Citations de Lars Pettersson (41)
Grand-mère était bouleversée quand elle m’avait parlé de lui, au téléphone. Peu loquace, cherchant ses mots dans cette langue inha-bituelle pour moi, avec en plus un ton implorant que je ne reconnaissais pas. Mais c’était peut-être simplement son manque d’habitude du téléphone. Ou bien elle pensait au prix de la communication avec l’étranger.
Celui qui connaît les codes saura déchiffrer les différents éléments tissés dans l’étoffe et les comprendra. Saura qui a torsadé les fils de la chaîne. Le temps ne passe pas, il vient.
Il m'observa avec anxiété quand je bus le savoureux bouillon de renne et , ,lorsque le fis signe que c'était bon , son visage tanné de petite pomme d'hiver froissées s'illumina de bonheur.
Ma mère avait quitté tout cela pour une autre vie. Elle voulait évidemment fuir l'existence provinciale et restreinte. Echapper à une vie de femme entravée par les coutumes et les traditions. Elle était jeune, intelligente, avait une bonne formation et ne voulait pas que ses possibilités soient limitées par un modèle sexué immuable de répartition des rôles.
Une personne ayant habité dans le Svalbard m'avait dit un jour que l'on pouvait voir combien de temps les gens avaient vécu au nord du cercle polaire au nombre de vêtements qu'ils enlevaient dans un café .Ceux qui gardaient leur doudoune et leur chapka y avaient passé au moins un an . Quand ils entraient quelque part , ils ne retiraient que leurs gants .
Je respirai profondément , me mis à genoux et rampai sous l'avant du scooter. Genoux fléchis , je me tortillai sur le dos dans la soupe glacée , pour placer ma tête devant la corde que j'avais fixée entre les skis. Je reniflais , sanglotais de froid et de fatigue. Mais cela ne servait à rien de pleurer ici. Personne ne m'entendrait.
Je n'avais pas demandé à venir ici, moi. Ils pouvaient garder leurs reproches pour eux. Je n'avais rien fait. Juste accepté de défendre cette espèce de tire-au-flanc de cousin. Pour aider la famille et alléger la mauvaise conscience de ma mère.
— Vous avez trouvé quelque chose ?
Il désigna de la tête le classeur contenant l'enquête de police, que j'avais posé sur le bureau.
— Cinq fautes d'orthographe et quelques exemples de syntaxe incorrecte.
Il ne trouva pas cela drôle du tout. Je sais très bien qu'on ne plaisante pas sur ces choses-là avec la police. A fortiori quand on est suédois, en Norvège, on n'a pas intérêt à trop la ramener.
Passer d'une langue à une autre, c'était une chose, mais pouvait on aussi modifier du même coup ses règles de conduite et sa personnalité ? Complètement bouleverser les fondements de la morale et de la conception de la justice ?
J'ai consulté un tas de vielles affaires. J'ai bien eu dans l'idée de porter plainte. Mais ensuite j'ai compris comment ça fonctionnait.
On retrouve bien parfois des alpinistes morts de froid, accrochés au bord d'un rocher, avec un sourire bienheureux sur les lèvres.
Mais moi je n'avais aucune hallucination et ne me sentais ni heureuse ni détendue. En revanche mes pieds étaient engourdis par le froid et j'avais perdu toute sensation au niveau des orteils. Ma seule issue etait de quitter la voiture et d'essayer de bouger sur la route.
La serrure était gelée...
Ce qui m’avait effrayée, cette nuit-là, lorsque j’étais assise dans la voiture glacée, c’était la manière dont j’avais vécu cette mise à mort. Mes actes avaient été dictés par un schéma remarquable, conservé quelque part dans on corps. Gestes, instinct et adrénaline s’étaient conjugués pour agir ensemble sans que je les contrôle. Je n’avais jamais rien vécu de semblable.
Le plus terrifiant, pourtant, ce qui me bouleversait le plus, était que cela n’avait nullement été une expérience désagréable. Au contraire. J’avais éprouvé un sentiment de satisfaction à tourner le couteau. Sentir les cartilages et les vertèbres se briser me confirmait que j’avais agi comme il fallait. Que j’avais trouvé le bon endroit sur la colonne vertébrale de l’animal.
