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Une enquête de Mario Conde tome 10 sur 10

René Solis (Traducteur)
EAN : 9791022612944
450 pages
Editions Métailié (01/09/2023)
3.94/5   133 notes
Résumé :

2016. La Havane reçoit Barack Obama, les Rolling Stones et un défilé Chanel. L’effervescence dans l’île est à son comble. Les touristes arrivent en masse. Mario Conde, ancien flic devenu bouquiniste, toujours sceptique et ironique, pense que, comme tous les ouragans tropicaux qui traversent l’île, celui-ci aussi va s’en aller sans que rien n’ait changé.
La police débordée fait appel à lui pour mener une enquête sur le meurtre d’un haut fonctionnaire d... >Voir plus
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La Havane 2016. Un apparatchik est retrouvé mort dans son bel appartement de la Havane avec vue sur le Malecon, atrocement mutilé. Un pur salopard, «  incarnation du Mal pour les milieux artistiques » dans les années 1970, censeur intransigeant à la tête du processus de persécution des artistes cubains ne rentrant pas dans le rang, organisant la purge des hérétiques avec un tempérament de féroce inquisiteur, détruisant des vies en toute impunité. Les forces de l'ordre sont débordées, la capitale s'apprête à accueillir Barack Obama, un défilé Chanel et les Rolling Stones. Elles font appel à l'inspecteur retraité Mario Condé. C'est sa dixième enquête, la première pour moi et je suis conquise.

L'enquête s'enlise, se mord la queue, Condé suivant patiemment ses prémonitions, attendant stoïquement que le fil à tirer finisse par survenir. En soi, elle est suffisamment dense et complexe pour se suffire à elle-même, mais Leonardo Padura est joueur et rajoute un deuxième arc narratif qui semble complètement hors sol par rapport avec le premier : des extraits du polar historique écrit par Condé lui-même, mettant en scène la guerre des proxénètes qui a sévi à La Havane en 1910, Français vs Cubain, avec en leur coeur des prostituées assassinées et le charismatique proxénète aux aspirations politiques, Alberto Yarini.

Pendant un petit moment, j'ai eu du mal à jongler avec les deux enquêtes, trouvant le procédé artificiel et plutôt pesant, lisant avec moins d'attention la trame 1910, bien plus intéressée par la trame 2016, sa verve, ses dialogues plein d'humour, son festin de personnages truculents tous remarquablement incarnés avec les ambiguïtés qui sonnent justes.

Et puis j'ai commencé à saisir les parallèles, les connexions, le passé en miroir du présent : 2016 et 1910, deux périodes d'effervescence qui soulèvent les espérances d'ouverture, de changements, qui ravivent la possibilité de rêver à vivre dans un meilleur endroit. Et puis j'ai commencé à comprendre les intentions de Leonardo Padura pour décrire Cuba d'aujourd'hui sur le temps long, Cuba la sclérosée, pervertie par des décennies de dictature.

Condé est un hypermnésique qui n'a pas envie de tourner les pages déshonorantes de l'histoire cubaine, dans un pays à la courte mémoire historique où l'oubli est « une façon de dissimuler une partie de la charge de ce passé pour pouvoir faire face au présent et avoir même la vaine prétention d'améliorer le futur. » le passé est indélébile et les puantes remugles du passé longtemps enfouies ne peuvent que remonter à la surface.

Ouragans tropicaux est un roman lucide, désenchantée, pessimiste, mélancolique, à l'image de son enquêteur. Mais la lumière perce tout de même. L'auteur aime passionnément son île, la raconte en historien, sociologue, psychologue même. L'intrigue polar (excellemment menée) ne semble presque être qu'un prétexte pour faire le portrait de la Havane, dans toute sa pluralité. Grâce à Mario Condé, sorte de double de l'auteur, on comprend ce qui y rend la vie malgré tout supportable : la bonté, l'amour, l'amitié fidèle, l'honnêteté, toute une éthique à partager autour d'un verre en bonne compagnie.

