Citations de Marie-Eve Lacasse (113)
Moi aussi, je changerais bien de vie. Il y a toujours cette possibilité, et puis non. On reste. La seule idée de cette liberté nous suffit.
Les gens sont rarement seuls. Il y a toujours quelqu’un qui vous suit ou vous précède, sans le secret des souvenirs.
C'était un moment intensément heureux qu'il conférait presque à la douleur ; il m'en fallait peu pour me réjouir d'être en vie, une année de plus.
Les gens, même quand ils sont archi-malheureux, ça ne leur traverse pas l'esprit une seule seconde que leur mode de vie ne soit pas enviable.
Quand on vous abandonne, il ne vous reste que cela. Ces riens-là. Les dernières images, comme des photographies. Ce sont des instants tellement simples, tellement humiliants de banalité.
On se sent très puissant quand on cultive la terre. C'est aussi un danger, parce que l'agriculture c'est aussi posséder et contrôler. La question c'est toujours : comment cultiver sans étouffer, sans blesser, sans forcer ? Comment accompagner la nature plutôt que de l'exploiter ?
Le plus étonnant, c'est qu'au- delà bien sûr de la stupéfaction et du chagrin et de la torture quotidienne que représente ce deuil vivant, ce départ m'a aussi enlevé un.poids.Vivre à travers les yeux de quelqu'un, qui exige, qui vous juge, qui vous désire, qui vous compare, qui vous ignore, ce regard tout le temps posé, c'est épuisant, c'est dur.(...)
quand tout à coup ce regard n'existe plus, bien sûr, c'est vertigineux, on a le sentiment d'entrer dans une paix inouïe.
( p.58)
Mais lâchez-nous la grappe, à nous, les gens sans enfants ! On s'en tape. Il y a un mot pour ça ? Il n'y a même pas de mots pour dire « non-parent », tellement c'est inconcevable dans notre bonne société chrétienne. On dit orphelin ou veuf ou célibataire mais pas non-parents.
Il peint à l'encre , sur de grands canevas, des corps nus et décharnés, des visages lacérés de tristesse. Les bras de ses modèles ressemblent à des branches mortes et les corps à des forêts de montagne lorsque les troncs dépourvus de feuilles se détachent des paysages enneigés.
Je m'assois à ta table de travail, caresse ta machine, les touches frappées mille fois. Je peux imaginer le calme et la panique de cet espace confortable qui n'exige rien d'autre que l'envie d'écrire un bon livre.
Les gens qui n'ont rien vécu dans leur vie, vous disent toujours ce qu'il faut faire. Ils ont déjà réfléchi à tous. Ils savent mieux que vous.
J'aime Conrad pour ses romans, mais aussi parce qu'il est un écrivain polonais émigré en Angleterre.Pour vivre en écrivain, il doit se transformer. C'est-à-dire qu'il doit s'arracher à son pays qui n'en est pas encore un et choisir une autre langue que sa langue maternelle pour écrire. Quand je lis ses histoires de vieux marins, j'entre avec lui dans la mer de l'inconnu: celle du langage.
( p.129)
Eux clamaient la liberté, moi je m'en foutais. Eux voulaient le désordre, et tout saccager. Moi, ma vie menaçait à tout instant de verser dans le chaos.
Le Voyageur apparaît, inspiration. Il disparaît, expiration. Tous les jours ainsi, rythmés par lui. Sa présence est aussi puissante que son absence.
Je lis, parce que je cherche, dans le secret d’une pensée autre que la mienne, des réponses dans la nuit des questions. Je me sens proche des exilés, des misanthrope, des incompris.
Cela dit, à la Commune, une certaine douceur s'est installée dans la routine des jours.Le fait d'appartenir désormais à un groupe sans chef rend tout désir de pouvoir obsolète et même ridicule.
(...)
Je me suis mise à admirer des gens qui étaient invisibles pour moi avant.Comme la femme qui m'a montré à faire du pain et le gars qui passe le balai.C'est un renversement complet de l'idéal, une autre définition de la grandeur qui m'est apparue.
( p.233)
Il n'avait jamais connu, comme la plupart des êtres, l'humiliation de son visage. Cette blessure de se réveiller tous les matins avec la même tête, le même corps, dans lequel on est enclos, avec lequel il faut faire face au monde.
Dans les deux dernières années, quand j'apprenais à des connaissances éloignées la disparition de Thomas, je prenais un certain plaisir à voir la réaction des gens. Surpris, tragiquement. Comme s'il n'y avait jamais eu de messages d'alerte. Ça me rendait dingue. Il y a beaucoup de gens qui ont une vie sans drame. Ils traversent la vie sans échecs, sans événements graves.
En tout cas, quand j'ai compris que Thomas ne reviendrait pas, que je ne le reverrais probablement jamais, je me suis souvenue avec une acuité terrifiante, terrifiante vraiment c'est le mot, des détails de la dernière heure, de la dernière minute.
(...)
Tout ce qui était insignifiant était soudain devenu de la plus haute importance. Quand on vous abandonne, il ne ne vous reste que cela.Ces riens- là. Les dernières images, comme des photographies. Ce sont des instants tellement simples, tellement humiliants de banalité.
Je bégaie intérieurement. Mes mots qui sortent de ma bouche ne sont pas les miens, le français ne sera jamais ma langue.je crois que c'est important de dire ça, pour parler de Thomas, parce que c'est là où on a vraiment accès aux gens, c'est dans leur rapport à la langue.
( p.46)