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Critiques de Lídia Jorge (115)
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Misericordia

La vieillesse , une décrépitude sans fin, rarement heureuse vu l'état physique qui décline, est abordée dans ce très beau livre de l'écrivaine portugaise Lydia Jorge, par Maria Alberta une vieille dame chanceuse qui pu garder ses facultés mentales intactes. Favorisée par un tempérament qui veux trop, donne trop d'ordres, surtout à sa fille 😊, aime trop quelque chose hors de sa portée et quand il ne l'atteint pas, cherche désespérément à transformer ce qui existe de façon à rapprocher l'objet défectueux de la réalité inatteignable, Maria Alberta valorise l'enchantement , la connaissance, saisit les instants de bonheur comme des bouées de sauvetage…

Résultat , un livre qui brille de l'éclat de la vie, au contraire de nombre de livres très sombres sur le sujet, bilans de vie qui additionnent les faits d'une existence pour en tirer un trait, et mettre fin à l'addition . Maria Alberta qui vit dans une maison de retraite appelé Hôtel Paradis est directement inspirée de la figure réelle et concrète de la mère de l'écrivaine, qui lui demande d'écrire un livre intitulé Misericórdia, en en parlant tout au long de son séjour à l'Hotel Paradis, mais surtout le dernier jour comme un ordre où elles se verront pour la dernière fois sans qu'aucune des deux ne le sache . La fille au premier abord ne prend pas cette demande de la mère au sérieux jusqu'à ce que cette dernière finalement disparaissant , elle réalise que l'ordre était son testament. À partir de ce moment-là, partant d'un monde fictif elle essayera de raconter la réalité que vivait sa mère, s'appuyant sur la « transcription d'une archive audio » de presque quarante heures de « témoignages » de Maria Alberta Nunes Amado, enregistrés pendant un an quasiment jour pour jour entre avril 2018 et avril 2019 . Jorge précise « Bien entendu, il s'agit là d'une autre réalité, comme cela se produit dans la construction de toute oeuvre de fiction. Il m'est très difficile de démêler , il existe une zone de transfusion entre le vécu et le vécu rêvé qui est difficile à dissocier. »

Misericórdia suscite également une réflexion sur le moment dans lequel nous vivons et sur la manière dont la condition humaine y réagit. En pleine conscience de ses capacités diminuées d'où découle sa situation de dépendance, où son intimité corporelle n'existe plus, Maria Alberta arrive encore à se frayer un chemin dans l'existence, s'attachant à ses pensées, ses ressentis qui lui donnent une joie de vivre attisée par son tempérament de curieuse « une belle personne a le pouvoir de tempérer la laideur du monde par la beauté. Dans un autre registre, ici déjà, à l'Hôtel Paradis, j'ai vérifié qu'une simple corbeille de fruits roses suffit à transformer un espace triste aux murs gris en une enceinte accueillante. »

Bien que très réaliste aucune note macabre dans ce récit très intime, où poésie, rêves, et zestes de fantastique comme l'invasion de la maison de retraite par les fourmis se chevauchent. Tant que la vie continue et qu'on possède encore les moyens de penser, rêver, aimer, détester….il faut en profiter. Un très beau livre émouvant où j'ai passé des moments délicieux en compagnie de Maria Alberta qui en plus d'être futée a le sens de l'humour 😊!



« Être en vie c'est me souvenir des mouvements du temps et du rythme de la floraison. »



Un grand grand merci aux Éditions Metaillé et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce très beau livre !

# Misericordia #NetGalleyFrance
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Les mémorables

Écrire l’Histoire, la réécrire, l’interpréter est toujours une tâche périlleuse. Il y a les non-dits, les faiblesses, les actes de courage, les trahisons mais doit-on tout dire, tout écrire ?

Dans ce roman, Les Mémorables, Os Memoráveis, Lídia Jorge réussit une performance littéraire impressionnante que les éditions Métailié ont bien fait d’éditer en français, grâce à la traduction de Geneviève Leibrich.

Avant de me plonger dans le Portugal, trente ans après la Révolution des Œillets, a Revolução dos Cravos, Lídia Jorge m’emmène aux États-Unis chez l’ex-ambassadeur des USA au Portugal. Il reçoit Ana María Machado, jeune reporter qui revient des terrains de guerre du Moyen-Orient. Elle est la fille d’António Machado, un grand journaliste portugais qui n’avait pas son pareil pour deviner le futur. Ana María travaille pour CBS sous la responsabilité de Bob Peterson, filleul de l’ex-ambassadeur. Ce dernier fait l’éloge de la destitution pacifique d’une dictature que fut la révolution des Œillets alors que l’année précédente, au Chili, on massacrait et que Victor Jara était réduit au silence de la pire des façons.

Voilà donc Ana María revenu dans la maison de son père, un fumeur de pipe séparé de Rosie Honoré, sa femme, une actrice belge repartie au pays alors que leur fille fêtait ses douze ans. António Machado possède une photo unique, prise au restaurant Memories, sur laquelle figurent les principaux acteurs des événements se retrouvant un an après ce fameux 25 avril 1974.

Autour de cette photo débute ce que l’autrice nomme la fable, me faisant voyager au cœur de celle-ci car Ana María a recruté deux anciens camarades de fac : Margarida Lota et Miguel Ângelo. Si lui assure image et son, elle s’investit à fond dans les recherches pour poser les plus pertinentes questions aux personnes que les trois enquêteurs vont tenter de rencontrer.

Comme Rosie Honoré Machado avait pour habitude d’attribuer des sobriquets à tous les gens qu’elle fréquentait, aucun des protagonistes n’apparaît sous son vrai nom. En début d’ouvrage, quelques précisions historiques sont très précieuses. Est indiqué aussi que plusieurs personnes sont la synthèse de gens ayant réellement existé.

Les rencontres se succèdent avec le chef Nunes, l’Officier de Bronze, Tiáo Dolores le photographe, le major Umbela, Ernesto Salamida, El Campeador, la veuve de Charlie 8 et les poètes Ingrid et Francisco Pontais. Rien n’est facile. Chacun donne une partie de sa vision des événements de 1974 et aussi, surtout, de ce qui s’est passé ensuite. Ces hommes ont fait preuve de courage pour renverser une dictature mais l’autrice va beaucoup plus loin dans la psychologie de chacun, permettant de mettre à jour les doutes, les tourments, les réactions, allant nettement plus loin que l’historiographie officielle.

La narratrice, Ana María Machado ne nous épargne aucune de ses interrogations et surtout se confronte au mystère d’un père avec qui elle ne parvient pas à communiquer. J’ai trouvé cela assez angoissant, espérant toujours ce fameux déclic qui permet d’apporter une fin heureuse.

Les Mémorables est un livre à la fois politique, social et familial. Lídia Jorge m’a rappelé cette Révolution des Œillets, ainsi dénommée parce que les fleuristes de Lisbonne distribuaient ces fameuses fleurs rouges aux militaires se déployant en ville et que ceux-ci les accrochaient à leurs fusils, magnifique symbole.

Cet événement important qui avait beaucoup impressionné le monde a hélas été trop vite oublié et, comme l’autrice le fait bien sentir, les mauvaises habitudes ont ensuite repris le dessus, comme cela s’est déjà produit bien des fois après un soulèvement populaire.


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Misericordia

Il y a des lectures qui s'imposent à vous, des livres qui sont dans votre PAL depuis quelque temps, et un jour, il faut absolument les ouvrir. Celui-ci en fait partie. Il m'a accompagnée tout ce mois de Novembre, dans l'attente de l'anniversaire de ce jour il y a deux ans aujourd'hui, et dont l'écho résonne encore douloureusement en moi.



Misericordia est beaucoup de choses, et aborde beaucoup de sujets.



C'est l'histoire d'une vieille dame, dépendante physiquement, mais avec toute sa tête, une femme en exil dans cet hôtel Paradis, nom paradoxal pour ce qui constitue pour ses pensionnaires l'antichambre de la mort.



C'est l'histoire au jour le jour de cet établissement, avec ses différents pensionnaires, les menus ou grands évènements qui se passent, de l'invasion de fourmis à la visite d'un photographe, du départ des aides-soignantes vers des boulots mieux payés à l'arrivée de nouveaux bras, étrangers et heureux de travailler, de menus larcins, d'amour aussi entre pensionnaires, d'une soignante enceinte, d'une autre surnommée Bosch, d'une directrice peut-être trop jeune.

C'est le quotidien vu par cette vieille dame de tous ces personnages, des sorties appréciées dans le jardin, du piano que l'on écoute grâce à un des résidents, de la nuit où certains résidents errent dans les couloirs tandis que d'autres s'aiment encore…

C'est aussi l'arrivée du Covid, alors peu connu et qui fera des ravages.