Un excellent roman humaniste, dense et profond, qui me donne très envie de lire d'autres enquêtes de Mario Condé.
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Nous sommes en 2016 à La Havane et la capitale cubaine s'apprête à recevoir dans quelques jours Barack Obama, Les Rolling Stones et un défilé Chanel. Alors que l'effervescence dans l'île est à son comble, Mario Conde, la soixantaine bien installée, ex-enquêteur de police, reconverti dans l'achat-vente de vieux livres, est désabusé, pessimiste, très sceptique, mais lucide. Il pense que, comme après les ouragans tropicaux, quand les vagues se seront retirées, les choses vont rester les mêmes.
La police est débordée et un ancien collègue, le lieutenant-colonel Manuel Palacios appelle Conde pour demander son aide dans une affaire épineuse, lui expliquant que lui-même et quatre-vingt-dix pour cent des effectifs sont mobilisés en prévision des événements. Reynaldo Quevedo, un apparatchik, un ancien cadre de la censure, un spécialiste de la répression impitoyable et acharné, a été assassiné. Il avait été dans les sombres années 1970, l'incarnation du Mal pour les milieux artistiques du pays.
Tous les artistes dont il a brisé les carrières et spolié les oeuvres, sont des coupables potentiels.
Bien qu'appréhendant de se sentir plus proche des meurtriers que du mort, notre détective fétiche finit par se décider à mener l'enquête.
Parallèlement à cette histoire contemporaine, Mario Conde est en train d'écrire un roman relatant une autre enquête menée par l'inspecteur Arturo Saborit et narrée par celui-ci sur le meurtre sordide de deux prostituées. Celle-ci se déroule durant l'année 1910, année chargée de mauvais présages : la comète de Halley menaçant la Terre et la guerre entre deux bandes rivales de proxénètes, les Français surnommés les Apaches, et les Cubains. À la tête de ces derniers, Alberto Yarini, fils de très bonne famille et en même temps tenancier de bordel entend bien devenir président de la toute nouvelle République de Cuba.
Les deux récits sont haletants mais je dois avouer que j'ai eu un peu de mal au tout début de passer du présent au passé, mais bien vite, la comparaison entre les deux histoires s'avère passionnante. Aussi bien pour les similitudes que pour les différences.
J'ai été ravie de retrouver ce personnage de Mario Conde, toujours aussi attaché à ses amis et amoureux de sa compagne Tamara, qui bien qu'ayant perdu ses illusions, conserve néanmoins un solide appétit pour la vie.
En entrelaçant le passé et le présent, en alternant les époques, Leonardo Padura nous offre un roman exceptionnel et fascinant sur la société cubaine, un roman vibrant d'humanité.
Sur près d'un siècle, l'auteur nous fait découvrir Cuba de l'intérieur comme seul un homme ayant toujours vécu à La Havane peut le faire.
Avec ce censeur assassiné, inspiré par des figures qui ont existé, on découvre ou redécouvre avec horreur, ces sinistres années 1970 du régime castriste pendant lesquelles des écrivains et des artistes dont les oeuvres ou les orientations sexuelles étaient jugées non conformes à la ligne révolutionnaire ont eu leur vie détruite à jamais.
Leonardo Padura brosse avec mélancolie mais aussi beaucoup d'humour un portrait de cette société cubaine pour laquelle espoirs et désillusions alternent, les déceptions succédant à de courtes périodes de prospérité… Comme Mario Conde qui lui ressemble beaucoup et ceux de sa génération, il a rêvé d'une société égalitaire et fraternelle qui aurait dû naître de la révolution et est contraint de vivre dans un Cuba où la corruption et les inégalités sont toujours d'actualité.
