Marie-Eve Lacasse

C’est comme avec le Jour de l’Oural. Quand les pluies ont commencé, le chiffre des morts nous tétanisaient. Mais on s’habitue à tout. Vous vous rappelez, toutes les conneries qu’on se disait pour se rassurer ? Que les masses d’air chaud étaient repoussées par le Gulf Stream ? On s’habitue à la menace permanente, on s’habitue à l’idée de la mort, c’est un long apprentissage mais ça vient. Pendant longtemps, ça nous a semblé lointain abstrait. Ces pluies touchaient des territoires qui nous apparaissaient éloignés comme si on ne vivait pas sur la même planète, comme si nous n’étions pas reliés par le même univers. Le drame était obscure. Quand les contaminations reprenaient ici et là dans les cours d’eau et sans raison apparente, je sentais que, Léo et Hortense se crispations. Ils avaient été particulièrement impressionnés par les Italiens train de pomper les dernières réserves d’eau douce. Vous vous rappelez ces images ? Après quelques semaines la pluie la brume la neige redescendaient sous des seuils supportable. Alors les activités reprenaient, jusqu’à la pénurie complète à laquelle on est arrivés.

( Les heures, toutes les heures, deviennent profondes. Chaque nuage, chaque fleur, chaque goutte de sève est un miracle. Il m'arrive parfois de rire de bonheur à leur vision.À la question " pourquoi continuer", j'entrevois souvent une réponse qui me garde en vie.)

(p.242)

« Excusez-moi, mais je refuse d’endosser la responsabilité de son départ. C’est trop facile. » (p. 117)

« Et soudain, je vois l’histoire, je recompose les manques. Je réalise que les indices étaient nombreux, qu’ils étaient seulement dans le désordre. » (p. 225)

« Quand les gens partent, ils vous entraînent avec eux dans leur folie. C’est ça le plus égoïste. » (p. 63)

« Son départ, concret, rendait Thomas incroyablement présent, indispensable. C’est comme si d’un coup, par son absence, il apparaissait. » (p. 15)

Quand on s'exile volontairement, on brise quelque chose , on rompt le pacte avec les autres.

( p.101)

Pour vivre en anarchiste il faut posséder un peu.C'est ça qui est dur à admettre. Tout simplement parce que les pauvres qui vivent dans les HLM, qui sont relégués dans les quartiers des périphéries, ils en ont soupé de la dépossession.

( p.122)

Depuis que je te connais je vis avec l'inquiétude de te perdre. Pour la drogue, des hommes fantasques, des femmes bouleversantes qui t'emmènent ailleurs, là où je n'ai pas accès. Il y a les rivages poétiques qui ne m'ont jamais enchantée, les bals somptueux où je n'ai pas mes entrées, la rivalité vénéneuse d'un papier imbibé sous la langue et la complicité des piqûres que je n'ai jamais voulu partager.

On demande souvent aux petites filles de se taire, d'être polies, d'être aimables et beaucoup de femmes restent toute leur vie dans ce coin des pièces. Être mannequin est une suite logique de l'enfance.

Vivre avec toi c'est vivre avec d'autres vies.

Où étaient-ils, eux, avant ? Dans leur corps d'avant? Leurs existences de petits enfants ? Cachées ? Enfants de collabos ? De résistants ? Survivants ? Déportés même ? Au front ? Nous n'en parlions jamais.

Les années de peur étaient loin derrière, comme une chambre fermée à laquelle nous avions un verrou. Nous savions que cette pièce existait mais hésitions à y aller.

- La mode aujourd'hui c'est quoi ? Des tenues d'aérobic en Lycra.
- Pas que.

Il y a pourtant ce corps dont on ne fait pas grand-chose quand on est écrivain et qui pourtant vous rappelle à l'ordre, se plaint, vous envoie ses signaux, crie bien fort qu'il voudrait qu'on s'occupe de lui, de l'intérieur mais aussi de l'extérieur, de son enveloppe. C'est encombrant, mais c'est comme ça.

J’ai l’impression que nous sommes semblables, lui et moi, des errants, des wanderers.

Le détail qui me rassurait dans les heures qui ont suivi le départ de mon mari, c’est qu’il n’avait pas pris ses affaires. Je veux dire tout était resté dans le dressing. Ses vêtements, ses valises. Il n’avait pas préparé un déménagement. Il était parti avec son portefeuille et son téléphone. Avec toutes ses absences depuis des mois, j’avais commencé à imaginer des histoires. J’ai pensé à toutes les hypothèses, comme vous le faites, là. Sauf que, et là je vais peut-être vous surprendre, c’est que ça ne me gênait pas outre mesure. C’est agréable aussi d’être seule. Non, là j’enjolive les choses. Ça fait longtemps qu’il est parti, c’est pour ça. il ne reviendra pas, on est d’accord. Vous le pensez aussi ? C’est quoi la statistique ? Il n’y a pas de statistique ?

Louise Nadermann est morte et avec cette réalité toute naturelle s'était dissipée cette ombre de déception perceptible sur son visage lorsqu'il se tournait vers sa fille.

Aux premiers applaudissements Peggy ressent une euphorie, celle dont on est empli lorsque l'on provoque une rupture : diablement libre et diablement seul.

La petite chose gigotante qui demande du lait et de l'amour s'appelle Denis. C'est un drame et un ravissement à la fois, celui de n'être plus jamais seule.