Une vieille dame forte, au tempérament affirmé, qui veut encore tout régenter, qui perd parfois un peu la mémoire, qui doit faire avec la déchéance de ce corps, qui a décidé de ne plus suivre les nouvelles parce qu'elle ne croit plus que le monde puisse changer en bien, mais qui nous enchante par ses réflexions, quelquefois drôles, souvent poétiques, toujours étonnantes, suscitant en écho chez le lecteur questions et introspection, refusant de se laisser abattre malgré les larmes qui perlent parfois, malgré les défaillances du personnel, malgré la douleur, malgré la mort qui rode la nuit …



C'est tout cela ce livre, mais cela a été d'abord pour moi une formidable histoire d'amour, l'amour d'une mère pour sa fille, l'amour d'une fille pour sa mère, un amour qui ne se dément pas malgré les disputes, les reproches, les incompréhensions aussi souvent :

« Ma fille peut dire des choses bizarres, mais c'est la créature la plus importante qui existe sur Terre, l'être le plus précieux de tout l'Univers. Si je devais choisir entre l'Univers avec la Terre au centre, et tous les habitants existants et elle, elle seule en tant qu'être humain, je choisirais ma fille. »

Et c'est en cela qu'il m'a bouleversée.



Merci à NetGalley et aux éditions Métailié pour ce partage, et à Idil et Eric (Bookycooky et Merik) qui les premiers ont attiré mon attention sur ce roman.

#Misericordia #NetGalleyFrance

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Misericordia



Crrrrouiiicccc, cccrrrouuuiiicccc, la chaise roulante avance dans le couloir.

Dona Maria Alberta Amado dite Alberti, Hôtel Paradis, chambre 210, secteur B, se redresse, la tête haute lorsqu’elle avance dans la grande salle à manger. Ses amis sont déjà installés à table et lui adressent un signe de tête à son approche.

Maria est soucieuse, son dialogue la veille au soir avec la nuit ne s’est pas bien passé, elle s’est retrouvée incapable de répondre à sa question, de quel pays Bakou est-elle la capitale ?

Sa main sur le buzzer est restée inerte, et même si Julien Lepers n’était pas là pour la tancer, Maria Alberta vit comme un signe terrible de décrépitude son incapacité à répondre, elle qui a tant voyagé grâce à son atlas.

Ce personnage de Dona Alberti s’avère touchant dans ses batailles silencieuses contre la mort, contre l’oubli, contre son impression de devenir de plus en plus transparente aux yeux des autres, elle lutte pour ne pas s’effacer, quand ils rentrent dans la chambre de l’EHPAD sans lui adresser la parole, sans la regarder, sans lui répondre quand elle leur pose une question ou leur fait une demande.

J’ai trouvé un juste équilibre dans les petits bonheurs auxquels Maria se raccroche de toutes ses forces de ses mains maintenant ridées, tachées et abimées, et les frustrations et les colères du quotidien ; ne pas être entendue, perdre toute intimité, tant pour la toilette que pour ses affaires dans lesquelles tout le monde fouille allégrement, prend ce qui lui plait vêtements comme argent… Et puis bien sûr l’omniprésence de la mort, qui fait sa ronde de nuit comme de jour dans les couloirs, guettant le moindre faux pas, en embuscade parfois aussi pour les plus valeureux et les plus appréciés des résidents.

Malgré ses nombreuses qualités et un sujet qui avait tout pour me plaire, j’ai un peu trainé dans ma lecture. J’espérais un coup de cœur qui n’a pas été au rendez-vous.

Je n’ai pas trouvé la plume fluide, certaines pensées revenaient parfois avec un peu trop d’insistance, même s’il est sûr que le quotidien d’une personne en EPHAD est celui d’un jour sans fin, monotone et répétitif, avec bien peu de faits saillants, permettant de se repérer dans le temps.

Les incompréhensions mère-fille sont touchantes, si sa fille vient lui rendre visite avec les meilleures intentions, souvent la conversation dérape et les critiques de Maria Alberta se font acerbes à l’encontre de sa progéniture pas assez ambitieuse à ses yeux.

Bon alors, vous avez toujours la main sur le buzzer ? Julien est en train de faire le décompte, là, plus que quelques secondes ! Ça y est vous l’avez ou vous avez déjà triché en allant pianoter sur le portable ? sinon, il ne vous reste plus qu’à lire le livre ou à ouvrir votre plus bel atlas dans la bibliothèque…

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Misericordia

La narratrice est une vieille dame qui réside à la maison de retraite « Hôtel Paradis », quelque part au Portugal. Un endroit au nom douteux, dont on ne sait s'il veut désigner un lieu paradisiaque pour la fin de vie, ou un purgatoire permettant d'obtenir un hypothétique éden post-mortem.

Mais soit.

Dona Alberti n'a plus l'usage de ses jambes et à peine celui de ses mains, mais il lui reste toute sa tête et son sens aigu de l'observation. Sa fille lui a offert un petit magnétophone sur lequel la vieille dame a enregistré une sorte de journal vocal, entre avril 2019 et avril 2020.

Dans Misericordia, Lídia Jorge a retranscrit, en les mettant en ordre et en forme, ces 38 heures d'enregistrement de la voix de sa mère (puisque c'est bien d'elle qu'il s'agit), qui témoigne ainsi d'une année de vie en maison de retraite. Un microcosme fait d'amours et de chamailleries entre résidents, d'amitié et de solidarité, de ragots et de mesquineries. Dona Alberti évoque aussi l'attitude du personnel soignant, attentif mais dépassé en raison d'un manque chronique d'effectifs, sa relation avec sa fille, cette écrivaine qu'elle ne comprend pas, sa résistance à la Mort et à son avatar, la Nuit, à laquelle elle livre des combats acharnés, et l'arrivée du Covid et du confinement au début de l'année 2020.

Dépossédée de sa vie d'avant dans sa maison et son jardin, et de son corps qui l'abandonne, Dona Alberti est également confrontée aux étourderies du personnel soignant qui ne répond pas aux appels pendant la nuit, ou qui l'oublie pendant des heures dans son fauteuil roulant au bout d'un couloir désert, sans compter la débandade de certains au début du Covid et le manque d'information à propos de la situation et des mesures de confinement. Il y aurait de quoi se révolter, parce que même si on peut comprendre que le personnel soit débordé, ces situations où les résidents sont infantilisés, déshumanisés, sont intolérables, et n'en constituent pas moins de la maltraitance et des atteintes à la dignité et l'intégrité humaines (ce qui a le don de me mettre en rage, mais c'est une autre histoire).

Mais il n'y a aucune amertume à cet égard dans le récit de Dona Alberti. Elle s'exprime avec lucidité, humour et ironie, avec de la joie et quelques larmes, mais sans « nourrir la mélancolie ». Elle ne se résigne pas, elle veut vivre, se battre contre la mort et l'oubli, et de fait, Lídia Jorge en fait un personnage inoubliable.

Misericordia est un livre fort, un très beau plaidoyer pour la résistance, l'espoir et la vie, et un superbe hommage, sensible et bouleversant, de Lídia Jorge à sa mère. Un grand livre.



En partenariat avec les Editions Métailié.
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Misericordia

Elle s'appelle Maria Alberta Nunes Amado et elle parle, elle parle beaucoup en plus d'écrire des petits agencements de mots tels des haïkus, 38 heures d'enregistrements audio face à un Olympus Note Corder DP-20 sans croire forcément qu'on écoutera ses mots. « Du vent parlé à un petit objet de rien du tout » pense-t-elle même depuis sa résidence à l'Hôtel Paradis. On sera prévenu en exergue de la « transcription infidèle » par sa fille elle-même, Lidia Jorge, dans un geste littéraire où il sera question de  ré-agencement, de respect du rythme et de la respiration, et c'est peu dire que l'autrice a donné corps et âme à sa mère tant on la sentira palpiter Dona Alberti, dans ce récit d'une année de vie et de réflexions au sein de son Ehpad portugaise partagée avec 70 résidents.