Aujourd'hui encore de nombreux jeunes et même de moins jeunes émigrent ou aspirent à émigrer pour une vie meilleure.
Ouragans tropicaux de Leonardo Padura est un véritable roman policier, un roman noir qui m'a tenue en haleine de la première à la dernière page mais il est aussi et surtout un roman historique, politique et social fabuleux.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Mario Conde et Arturo Saborit sont les deux protagonistes du dernier Padura, deux histoires cubaines qui se déroulent à presque un siècle d'intervalle, et se croisent en mise en abyme. Cette petite île des Caraïbes qui étonnamment a fait et fait encore tant parler d'elle et de son Histoire rocambolesque tragique , est entrevue ici à travers la vie de ces deux flics , dont un ex-policier reconverti en libraire de livres d'occasion,mais qui revient sur le terrain à la suite du meurtre d'un ancien tortionnaire . Argent , sexe, drogue, magouilles et Misère en toile de fond à la Havane où « Les chemins de la littérature et de la vie sont tentés par caprice de se croiser et, quand l'une et l'autre se frottent, elles mettent à nu des essences inquiétantes, révélatrices parfois », dont Padura ici en fait son délice.
Avec grâce et élégance il nous couche sur papier du sexe cru, des meurtres sadiques, des personnages inquiétants, vils, dans une atmosphère de décadence totale de 1910 à 2016 à Cuba, un pays malade de corruption , d'oubli et d'excès . Bien que beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, étonnamment le décor et les personnages restent inchangés dans leur essence. le seul maître, hier et aujourd'hui, reste l'argent et ce que l'on peut acheter avec dans un endroit où tout est en vente, où tout ce qu'on a sous la main est bon pour réussir, où la façon dont on gagne l'argent n'est nullement essentielle. D'incroyables personnages sillonnent le livre dont celui d'Alberto Yarini, le leader des proxénètes, le personnage le plus connu, admiré, controversé et redouté de la Havane en 1910 , alors que la comète de Halley se rapprochant et l'inquiétude allant croissant, la folie en ville est à son paroxysme . Yarini, un illuminé? Un dément avec des rêves délirants de grandeur, qui lit Freud ?….mystère , en tout cas un homme très attirant , addictif et par là définitivement dangereux dont la rencontre marquera le début de la fin pour Saborit, « l'homme honnête »😊.
La même folie bat son train un siècle plus tard alors que dans quelques jours débarquera Obama et les Stones, faisant miroiter l'espoir de la fin du blocus, la fin de la misère pour ce pays dévasté par le communisme.
Le fil conducteur des deux récits sont deux meurtres deux putes pour le premier, deux déchets mâles pour le second à travers lesquels Padura autopsie son pays malade qui en un siècle n'a pas progressé d'un pouce. Un pays où tout est relatif , aucuns principes , aucunes valeurs , où le pauvre mot « honnêteté » est terriblement maltraité et les promesses devenues poussières dans le vent ( clin d'oeil à Clara de son avant-dernier livre publié en France ).
Ouragans tropicaux est un livre ouraganesque qui risque de vous engloutir à moins que vous êtes un ou une habituée de la littérature de ces contrées d'Amérique du Sud où il faut être littérairement bien equipé 😁contre dictatures, corruptions , magouilles et meurtres de plus haute envergure…..Excellent livre, un excellent Padura !


