Li Ang :
Tuer son mariToujours en Chine, dans la ville de Tongli, Province de Jlangsu ,
Olivier BARROT nous présente le livre de
Li ANG , romancière de Taïwan , "
Tuer son mari" . Il nous en raconte l'histoire et nous lit quelques lignes de ce
roman .
A partir de ce moment, il commença effectivement à tout mettre sous clé, dans le buffet, y compris le riz et les patates. Chaque fois qu'il mangeait à la maison, il donnait à Lin Shi la quantité nécessaire pour qu'elle prépare son repas, et non seulement il ne la laissait pas goûter une seule bouchée, mais il exigeait d'elle qu'elle le serve et qu'elle le regarde se régaler.
Elle les aimait par morceau : une paire d'yeux, un sourire, une haute silhouette, une paire de mains fines, un regard, une phrase, un mouvement, l'enivraient d'infini, de passion, l'espace d'un instant. Elle ne voulait en aucun cas d'un homme entier. Elle ne pouvait les aimer qu'ainsi démembrés, partie par partie. Car elle savait, elle avait toujours su qu'une fois recomposés, il n'en existerait pas un seul qu'elle serait capable d'aimer...
Jadis, la connaissance de "la chose" n'était transmise aux jeunes filles qu'à la veille de leurs noces, soit par leur mère, soit par une parente plus âgée, généralement une vieille surnommée la "bien bénie". Avant leur mariage, les jeunes filles n'avaient pas le moyen d'en apprendre davantage sur le sexe. L'enseignement était extrêmement rudimentaire : se coucher, fermer les yeux, laisser l'homme besogner, endurer la douleur...
Par une froide nuit de nouvelle lune, sous un ciel presque sans étoiles, un vieux marchand passa près de la mangrove avec sur l’épaule sa palanche pleine de "zongzi" à la viande bien chauds pour se rendre au marché. Bien que traversant la sombre forêt, c’était un raccourci que l’on empruntait parfois pour se rendre en ville.
Soudain une voix féminine l’interpella timidement : « Je voudrais acheter des "zongzi". »
Sans hésiter, le vieil homme posa sa palanche. De la forêt sortit une femme tout de blanc vêtue, dont la longue robe flottait au vent. Elle tourna − ou baissa − la tête, il ne la voyait pas bien, distinguant confusément son visage blême.
Il lui remit un "zongzi" et prit l’argent qu’elle lui tendait. Apeuré, il reprit sa palanche sur l’épaule et s’éloigna en hâte.
Lorsqu’il arriva dans un lieu un peu plus éclairé, il ne trouva dans sa main que quelques billets d’argent funéraire que l’on brûle pour les morts.
– Li Ang, "La dame de la mangrove" (Jentayu 3, "Dieux et Démons")
La benjamine n'avait jamais oublié ce conte paternel de l'écrivain japonais et de son bol de riz, comme on retient les histoires des "Mille et Une nuits", des "Mines du Roi Salomon" ou de la "Petite Fille aux allumettes". Plus tard, quand elle se lança dans l'écriture et qu'elle mit en récit son père, sa famille, le voisinage et toute sa ville natale de Lucheng, quand enfin on se mis à l'appeler elle aussi "écrivain", cette histoire du Japonais et de son bol de riz prit une portée toute particulière.
"C'est juste une histoire ou c'est pour de vrai ? demanda la petite."
Puisque nous devons fatalement être délaissées, nous le savons, la fille, la chanson et moi-même, qu'il ne nous reste qu'à devancer le destin en anticipant la rupture.
Elle souffrait que leur pays ait oublié jusqu'à son estime pour cet homme dont le corps avait été ravagé pour ses idéaux, qu'il ne reçoive plus d'égards qu'ici, au sein de cette foule cosmopolite en costumes deux-pièces ou en habit traditionnel.
Elle savait depuis longtemps que les trente années de prison purgées par Nelson Mandela et par le dissident taïwanais n'avaient pas le même poids aux yeux de la communauté internationale.
Les années, pour les femmes comme pour les arômes, ne possèdent-elles pas toutes une ultile beauté fugitive ? Tel un vieux champagne métamorphosé en vin blanc de premier ordre. Chen-hui ne pouvait-elle pas triompher du terrifiant passage graduel des années et bénéficier d'un deuxième souffle ?
Pour parler comme ce devin venu du continet, "ces deux-là existaient pour rembourser la dette d'un amour malheureux". L'amour de Wu Hsiong pour sa belle servait aux vivants à s'axquitter envers leurs ancêtres.