Oui ça palpite de vie malgré la fin supposée proche, entre histoires de coeur, disputes, cirque, vols ou maltraitances aussi. Et ça commence par les habitudes de Dona Alberti, dont celle d'engager des discussions avec la nuit qui « connaît les douleurs de son âme », prête à débattre avec elle sur ce qu'est l'amour, à se demander sans son Atlas sous la main de quel pays Bakou est la capitale. Une nuit en partenaire d'insomnie pour celle qui ne sait plus où mettre les pensées « qui sont beaucoup trop vastes pour le vase » de sa tête et de son coeur, débordant parfois de mensonges. Ainsi les grandes choses comme la mort pourront être symbolisées, ici par la nuit, et les petites sembleront vivantes pour qui est «engagée dans le monde des riens ». Mais il y aura d'autres personnages issus de cette «humanité avec deux espèces uniquement, les fiables et les agresseurs » : Lilimunde précédée de ses effluves de bergamote, Dona Joaninha et ses amants renouvelés avec persévérance, Mr To et ses velléités révolutionnaires, Dona Rita de Lyon et son pilote de fils soutenu par un ange gardien... Sans oublier Lidia Jorge en personne, une fille écrivaine qui fait « l'amour avec L Univers » et qui reçoit de sa mère les exhortations à une ambition plus grande dans ses livres, en s'intéressant à des personnages emblématiques.



Elle a certainement tort sur ce point, Dona Alberti. Lidia Jorge s'en sort très bien dans son histoire d'amour avec L Univers et nous livre à travers les mots de sa mère un récit à coeur ouvert sur l'humanité, sa condition, ses joies et ses tourments, éloigné des caricatures accommodantes sur la vieillesse. Il serait certes surprenant de voir caracoler ce livre au milieu des titres phares de cette rentrée (quoique...), tant le sujet suscite inquiétude, angoisse ou rejet. Il est probable qu'on flirte avec la sérénité grâce à cette lecture, qu'il faudra prendre le temps de déguster en marge de la frénésie pour profiter au mieux de son condensé de vie, sur le fil enivrant d'une littérature au service d'un enregistrement pour redonner corps et âmes. Prendre le temps oui, de lire cette chronique lumineuse sur la vieillesse, habitée par l'esprit de Sepulveda, pour goûter à la singularité de ses réflexions sur le bonheur, l'amour, la joie ou la tristesse, L Univers, la nuit, la littérature, toutes ses grandes choses de la vie... Sans oublier les petites.



« 14 novembre 2019



Danse et redanse, ma petite âme

une parmi tant et si

seule – Ton secret

dans ton petit sac. »
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Estuaire

Edmundo, 27 ans, le cadet de la famille Galeano, a roulé sa bosse dans les recoins déshérités de la planète. Lors de sa dernière mission humanitaire, dans un camp de réfugiés quelque part en Afrique, sa main droite a été accidentellement mutilée. Aujourd'hui, de retour à Lisbonne dans la maison familiale, il n'a "qu'une seule prétention, écrire un livre pour avertir l'Humanité qu'elle doit protéger son destin, car elle est seule dans L Univers, et L Univers est aussi insensible que les étoiles qui naissent, brillent pendant des milliards d'années puis se referment sur elles-mêmes, remplacées par des dépôts de cendres et des matières si denses que nos calculs humains n'ont pas assez de chiffres pour les calculer. Qui, au sein de ce mystère gigantesque, se souciera de nous ? C'est pour la survie de l'Humanité, pas pour la nôtre en particulier, mon père, mes frères, mes neveux, que je vais écrire ce livre". Mais dans la maison du Largo do Corpo Santo, les autres membres de sa famille sont confrontés à des préoccupations bien plus terre à terre et urgentes. La fortune familiale a été investie dans un projet ambitieux mais bloqué depuis des lustres par l'administration. le train de vie des uns et des autres s'en ressent, l'un qui doit vendre son cheval et ses beaux costumes, l'autre qui ne peut plus payer son loyer et revient s'installer dans la maison paternelle avec femme et futur enfant, la soeur divorcée dont l'agence de voyage est en faillite et qui revient elle aussi avec son fils pour s'occuper de la vieille tante Titi, aujourd'hui infirme mais qui a voué sa vie à s'occuper de ses neveux.

Lorsque l'administration se réveille enfin et rejette le projet, c'est le drame. Edmundo, qui jusque là observait ces petits tracas du quotidien avec un détachement un brin condescendant, comprend que son projet littéraire grandiose est affecté par cette réalité triviale qui l'empêche d'écrire : "Le cas de sa soeur lui révélait, en somme, l'existence d'un monde qu'il ignorait, une trame humaine qui lui avait toujours échappé et qu'il voulait à présent récupérer. [...] Il connaissait l'impatience de la fuite, mais n'aurait su décrire le désespoir. Il connaissait la faim et le manque des choses les plus élémentaires, mais il n'avait pas éprouvé personnellement les symptômes de la faim. [...] Il n'avait été attentif qu'à une partie de la condition humaine. Sans en avoir une connaissance plus intime, il se risquait à imaginer des êtres en carton-pâte qui bougeaient, comme dans les dessins animés, sans pour autant parvenir à toucher les esprits. A présent, oui, à cause de l'adversité qui s'était abattue sur la maison du Largo do Corpo Santo, il commençait à connaître un peu le coeur humain. le coeur humain qui bat dans la poitrine des hommes, que l'on soit en paix, en guerre ou en transhumance". Il réalise que la vulnérabilité de la Terre est indissociable de celle de sa famille et de la condition humaine.

"Estuaire" est un roman choral qui retrace, à travers les voix d'Edmundo et de ses quatre frères et soeur, l'histoire récente de la famille Galeano et du projet avorté. Dans un style ample et parfois lyrique, légèrement teinté de fantastique, ce roman, tourné vers le futur, parle aussi des conséquences d'une passion amoureuse et de la complexité de la création littéraire. En ce qui me concerne, ce fut une belle découverte de cette grande dame des lettres portugaises qu'est Lídia Jorge.

En partenariat avec les Editions Métailié.
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Misericordia

J'ai toujours beaucoup aimé l'écriture de Lydia Jorge.



D'elle j'avais lu en 2017 « La dernière femme », et je me souviens très bien le choc littéraire que sa lecture m'avait provoqué, et que j'avais tenté de restituer dans un billet. La grande autrice portugaise a écrit de nombreux romans que j'ai et aimé, comme « le vent qui siffle dans les grues », que je vous recommande, ou « le Rivage des murmures », ou bien encore, à propos de la Révolution des oeillets, « les Mémorables ».



Misericordia » est "un pas de côté" dans l'oeuvre de la grande autrice portugaise.



Qui a déjà essayé en effet de décrire le quotidien d'une vie en EPAHD à la première personne ? C'est le défi qu'a relevé Lidia Jorge, en s'inspirant directement de sa propre expérience de sa relation à sa mère, disparue pendant le COVID, en la romançant.



Dona Maria Alberta est une femme d'un certain âge, comme on dit pudiquement, dotée d'un sacré caractère. Elle vit dans cet Hôtel Paradis, un établissement pour personnes âgées. Elle attend régulièrement la venue de sa fille écrivain, même si parfois ces visites lui causent bien du tourment.

Le matin elle a droit à la toilette effectuée par le personnel soignant, toujours trop rapide comme dans toute maison de retraite, puis elle est conduite en fauteuil roulant auprès des autres résidentes, puisqu'elle n'a plus l'usage ni de ses jambes ni de ses mains.



Et il se passe plein de choses dans cet établissement, ce tout petit univers avec ses 70 résidents qui constituent l'Alpha et l'Omega de son espace personnel, renonçant par exemple, contrairement à la pression de son gendre, à regarder la télévision qui lui donne des nouvelles d'un monde qui ne l'intéresse plus du tout.



Un beau sergent tourne la tête de sa voisine de table, Dona Joaninha. Une jeune femme d'origine brésilienne, Lilimunde qui sent bon la bergamote quand elle vient la voir, lui assure qu'elle ne connaîtra jamais aucun homme, mais va tomber amoureuse d'un Hongrois. Des fourmis attaquent les résidents et se retrouvent dans les lits et dans les plats qu'on leur sert – il faudra faire venir une entreprise de désinsectisation. Et puis il y en a qui disparaissent. Comme ce Sergent, peut-être mort d'une crise cardiaque suite à une nuit d'ivresse avec Dona Joaninha, mais la narratrice n'en dira rien et couvrira les frasques de son amie.



Il y est question de mystérieux vols aussi – des bottes disparaissent et réapparaissent. Et puis, comme dans tout EPAHD, on recherche du personnel qui accepte de faire ces travaux ingrats. Une arrivée de plusieurs travailleurs étrangers permettra à l'Etablissement de survivre.

Le Sergent sera remplacé par un certain Mr To, qui tente de soulever les résidents contre la direction de l'établissement, fédérant une colère sourde contre l'absence de prise en considération de leurs besoins réels.