« Si tu es déprimé, tu vis dans le passé. Si tu es anxieux, tu vis dans le futur. Si tu es en paix, tu vis dans le présent. »
« …..le passé est indélébile et l'Histoire ne se termine jamais. »
« …..la justice est nécessaire mais pas forcément juste. »

Un grand grand merci aux Éditions Métailié et NetGalleyFrance pour l'envoi de ce superbe livre !
#Ouraganstropicaux #NetGalleyFrance
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Padura n'était plus un inconnu pour moi (trois livres lus) mais son héros récurrent l'était encore. Ce livre était proposé par Netgalley, j'ai saisi l'occasion de découvrir Mario Conde. Et, je pense que j'aurais pu en deviner l'auteur dès le premier chapitre. Chapitre où j'ai retrouvé tout ce que j'aime chez Padura : l'élégance et la pertinence de son écriture, son amour pour son ile, Cuba, son désenchantement que partage son héros, vis-à-vis de l'état dans lequel elle se trouve aujourd'hui, encore et toujours.

Deux histoires alternent dans ce livre, procédé un peu déroutant au premier abord, un peu frustrant aussi, car on regrette à chaque fois de ne pas en savoir plus sur celle des deux que l‘on lisait avant de plonger avec finalement beaucoup de bonheur dans l'autre. Et finalement, ces deux histoires qui finiront par se rejoindre se complètent et s'enrichissent mutuellement. Elles sont témoins chacune d'une époque particulière, où l'effervescence règne, où l'espoir d'un changement n'est pas totalement mort, mais où ainsi que le dit Conde :
« C'est comme les ouragans tropicaux : ils passent, ils font un max de dégâts et puis ils s'en vont, ils se perdent… »

Mario Conde, jadis policier, jadis vendeur de livres d'occasion, aujourd'hui en 2016 vigile dans une boite de nuit, est appelé à la rescousse par un de ses anciens collègues. L'ile est sous effervescence : visite de Obama, concert des Rolling stones, les forces de l'ordre sont débordées. Et toute aide sera la bienvenue pour enquêter sur la mort aux circonstances bien surprenantes et sordides d'un ancien apparatchik, jadis censeur de la culture et pourtant propriétaire de nombreuses toiles d'artistes jadis portés plus bas que terre et contraints d'abandonner leur art.
En parallèle, nous voici en 1910, quelques années après l'indépendance de l'ile, dans une république qui trahit bien des idéaux de ceux qui ont mené la guerre d'indépendance, où la richesse de certains s'oppose à la misère de beaucoup, où la vie de certaines n'a pas beaucoup de valeur. Et c'est sur deux morts de ces femmes qui n'ont d'autre choix que de monnayer leur corps qu'un jeune inspecteur de police Arturo Saborit va enquêter. Va enquêter et se perdre quelque peu au contact d'un homme diablement séducteur, proxénète, attiré par la politique, au charme immense, au sourire éclatant, Alberto Yarini.

Les deux enquêtes se déroulent en parallèle, donnant l'occasion à l'auteur de peindre avec beaucoup de réalisme, beaucoup de détails, deux époques à un siècle de distance, mais où de façon récurrente, quelques privilégiés se partagent le gâteau, où l'argent coule à flots pour certains tandis que la majorité peine à trouver de quoi manger, où la liberté se trouve réduite par le contrôle exercé par le pouvoir, où la corruption règne.
Elles s'enlisent parfois, sont relancées par des hasards heureux ou des prémonitions et finiront par être résolues, même si parfois le meurtrier se révèle plus sympathique que la victime. Elles sont toutes les deux fort bien construites et j'ai aimé suivre la progression des deux enquêteurs.

Mais l'intérêt principal du livre réside pour moi dans tout ce que l'auteur partage avec nous en dehors, et qui revient dans tous les livres que j'ai lus de lui, la vie quotidienne si difficile quelque soit l'époque, son amour envers son île, sa lucidité aussi vis-à-vis de celle-ci et des conditions de vie qui y règnent, l'influence de l'histoire sur le présent, l'inutilité de vouloir nier ce qui a été. Les ravages de la période communiste sont encore bien présents et les changements récents sur l'ile ne peuvent les faire disparaitre :
« Et c'est la certitude que le passé ne se termine jamais. Même avec la mort. le passé est tout ce qui a été, chaque instant que nous avons été, et il est si obstiné que c'est toujours lui qui décidera ce que nous serons. Si le passé s'effaçait, nous cesserions d'exister. »

Merci à NetGalley et aux éditions Métailié pour ce partage #Ouraganstropicaux #NetGalleyFrance

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« Ouragans tropicaux » est la dixième enquête de Mario Conde, ancien flic devenu libraire, héros désabusé apparu à la fin du siècle dernier dans le cycle « Les quatre saisons », qui nous permit de découvrir la plume singulière, poétique et désenchantée de l'auteur cubain Leonardo Padura.

À l'image de James Lee Burke, qui nous dépeint une Louisiane hantée par les fantômes des soldats confédérés au travers des aventures de son héros Dave Robicheaux, Leonardo Padura construit par touches impressionnistes le tableau tourmenté de sa terre natale, où évolue son improbable héros, Mario Conde. Chaque enquête est l'occasion de nous proposer une plongée dans les dédales obscurs, dans les sombres parfums de Cuba, île au destin tragique située à quelques encablures de la Floride.

