Il s'écoula douze minutes […]. Urquhart les consacra à observer d'un œil distrait les portraits des prédécesseurs de Collingridge accrochés aux murs de l'illustre escalier* [* l'auteur parle du 10 Downing Street, résidence du Premier ministre britannique]. Il ne parvenait pas à se défaire de l'impression que les derniers titulaires du poste étaient pour la plupart aussi falots qu'inconsistants. Ternes, sans souffle, absolument pas faits pour la fonction. En leur temps, ceux de la trempe des Lloyd George et des Churchill avaient été des leaders magnifiques, dotés d'une autorité naturelle. « Pourtant, songea Urquhart, les laisserait-on parvenir au sommet aujourd'hui ? » Le premier, aux mœurs légères, avait par ailleurs été impliqué dans un scandale autour de la vente de titres de chevalerie et de pairies. Quant au second, il avait consacré bien trop de temps dans son existence à boire, contracter des dettes et céder à son tempérament. Tous deux étaient des géants, mais ni l'un ni l'autre n'auraient franchi l'écueil des médias modernes. Le monde avait été livré aux pygmées, aux hommes sans stature ni ambition, choisis non pas pour leurs qualités exceptionnelles mais parce qu'ils ne dérangeaient personne. Des hommes qui suivaient les règles imposées au lieu de se forger les leurs. Des hommes… « Eh bien, des hommes comme Henry Collingridge. »
Première partie, chapitre 7.
"Politique". Le mot vient du grec ancien. "Poly" signifie "plusieurs".
Et la "tique " est un minuscule insecte suceur de sang.
La vérité est comme une bouteille de bon vin. C'est souvent dans le coin le plus sombre et reculé d'une cave qu'on la trouve. Il faut la tourner un peu à l'occasion. Et puis, avant de l'exposer à la lumière et de la servir, il peut également être utile de la dépoussiérer un peu.
La carrière politique de McKenzie s'acheva au même endroit. Peu importait que le fauteuil ait été vide, que la blessée ne soit finalement que très légèrement touchée, et qu'en outre elle ne soit en rien une infirmière, mais une permanente d'un syndicat, rompue à la pratique des piquets de grève montés en épingle. Aucun journaliste ne prit la peine d'enquêter. Mais après tout, pourquoi l'auraient-ils fait? Ils tenaient déjà leur histoire. La marée avait tourné et repoussé le pauvre McKenzie vers le large.
Westminster est un zoo. On y trouve de grands fauves enfermés dans des cages, exposés à la vue de tous, et dont la vigueur et la force d’âme s’étiolent lentement, inexorablement, objet de dérision pour les esprits rabougris et de profond désintérêt pour ceux dont les pensées sont élevées.
Je préfère la jungle. p.396
Il est impossible de comprendre réellement ce qui s’est produit à Yalta sans sonder le cœur et les entrailles de ces trois vieillards épuisés, dont l’un, Roosevelt, n’avait plus que quelques semaines à vivre. Ce qu’ils ont accompli en quelques jours devait affecter de façon dramatique le cours de l’Histoire pendant les cinquante années à venir et mettre en péril tant d’enjeux pour lesquels ils étaient entrés en guerre. Il est presque impossible d’avoir une lecture claire de ces évènements si l’on n’a pas cherché à comprendre ces trois hommes, leurs ambitions, leurs craintes, leurs haines et leurs passions. Alors, seulement, l’Histoire explose soudain de vie.
Staline, pourtant n'en avait pas fini avec Churchill :
- Des rumeurs courent en Suisse, monsieur Churchill, sur un éventuel accord que vous souhaiteriez passer avec l'Allemagne. Une paix séparée, quand ils seront débarrassés de Hitler.
- Je dois vous dire, maréchal Staline, que ce n'est pas dans mes habitudes de passer des accords avec Hitler. Mais, si je devais l'envisager, soyez assuré que je viendrai (sic) vous consulter en priorité, afin de bénéficier de votre expérience considérable en la matière. (p.282)
Jeudi 10 juin
Il lui semblait qu’un instant à peine s’était écoulé depuis qu’elle était rentrée chez elle, d’un pas rendu chancelant par la fatigue. Pourtant, par l’interstice des rideaux, le soleil l’avait déjà rejointe sur l’oreiller pour glisser l’éclat tranchant de sa lumière derrière ses paupières closes. Agacée, elle se tourna de l’autre côté. Sa tête la lançait atrocement, ses pieds lui faisaient mal, et la place à côté d’elle dans le lit était vide. Participer à l’éclusage de cette seconde bouteille de vin blanc sucré allemand, du Liebfraumilch, avait vraiment été une idée à la con. Elle avait baissé sa garde, au point de se retrouver dans les cordes, coincée par un sale type du Sun, tout en acné et sous-entendus. Elle n’avait eu d’autre choix que de lui renverser le fond de son verre sur la chemise pour qu’il comprenne enfin et batte en retraite. Elle risqua un œil sous la couette, histoire de s’assurer qu’elle n’avait pas complètement merdé, et qu’il n’était pas tapi quelque part entre ses draps. Malgré elle, elle poussa un soupir de lassitude ; elle n’avait même pas enlevé ses chaussettes.
Il est toujours bon pour un homme politique d’avoir une vision. Oui, la fameuse « vision ». Avec elle, à tous les coups on gagne. Bien pratique, n’est-ce pas ? Et pourquoi cela, me direz-vous ? Et bien, parce que par temps clair et dégagé, la plupart des politiciens voient loin, très loin… Pour tout dire, j’en connais qui arrivent presque à voir jusque de l’autre côté de la Tamise. p.14
Gagner la guerre, mais perdre la paix. L'héritage perpétuel des imbéciles.
(p 200)