Et puis il y a les fantômes. Ceux que Dona Alberta surnomme « la nuit » puisqu'ils arrivent avec l'obscurité, surtout si elle refuse d'avaler les somnifères qu'on lui prescrit. Commence alors un long combat contre ses forces du mal qui s'adressent directement avec elle et avec qui elle dialogue.



C'est à la foi ironique, poétique – Dona Maria Alberti a une véritable attention réelle à la beauté du monde – parfois brutal. On passe du rire aux larmes, et on est touchés.



Avec une question centrale : qu'est-ce que la mère d'une écrivaine peut conseiller à sa fille en matière d'écriture ? Elle se désole qu'elle ne prenne pas des personnages célèbres comme personnages centraux de ses romans. Ou qu'au moins le roman se termine bien.

Sa fille lui résume ce qu'elle fait en une phrase « je fais l'Amour avec l'Univers ». Est-ce donc cela, le secret de la littérature ?



De tout cela on comprendra à la fin que ce sont 38 minutes d'enregistrement que la mère de Lidia Jorge a livré à la postérité. Dans une forme d'exploit littéraire qui consiste à se mettre dans la peau de celle qui lui a donné la vie, notamment dans son dialogue parfois douloureux avec sa fille écrivain. Curieux effet de miroir, que de se regarder au travers du regard de sa propre mère vieillissante ….



« Elle m'a dit qu'il fallait que j'écrive pour que les gens éprouvent de la compassion pour ceux qui ne peuvent plus dominer leurs corps », raconte Lidia Jorge.



En refermant « Misericordia », on a l'impression d'avoir rencontré une femme hors du commun, une femme qui a une volonté de fer et un humour et une ironie parfois mordante, et surtout une furieuse envie d'en découdre encore et de ne pas rendre les armes à tous les fantômes de la nuit qui la tirent vers le monde d'après.



Et on en est ressort profondément touchés.


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Misericordia

Une naissance réjouit

D'avantage que la fin de vie

A "l'hôtel Paradis"

C'est l'exil pour le reste de sa vie

Car on le sait "avec le temps va, tout s'en va"

Et pourtant "Misericordia"

C'est un livre sur la bataille de vie et la résistance à l'effacement.

C'est ce que j'ai ressenti et très vite j'ai compris que les fins de vie ne se résument pas à une lente déchéance, même en maison de retraite

Mais tant qu'on est en lien avec les autres, on est vivant !



Lydia Jorge dédie ce livre à sa mère qui lui a demandé d'écrire cette histoire. Elle nous relate la dernière année de sa vie.

Maria Alberta Nunes Amado a décidé de quitter sa grande maison, après une chute : elle ne peut plus vivre seule. Elle va terminer sa vie au sein d'une maison de retraite "l'hôtel Paradis" :

"Cette résidence est un parterre magnifique et les résidents nos pétales chéris".

A travers ce personnage principal, on plonge dans l'intimité des fragiles qui malgré leur faiblesse, gardent une grande capacité de résistance et leurs rêves !

"Etre en vie c'est me souvenir des mouvements du temps et du rythme de la floraison."

Maria ne supporte plus la télévision ou les journaux

"Dans la vie, naturellement le bien succède au mal, dans les journaux, au contraire, on ne fait qu'ajouter du mal au mal."

Elle possédait un atlas et connaissait tous les pays et capitales.

Parfois sa mémoire toussote et elle s'obstine à faire fonctionner son esprit. Elle veut garder une mémoire intacte.

Le jour la prépare à affronter la nuit.

Car la nuit, angoissante, elle dialogue avec la mort comme un adversaire qu'elle veut vaincre !

Maria est cultivée, intelligente, très digne, elle déteste la vulgarité.

Mais elle a aussi un caractère bien trempé ! un mélange de vitalité, d'humour, d'indignation et de bienveillance envers les autres.

"Je ne sais pas ou mettre mes pensées qui sont beaucoup trop vastes pour le vase de ma tête et la taille de mon coeur."

Sa relation avec sa fille écrivaine est compliquée. Elle veut la conseiller, voir la diriger, sur sa façon d'écrire ses livres. Elle lui reproche que ses livres ne parlent que de misérables anonymes et sa fille répond :

« Exactement, tu m'as ôté les mots de la bouche, je suis un chien de l'Histoire, je vis pour flairer ses mouvements, la dénoncer, la mordre, la trahir. Je ne suis pas de sa famille, je suis son adversaire.” »

Sa fille face aux reproches maternels prétend qu'écrire serait faire l'amour à l'univers.

« Dans l'amour, il n'y a pas d'échange, tout est offert »

Et dans cette maison de retraite, il existe des histoires d'amour et d'amitié belles et tragiques à la fois et chaque relation aussi ténue soit-elle se limite parfois à un regard, un parfum, un geste : le peu et le petit comme révélateur du merveilleux de la vie.

ces moments de grâce avec le chant, la musique la remplit de joie !

"La tendresse

C'est bien moins haut que votre paradis

C'est tout au fond du ventre enfoui

La tendresse ...



Il n'est pas question d'occulter la maltraitance, le turnover du personnel, mais aussi ceux qui sont attentionnés et dévoués, les vols

il n'existe plus de lieu inviolable :

« Et il n'y a plus rien qui ne soit qu'à moi, ni mon corps, ni mon esprit », constate-t-elle avec tristesse.

Elle constate que leur vie à tous n'a pas moins d'intérêt ou de richesse que la vie de n'importe qui et que leur présent n'est pas moins important que leur passé. C'est toute la poésie de ce récit, un mélange de larmes et de rire

C'est un discours de révolte mais aussi de dérision et d'espoir dans la vie.

« Je suis de ces personnes qui ne pensent pas que l'espoir est le dernier à mourir.  Je pense que l'espoir est simplement immortel. ».



Une lecture que je n'oublierai pas !

Ce moment passé avec Maria m'a fait voyager dans mes souvenirs

et retrouver ma grand-mère : de belles émotions ! ...



La tendresse

C'est ce qu'on avait en naissant

Lorsque l'on était innocent

La tendresse

C'est tout ce qui nous reste encore

Pour faire un pied de nez à la mort

La tendresse .....

Henri Tachan











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Misericordia

Maria Alberta Nunes Amado est une sérieuse concurrente pour Miss Marple. Elles ont en commun de savoir que le monde n'a pas besoin des confins de l'univers pour se déployer. L'une prétend que son village de St. Mary Mead est un précipité d'humanité où elle a tout appris de ses semblables; l'autre, délestée de ses atlas, découvre que le monde entier se retrouve dans sa maison de retraite: aides-soignants de toute nationalité, pensionnaires de tous milieux, et elle qui regarde et prend des notes, qui découvre des secrets et, comme son illustre devancière, résout des mystères (car qui d'autre qu'elle pour régler la mort du sergent Joao Almeida?) et recueille les confidences amoureuses, surtout celles des jeunes filles qui sentent la bergamote.

On ne s'ennuie donc pas à l'Ehpad du Paradis, quand une invasion de fourmis tourne à l'Iliade domestique et qu'un désir de suicide nécessite des ruses d'agent secret.

On ne s'y ennuie pas mais rien ne permet d'y oublier la décrépitude physique: ni la coiffeuse qui ne veut plus exercer, puisqu'on lui reproche de ne pouvoir ressusciter une beauté irrémédiablement fanée, ni le photographe qui veut exhiber les tares de la vieillesse pour faire de l'art, ni les jambes qui ne portent plus, ni les poignets devenus inertes, ni les employés qui vous déposent comme un paquet, tournée contre le mur pour ne pas gêner le passage.

N'est-ce pas cela surtout qui fait peur dans la vieillesse, de perdre toute autonomie, et toute intimité, de ne plus rien avoir à soi, d'être dépossédé de tout objet comme de son corps, qui appartiennent désormais autant aux autres qu'à soi-même?

Mais Alberti a trouvé la solution : "Je me suis dit que l'Hôtel Paradis, de temps en temps, cessait d'être un lieu d'exil pour être un jardin d'enfants". Puisque, aussi incapable qu'un nourrisson, elle est langée, nourrie, promenée, soignée (et qu'elle ne s'avise pas de recracher sa pilule du soir), elle retrouve les armes du premier âge: elle râle, rouspète, proteste, fulmine, rouscaille et refuse résolument tout. Le globe lumineux que lui apporte son gendre. Nan. Les conceptions littéraires de sa fille. Nan. Le bonnet de Noël des fêtes de fin d'année. Nan. C'est là son libre-arbitre. C'est ce qui lui permet d'exister, d'être autre que ce que les gens autour d'elle veulent qu'elle soit. Et ça balance sec. Ensuite, ma foi, elle acceptera que son gendre lui installe la télé, que sa fille écrive des livres qui finissent trop mal pour qu'on les achète et sera ravie de regarder le feu d'artifice de la Saint-Sylvestre., (telle Isa qui dans "Les Poupées russes" jure qu'elle ne participera jamais à une chenille avant de devenir la plus frénétique des invités sur la piste de bal).