Les derniers opus de la série se font plus amples et plus ambitieux, et abordent la question métaphysique du temps qui va, qui s'en va, d'un passé, oublié, travesti, réécrit, qui laisse pourtant une trace indélébile, qui marque le présent au fer rouge, et ne manquera pas d'influencer un futur encore incertain, cette infinité des possibles destinée à disparaître, pour laisser place à cet instant unique et fugace que l'on nomme le présent.

L'avant-dernière enquête de Mario Conde, « La transparence du temps », nous emportait dans un tourbillon historique mélancolique, à la poursuite d'une vierge noire toujours aussi insaisissable malgré la traversée des siècles. « Ouragans tropicaux » nous propose deux récits qui progressent en parallèle, le présent d'une île en effervescence en raison de la venue de Barack Obama et des Rolling Stones, et le passé qui prend forme sous la plume de Mario Conde, nous retraçant une autre période trouble de Cuba, celle de l'année 1910, où l'île qui vient à peine de regagner son indépendance, est menacée par l'approche de la comète de Halley.

2016. le toujours désargenté Mario Conde vient d'accepter de surveiller chaque soir le restaurant huppé tenu par son ami Yoyi, qui craint qu'un trafic de poudre blanche ne mette en péril sa petite entreprise, quand son ancien collègue de la police cubaine, Manolo, fait appel à ses services pour l'aider à mener une enquête sur le meurtre sauvage d'un dénommé Quevedo, ex-haut fonctionnaire de la culture, censeur sans pitié et figure iconique des heures les plus sombres de la Révolution.

1910. L'inspecteur Arturo Saborit mène une enquête sur un autre meurtre effroyable, celui d'une prostituée retrouvée découpée en morceaux. Au cours de ses investigations, le jeune policier encore intègre se lie d'amitié avec le proxénète cubain Alberto Yarini, fils de bonne famille qui jouit d'une immense popularité et nourrit de hautes ambitions politiques. Tandis que la rivalité entre proxénètes français et cubains ne cesse de s'exacerber, Saborit ne se doute pas encore que sa ténacité et son ingéniosité, seront aussi sa malédiction, et le plongeront au coeur des ténèbres.

---

À travers son double récit, l'auteur s'attarde sur deux périodes incertaines de Cuba. La première suit l'indépendance acquise en 1902, malgré la menace toujours présente d'une ingérence américaine et évoque les années folles du continent européen. Un ouragan de liberté et de folie s'abat sur la Havane, dès lors que nombre de ses habitants sont convaincus de leur fin imminente causée par la collision entre la comète de Halley et la Terre. Une période hors du temps, où l'avenir n'est pas certain d'advenir, dans lequel se débat le jeune inspecteur Saborit, qui va tomber sous le charme magnétique de Yarini, le tenancier de bordel au sourire le plus éclatant de la Havane, qui prononce des discours exaltés sur le sursaut nécessaire d'une île gangrénée par la corruption.

La seconde période située en 2016, coïncide avec le dégel amorcé depuis plusieurs années, dont témoigne la venue longtemps inimaginable de Barack Obama et des Rolling Stones. Une venue qui porte en elle un vent d'espoir, que Conde, grand désabusé devant l'éternel, regarde avec méfiance. Il hésite d'ailleurs à assister au fameux concert, lui qui écoutait sous le manteau les Beatles, conscient que le présent n'arrive qu'une seule fois, et que la venue de quatre vieux rockeurs ne changera pas le passé trouble d'une île dirigée par les bâtisseurs d'un avenir radieux.

Notre héros, qui évoque un double de l'auteur, ne connaît que trop bien les ravages commis par les hauts fonctionnaires de la Révolution, ces hommes d'une hypocrisie abyssale, qui ont ruiné la vie de certains de ses amis, peintres ou poètes, au nom de la pureté du réalisme socialiste. Ces hommes qui ont mis les artistes des années soixante-dix devant un impossible dilemme : abandonner leur art jugé dissident, ou continuer une production artistique conforme à la doxa du régime. Ces Robespierre au petit pied qui ont tué la vocation et le feu intérieur de tant d'hommes et de femmes condamnés à la mort sociale, ou à la soumission à la doctrine marxiste-léniniste.

