Aujourd'hui sur Télématin, Olivia de Lamberterie nous parle de son coup de coeur pour la nouvelle parution de Ginette Kolinka avec Marion Ruggieri, "Une vie heureuse".
Déjà en librairie !
https://www.grasset.fr/livres/une-vie-heureuse-9782246832386
Je ne comprends pas pourquoi tu t'obstine à te massacrer ainsi.
Non, je ne veux pas faire d'enfants. Je suis une enfant! Ça ne se voit pas? Je mange comme si j'étais en pleine croissance. Je veux faire mes enfants à quarante-huit ans. Au Monténégro ou en Roumanie. Je veux profiter de la vie, voyager, travailler, sortir, partir du jour au lendemain sans prévenir. Je veux vivre comme un homme, même si je suis une femme et que l'homme et la femme, bla bla bla, on est d'accord, c'est différent. Je suis égoïste. Je ne veux pas de responsabilité. Ni carte de cantine, ni siège bébé. Je ne vois pas pourquoi, alors qu'on est adolescent jusqu'à ce qu'on crève, que l'espérance de vie à doublé en un siècle, il faudrait faire ses enfants à vingt ans comme au Moyen-Âge. Et ce ne sont pas les aigries, les mères à poussettes, les porteuses d'ordre moral, qui ont les hormones en folie à quarante ans, ni les Cassandre en blouse blanche qui décrètent brutalement, d'un air las et culpabilisateur, qu'à partir de trente-six ans ça décline, et qu'à quarante-deux ans c'est fini, qui vont me faire changer d'avis.
Mon père appartient à cette génération qui, sous prétexte qu'elle est née après guerre et en plein progrès, a décidé que son combat d'une vie serait de ne pas mourir. De ne pas mourir, donc de ne pas vieillir. D'arrêter le temps. Au début, je croyais qu'il était le seul atteint. Et puisj'ai vu d'autres spécimens, je les ai parfois côtoyés : les faux jeunes. Au début je croyais que le syndrome ne touchait que les hommes de son âge, les éternels 'baby-boomers', puis je me suis aperçue que la génération suivante était pire. Déjà faux jeune à quarante ans. Voilà le problème. Les gens ne veulent plus mourir. Alors ils volent la vie de leurs enfants. Ce sont des ogres
Tout comme on se fait ses vrais amis avant vingt ans, j'ai l'impression que les humiliations n'ont plus la même violence après l'adolescence.
(Ta mère vit comme un mec, m'avait un jour soufflé Monsieur L..., l'air coquin mais bienveillant, elle bosse comme un mec, aime comme un mec et paye au restaurant) : une fille qui couche est une pute, un type qui tombe est un don Juan. Tout ce féminisme, ces années de lutte, ces grands airs, pour en arriver là ...
Je suis punie ou quoi? Non, je ne veux pas faire d'enfants ! Je suis une enfant !Ça ne se voit pas?
Cet amour n'était pas naturel. Et pourtant je m'étais donné un mal considérable pour qu'il voie le jour. J'avais intrigué, téléphoné, déjeuné. J'avais choisi des tenues chamarrées, pris les devants. Surtout, j'avais surmonté mon écoeurement pour ce vieux corps sexy qui m'attirait. Je me réconfortais en constatant que plus on vieillissait, plus on aimait les choses dégueulasses, les trucs qui puent, l'inconnu. Le caviar, le fromage, les huîtres sont des trucs de vieux. Comme les partouzes. Le mécanisme est aussi vain qu'éculé : s'enfoncer dans le scabreux pour retrouver, paradoxalement, la pureté des sensations premières. Proust, sur le tard, avait paraît-il besoin de voir des rats s'entre-tuer pour bander.
Avec Tristan, c'est une autre histoire, nous testons tous les squares entre l'école et chez lui, semant notre désir au hasard des pelouses municipales, nous roulant dans l'herbe, indifférents aux soupirs scandalisés ou concupiscents des passants.
Une fille qui couche est une pute, un type qui tombe est un Don Juan.
La moitié sud de la terre est privée d'adolescence et la moitié nord en a à revendre