Citations de Olga Lossky (48)
Écrire des icônes était un moyen de venir en aide au monde. Mais lorsque le pays était déchiré par la famine et les émeutes, cela tournait au ridicule.
"C'est pour moi la fonction la plus essentielle de l'art : rendre la vie supportable."
C'était la première fois qu'elle vernissait l'icône de quelqu'un d'autre et il lui semblait cueillir les fruits d'un labeur qui n'était pas le sien.Le revêtement transparent allait fixer pour de bon les pigments sur la planche et l'icône pourrait alors traverser les âges sans risquer de s'écailler complètement.
(p.352)
La demi- heure de répit tirait à sa fin.Nadejda Ignatievna était bien consciente que ces instants de paix qu'elle s'octroyait étaient une folie, comme si elle avait mis chaque jour un rouble de côté en vue de s'acheter un diamant en sautoir, alors qu'il n' y avait plus de quoi mettre un bout de lard dans la soupe pour lui donner des yeux. Elle savait ce que Gochka pensait de ses escapades à l'église. Il lui reprochait de perdre son temps, de gaspiller du linge à frotter et des trousseaux à repriser.Oui elle mangeait ces minutes d'oisiveté sur le dos de ses enfants. Et cependant elle n'avait pas la force d'y renoncer. Ces moments passés dans l'église, à regarder les icônes et écouter la psalmodie des moines, remettait tout en place.Elle y trouvait presque du courage.Une fois franchi le seuil de l'église, la vie reprendrait son rythme de tambour infernal.
( p.58)
(...)la gestion de la fabrique était devenue une tâche écrasante depuis qu'il fallait faire face à la chute des ventes de cierge.Au début de la guerre, les moines avaient refusé sans une ombre d'hésitation de convertir la petite usine en fabrique de grenades, ainsi que le leur enjoignait la politique de l'effort de guerre.On continuait donc à produire des bougies qui ne se vendaient plus.Au lieu de faire partir leur argent en fumée de bonne odeur devant Dieu, les femmes de soldat préféraient acheter de quoi envoyer des colis sur le front, c'était compréhensible.
( p.35)
L'angoisse est un abîme sans fond dans lequel il est possible de tournoyer toujours plus bas.
"La médaille du musicien était l'une de ses favorites, sans doute parce que c'était là une façon transposée de se montrer lui-même à l'oeuvre, plongé dans l'instant de création artistique. [...] A vrai dire, il était enclin à penser que seuls ces moments constituaient la vie véritable, le reste n'étant qu'un brouillon d'activités informes."
Il remercia enfin pour ce don que Dieu lui avait fait de pouvoir représenter la réalité céleste sur une simple planche de bois.
Il remerciait aussi pour les bouleversements qui secouaient la Russie, préludes d'une époque plus juste où chaque ouvrier aurait une vie digne où peut-être on vivrait davantage en frères
(.p.225)
Nadejda Ignatievna embrassa le salon d'un dernier coup d'oeil rapide.Il fallait donc se résoudre à sacrifier Pouchkine.On avait pourtant bataillé pour épargner la précieuse tête, jusqu'ici.C'était leur dernière pièce de valeur, offerte par les parents de Gochka à l'occasion de leur mariage, et Nadejda Ignatievna rêvait d'en faire le cadeau de noce d'une de ses filles.Cette effigie était son orgueil. Rien de plus inutile qu'une tête de Pouchkine en plâtre. Trônant sur la cheminée, il semblait dire aux visiteurs:" Ici nous vivons dans l'opulence.Et nous avons le goût des arts "
( p.178)
Il n'y aurait plus cette alarme quotidienne de se dire que Iourka était peut-être en train d'agoniser dans un champ de neige.Un espoir immense faisait bouillonner le peuple russe.Avec le nouveau gouvernement, le partage des terres, on aurait moins faim.À force de grèves, les bons moines finiraient par augmenter à nouveau les salaires et le travail reprendrait.On rouvrirait l'usine de lampes à pétrole, les peaussiers se remettraient à l'ouvrage, on continuerait l'assèchement des marais pour en faire des terres cultivables.Oui, Nadejda Ignatievna se sentait à l'aurore d'une nouvelle époque, une seconde jeunesse perçait en elle.La prochaîne icône du monastère Saint-Andronic serait une Résurrection, celle du peuple russe aimé de Dieu qui connaîtrait enfin une vie meilleure !
L'histoire du pélerin grec apportant l'icône en Russie lui semblait vraisemblable et elle songeait avec émotion que la précieuse planche, taillée dans un tronc de chêne du mont Olympe, avait peut-être traversé l'Europe entière à dos d'homme, connu mille embûches, affronté le tourment révolutionnaire et le drame de l'exil, avant de rejoindre le fond de sa poussette à courses.
Le père Grégoire jaugea du plat de la main les planches de tilleul qu'il avait négociées l'an passé à Novospaski, lorsqu'ils avaient coupé tant d'arpents de forêt. Le bois était lisse et sans noeuds.Le moine prolongea le plaisir inutile de tâter les planches, l'une après l'autre.Il savait laquelle il prendrait, depuis le jour où il avait fait débiter les troncs et noté du regard la planche la plus régulière, la plus parfaite, mais il vérifia encore s'il s'agissait bien d'elle qu'il n'y en avait aucune de meilleure.Passant en revue le bois de l'atelier, il y revenait toujours.Un tel bois, charnu et compact, résisterait sans peine aux siècles. Dans deux cents ans, peut-être, sa " Descente aux Enfers" couronnerait encore l'iconostase, si Dieu prêtait vie au monastère.Et lui ne commettrait pas l'erreur d'omettre le vernis qui, une fois son oeuvre achevée, la rendrait résistante au temps.