Cette attaque frontale et documentée du régime « révolutionnaire » sous lequel vécut Cuba confère à cette dixième enquête de Mario Conde une profondeur insoupçonnée. le Mal commis par les apparatchiks du régime convoque les destins brisés des hommes emportés par les vents mauvais de l'Histoire que décrit si finement l'oeuvre d'Andreï Makine. Il nous rappelle surtout que la Révolution fut, sans l'ombre d'un doute, le véritable ouragan tropical qui emporta l'île cubaine dans le monde glacé et impitoyable des constructeurs d'un homme nouveau.

En revenant sur l'insoutenable dilemme d'hommes et de femmes écartelés entre leur vocation artistique et l'impossibilité ontologique d'un art d'État, soumis à la doxa communiste, « Ouragans tropicaux » évoque « La pensée captive » de l'écrivain polonais Czeslaw Milosz. Un essai qui revient lui aussi sur le déchirement qui habitait Milosz et ses proches, tiraillés entre leur amour pour leur mère patrie et la main de fer de Moscou, qui comme celle De Quevedo, leur intimait de courber l'échine, d'abandonner toute créativité, pour mettre leur talent d'écrivain au service du Régime. Ce que démontre Milosz, le roman nous le dépeint sans fard, à travers le funeste destin de la poétesse Natalia Poblet, l'une des victimes de l'ignoble Quevedo.

« Toi, cela t'est arrivé à Moscou,
Et moi, cela m'arrive à la Havane,
Et, comme toi, je quitterai bientôt ce lieu pour toujours
Et je me jetterai paisible dans ce port désiré,
Sans laisser en héritage ne fût-ce que mon ombre. »

---

Si Mario Conde a dépassé la soixantaine, il reste ce héros à la fois désabusé et généreux auquel nous nous sommes attachés depuis plus de vingt ans. En insérant un roman dans son roman, Leonardo Padura réussit la prouesse de nous emporter dans les années folles des années 1910, tout en portant un regard sans concessions sur le passé trouble de la Révolution Culturelle et les espoirs qui traversent ses contemporains. Mêlant une fresque historique ambitieuse et deux intrigues policières soignées, « Ouragans tropicaux » nous rappelle que « le passé est indélébile et (que) l'Histoire ne se termine jamais ».

---

« Please allow me to introduce myself
I'm a man of wealth and taste
I've been around for a long, long years
Stole million man's soul an faith
And I was 'round when Jesus Christ
Had his moment of doubt and pain

Made damn sure that Pilate
Washed his hands and sealed his fate
Pleased to meet you
Hope you guess my name
But what's puzzling you
Is the nature of my game »

