AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Nina Yargekov (43)


Lorsque dans votre texte vous rejoignez l'instant présent, vous écrivez : "j'ai attrapé le cahier à spirale qui se trouvait dans ma valise lors de mon arrivée et j'ai entrepris d'y résumer les événements des trois derniers jours". Vous ne pouvez résister à la tentation d'insérer, entre parenthèses après le mot cahier, la mention "coucou le cahier oui c'est de toi que je parle". Là-dessus vous ajoutez également : "coucou le cahier oui c'est de toi que je parle quand j'écris "coucou le cahier oui c'est de toi que je parle" quand j'écris "coucou le cahier oui c'est de toi que je parle". Vous gloussez, vous pourriez continuer longtemps ainsi, avec de plus en plus de guillemets, toujours plus de guillemets qui s'ouvrent et se ferment et qui s'ouvrent encore, vous ne vous arrêteriez plus, vous vous amuseriez beaucoup, ce serait une farandole de guillemets, une guirlande typographique à perte de vue (...) et là vous seriez surpuissante, vous auriez conquis le monde.
Commenter  J’apprécie          20
on croirait que le récit permet de se souvenir alors que c'est de se souvenir qui permet le récit naturellement
Commenter  J’apprécie          20
Comme quoi la peur est dotée de facultés auto-réalisatrices, qui cherche à éviter un phénomène fonce droit dedans, Oedipe a peu ou prou eu un souci similaire avec son destin.
Commenter  J’apprécie          20
Le déclin français. Quelle indécence. La France sur le plan international on ne la respecte plus, il y a des tas de pays indisciplinés qui bavardent au fond de la classe, c'est intolérable, il convient absolument de restaurer son autorité. Appeler cela un déclin. Ils n'ont pas idée de ce que c'est que le déclin. La chose se construit sur la durée, un pays qui se portait comme un charme il y a quelques décennies ne peut pas être en déclin. Le jour où les Français ne seront plus dans le G7, où on oubliera de les inviter aux sommets internationaux, où on leur demandera si Berlin est bien leur capitale, si leur langue s'écrit bien au moyen de l'alphabet grec, là vous voudrez bien reprendre la discussion sur le déclin français. Le malheur français sera toujours bancal, on ne peut pas être totalement malheureux quand on est français. Ils essaient pourtant. Ils râlent, ils se plaignent. Mais ils n'y arriveront pas. En art du malheur ils seront toujours mauvais. Geignards, oui. Tragiques, jamais.
Commenter  J’apprécie          20
« Parce que ma peine, mon deuil, je veux que vous les voyiez. Vous serez mes témoins. Ce sera votre travail. Votre mission. Votre charge. Moi je ne témoigne pas, j'agis.
C'est une douleur intolérable. Je choisis les mots avec soin. Intolérable, provenance étymologique de qu'il est impossible de tolérer et pourtant on est obligé. Surtout qu'on est si mal préparé. Il n'y a pas de cours de deuil à l'école. Il n'y a pas de département de deuillologie dans les centres de recherche. On vous renvoie vers les thérapeutes, les médecins. Comme si c'était exclusivement un problème personnel. Un malaise singulier, à soigner au cas par cas. Comme si ce n'était pas une affaire collective ce putain de suicide [...] » (pp. 172-173)
Commenter  J’apprécie          20
Assise à la table d’un restaurant libanais vous examinez le patron tout en dissimulant votre visage derrière un menu plastifié, c’est un habile subterfuge afin d’observer sans être observée, quelle championne de l’espionnage décidément, vous auriez dû faire deux trous au niveau de la liste des mezzés, cela aurait été encore plus discret. Il s’affaire derrière le comptoir, il est grand et brun et probablement libanais, on vous pardonne ce hâtif postulat, c’est la faute du contexte qui a orienté votre jugement. Vous n’êtes pas rassurée de vous trouver en présence d’un immigré originaire d’un pays non occidental : avec votre grosse empathie, vous pourriez essayer de feindre d’être libanaise afin de le consoler de ne pas être né français. D’ailleurs n’est-ce pas ce que vous avez tenté avec le chauffeur de taxi ? À bien y regarder, vous avez plus ou moins essayé de faire semblant d’être algérienne. Vous êtes vraiment insortable.