Mais pourquoi Alberti ne ressemble-t-elle jamais à l'odieuse petite fille qu'on a tous eu envie de baffer un jour de long trajet ferroviaire? C'est qu'elle est infiniment drôle, qu'elle se moque d'elle-même avec un aplomb jamais pris en défaut, d'avoir crié au voleur pour un objet qu'elle avait trop bien caché, d'avoir confondu son poudrier avec un gâteau dodu, d'avoir prévu une entrée de drama queen quand personne ne s'était aperçu qu'elle avait failli mourir...

Mais toute cette autodérision ne m'a pas empêchée d'avoir la gorge serrée quand Alberti a été atteinte du Covid. J'ai reconnu mon chagrin d'enfant, quand la chèvre de M. Seguin s'était battue jusqu'à l'aube pour un combat perdu d'avance. Maria Alberta Nunes Amado a laissé sa chronique et ses bouts-pas-toujours-rimés en plan et sans doute que d'avoir fini par dire oui après tant de nons farouches a dû la faire sourire.

((Merci Booky, merci Florence)
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Misericordia

De retour d’un long voyage, je reprends doucement le cours de Babelio, à l’endroit où il est, comme un nouveau départ.

Misericordia est une expérience de lecture très particulière. J’ai lâché plusieurs fois le livre de Lidia Jorge mais il s’est accroché à moi et ne m’a plus vraiment quitté. Je pense encore souvent à Maria Alberta Nunes Amado, la résidente de l’Hôtel Paradis.

Les circonstances de l’écriture de ce texte sont singulières. La mère de l’auteure est décédée pendant le COVID dans l’EHPAD où elle séjournait depuis trois ans. Elle aurait demander à sa fille de retranscrire des notes enregistrées pendant un an, d’Avril 2019 à Avril 2020. Lidia Jorge a alors réalisé une sorte de « squiggle », c’est à dire une adaptation romancée des notes en question où elles s’engage aussi en tant que personnage. La plupart des chapitres sont conclus par des « notes écrites » qui sont en fait de sublimes haïkus condensant poétiquement l’état d’esprit du moment.

Le résultat est stupéfiant.

Rentrer dans le quotidien d’un EHPAD et dans la tête d’une personne âgée à la fin de sa vie est à la fois une épreuve exigeante et un trésor d’informations fines, drôles et constamment émouvantes.

Lorsqu’on est véritablement rentré dans ce pavé littéraire, le processus d’identification joue à fond. Maria n’est pas la plus facile des résidentes et la relation à sa fille est compliquée. On apprend qu’elle l’a élevée seule et qu’elle ne cautionne pas son style de vie. En fait les éléments biographiques de la résidente et de sa fille s’assemblent comme un puzzle au fil des pages, formant ainsi petit à petit une toile de fond sur laquelle s’imprime le quotidien de Maria.

Ce quotidien est d’une richesse inouïe même lorsqu’il est envahi par la désolation, la dépression et la maladie.

Maria tisse des relations fortes avec ses compagnes de table et certaines aides-soignantes. Mais le turnover est incessant tant du coté des malades (qui partent en ambulance pour ne plus revenir) que des soignants (qui quittent l’établissement pour de meilleurs emplois, remplacés par des migrants de toutes origines).

Dans ce quotidien il y a des amitiés, des amours, des rancunes, de l’homophobie, des racontars, des disputes, de la politique etc.

Maria a une conscience aiguë de la diminution de ses capacités physiques, de sa dépendance absolue ( elle est parfois laissée en plan, au milieu d’un couloir, pour l’après-midi) . Il n’y a plus d’intimité corporelle, elle doit sans cesse implorer qu’on rende sa sonnette accessible et tout est bien sur à l’avenant.

Elle évoque la rudesse de certaines auxiliaires, les situations de maltraitance, de vols et d’abandon. Mais elle se raccroche à un besoin persistant de connaissances, à son acuité à percevoir la beauté là où elle peut encore surgir, dans un vase, dans une coupe de fruit ou encore dans un feu d’artifice.

Maria Alberta et Lidia Jorge nous livrent un récit teinté d’humour, d’onirisme et de poésie tendre. De réalisme aussi, surtout lorsqu’un mystérieux virus venu de Chine fait son apparition.

Pour la plupart des gens, la nuit sert à préparer le jour. Pour Maria c’est l’inverse : le jour la prépare à affronter la nuit. Et dans la nuit il y a la Nuit, monstrueusement angoissante, métaphore de la mort bien sur, mais comme incarnée dans la reviviscence de tous les monstres infantiles contre lesquels la lutte est épuisante.

Et puis ce livre, on l’a déjà dit, nous parle d’amour. Amour pour sa fille au delà des disputes, des absences et des incompréhensions ( Écrire, dit sa fille, c’est faire l’amour à l’Univers !) , amour qu’elle réactualise dans une relation privilégiée avec une jeune auxiliaire mineure (Lilimunde), et…enceinte.

« Dans l’amour, il n’y a pas d’échange, tout est offert. » nous dit-elle.

D’une infinie richesse ce livre m’a profondément ému. Mais il est terrifiant. Les dernières pages sont implacables.

C’est avant tout une ode à l’humour, à la connaissance et à la tendresse:

« À bien y réfléchir, si ce lieu d’exil ne se transforme pas parfois en cour de récréation, en école, en cirque, en théâtre, en bordel, en asile, cette grande maison serait insupportable… »

Un immense livre sur la vieillesse et la dignité.

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Misericordia

Hôtel Paradis, chambre 210, une année pas triste du tout.



Prix Médicis étranger 2023.

La pandémie - je rajoute, ‘et plus encore les « lois » instaurées en son nom par les états’ - n’a vraiment pas été sympa avec les personnes en Ehpad, et c’est peu de le dire ainsi. Comme les malades en fin de vie dans les hôpitaux, ces personnes âgées ont dû trouver une énergie toute particulière pour ne pas sombrer. Je frissonne toujours encore en y repensant.

Ne parlons ici que de la vieillesse, et là Lidia Jorge a su décoder beaucoup de choses. Elle avait pour support des enregistrements ainsi que quelques billets laissés par cette maman. C’est ainsi que, durant une période allant du 19 avril 2019 au 20 avril 2020, le lecteur va côtoyer aussi bien le coeur d’une fille aimante que celui de sa mère qui s’amuse pour ne pas saigner. La patte de l’excellente romancière a fait le reste car l’aspect romancé fonctionne main dans la main avec la réalité relatée par la vieille dame.



Maria Alberta Nunes Amado est décédée du Covid le 19 avril 2020 dans un Hôtel un peu spécial puisqu’il s’agit d’une maison de retraite de la chaine portugaise ayant pour nom Santa Casa de Misericordia. L’autrice la fera vivre dans ce roman sous le nom que sa mère préférait, à savoir Dona Alberti.



Pour parler de ce livre il faut tout autant parler du lieu car cet Hôtel Paradis est, quelque part, lui aussi un personnage. Très vite on se pose une vilaine question : cet hôtel protège-t-il réellement les résidents du troisième âge ? Du vent et la pluie certainement, mais pas assez de l’effondrement psychologique, ni de la tristesse que peut générer l’idée même d’une mort prochaine. Grâce au ciel, un grand nombre de résidents se protègent en illuminant le moindre joli moment de leur journée. Belle leçon en passant.



Dans cet hôtel, Dona Alberti va croiser quelques jolies personnes qui y travaillent et y accompagnent les aînés dans leurs gestes de tous les jours. Leurs conditions de vie sont loin d’être correctes. L’autrice ne nous épargne pas l’immersion dans ces mondes parallèles qu’exploitent certaines entreprises sans foi ni loi. Mais grâce à Dona Alberti et son caractère bien trempé, chacun sera scruté et mis en lumière jusqu’à nous donner l’impression d’être dans un roman autant que dans celui d’un témoignage de vie.



La mamie est une adepte de géographie et c’est sur ce thème que s’ouvre le livre. Elle se bataille avec la Nuit, au sens propre comme au sens figuré. Elle veut garder son esprit et son cerveau en bon ordre de marche. La géographie les garde éveillés tous les deux.

Son oeil est tout autant mis à contribution lorsqu’il essaie de deviner ce qui se cache derrière les êtres qu’elle croise, résidents comme personnel.