Le temps était toujours gris et le froid cru. Il y avait un taxi devant le café. Je sautai dedans et lui demandai de me conduire chez mes grands - parents.
Quelque part, on est modelé par les espoirs et les attentes des autres. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille toujours y répondre.
Sans savoir si c'était permis, je fis une copie du rapport de police avec les fautes d'orthographe. Kristiansen étant sorti pour charger les caisses en plastique remplies de morceaux de renne dans la voiture, il n'y avait personne à qui demander.
Quand j'entrai dans le garage, le vieil homme à la combinaison de scooter des neiges avait disparu, mais les peaux de renne étaient toujours là. Je pus profiter de la voiture de police pour regagner l'hôtel. Nous fîmes d'abord un détour par une maison dans un quartier résidentiel près de la rivière. J'attendis dans la voiture pendant que Kristiansen déposait les caisses contenant le renne découpé. Le vent soufflait toujours, un chien noir était enseveli sous une congère. Un moment, je crus qu'il était mort, mais quand Kristiansen sortit de la maison le chien se leva, s'ébroua et poussa quelques aboiements symboliques avant de se pelotonner à nouveau dans la neige.
Du côté norvégien de la frontière, la neige n'avait pas encore été déblayée et je dus attendre quelques heures dans le poste de douane de Kivilompolo que le chasse-neige arrive, sa lame d'acier soulevant une gerbe d'étincelles jaunes. Le chauffeur renonça à son café du matin, fit directement demi-tour à la frontière et repartit vers Kautokeino sans faire de pause.
Le plus terrifiant, pourtant, ce qui me bouleversait le plus, était que cela n'avait nullement été une expérience désagréable. Au contraire. J'avais éprouvé un sentiment de satisfaction à tourner le couteau. Sentir les cartilages et les vertèbres se briser me confirmait que j'avais agi comme il fallait. Que j'avais trouvé le bon endroit sur la colonne vertébrale de l'animal.
Ce qui m'avait effrayée, cette nuit-là, lorsque j'étais assise dans la voiture glacée, c'était la manière dont j'avais vécu cette mise à mort. Mes actes avaient été dictés par un schéma remarquable, conservé quelque part dans mon corps. Gestes, instinct et adrénaline s'étaient conjugués pour agir ensemble sans que je les contrôle. Je n'avais jamais rien vécu de semblable.
— Ici Anna Magnusson, substitut du procureur au parquet de Södertörn. Je voudrais signaler que j'ai percuté un renne sur la route de Pajala. Au sud de Korpilombolo, à une trentaine de kilomètres environ.
— Il est mort ?
— Je l'ai achevé.
— Votre véhicule est endommagé ?
Il n'avait pas demandé si moi j'avais été blessée. Il pensait à la voiture. J'ouvris la portière et crachai du sang sur la route.
— Rien de bien grave.
— Vous allez à Pajala ?
— Je continue du côté finlandais. Il faut que je sois à Kautokeino demain.
— Pouvez-vous prélever les oreilles ?
— Mais il y a quelqu'un au poste de Pajala, à cette heure-ci ?
— Vous coupez juste les oreilles, vous les mettez dans un sac plastique et, quand vous serez à Pajala, vous les suspendrez à la poignée de la porte de la station-service, O.K. ?
Cela se passa très vite. Étonnamment vite.
Seulement une brève lueur. Un éclat de lumière, qui brilla une fraction de seconde sur l'obscurité et la blancheur de la neige. J'eus à peine le temps de l'apercevoir. Juste une silhouette sombre sur le talus blanc formé par le chasse-neige.
Puis tout se déroula beaucoup plus vite que l'on peut se l'imaginer.
L'aile avant heurta violemment le corps gris du renne qui fut projeté sur le capot et percuta le pare-brise. Les sabots et les pattes avant frappèrent le toit de la voiture, puis l'animal roula sur le capot et glissa lentement devant le véhicule.
Quand je pus enfin m'arrêter, il avait disparu. Il ne restait qu'une tache de sang sur le pare-brise et une épaisse touffe de poils gris coincée sous l'essuie-glace. Quelques bosses et éraflures sur le capot, mais je ne voyais de renne nulle part.