Vous risquez un œil (les deux, en fait) par-dessus le menu plastifié. Le patron vous fait l’effet d’un oiseau exotique déplumé, il y a dans son attitude quelque chose de digne de cassé, de sa personne irradie un radical abattement. Vous en devinez aisément la cause, vous êtes la seule cliente dans la salle, voilà donc un pauvre immigré qui a cru faire fortune en France et qui est au bord de la faillite. Une entreprise qui coule c’est un projet de vie qui s’effondre, ce sont des années de travail acharné qui partent en fumée. Vous manquez d’en avoir le cœur fendu, mais au dernier moment, le moment juste avant le schisme cardiaque sauf que finalement il n’a pas eu lieu, vous empoignez vigoureusement l’organe frondeur et l’obligez à se recoller, une cliente qui meurt dans un restaurant c’est une très mauvaise publicité, vous lui assèneriez le coup fatal.
Le patron vient prendre votre commande, son visage est fermé, son regard est sombre, il y a des poissons morts dedans. Vous écarquillez les yeux, vos cils touchent pratiquement vos sourcils, vous êtes drôlement souple des paupières dites donc. Son dépôt de bilan ce n’est pas seulement son rêve mais celui de toute sa famille qui se brise, il était parti en fanfaronnant, la France l’avenir radieux et la gloire retrouvée des Phéniciens, pour eux là-bas il est celui qui a réussi, celui qui a pris le risque d’avoir une vie meilleure, dire l’échec peut-être pire que l’échec, il est assurément en pleine dépression réactionnelle. Sauf que non, vous étiez dans l’erreur abyssale, son établissement est en excellente santé, c’est lui-même qui vous le dit lorsque vous lui demandez si la restauration ce n’est pas trop dur avec la crise économique et la concurrence des fast-foods américains et des gens qui préfèrent garder leur argent pour financer des actions en faveur des moines tibétains. L’horloge devant vous indique 15h23, que le restaurant soit vide est effectivement assez normal, vous avez été victime d’un complot d’indices concordants qui en fait ne concordaient pas. (Page 148)
Commenter  J’apprécie          10
Lorsque dans votre texte vous rejoignez l’instant présent, vous écrivez : j’ai attrapé le cahier à spirale qui se trouvait dans ma valise lors de mon arrivée et ai entrepris d’y résumer les événements de ces trois derniers jours. Vous ne pouvez résister à la tentation d’insérer entre parenthèses après le mot cahier, la mention : coucou le cahier oui c’est de toi que je parle. Là-dessus, vous ajoutez également : coucou le cahier oui c’est de toi que je parle quand j’écris « coucou le cahier oui c’est de toi que je parle ». Vous relisez et vous écrivez encore : coucou le cahier oui c’est de toi que je parle quand j’écris « coucou le cahier oui c’est de toi que je parle quand j’écris « coucou le cahier oui c’est de toi que je parle » ». Vous aussi, vous pourriez continuer longtemps ainsi, avec de plus en plus de guillemets qui s’ouvrent et qui se ferment et qui s’ouvrent encore, vous ne vous arrêteriez plus, vous vous amuseriez beaucoup, ce serait une farandole de guillemets, une guirlande typographique à perte de vue, cela déborderait de la page, puis le cahier, puis tout l’appartement, et au final Paris, la France et la planète entière seraient recouverts de guillemets tracés par vos soins, et là vous seriez surpuissante, vous auriez conquis le monde. Mais non. Vous voyez bien la pente savonneuse, les fractales et les boucles logiques vous avez déjà donné. Et cette fois-ci le basilic ne pourrait rien pour vous, il est 3h du matin, à cette heure tardive les végétaux normaux et équilibrés dorment depuis belle lurette. De toute manière il faut vraiment aller vous coucher.
