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Citations de Leonardo Padura (890)


C'était le mercredi des Cendres et, avec la ponctualité de l'éternel, un vent aride et suffocant, comme envoyé directement du désert pour remémorer le sacrifice nécessaire du Messie, s'engouffra dans le quartier, soulevant les détritus et les angoisses.
Le sable des carrières et les vieilles haines se mêlèrent aux rancœurs, aux peurs et aux déchets débordant des poubelles, les dernières feuilles mortes de l'hiver s'envolèrent avec les émanations fétides de la tannerie et les oiseaux du printemps disparurent, comme s'ils avaient pressenti un tremblement de terre. L'après-midi se flétrit sous des nuées de poussière et respirer devint un exercice conscient et douloureux.
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Le Conde consulta sa montre : bientôt quatre heures, Karina ne l’appellerait jamais avant six heures. Est-ce qu’elle va m’appeler ? douta-t-il, et il avança contre le vent sans même jeter n coup d’œil à l’affiche du cinéma qui rouvrait ses portes après des réparations qui avaient duré dix ans.
Bien que son corps réclamât l’horizontalité du lit, les révolutions où tournoyaient ses pensées auraient rendu impossible l’inconscience du sommeil pour tromper l’attente. De toute façon une promenade en solitaire dans le quartier était un plaisir que le Conde s’octroyait régulièrement : dans cette géographie circonscrite étaient nés ses grands-parents, son père, ses oncles et lui-même, et déambuler sur cette Calzada qui avait tapissé le vieux chemin, par où transitaient vers la ville les meilleurs fruits des vergers du Sud, était un pèlerinage vers lui-même jusqu’aux limites qui appartenaient déjà à la mémoire de ses aînés.
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C'est alors que cette dame, élevée depuis le berceau dans le luxe et le confort, éduquée chez les soeurs, experte dans l'art de monter les chevaux arabes, et mariée à un patron étranger par nature aux sentiments des hommes qui travaillaient à sa richesse, se défit de ses bijoux et de ses vêtements chics et descendit dans les endroits les moins reluisants de la ville.Elle palpa de ses mains une autre géographie, un autre monde (...)
Là, tout en goûtant d'autres alcools moins sophistiqués et plus efficaces, elle découvrit une humanité glauque, remplie de frustration et de haine, qui parlait, avec un langage nouveau pour elle, de choses aussi terribles que la nécessité d'en finir avec toutes les religions, ou de renverser l'ordre bourgeois et exploiteur, ennemi de la dignité de l'homme, ce monde dont elle-même provenait.
La fureur anarchiste, dont elle avait à peine eu idée jusque là, fut pour elle comme un choc qui ébranla chaque cellule de son corps.


( Livre de poche, 2021, p.59)
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La haine est une des maladies les plus difficiles à guérir, et Caridad était devenue encore plus dépendante de la vengeance que de l'héroïne.

( Livre de poche, 2021, p.62)
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Lev Davidovitch se rappela avoir autrefois écrit que l'Histoire avait vaincu Tolstoï sans pour autant le briser.Jusqu'à son dernier jour, ce génie avait su conserver un don précieux : l'indignation morale.

( Livre de poche, 2021, p.71)
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Ramón, qui avait été si longtemps immergé dans les bruits de la guerre, paraissait avoir perdu la capacité d'écouter le silence, et dans son esprit, déjà perturbé par la perspective d'un retour, flottait à présent le souvenir de la Barcelone effervescente d'où il était parti quelques mois plus tôt et l'image tentatrice de la jeune femme qui avait donné un sens profond à sa vie.

( Éditions Métailié pour la traduction française, 2011 / réédition livre de Poche, 2021,p.53 )
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Et il fut obligé de répondre que la haine était une maladie imparable, tandis qu'il caressait la tête de sa chienne et contemplait pour la dernière fois- il le pressentait dans son for intérieur- la ville où trente ans auparavant il avait épousé pour toujours la Révolution.