Quitter sa maison, ses plantes, ses livres, ses voisins et ses souvenirs n’a pas été facile. Son caractère pas toujours agréable envers sa fille, il faut le concéder, est peut-être une des clés pour traverser une période aussi pénible et angoissante.



L’autrice a su accompagner cette dernière année de vie de sa maman, non seulement par les visites qu’elle lui rendait, mais surtout au travers de l’hommage rendu aux personnes âgées.

La vieillesse m’est apparue plus ensoleillée et plus drôle qu’attendue.



Citations :

« Je ne veux pas penser à la tristesse et à la douleur, seulement à la joie qui, parce qu’elle est la plus fragile des trois, est celle qui me fait vivre.»

« Elle a dit ’’Eh bien non, une écrivaine est seulement une femme qui utilise les mots pour faire l’amour avec l’Univers entier. Et ça lui suffit’’. Je me suis mise à réfléchir et je ne savais pas quoi dire. J’ai demandé : ‘’Et cet Univers, que lui donne-t-il ?’’.»

« Toutes les composantes de la vie gardent la même nature et la même intensité, seules les proportions entre les parties sont modifiées.»

« Je suis pleine d’énergie, je veux retourner dans la cour d’école et sauter jusqu’à ce que mon chapeau s’envole. ‘’Ah ah, le petit âne n'est mort. Le petit âne ne ressuscitera pas’’. »

« Là où je suis, même le printemps, quand les jours ont d’ordinaire la même durée que les nuits, la nuit est toujours plus longue que le jour. »
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Misericordia

" Vous n'avez jamais lu un texte comme celui-là !" ..



Je ne peux que plussoyer à cette affirmation!



L' Hôtel paradis est à présent une résidence pour personnes âgées. Dona Alberti est l'une des pensionnaires. Suite à une chute elle ne pouvait plus vivre à demeure dans sa maison, elle a décidé alors de déménager. Depuis elle vit dans cette résidence, et même si elle ne se déplace qu'en fauteuil roulant, elle a gardé intact son sens de l'observation, son audition, sa sagacité et son franc-parler. A présent qu'elle ne peut plus lire , que ses mains ne peuvent plus écrire, si elle se plonge de plus en plus souvent dans ses souvenirs elle prête volontiers une oreille attentive et discrète à ceux qui l'entourent. A défaut d'écrire son journal elle l'enregistre sur un petit magnétophone. A sa fille elle confie le soin de le mettre en pages...

Que de monde dans cet Hôtel Paradis.On y trouve certes les pensionnaires, hommes et femmes âgés mais aussi les indispensables , ceux qui nuit et jour prennent soin d'eux

.

Venus d'ici ou d'ailleurs, plus souvent d'ailleurs que d'ici en pratique, ces aidants en quête d'un travail, d'un toit où s'abriter, apportent avec eux leur jeunesse, leur sourire , leur envie de vivre. Ils sont le lien qui relient ces personnes âgées au monde extérieur, ce monde dont ils sont à présent exclus car trop âgés et non "productifs".



Ne croyez pas que Dona Alberti ait baissé les bras en entrant en résidence. Surtout pas , elle est bien décidée à affronter la nuit et à ne pas se laisser emporter vers l'au-delà sans se battre jusqu'au bout. Diminuée physiquement mais toujours aussi avide de joie et de bonheur ..



Ce livre est le récit de ce combat .



Je vous propose de découvrir la très belle interview de Lidia Jorge : https://www.babelio.com/auteur/Lidia-Jorge/41525



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La dernière femme

Passer cinq jours d'agréables loisirs avec Anita Starlette dans une auberge cachée au fond des bois, tel est le désir de l'ingénieur Geraldes, un homme que le désordre n'a jamais visité.

« Mais la fragrance de l'aventure devait un jour frapper à sa porte et la voici qui le conduisait maintenant impérieusement vers un lieu secret, une maison masquée, vers laquelle désormais sa mémoire se retournerait chaque fois que cela serait nécessaire, avec son pas menu d'araignée ou de serpent. »

Pourtant, les choses ne se passent pas exactement comme il l'avait prévu et la jeune femme se révèle bien différente de l'objet idéalisé qu'il s'était imaginé…

« Mon Dieu ! Anita Starlette correspondait presque totalement à la jeune fille de ses rêves. Pourquoi parlait-elle donc ? Pourquoi ? Pourquoi lui transmettait-elle des messages, des lamentations, des revendications par le biais d’héroïques histoires de massacre ? »

Ces cinq jours avec Anita Starlette seront bien inoubliables, mais pas pour les raisons que l’esprit amoureux de l’ingénieur quinquagénaire s’étaient forgés, croyant vivre en compagnie de sa belle maîtresse une ultime aventure amoureuse pleine de folles promesses érotiques et sensuelles.



Centrée principalement sur la figure de l’ingénieur Geraldes, cette réjouissante fiction de la romancière portugaise Lidia Jorge explore, un peu comme une expérience psychologique, les facettes de la passion amoureuse et les limites de la connaissance de l'autre.

Et c’est un régal proprement jubilatoire d’assister aux questionnements incessants, aux rêveries, aux doutes et aux tourments de cet homme mûr au caractère habituellement inflexible, croyant avoir trouvé en la personne de la jeune entraîneuse Anita, la représentation incarnée de tous ses fantasmes et rêves secrets.

Tantôt inquiet, tantôt au comble du ravissement, l’on se délecte de voir ce pauvre homme si peu enclin aux débordements, pris dans les rets de la passion et passer par toutes les couleurs de la palette de l’émotion amoureuse : trouble, nervosité, empressement, agitation, égarement, morosité, incompréhension…

Anita « La coquine », femme-enfant boudeuse, mutine, capricieuse, aux comportements souvent incompréhensibles, ne lui laisse aucun répit.



Mais Lidia Jorge ne s’est pas seulement bornée à décrire parfaitement et brillamment les émois de l'amour et l'image idéalisée, pas toujours vraie, que l'on se fait de l'être aimé.

Comme savent si bien le faire certains auteurs sud-américains, elle y a ajouté ce petit côté surréaliste qui vous fait naviguer entre fable et roman, entre onirisme et éveil, entre fantastique et réalité.

L’auberge dans laquelle séjournent les deux tourtereaux, avec ses longs corridors, ses chemins forestiers où nul ne se croise jamais, ses serveurs invisibles, ses draperies et ses tentures, est de ce point de vue un modèle de lieu totalement hors de portée réelle.

Un lieu masqué qui renvoie à l’image d’une société décadente, mensongère, pleine de duplicité mais qui, s’il fait dire à l’ingénieur Geraldes « qu’il ressentait de la répulsion pour cette maison trompeuse où l’on était constamment entre le mensonge et la vérité, entre l’imposture et la prétention », lui permet finalement d’éclairer un peu plus les troubles de sa conscience opaque.



Au final, l’auteur du « Rivage des murmures » ou plus récemment de « Nous combattrons l’ombre », nous offre un texte brillant, plein d’humour, très littéraire et travaillé dans la syntaxe, une œuvre originale, à la fois pleine d’une fantaisie débordante et d’une redoutable finesse d’analyse psychologique.

Excellent et totalement réjouissant.
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Misericordia

Une vieille dame, en maison de retraite à l'hôtel Paradis, raconte ses journées, à l'aide d'un dictaphone parce qu'elle a des difficultés à écrire, pour elle-même, et pour sa fille, Lidia Jorge, écrivaine. Elle mourra en 2020 du Covid. Pendant un an, elle a raconté son quotidien, ses souhaits, ses cauchemars, et la vie qui coule lentement au fil des jours. C'est un superbe hommage de Lidia Jorge à sa mère, mais, sans être d'une lecture ardue, ce texte nécessite d'accrocher au personnage de Maria Alberta Nunes Amado, qui pourrait fort bien être notre mère ou notre grand-mère. Ses pensées sont parfois confuses, au moins au premier abord. D'où un texte qui manque de fluidité et dont le rythme n'est pas toujours agréable. Elle a peur de la nuit, encore plus avec des somnifères. Elle est diminuée physiquement mais est restée très observatrice et pleine de vivacité intellectuelle. Personnellement je l'ai trouvé très attachante. Elle évoque les lieux qu'elle a quittés, ses nouveaux amis, puis leur disparition. Sa façon de prendre la vie est saine et simple, elle est exigeante mais pas difficile, plutôt conciliante. Visiblement les EHPAD du Portugal ont bien des points communs avec les nôtres! Bien des comportements du personnel sont choquants, mais, même si rien de ce qui est pénible pour Alberta n'est omis, ce n'est pas l'essentiel. Lidia Jorge a réussi a faire de ce récit intime de sa mère (qui souhaitait qu'elle en fasse un livre) un beau roman sur le vieillissement, très original et assez inoubliable.
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Misericordia

🙏🏻Chronique🙏🏻



Alors la nuit, la perverse, m’a défiée, prenant entièrement possession de mon corps: « Raconte. »



Raconte-moi Dona Maria Alberta. Raconte-moi et je t’écouterai, attentivement, comme ma compère, la nuit. J’écouterai ce que tu sais de l’amour et des corps qui vieillissent, de la compassion et des corps qui se meurent, de la miséricorde et des corps qui disparaissent. Raconte-moi l’amour et les derniers jours. Raconte-moi tout de ce qui se passe à l’Hotel Paradis, dans ses moindres recoins, dans les pièces de couleurs et tout autour du domaine. N’omettant rien des preuves d’amour et de bienveillance mais aussi celles de la maltraitance. N’oublie rien, note, écrit, parle, observe, retransmet, vis, enregistre. Qu’il reste à ta fille, des traces de ton passage dans cette maison de retraite. Qu’il reste pour nous, l’éclatante vivacité de ton esprit, même si ton corps décline, raconte...