Commenter  J’apprécie          10
Votre domicile présumé est situé boulevard Voltaire à Paris, vous avez donc emménagé dans la capitale, tant mieux, quitte à être française autant être parisienne, c’est plus franc et plus net, sans compter que depuis votre hôtel c’est nettement moins loin que Lyon, il suffit de prendre le métro et de descendre à la station Charonne. C’est précisément ce que vous faites, sauf que vous avez un petit accident mental à la sortie de la station. En effet, tout occupée à affûter vos arguments en vue de vos retrouvailles avec votre mari par amour, qu’il comprenne bien que ce n’est pas à vous de vous excuser d’arriver avec un jour de retard mais à lui de se faire pardonner de ne pas être venu vous accueillir à l’aéroport, vous en oubliez que vous portez des sandales à paillettes dorées de très hauts talons, ce qui n’est pas la chaussure la plus adaptée à la manœuvre que vous êtes en train d’amorcer, à savoir soulever votre grosse valise pour la faire passer par-dessus le tourniquet métallique du métro, résultat vous manquez de vous tordre la cheville et vous vous mettez à pester contre vos pieds, vous aviez justement choisi les sandales à paillettes dans l’espoir d’initier un rapprochement avec eux, vous croyez qu’ils se sentiraient flattés d’être ainsi mis en lumière, mais devant la première difficulté c’est la défection podale la plus complète, quelle ingratitude ; là-dessus votre valise retombe lourdement au sol, vous tentez de la faire passer par en dessous mais elle se coince dans les branches du tripode, et face à ce nouvel ennemi vous avez une soudaine illumination, si Don Quichotte était parmi nous il s’attaquerait aux tourniquets du métro qu’il prendrait pour des extraterrestres ayant colonisé la terre ; or c’est exactement à cet instant-là, alors qu’entre votre projet de scénario pour Hollywood, vos pieds et votre mari, vous êtes complètement débordée, que surgit dans votre champ de vision une plaque commémorative comportant le mot Algérie. (P57)
Commenter  J’apprécie          10
Ah et encore une chose, c’est toujours votre avocat qui parle tandis que vous vous recouvrez d’une honte grise et sèche, que vous vous enfoncez dans une cuve remplie de gravats, que vous avez de plus en plus de mal à respirer, regardez les vieux passeports de vos parents, ils avaient obtenu un visa de sortie pour séjourner côté Ouest. Si vous en doutiez encore, cet élément suffit à lui seul à mettre en échec toute hypothèse de persécution politique, les régimes communistes aimaient serrer fort contre leur poitrine leurs brebis idéologiquement égarées, et par voie de conséquences, jamais des opposants, ou des personnes suspectées de l’être, n’auraient obtenu le droit de quitter le pays. Le Mur, ou le Rideau, ces zones truffées de mines, avec des miradors armés de mitrailleuses, des chiens et des alarmes, servait à empêcher les gens de partir, de sortir, de quitter l’Est, il sait que vous le savez il vous le rappelle à vous de voir ce que vous en ferez. À propos de Mur, il a une anecdote, tenez vous bien, le 8 mars 1989 un type essayant de fuir l’Allemagne de l’Est en montgolfière s’est écrasé au sol, et il est mort. Le 8 mars 1989. Vous réalisez ? Comme quoi même à quelques mois de la fin les gens ignoraient que la fin était proche. Étaient prêts à risquer leur vie. C’est dingue, non ? Vous ne souriez pas ? Vous n’aimez pas les faits divers, les morts absurdes ? Lui cela l’amuse, il a l’humour grinçant. Oh mais déridez-vous, ce sont de vieilles histoires, la mode des montgolfières germaniques est passée, désormais ce sont plutôt les bateaux en Méditerranée.
Commenter  J’apprécie          10
Bonjour, ici Dieu. Veuillez s'il vous plaît arrêter d'ajouter des dimensions supplémentaires à votre récit. Cette affaire de narratrice de la narratrice tient du délire, cessez donc de vous autocommenter continuellement et renoncez une bonne fois pour toutes à votre fantasme d'exhaustivité car, que les choses soient bien claires : je suis le seul à pouvoir l'incarner et je commence à être légèrement agacé par vos tentatives. En outre, enfin je dis ça pour vous hein, mais vous êtes en train de pousser au suicide les quelques lecteurs qui ont tenu le coup jusqu'ici et, par ce biais, de vous discréditer complètement. Sur ce, je m'éclipse, Amen.
Commenter  J’apprécie          10
Il s'agit en réalité d'une forme d'humour néo-absurde, que d'un point de vue stylistique on pourrait qualifier d'anti-prolepse : on annonce quelque chose et on ne le fait pas.
Commenter  J’apprécie          10
Et la révolution, oui, la révolution commence lorsque bascule ma balance Roberval, c'est son travail, et qu'on décide que le risque de changer le monde vaut bien celui de la mort.