( Éditions Métailié pour la traduction française, 2011 / réédition livre de Poche, 2021, p.46)
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Quand il sortit de la salle de bain, dégoulinant d'eau et la serviette sur les épaules comme un boxeur vaincu, le Conde décida de terminer de sécher son corps contre la rafale statique du ventilateur. II s'écroula sur le lit chaud et prit un moment du plaisir à ce privilège minimum de la solitude, sentant comment l'air massait ses testicules pendants et fouillait son anus, avec une particulière véhémence. Il serra un peu les jambes. Alors, pour aider le courant d'air, et aussi par simple manie onaniste, il se mit à relever son pénis mouillé, laissant glisser ses doigts, de manière chirurgicale, jusqu'à la tête découverte, pour le relâcher ensuite, dans une chute libre qui petit à petit se transforma en érection qui transmit à ses doigts la dure tiédeur. Il hésita un instant s'il devait ou non se masturber : puis il décida qu'il n'y avait pas de raison de ne pas essayer. Aucune femme possible n'attendait précisément cette éjaculation jetable, et tandis qu'il se caressait, même la chaleur ambiante semblait céder du terrain.
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Dimanche soir. Encore plus de fête et de musique. La Havane s’amuse. Encore une tournée, on a faim ! Obama arrive, messieurs-dames ! a crié quelqu’un. Et avec Obama, un paquet de yankees avec des dollars, la monnaie de l’ennemi qui plaît tellement aux gens, qui résout tellement de problèmes. On va ouvrir des commerces, on va renverser le monde, ils vont peut-être lever le blocus et hop, on va sortir du sous-développement et même du tiers-monde. La Havane est folle, La Havane rêve.
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- Évidemment que je vois, je ne l’ai jamais oublié : tu auras tout et tu n’auras rien. Est-il possible que ce soit dans ma main depuis ce moment-là, que ce soit mon destin, comme tu dis?
- Je ne sais pas, parce que pour moi elle s’est trompée : elle m’a dit que j’allais voyager très loin et que je mourrais jeune. Elle a confondu avec Carlos le Flaco… Peut-être que non, remarque. A moins que ce soit nous qui ayons confondu… Tamara, tu serais capable de tuer ton mari?
Elle boit une longue gorgée et se lève.
- Pourquoi faut-il que nous soyons si terriblement compliqués, monsieur le policier triste? lui demande-t-elle en se postant devant lui. Il n’y a pas de femme qui n’ait eu envie de tuer son mari, et ça, tu devrais le savoir, toi. Mais en fin de compte, presque aucune ne passe à l’acte. Et moi encore moins, je suis trop lâche, Mario, affirme-t-elle en avançant d’un pas.
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[J'ai peur] De me sentir plus vide encore. De finir guindée à tant parler chiffons, de ne pas vivre ma vie, de croire que j’ai tout parce que je me suis habituée à tout avoir et qu’il y a des choses sans lesquelles je crois que je ne peux plus vivre. J’ai peur de tout, mon vieux, et je ne me comprends pas bien moi-même.
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- ça fait combien de temps qu’il t’est pas arrivé quelque chose qui te foute la honte, Flaco, je veux dire vraiment honte?
- Dis-donc, toi - le Flaco sourit en contemplant son verre en transparence-, alors comme ça c’est moi que tu traites de pochetron, hein? Et les mecs qui se mettent à poser des questions comme ça, c’est quoi ? Des cosmonautes peut-être?
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Le Flaco ressentait à l’égard de la mort le respect de ceux qui savent qu’ils vont bientôt mourir, et ils décidèrent de noyer dans le rhum leurs mauvais souvenirs, leurs pensées malheureuses et leurs idées funestes. Mais ces sacrées salopes savent nager, pensa le Conde.
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J'ai pu voir le membre de Yarini, mû par le mouvement, se balancer comme le battant d'une cloche. Je n'en sais pas plus qu'un autre sur les proportions des attributs virils, je connais juste le mien et ceux que j'ai pu observer sur quelques cadavres, mais celui qui pendait entre les jambes de cet homme avait des dimensions et une épaisseur hors du commun. Une bite de ce calibre pouvait expliquer bien des choses.
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Ce pays, qui se nourrit tellement d’oubli, a besoin d’un registre de mémoires. Dont la mienne, la mémoire des années où j’ai vécu au cœur d’un ouragan tropical qui est arrivé, a ravagé, s’est éloigné, en laissant derrière de nombreuses dévastations, comme celle de ma conscience et de mon âme immortelle.
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QUE C’EST TARTE ! NUL !

Les cheveux très noirs, raides, bougeaient au rythme que leur imposait un corps souple, révélé plus que dissimulé par un top à bretelles moulant et un bermuda en lycra qui semblait peint sur elle jusqu’à mi-cuisses. On ne pouvait rien demander de plus à ce corps : la peau bronzée couvrait deux petits seins dressés dont les mamelons pointaient sous le tissu tendu du T-shirt ; elle descendait ensuite sur un abdomen plat, lisse, dur, pour parcourir les hanches généreuses d’où se détachait la masse compacte du triangle magique capable de transmuer la matière, la véritable pierre philosophale que les alchimistes étourdis n’eurent pas l’idée d’aller chercher là ; pour couronner le tout, la couleur et la texture magnétique de la peau s’élançaient le long des cuisses, lisses sans être trop musclées, et glissaient le long des jambes pour façonner les chevilles bien tournées et les pieds délicatement proportionnés, capables de soutenir avec orgueil cette magnifique réalisation de la nature et de la génétique.