Raconte-moi les amies, les états passagers et l’humeur mélancolique permanente. Raconte-moi comment c’est de vivre entre quatre murs, raconte-moi les pertes et les joies futiles. Raconte-moi les ragots, les potins, les ateliers créatifs. Raconte-moi les questionnements qui vrillent la tête et font fléchir les corps. Raconte-moi l’humanité, la déshumanisation, le Covid. Raconte-moi les touts petits riens qui font les touts. Raconte-moi…

Et surtout, redis-moi que l’espoir est immortel. Je veux y croire aussi fort que toi, Maria Alberta. Je veux y croire pour mes jours futurs, car la nuit m’oppresse déjà. Mais comme toi, je ne la laisserai pas gagner. Je ne lui laisserai aucun combat. Plutôt entamer une grève de la faim que de lui laisser quelque chose. Je veux avoir ta force de persuasion, ton acuité intellectuelle, cette attention au monde. Je trouve tes poèmes extraordinaires et si beaux.



J’aime te voir entourée de ces charmants pensionnaires mais je sais aussi, que certains ne le sont pas: charmants, bienveillants, tendres. Je sais aussi, maintenant ,le turn-over des aide-soignants. Comme on ne s’habitue à rien, ni à personne dans ces lieux-là. Comme la souffrance peut être forte, mais aussi chassée d’une seule incantation. Grâce à ce que tu m’as racontée dans ce magneto et puis, comme par magie dans ces pages, je sais la douleur de ces fins de vies. Mais c’est encore de la vie. La vie, toujours la vie. La vie est affamée de liens, d’attentions, de douceurs. Elle est affamée de caresses, de paroles, de vœux. Jusqu’à la toute fin, elle est affamée de cela, parce que tout se fait rare avec la vieillesse. L’amour se barre loin des murs. Des fois, il apparaît aux fenêtres. Reste cette amertume, qui des fois, t’emporte, en terre aride. Laisse ta fille, s’émouvoir des anonymes. Laisse-la croire en ce qu’elle veut, puisque toi-même tu sais que la pensée est liberté. Sois libre. Je feuillèterai le livre, la nuit, le jour. Chaque fois, que je comprendrai que la vie est précieuse.

Je suis tellement émue de refermer ce livre, ce soir, qui parle de toi et de elle. Je suis émue d’avoir compris la double signification du titre. J’ai tellement d’espoir de connaître ce sentiment. La miséricorde. Tout un programme. J’y suis tellement sensible. Encore que, le pardon est si compliqué. Il me reste encore du temps pour apprendre. Je suis seulement une femme qui utilise des mots pour faire cette chronique. Ça me suffit. Et puis, d’autres fois, ça me hante comme Bakou.

Voilà, tout est offert, mais rien n’est dit, comme dans l’amour. Et pourtant, l’amour fait tourner le monde, et mon cœur par la même occasion.

Je sais que tu aimes la lecture chère Maria Alberta, alors peut-être tu garderas cette feuille dans une page de ton livre,au cas où le réconfort se fasse pressant. Je reste là à attendre le temps des étoiles.
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Misericordia

Maria Alberta Nunes Amado réside à l'Hôtel Paradis, transformé en maison de retraite. Elle regrette sa maison, là-bas, et se souvient des plantes, des livres, des voisins, de petites et grandes choses qui s’y sont déroulées !



L’état de ses mains l’empêche d’écrire plus que quelques mots et elle utilise un magnétophone pour relater ses journées, ses pensées, ses rêves et ses cauchemars mais aussi les événements et petites histoires de la maison de retraite. Ce témoignage va se dérouler sur un an et prendra fin en avril 2020 pendant la pandémie. C’est cette période que sa fille va retranscrire dans ce livre.



Nous découvrons Dona Alberti à travers sa perception d’elle-même et ses rapports aux autres, partagés en deux catégories “les fiables” et “les agresseurs” ! La nuit est la personnification de la Mort qui vient la voir quand elle ne dort pas et tente de l’attirer dans ses filets par des questions insidieuses. Chaque matin est une victoire, qui nous permet de profiter de l’attention qu’elle met dans chaque observation, chaque moment partagé avec ses compagnes de table, les soignantes ou sa fille !



Sa lucidité est redoutable et il est étonnant qu’elle soit restée “avec toute sa tête" à l’arrivée de la pandémie et pendant le confinement car aucune information ne leur a été donnée et le manque de personnel les a mis en grand danger. Il est étonnant de constater qu’elle était capable de dédramatiser certaines situations mais qu’elle grossissait jusqu’au conflit des faits mineurs racontés de sa fille.



Il est évident que l’autrice a dû remanier les paroles et les quelques écrits de sa mère, afin de pouvoir partager cette dernière année de vie avec ses hauts, ses bas et ses surprises !



Dona Alberti était une femme très étonnante, pas toujours sympathique, surtout avec sa fille, mais assurément intéressante et curieuse et il est rarement donné d’avoir accès à ce genre de propos ! Je ne peux que vous conseiller de le lire, il n’y a pas de misérabilisme et c’est une vraie ode à la vie.... jusqu’à la mort !!



#Misericordia #NetGalleyFrance #rentreelitteraire2023



Challenge Féminin 2022/2023

Challenge Entre Deux Thèmes 2023

Lecture Thématique septembre 2023 : Découverte auteur
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Misericordia

Bienvenue à l’Hôtel Paradis, résidence pour personnes âgées, où nous faisons la connaissance de Maria Alberta Nunes, que l’on appelle familièrement Dona Alberti qui enregistre sur son Olympus Note Corder, ses pensées, ses émotions dans l’établissement. Elle est arrivée le 18 avril 2019, à la suite d’une chute qui a laissé des séquelles qui ne lui permettent plus de rester chez elle.



Elle nous raconte au jour le jour, les évènements, l’ambiance, les amis (et les autres), les soignants, en nombre insuffisants qui s’occupent de leurs corps, les lavent les habillent, sans échanger le moindre mot, pas même un simple bonjour, alors que Dona Alberti est toujours polie, la manière dont on pousse son fauteuil, qu’on l’oublie dans un coin comme un meuble.



Dona Alberti se lie avec une autre pensionnaire, Dona Juana, (qui pousse le fauteuil à l’occasion) qui est très différente d’elle, se précipitant vers un nouvel entrant, encore bien de sa personne, mais plutôt volage…



J’ai aimé la relation qui se noue entre Dona Alberti et une des soignante, Lilimunde, jeune Brésilienne, qui est, elle, à l’écoute, dans l’empathie avec la vieille dame, elle lui parle de la façon dont elle arrivée au Portugal, avec un réseau « religieux » qui n’hésite pas à ponctionner le peu d’argent qu’elle gagne, « à titre de dédommagement pour service rendu ». Elle doit compléter son salaire à l’Hôtel Paradis, avec une activité nocturne dans un bar. Parfois, tellement épuisée elle dort quelques minutes sur le lit vide à côté de Dona Alberti. Lorsqu’elle tombe amoureuse d’un étudiant hongrois, en vacances, elle raconte son amour.



Mais, il y a une valse dans le personnel, certains s’en vont, d’autres sont renvoyés pour faute, et la situation devient de plus en plus pénible pour les résidents : on ne fait que le strict nécessaire ! mais un jour, de nouveaux visages apparaissent, moins exigeants sur le salaire, plus corvéables et parmi eux Ali qui a le malheur d’être homosexuel.



