Comédie Française, de Mathieu Sapin, évoque la comédie du pouvoir, vue de la coulisse, comme le suggère le sous-titre : voyages dans l'antichambre du pouvoir. La citation finale, extraite des Caractères de la Bruyère, donne une clé à la fois rétrospective et prospective : "Dans cent ans le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes acteurs..."
Mathieu Sapin est le protagoniste de son récit, qui se veut autobiographique. Suivant de près la campagne électorale du candidat Macron, puis les déplacements du Président Macron, il se trouve embarqué (embedded) dans son équipe, avec les avantages et les inconvénients du statut. S'il suit les évènements, c'est par le petit bout de la lorgnette. Il s'intéresse à l'accessoire plutôt qu'à l'essentiel : aux chaussures transparentes d'une porte-parole plutôt qu'aux discours de "l'itinérance mémorielle", à la mallette contenant les codes nucléaires abandonnée par l'aide de camp plutôt qu'au discours de clôture du forum sur l'investissement prononcé par le Président à l'ile de la Réunion. Tout est identifié de manière un peu maniaque et presque illisible, illustrant le dessin, un peu schématique, d'étiquettes sur les personnes représentées, facilitant le jeu de l'identification et évitant de devoir faire ressemblants des personnages semi-inconnus.
Les impressions de l'auteur-acteur, notées fidèlement en contrepoint de l'action, donnent au récit un caractère distancié et cocasse. Ressassant ses impressions à la manière bavarde de Woody Allen, il oscille entre la critique (timide) et la fascination (irrésistible), surtout lorsque Emmanuel Macron le salue d'un clin d'oeil complice, lui susurrant avoir lu et aimé son dernier album sur Depardieu. Éric Orsenna, dans un roman autobiographique, Grand amour, avait parfaitement décrit l'emprise du Puissant et l'empressement de la cour autour du souverain, dont il faut satisfaire les caprices, comme, par exemple, "déjeuner avec Depardieu".
La Comédie française est fondée par une ordonnance du Roi soleil le 21 octobre 1680. Elle fusionne les deux troupes parisiennes rivales : celle de l'hôtel Guénégaud (et de Molière) avec celle de l'hôtel de Bourgogne. le titre de son album autorise donc Mathieu Sapin à projeter son lecteur au temps le Louis XIV, de sa cour, et de la rivalité des hommes de lettres et de théâtre de l'époque. Racine y tient la vedette. Sapin, dans de savants aller-retours, raconte la vie du célèbre dramaturge avec drôlerie, un peu à la manière leste de Jean Teulé plutôt qu'à la manière cérémonieuse de Saint Simon. On découvre qu'on peut être un auteur très célèbre dont on ignore à peu près tout de la vie. Le pauvre Racine, poète flagorneur, écrivain à succès, devenu historiographe officiel du royaume, laisse en jachère son génie pour le confort d'une pension et la vanité des honneurs. Mathieu Sapin, son biographe, est un peu effaré de se retrouver parfois dans son modèle, toutes proportions gardées...
Les coulisses de l'Élisée, les hélicoptères et les avions sont le cadre de scénettes drolatiques où la grandeur se dilue dans le banal. Le voyage dans l'Océan indien, des Mascareignes aux Comores, de Tromelin, -survolé- aux iles éparses du canal de Mozambique, illustre la vacuité du déplacement officiel, qui devient l'occasion de transporter des amis choisis dans une pittoresque excursion aux frais de la République. La visite officielle à l'ile de a Grande Glorieuse est une première ! "Ça va lui faire du bien, un peu de biodiv' , au président" note sentencieusement une Isabelle Autissier, embedded elle aussi dans cette croisière au bilan carbone sous-estimé.
On ne trouvera pas d'analyse, de jugement ou de préférence politique dans ce récit. L'auteur est multicarte : Depardieu, Hollande, Macron, et même Marine. Ce ne sont pas quelques scrupules de conscience, vite étouffés, qui l'empêcheront de remplir sa mission d'historiographe, en miniaturiste plutôt qu'en peintre de grand genre, en trou de serrure plutôt qu'en panorama, mais pour le plus grand plaisir du lecteur qui préfère toujours, un peu honteusement, la lecture des échos mondains de Gala au rappel des hauts faits du "Siècle de Louis XIV" de Voltaire.
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