Mais ses yeux étaient un authentique chef-d’œuvre. Tout est dans les yeux, avait un jour entendu dire Conde, ou l’avait-il lu ? Et les yeux de Karla Choy, Chinoise cubaine, en étaient la preuve éclatante : noirs, profonds, en amande, brillants, intelligents, peut-être même rusés. Sans aucun doute, assassins. Des yeux comme on en chante dans les boléros.



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CONSTAT CUBAIN

De bien des façons, ils se voyaient tous les trois comme de parfaits exemplaires de leur génération car, au lieu de choisir l’exil comme tant d’autres.

Ils avaient décidé de rester cramponnés à leurs origines : ils étaient de la fournée qui avait cru et lutté mais qui n’avait guère été récompensée pour le sacrifice auquel on les avait systématiquement conviés et parfois même contraints.

Ils étaient de ceux qui n’avaient eu ni la force, ni les possibilités, ni le désir de partir, tandis que bien des piliers s’écroulaient autour d’eux.

Ils vivaient maintenant comme ils pouvaient, en se plaignant ou non, selon l’humeur du moment, mais toujours au bord de la pénurie économique et en lorgnant à l’horizon un avenir de plus en plus étriqué et incertain, ou en réalité plus certain, dans lequel il leur serait désormais impossible de se recycler.




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Grâce à lui, plusieurs éléments devenaient clairs pour le Conde : le transformisme était quelque chose de plus essentiel et de plus biologique que la simple pédérastie ou l'exhibitionnisme consistant à sortir dans la rue habillé en femme, comme il l'avait toujours cru, à l'abri de son machisme élémentaire et viscéral. Il n'avait jamais été tout à fait convaincu par l'attitude de base du travesti qui change son physique pour mieux draguer. Draguer qui ? Les hommes-hommes, les vrais, hétérosexuels, avec des poils sur la poitrine et puant des aisselles, n'allaient jamais avoir une liaison consciente avec un travesti : ils coucheraient avec une femelle, et pas avec cette version limitée de la femme, dont l'orifice le plus appétissant était définitivement clos par la capricieuse loterie de la nature. Un homosexuel actif, caché derrière une apparence impénétrable d'homme « homme » vulgairement : un enculeur ; littérairement : un bougre - n'avait pas besoin de cette exagération pour sentir se réveiller en lui ses instincts sodomites et pénétrer per angostam viam.
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- Allons-y, a-t-il dit. Il nous a pris par le bras (moi à gauche, et l'Autre Garçon à droite), et nous avons pénétré dans l'éclair bleu.. La lumière jaillissait du plancher et dessinait des volutes de fumée trop sucrée même pour des cigarettes blondes, qui mêlait ses effluves hypnotiques aux vapeurs de transpirations acidulées et à l'entêtant parfum d'essences arabes, de celles que l'on vendait en gros dans les faux marchés persans de Paris. Nos oreilles, entre-temps, recevaient le rythme sauvage qu'imposait la voix de Miriam Makeeba (l'invasion du tiers monde), amplifiée depuis une cabine encastrée dans le mur. J'ai eu une étrange sensation de peur en me retrouvant dans le tourbillon de cette agression de tous les sens, mais le Recio et l'Autre Garçon semblaient être entrés dans un lieu connu, dans lequel ils se déplaçaient avec naturel. J'ai commencé alors à voir de fausses valkyries remplissant leur ancestrale fonction de verser de la bière. Elles semblaient flotter dans le bleu, comme des chrysalides phosphorescentes à peine nées, parées d'organdis amidonnés et de jupes droites plissées qu'elles exhibaient comme le triomphe d'une mode rétro. Chaque valkyrie portait d'une main un plateau avec des verres et de l'autre des fleurs jaunes (étaient-elles jaunes ?). Je regardais ces mains trop grandes même pour une valkyrie, même originale et scandinave, lorsque l'une d'elles m'a frôlé du bord coupant de sa jupe et j'ai eu la sensation d'avoir été touché par un insecte préhistorique.
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- Alexis parlait du suicide ?
Le Marquès se releva et montra la bibliothèque du doigt.
- Regardez : Mishima, Zweig, Hemingway, mon pauvre ami Calvert Casey, Pavese... il éprouvait une certaine fascination, tout à fait morbide, pour le suicide et les suicidaires. Il passait son temps à dire que tout dans sa vie avait été une erreur : son sexe, son intelligence, sa famille, son époque, et il disait que si l'on était conscient de ses erreurs, le suicide pouvait être une solution : peut-être de cette manière obtiendrait-il une seconde chance.
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