Sympathy for the Devil - The Rolling Stones

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critiques presse (6)
RevueTransfuge
21 décembre 2023
La matière est, comme à plaisir, dense, hétérogène, enchevêtrée. Prenez votre respiration et jugez-en : deux meurtres rehaussés par la circonstance additionnelle de castrations, dont celui d’un ex-censeur du régime cubain...
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
Culturebox
20 décembre 2023
Deux romans en un, pour un exercice jubilatoire et réussi. Leonardo Padura est un pessimiste multirécidiviste, ou un réaliste doté d’une lucidité mélancolique.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeFigaro
20 octobre 2023
L’écrivain cubain nous offre un de ses meilleurs romans sur les méandres du pouvoir et les bas-fonds de l’île communiste.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaTribuneDeGeneve
17 octobre 2023
Dans «Ouragans tropicaux», l'écrivain Leonardo Padura réactive son enquêteur fétiche, Mario Conde.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Culturebox
15 septembre 2023
Deux romans en un, pour un exercice jubilatoire et réussi.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Culturebox
11 septembre 2023
Un livre ambitieux, plein d’humour et jubilatoire. Dans "Ouragans tropicaux", [Leonardo Padura] développe deux récits haletants, qui se passent dans deux périodes différentes. Chef-d’œuvre.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
Quand le pouvoir est cruel, les mesquineries humaines sont à la fête.
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Comme une bonne partie de la moyenne bourgeoisie commerciale, depuis la fin de la guerre, Valladares était parvenu à multiplier son capital. Le jeune homme l’avait fait en spéculant sur la monnaie espagnole et, ensuite, en détournant des biens de l’État grâce à ses relations et à son poste au gouvernement. Il avait été l’un de ces officiers sans scrupules de l’Armée libératrice cubaine de plus, qui, profitant d’une position privilégiée, s’étaient mis dans les poches une bonne partie du crédit accordé par les États-Unis pour le paiement d’indemnités aux vétérans des combats indépendantistes. Mingo Valladares était la preuve vivante que le fait d’avoir été courageux durant la guerre (même si, en fait, ce n’était pas son cas) et d’avoir pour cela été élevé au rang de héros ne garantissait pas que tu étais une bonne personne encore moins un homme honorable, et que tu ne te consacrerais pas ensuite à saigner comme une insatiable sangsue le pays pour lequel tu as un jour combattu. Et le pire était que tout cela était vox populi, car même les chiens errants en ville connaissaient peu ou prou les qualités du personnage. Et ils votaient quand même pour lui ? Quel désastre.
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Rien ne pouvait être dû au hasard. Les chemins de la littérature et de la vie sont tentés par caprice de se croiser et, quand l’une et l’autre se frottent, elles mettent à nu des essences inquiétantes, révélatrices parfois. Immobile en face du vieux porche de l’hôtel Inglaterra, il se demanda combien de ceux qui passaient par ce qui avait été le fameux Trottoir du Louvre, qui avait tout perdu, même son nom, combien de ceux qui rôdaient dans les halls restaurés de l’hôtel Inglaterra et de son voisin le Telégrafo, combien parmi les passants étourdis, ignorants ou égarés pouvaient avoir la moindre idée de ce qui avait existé là. Juste à cet endroit se trouvait le café Cosmopolita, le plus célèbre et le plus distingué de la ville élégante de la Belle Époque, le lieu où tant de rencontres mémorables s’étaient déroulées, où tant de vies avaient défini ou modifié leurs cours. Rares devaient être les gens susceptibles de s’intéresser à une information sans effet sur leurs existences, surtout qui ne pouvait pas l’améliorer à une époque épuisante où les gens avaient besoin de soulagements présents plus que de mémoires passées, éteintes, la mémoire d’une ville qui avait rêvé d’être la Nice des Amériques et commençait à ressembler à Beyrouth bombardée.
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Bon, cet après-midi-là, quand il m’a convoqué dans son bureau, c’est la seule fois, jusqu’à il y a pas longtemps, où je me suis retrouvé en face de Quevedo. Et ça m’a suffi. Je me suis rendu compte que cet homme était par-dessus tout un sadique, un malade. Quelqu’un qui jouissait de martyriser ceux qu’il pouvait martyriser, et nous avons été nombreux, les martyrs de sa croisade. Il canalisait sa médiocrité, sa haine et je crois même ses pulsions refoulées en écrasant les gens autour de lui, parce que, comme tu le sais, exercer le pouvoir sur les autres, c’est comme une décharge d’adrénaline ou un rail de coke : cela t’élève, te libère, te donne la satisfaction de te sentir supérieur.
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Ce qui est vrai, c’est que l’un des exercices les plus complexes et les plus foisonnants d’étranges interrogations se révèle être la tentative de déterminer comment se construit la vie d’un homme. Essayer de comprendre pour quels motifs ou par quelles décisions quelqu’un finit par être ce qu’il est sans jamais avoir pensé qu’il arriverait à être ce qu’il finirait par être, quelles ont été les causes, les découvertes, les rencontres, quels ont été les hasards, les tours imprévus qui ont canalisé ou dévié une existence, toutes ces questions pouvant éventuellement révéler l’imprévisible que constitue le fait de vivre, et même la façon de mourir d’une personne.
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