Commenter  J’apprécie          10
Vous montez chez vous, vous vous embrassez à tous les étages, puis devant votre porte, puis derrière votre porte, puis sur votre lit, il vous déshabille, vous le déshabillez, il sent bon, encore encore qu'il vous embrasse, vous adorez sa langue dans votre bouche, vous êtes folle, vous ne savez pas ce que vous voulez, à la fois vous voulez immédiatement sur-le-champ, vous mourrez s'il vous faut encore attendre, et en même temps non, vous voulez attendre encore pour mourir encore un peu d'attendre, vous êtes complètement désorganisée et pourtant tout est clair et dans ce désordre limpide vous êtes heureuse, il est si beau, vous ne vous lassez pas de le regarder, vous ouvrez grand les yeux pour fixer l'image mais vous voulez aussi les fermer pour vous abandonner totalement, comment faire, ce sont de très graves problèmes, survivrez-vous à leur irrésolution, et vous soupirez, vous soupirez beaucoup, et vous n'en pouvez plus, et vous voudriez lui dire, et subitement c'est la panique.
Commenter  J’apprécie          10
Or ce soir, vous avez bafoué la seule chose qui vous était personnelle, qui vous appartenait en propre, par rapport à toute la misère du monde le geste végétarien ce n'est rien mais c'était votre geste à vous. Dans l'absolu ce n'est pas grave, le végétarisme n'est pas une loi, pas une religion mais l'expression d'une libre volonté, et on a absolument le droit de ne pas toujours s'y conformer, ce n'est pas le problème. Le problème c'est que vous êtes en train de devenir une personne moins bonne que celle que vous étiez, que vous pourriez être.
Commenter  J’apprécie          10
vous n'avez rien, vous ne savez rien, vous ignorez tout et vous n'êtes rien, et néanmoins vous creusez votre chemin dans la langue, vous creusez avec vos yeux et avec vos ongles, vous n'êtes rien et vous construisez, vous vous fabriquez, c'est la langue qui se torsade, vous vous enroulez et vous glissez, vous vous faufilez jusqu'à son coeur, vous anticipez situations et dialogues, les répliques toutes vos répliques vous les préparez jamais au dépourvu ne serez, une vie fausse peut-être ce que vous bâtissez, une vie mimée feinte et alors, quand comprendra-t-on que tout est faux, le monde est faux, qu'il veuille bien agréer vos salutations distinguées.
Commenter  J’apprécie          10
Il y a quantité de façons de vivre ses fantasmes sans importuner le monde.
Commenter  J’apprécie          10
Dans la mesure où il vous reste quelques réserves sur vos comptes bancaires et que par ailleurs vous n'avez plus de loyer à payer, votre situation n'a rien d'alarmant. Dès lors vous ne paniquez absolument pas, ce dont vous vous félicitez avant de vous féliciter de vous en être félicitée : c'est vous inquiéter de ne pas être inquiète qui aurait été inquiétant, en effet les tourments sans cause sont la marque des esprits paranoïaques. Encore une preuve du fait que vous êtes saine d'esprit, vous étiez déjà au courant toutefois une petite confirmation ne fait jamais de mal.
Commenter  J’apprécie          10
[…] ici les gens sont complètement surexcités de la politique, ils s’étripent pour des broutilles, ils critiquent les Tsiganes et les Juifs pour se rassurer sur leur propre identité, bon il force le trait évidemment et pourtant, oui pourtant il perçoit un truc aigri dans l’air, comme un accablement collectif, pour l’énoncer très simplement il lui semble que les gens ne sont pas heureux.
Commenter  J’apprécie          10
Une désagréable vérité vaut mieux que le plus beau des rêves.
Commenter  J’apprécie          10
Trop différente. Trop de langue maternelle yazige. Peut-être avez-vous sous-estimé la puissance de la culture familiale, peut-être que ce qui figurait sur vos bulletins de notes, vos difficultés à vous exprimer dans un français correct au cours des premières années de votre vie, ont laissé en vous une marque indélébile, la conviction d’évoluer dans un décor, une scène où il faudrait simuler, feindre, jouer à être française sous peine d’être stigmatisée.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Nina Yargekov (111)Voir plus

Quiz Voir plus

Histoire et civilisation grecque antique

Quel nom donne t-on à la grande place publique présente dans chaque cité grecque ?

L'agora
L'acropole
Le temenos
La pnyx

12 questions
411 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}