( p.51)
Face aux hautes têtes des peupliers qui oscillaient en cadence, le père Grégoire sentit progressivement refluer en lui cet enthousiasme qui le saisissait jadis à la contemplation des châtaigniers touffus ou du vallonnement des prés.
Il se jetait alors sur le papier pour tenter d'y fixer une miette de la beauté environnante.L'harmonie de ces ramures caressées par le vent lui donnait envie d'entonner un psaume ou une prière. Déjà, sa main dessinait d'invisibles tracés le long de sa robe, il fut saisi du désir de se mettre à l'icône.
( p.167)
Roublev avait de l'ambition et les moyens de la satisfaire. Il était futé, habile de ses mains, téméraire jusqu'à l'inconscience - et surtout ne remettait jamais un ordre en question.
De retour du front nord au lendemain des six jours de Moscou, il avait tout de suite senti d'où venait le vent et s'était rangé du côté des rouges, soutenant les manifestations ouvrières contre les derniers soubresauts du gouvernement provisoire, puis écrasant ces mêmes ouvriers devenus des anarchistes pillards. (...)
Le camarade Roublev n'aimait pas les sentiments, il ne faisaient que gâter le coeur des camarades comme une pêche trop exposée au soleil des moissons.
Parce que vous êtes juif...:
ces mots tranchants du directeur de la Monnaie résonnèrent en son esprit comme s'il venait de les entendre. Malgré la causalité qu'ils étaient censés exprimer, Pàl n'y discernait aucune explication, moins encore aujourd'hui qu'hier. Il avait dû quitter Budapest parce qu'il était juif. Interrompre ensuite ses études à Rome parce qu'il était juif. La reine d'Angleterre avait posé les yeux sur son travail, probablement parce qu'il était juif. A présent c'était au tour du pape de lui commander une médaille parcequ'il était juif. Cela semblait une fatalité aussi dépourvue de sens qu'inéluctable. Elle lui aurait paru risible, n'étant pas habité de sentiments religieux - inepte comme l'idée de mettre à part tous les individus affublés d'oreilles en pointe ou de cheveux roux - s'il n'était pas sans nouvelles de sa famille depuis vingt ans. parce qu'il était juif.
Gochka avait pourtant été si fier, l'année où le contremaître l'avait choisi pour escorter le cierge impérial jusqu'au Palais d'hiver! L' ouvrier avait rapporté de la capitale un regard d'enfant émerveillé :" Le Tsar en personne m'a donné une pièce d'or et il m'a appelé" Mon brave" ! "
On s'adressait alors avec déférence aux contremaîtres, on n'appelait les moines que " nos bons pères ".Comme le ton avait changé en l'espace de quinze ans ! C'était maintenant à qui trouverait la meilleure injure pour exprimer sa haine à l'égard du monastère.On parlait d'enfermer les moines pour leur faire entendre raison, comme les ouvriers métallurgistes qui n'avaient pas craint de séquestrer leurs propres patrons.
Batouchka avait raconté au père Grégoire l'histoire du monastère. Au XIVe siècle, le couvent était un foyer artistique où l'on se pressait pour recueillir l'enseignement du moine André Roublev, l'un des plus grands maîtres de l'art iconographique.
( p.142)
Pour oublier la faim et la misère, on avait besoin d'en découdre et une fois l'ennemi du moment abattu, on ne traînait guère à s'en dénicher un autre.
( p.75)
— Si nous voulons parvenir à toucher un autre type de public, renchérit Mathys, il faut réussir pour de bon à débarrasser le système Providence de cette image élitiste. La commercialisation du nouveau pack Essentiel, qui propose une protection de base contre le risque à un moindre coût, n’a pas rencontré le succès escompté. D’après les dernières analyses des experts marketing, nous souffrons d’un manque de visibilité auprès de la cible visée. Beaucoup trop de personnes n’ont de Providence que l’image répandue par les médias, lors du dernier piratage des plumes d’ange. Selon eux, nous ne sommes qu’une entreprise de niche, à la merci de la moindre cyberattaque. Il faut absolument changer cela. C’est pourquoi j’ai sollicité Victorien pour élaborer l’une de ces séquences vidéoludiques dont il a le secret et qui font toute notre originalité.
L’intéressé esquissa une moue des lèvres destinée à relativiser le compliment.
— Hum, n’oublions pas tout de même que c’est la technologie de pointe de la plume d’ange qui reste à la base de notre succès, nuança Milos, en charge des opérations. La dernière cyberattaque a été complètement montée en épingle par des journalistes peu scrupuleux.
Aujourd'hui, il ferait apparaître les couleurs de fond.C'était un travail simple et délicat, déjà plein d' inventivité, où l'on mélangeait les pigments pour trouver la meilleure teinte.
Au moment de saisir son pinceau, le père Grégoire croyait tout à son insouciance.Il se dit qu'il n'avait jamais écrit une icône avec une telle facilité
Tout relevait de l'évidence, comme si la peinture était déjà présente sur la planche et qu'il se contentait de la révéler.
Il mélangea dans une coupelle le jaune d'oeuf, l'eau et le vinaigre, pour obtenir un liant auquel il ajouterait ensuite le pigment. Son esprit voletait ailleurs, cependant.
( p.128)