Lecture par Anna d'Annunzio
Entretien avec Philippe Rey & J.M.G. le Clézio (en duplex des Etats-Unis)
Entretien animé par Julien Viteau
« La poésie de Jean Fanchette est exigeante, elle est authentique dans chacune de ses paroles, dans la richesse de son rythme, la valeur de ses mots. Il n'est pas indifférent que dans le monde moderne, imbu de théorie et assourdi de certitudes, ce soit cette voix très ancienne, qui charrie toute la complexité et l'originalité de la culture mauricienne, il n'est pas indifférent que ce soit cette voix-là qui nous donne foi dans la poésie. »
J. M. G. Le Clézio
L'Île Équinoxe, anthologie poétique de Jean Fanchette, (Île Maurice 1932 Paris 1992) poète, éditeur et neuro-psychanalyste rassemble, selon le plan laissé par avant sa mort, les différents recueils composant son oeuvre poétique. Empreints de rigueur formelle, ces écrits disent la nostalgie de l'île d'origine, abandonnée très tôt pour la patrie d'exil : « Je ne suis pas d'ici. Je ne suis plus d'ailleurs. » Cet arrachement ne laisse plus au poète qu'une « identité provisoire ». L'Île Équinoxe est traversée par la voix vibrante d'un homme qui, grâce à l'aventure du poème, peut se réapproprier un monde perdu.
« Je suis debout dans la trouble lumière
Arrimé à de petites choses, une odeur, une couleur
L'odeur du vent traverse l'espace salé de la lagune qui habite en moi,
Qui bat dans mon sang vagabond d'hémisphères »
L'Ile Equinoxe : Poèmes 1954-1991, Jean Fanchette
À lire Jean Fanchette, L'Île Equinoxe, (préface de J.M.G. le Clézio, postface de Michel Deguy), réédition chez Philippe Rey, 2023.
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Âmes moins sœurs à corps moins frères
et toujours moins de moins en moins
Cet aphélie nous intéresse
est-il encore possible de convivre
...à moins que justement cela
ne soit ce qui nous tienne
ensemble à l'impossible
La soixantaine de photos que nous considérons ici, que « disent-elles » ? Elles disent quelque chose dans la mesure où elles sont lues en étant vues comme « message » au sens moderne – et nous savons que, par les nouvelles conditions postales, le message se faisait image et inversement ; message et image échangeant une neuve réciprocité de preuves – « émettant » des signes et des significations, et parfois des signaux : prenant ce caractère que notre modernité dira sémiotique, d’icônes à recevoir comme légendes à demi muettes et par rébus. Ce caractère sémiologique, nous nous persuadons que les cartes le possèdent, et de plus en plus au cours de leur multiplication et de notre examen, si nous essayons de les classer, de les ordonner, à divers titres, ou comme dirait la discipline, sous divers sèmes. Et certes nous devons jouer – c’est important – à détitrer, à retitrer, ou surtitrer ; à nommer et faire varier les nominations. Mais d’une nomination qui étonnerait – non pas tant descriptive et résumante que poétique au sens où Mallarmé improvisé le poème de la circonstance du poème – nous attendons précisément qu’elle déconcerte l’attente commune, au sens commun, (comme un) donc implicite (celui que nous élaborions si nous voulions décrire la carte à quelqu’un qui ne l’aurait pas sous les yeux) qui permet que les cartes soient pour tous, offertes à tous, lisibles à tous, échangeables, glosables (fables)…
Ce lieu me suffit
Où le parfum n'est pas rare
Mais la même senteur d'algue et d'hortensia
Dans les linges frais de l'air
Alluvion des cris Minerai d'hirondelles
Dans le delta du vent les plissements du vent
La trembleraie bleuit
Le pouls de l'étang bat
Toutes les trois heures un poème
Devient nouveau puis se ternit
Sous la lecture Recroît dans le silence
2. Généalogies.
ROI SOLEIL
Quand le roi se levait de bonne heure
Marchait au fond dans l'eau du matin
Le scaphandre aux souliers de soie
Longe les combles poissonneux
Hante les palais démâtés.
Dans l'aube dorée sans courant
Luit un banc d'ardoises squameuses
La vase et l'épave le roi rêve
De les quitter si haut qu'il connaisse
À l'autre bord du jour transparent
Le pêcheur rouge penché qui verse
Au fond ses hameçons de lumière
p.57
Le Suspens
Est sublime ce qui retombe
moins vite que nous, les pesants
Sublime la chose, l’être.
qui retient un instant sa chute
Le dégravir le ralenti le frein du périr
l’escalier dans le ciel
la fontaine romaine
le feu d’artifice
Le thrène populaire
OUÏ DIRE
Bleu gris peu de couleur permis au ciel
Permises à la terre mais variées dans les bornes
Je viens de voir passer les canards stochastiques
Silence aux castagnettes du pommier
L'automne où refroidit le corps
Il corrompt ses oronges aux fanges des vicinales
Du seuil d'où il y a, qui encadre le champ
Il buissonne de roux le houx qui résiste
Et laisse s'assombrir les troncs osmotiques
p.135
Je t'ai baisé la main pour te dire adieu
Comme si nous pouvions t'envoyer là
D'où tu nous veillerais nous parlerais
Sachant qu'il n'y aurait ni au revoir ni à dieu
Extrait du poème Prose du suaire - Pour Abdelwahab Meddeb
traduit en vingt langues dans ce recueil
TOMBEAU DE DU BELLAY
Coup de silence
la distance détale
Écho de sans bruit
le premier cri rejoint la douleur décalée
décapitée lucide
Le printemps dégorge un froid miocène
Déjà l'été courcit le jour
Et le retard annonce
Et le premier succède
p.286
Moraine bleue dans le glacier du soir
La vigne rentre sous le vert, le bleu reprend le
ciel, le sol s'efface dans la terre, le rouge
s'exhausse et absorbe en lui les champs de Crau.
Les couleurs s'affranchissent des choses et
retrouvent leur règne épais et libre avant
les choses, pareilles à la glaise qui précédait Adam.
Le saurien terre émerge et lève mâchoire
vers la lune, les années rêveuses sortent des grottes
et rôdent tendrement autour de la peau épaisse. Falaise se
redresse, Victoire reprend son âge pour la nuit. Les nuages
même s'écartent, les laissant.
En hâte quittée cette terre qui tremble
ils se sont regroupés dans la ville, bardée de portes.