas de nuages ? Évaporée, pour retomber avec la pluie, selon un cycle incessant. Olivia se mêlant aux fleuves, ruisselant sur les arbres et les métropoles sales du monde.
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La foi, c'était une force intérieure et le doute, un corps étranger, une poussière dans l'oeil. Une chose appartenant au triste monde des adultes.
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"L'Oiseleur massait les plis de son front. Pourquoi les adultes faisaient-ils toujours ça ? Un visage était-il comme un pantalon ? Pouvait-on lisser ses mauvaises pensées depuis l'extérieur ?"
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"Les deux taches rouges sur ses joues mal rasées lui donnaient un peu l'air d'une Shirley Temple décatie."
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REGLES A RESPECTER POUR SOUTENIR SON EQUIPE DANS L’ANTARCTIQUE

Règle numéro 1 : Apprivoisez la Mort
Soutenir son équipe dans l’Antarctique, c’est du sérieux. Notre ambition est, ni plus ni moins, d’inverser l’ordre naturel. Nous voulons que les Krills battent les Baleines.
Si vous êtes attaché à votre confort, ne prenez pas la mer. Vous pouvez acheter des œufs de caille, des escargots, ou ce qui vous chante, et suivre les matches sur votre télé à écran plat. Restez à Los Angeles. Serrez votre épouse sur votre canapé cossu. Encouragez la Baleine de Minke, comme tous les cons.
Non, minute, voici la véritable Règle numéro 1 : si vous êtes un supporter des Baleines, allez vous faire foutre. Cette liste est destinée aux supporters des Krills.
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LA GRANGE A LA FIN DE NOTRE MANDAT

Si seulement nous pouvions être d’accord pour considérer que c’est le Paradis, soupire-t-il. Alors nous pourrions nous résigner, profiter du vent, savourer ces carottes, admirer les couchers de soleil, respirer l’herbe tendre. Je serais libre de galoper. Mais le seul paradis pour lui, ici, ce sont des moments fugaces : le contact chaleureux d’une main, du foin bien sec, un bouquet de chardon. A l’aube, le paradis est cette émotion qui le gagne quand le vent balaie les champs. Le paradis, c’est ce vent qui courbe les blés.
Mais le soir venu, le blé s’est redressé et l’idée même d’une vie posthume le frappe par son absurdité. « Ces disputes sont vaines, dit-il à Lucy. Nous sommes encore en vie. C’est toujours l’Amérique. Les étoiles brillent comme autrefois…Et nous avons de quoi manger. Nous sommes là. »
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Des bébés vents du sud toupillaient en poussant des vagissements inhumains. Des entonnoirs nuageux prune se pourchassaient sous les gaines parcourues de vibrations. Des brumes bleu crocus, aussi légères qu’un soupir, embuaient les parois de leurs incubateurs. J’ai senti un gargouillement sous mon nombril en passant devant la Rampe 7 — la porte par laquelle mes propres tornades avaient pris leur envol autrefois. De nouvelles folies me saluaient de chaque côté de l’allée. Un éventail fabuleux de phénomènes atmosphériques, rêvés et créés par mes confrères dans leurs ranchs. Des nuages marketés sous le nom de Chou-Fleur Rose ou Voile de Marié de Lucifer. Certains presque trop gonflés de pluie pour bouger. Il y avait largement de quoi s’émerveiller, en dépit des prévisions pessimistes que j’avais lues toute l’année.
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Notre mère entrait en scène dans la clarté des étoiles. Qui avait eu cette idée ? Je ne l’ai jamais su. Sans doute Chef Bigtree, et c’était une bonne idée – neutraliser la poursuite pour laisser le croissant de lune se détacher dans le ciel, sans chaperon ; couper le micro, laisser les projecteurs sous leurs paupières de fer afin de permettre aux touristes d’apprécier ce cadre nocturne ; encourager le public à anticiper le palpitant numéro exécuté par la vedette de Swamplandia – la fameuse dompteuse d’alligators : Hilola Bigtree. Quatre fois par semaine, notre mère grimpait à l’échelle qui surplombait la fosse dans son deux pièces vert pour aller se placer au bord du plongeoir, prenant sa respiration. S’il y avait du vent, ses longs cheveux voletaient autour de son visage, mais le reste de sa personne restait immobile. Les nuits dans les marécages étaient sombres et tachetées d’étoiles – notre île était à une cinquantaine de kilomètres du réseau électrique du continent – et même si, à l’oeil nu, on pouvait apercevoir Vénus et la chevelure bleu saphir des Pléiades, le corps de notre mère n’était qu’une vague silhouette, une tache floue sur fond de palmiers.
Juste en dessous, des dizaines d’alligators déplaçaient leurs sourires ambigus et les diamants superbes de leurs têtes dans un bassin d’eau filtrée. Au niveau du cône noir où plongeait maman, il y avait neuf mètres de profondeur. Ailleurs, la nappe d’eau s’affinait pour n’être plus qu’un clapotis boueux formé de végétaux décomposés contre du sable ocre. Au milieu, un îlot rocheux émergeait ; dans la journée, une trentaine d’alligators pouvait venir y former une pyramide pour prendre un bain de soleil.
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La version de papa, le sobre Guide de notre Galaxie, est presque identique, à ceci près que les graphiques sont en noir et que les "Le Saviez-Vous ?" ont perdu leurs points d'exclamation. Je suppose que c'est ce qui arrive fatalement quand on est adulte, du moins pour les éditeurs : ce qui est fluo nous apparaît noir et blanc et la vérité cesse d'être extraordinaire.
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