Il y a soixante-dix personnes dans la résidence, à la table de Dona Alberti, il y a une entente cordiale, mais à côté il y a la table du Club des « Six Gentlemen Distribuent des Cartes »et le comportement de certains est odieux, notamment vis-à-vis d’Ali, avec des gestes déplacés, une homophobie revendiquée…



Dona Alberti reçoit la visite de son gendre, de sa fille, écrivaine dont les livres ne plaisent pas du tout à Dona Alberti ; les relations entre la mère et la fille sont tendues, parfois à la limite de la toxicité, ce qui rendent la résidente un peu moins sympathique, mais on comprendra plus tard pourquoi.



Bon an mal an, on arrive à surmonter les crises, entre mère et fille, ou au sein de l’Hôtel Paradis, avec une invasion par les fourmis, et tout ce que cela implique : désinfection, appel au spécialistes (ce qui rappelle le phénomène punaises de lits très actuel !) ou encore, les décès, les maladies, les vols, le désir de mourir parfois… Jusqu’à l’entrée en scène d’un certain virus, le COVID : plus de visites, plus de médecins, les infirmiers qui fuient… Etc. Etc.



Dona Alberti enregistre sur son appareil, elle écrit aussi des petits mots sur des feuilles volantes, comme des Haïkus, qu’elle a parfois du mal à relire…



Une scène m’a beaucoup émue : Dona Alberti cherche dans sa tête de quel pays Bakou est-elle la capitale, mais les jeunes ne savent pas, ou s’en moquent éperdument, jusqu’à ce qu’un résident lui réponde en précisant que si elle a besoin de savoir d’autres chose, ils sont là, lui et son smartphone. Chez elle, elle possédait un atlas, un globe terrestre lumineux qu’elle n’a pas voulu emporter à l’Hôtel Paradis.



Lidia Jorge nous livre un beau témoignage, car il s’agit en fait des notes et enregistrements de sa mère, qu’elle a retranscrit le plus fidèlement possible, en améliorant le style de l’écriture, témoignage bouleversant, de l’enfermement, quand le corps ne suit plus, mais que la tête fonctionne encore très bien, l’empathie (je préfère ce terme à Miséricorde plus connoté religieux à mon sens) qui manque souvent, et le tsunami déclenché par le COVID… Le récit est très riche et j’ai choisi de donner la préférence à certaines des thématiques proposées par l’auteure, afin de ne pas être trop dithyrambique!



Un grand merci à NetGalley et aux éditions Métailié qui m’ont permis de découvrir ce roman et la plume de son auteure que j’ai envie de connaître davantage.



#Misericordia #NetGalleyFrance !
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Ce que j’ai ressenti:



💙Un Souffle de turbulences…



La famille Galeo connaît des jours nuageux et sombres. Dans la maison de leur enfance, la maison du Largo do Corpo Santo, ils se retrouvent, tous. Joâo. Silvio. Edmundo. Charlotte. David, Titi. Manuel. Un peu par dépit, beaucoup par commodité, mais surtout, dans le malheur d’un quotidien qu’il faut réévaluer à l’aube de la ruine familiale. Et forcément, ça crée des tensions pour les espaces de vies. Mais chacun, imagine un avenir radieux, auprès des siens, avec si possible, des petits bonheurs privés à atteindre, tout en faisant parti d’un tout. De la cellule familiale, de la vie en communauté, avec la beauté du paysage et des rêves-embruns, Lídia Jorge nous offre un roman choral sublime.



Là où il y avait des hommes, il y avait des perfidies, les perfidies étaient les fils de la toile d’araignée qui se tisse entre les hommes.



🔵 Et dans une sphère bleue…



Edmundo Galeano a une envie étourdissante d’écrire. D’écrire un livre. D’écrire « Le » livre. Avec cette folle audace en tête et la main mutilée fort impatiente, il regarde grossir une sphère bleue plutôt que sa famille…Il sent jaillir cette boule bleue en lui et l’entourer plus haut dans ses ambitions. Son foyer subissant multiples tempêtes pourtant, lui, il continue de chercher l’inspiration et l’appelle de toutes ses forces…Et à force d’écriture et d’introspection, il touche son rêve de ses doigts…



Lídia Jorge raconte la beauté ensoleillée de l’écriture créative, l’envie tenace de prendre la plume, les flux d’ardeur et de désespoir face au projet d’un livre à travers son personnage et c’est sublime. Le cœur de l’intention d’écriture. Tout en racontant, les peines de cette famille, elle nous démontre que c’est dans le quotidien parfois, qu’on peut puiser les idées, qu’on peut trouver avec un œil attentif, la richesse d’une belle histoire. J’ai adoré sa sensibilité d’écrivaine, sa façon de décrire avec des images fortes ou dans le plus infime détail, l’énergie qu’il faut déployer pour se dépasser avec la littérature.



La beauté. il savait qu’il devrait conquérir la beauté pour que son livre apporte une leçon. Ce qui lui semblait facile.



🌊Une ode à la mer…



Entre fleuve et océan, Estuaire est un roman qui t’embarque par sa beauté et son intensité. La plume de Lídia Jorge est puissante, suggestive, alarmante, poétique. Il y avait de la douceur dans les mots et puis d’un coup, des impacts tonitruants. J’ai adoré. Parce que c’était la vie avec ses coups durs, parce que c’était la mer avec sa magnificence , parce que c’était vrai, sincère dans chaque mot.



Les hommes devaient ficher la paix à la mer, la mer et ses fonds et ses abîmes, ses jardins secrets, ses nappes d’algues, ses créatures d’une infinie variété, son eau pure avec sa pointe de sel.



Ma note Plaisir de Lecture 9/10
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Misericordia

Ils sont rares, les romans qui mettent en scène des personnes très âgées, au crépuscule de leur vie. Des personnes dont on fuit souvent le regard.



Pour rendre hommage à sa mère, Maria dos Remédios, qui est décédée du Covid-19 en avril 2020, pendant la pandémie, Lidia Jorge a choisi de reconstituer la dernière année que la vieille dame a passée chambre 210, Hôtel Paradis. Un hôtel ? non, une maison de retraite du réseau "Santa Casa de Misericordia", au Portugal ; et Maria dos Remédios, qui n'aimait pas son nom, a pris, tout au long du roman, celui de Maria Alberta Nunes Amado. Quelquefois, elle sera simplement Dona Alberti.



Dona Alberti aimait écrire, et souhaitait plus que tout transmettre un témoignage. Alors qu'elle n'avait plus la force de tenir un cahier, elle a enregistré ses réflexions sur un petit magnétophone, et a réussi à gribouiller quelques lignes sur des feuillets qui ont été retrouvés et ordonnés. Lidia Jorge a écrit le roman à partir de tous ces éléments, auxquels elle a ajouté le souvenir de ses visites à la maison de retraite.



Lorsque nous ouvrons la première page de Misericordia, nous sommes le 19 avril 2019, il fait nuit, Dona Alberti est confrontée à la Nuit et à tous ses fantômes qui viennent la hanter. Nous faisons connaissance avec une vieille dame - un vrai personnage - qui a toujours beaucoup aimé la géographie et cherche le nom du pays dont Bakou est la capitale....

Dona Alberti nous dépeint en détail l'hôtel Paradis, ses résidents, et le personnel : le plus souvent de très jeunes femmes, immigrées, surchargées de travail, sous payées. Des jeunes femmes, comme Lilimunde, la Brésilienne, mais aussi des jeunes hommes, comme Ali, le jeune Maghrébin, qui se chargent de faire la toilette des résidents, de les faire manger, et leur parlent.... de la vie à l'extérieur, de leur vie.....

Le corps de Dona Alberti est usé, mais son regard vif se pose autour d'elle, et ne perd pas une miette du monde qui l'entoure.



Au gré des pages, le roman fera la part belle à la tristesse ou à la drôlerie, mêlera une pointe d'humour ou de réconfort à des situations difficiles. Un roman qui parle de vieillesse sans désespoir et nous dépeint des résidents qui souhaitent profiter de la vie que ce soit sous forme d'une musique, d'un oeuf sur le plat... d'un oiseau qui chante, ou du souvenir des fleurs de son jardin, comme Dona Alberti.



J'ai lu avec beaucoup d'émotion ce roman-hommage d'une fille à sa mère. Ce roman m'a beaucoup plu, je l'ai lu lentement, doucement, en souvenir de toutes les personnes âgées qui se sont brusquement retrouvées isolées, dans les maisons de retraite ou les hôpitaux, pendant la pandémie.

















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