Oren Miller

- La masse est génétiquement aveugle.

- Je sens que la question de l’Église vous met mal à l’aise, fit gentiment remarquer le prêtre.

- Oh, pas du tout, mon père. Dieu et moi avons simplement une relation un peu compliquée, mais rien de grave. Et c’est entièrement Sa faute.

Le cerveau était une bien curieuse mécanique. Il s'adaptait à tout , meme à l'insurmontable , et se mettait à théoriser sur l'impossible.

Des globes oculaires tout ronds contenaient des iris jaune clair d'une intensité insoutenable. On y voyait l'abîme, l'infini et l'ombre. Quelque chose qui véhiculait la puissance primitive, transpirait une violence d'origine. C'était ancien, c'était hors des lois de l'homme, hors des lois de Dieu.
- Suis-nous !

Isabeau fit de gros efforts de concentration, mais cela ne servit à rien. Depuis cinq minutes, Evariste lui agitait un des livres de la bibliothèque sous le nez avec un air entendu, comme si le geste se suffisait à lui seul. Sauf que, dans toute l'histoire de la démonstration, agiter un livre n'avait jamais été considéré comme une explication digne de ce nom par aucune créature dotée d'un minimum d'intelligence. De cela, le jeune homme en était convaincu.

Mais l’alcool est un maître qui transforme. Il implante un monstre dans le cœur de sa victime qui grossit à chaque nouvelle gorgée. Une fois mature, la créature prend possession de l’hôte, réduit au simple rôle de contenant. L’individu garde son visage, ses traits, sa voix, son corps, mais c’est autrechose qui s’en sert.

Il lui avait promis de ne fumer que pour les grandes occasions. Une catastrophe pouvait-elle s’apparenter à une grande occasion ?

L’humour, comme beaucoup de choses, est une question de point de vue.

Calé entre deux coussins dont le moelleux frisait la décadence, Isabeau tournait les pages d’un bel ouvrage couvert de cuir rouge et d’enluminures dorées.

- Vous savez que ce qui est important, ce sont les liens du coeur. S'il n'est attaché à rien, il se lasse de battre pour lui-même et il meurt, n'est-ce pas ?
(Claire à Isabeau)

- Chacun compose avec sa douleur et ses blessures, rassura Evariste. Je suis convaincu qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de le faire. Il y a notre façon, et celle des autres.

- Savez-vous ce qu'est une chaîne alimentaire ? questionna le notaire avec délectation.
- Oui, mais je ne vois pas bien le rapport dans le cas présent. (Isabeau)
- Eh bien, figurez-vous que je me trouve au sommet.
- De la chaîne alimentaire ?
- Oui.
- Et ? persista le jeune homme, qui pataugeait dans l'incompréhension.
- Je fais ce que je veux.

Elle était jolie, avait quelques talents, bref la petite décide de descendre à la capitale pour être actrice. Ou danseuse, je ne sais jamais dans quel ordre les jeunes filles préfèrent connaître la désillusion d’une carrière ratée.

Nos proches furent en tout point d’accord sur ce que devait être notre mariage : hors de prix, et entièrement décidé par eux.

A cet instant, il se produit une réaction étrange dans le cerveau des désespérés : il se met en panne. L'être humain ne meurt pas, mais il cesse de fonctionner, comme une mécanique à l'arrêt. Le désespoir crée des créatures faites de chair molle qui ne servent plus à rien, mues par les seuls désirs biologiques de manger, de dormir, de survivre, et dépourvues de toute conscience. Comment conserver la raison, le sens du Bien et du Mal, quand on est coincé dans une boucle temporelle qui tourne indéfiniment et tue chaque souvenir qui passe et repasse dans la tête tant de fois qu'ils s'abîment eux-mêmes ?
Inutile de sortir des couteaux, des armes à feu, des canons, des bombes, pour détruire un individu. Il suffit juste de le priver d'espoir et de lui répéter chaque jour :
" Ton enfer de maintenant sera celui de demain et d'après demain."
Les nazis ont institutionnalisé cette arme, ils l'ont systématisée à l'échelle d'un peuple entier, .../...

Quand Ambroise Perrin passa le porche menant à l’entrée du Castel Béranger, rue La Fontaine dans le seizième arrondissement de Paris, il fut convaincu de deux choses : il haïssait le thé, et il allait mettre fin à ses jours.
Non pas que les deux affirmations fussent liées – encore qu’en poussant un peu – mais, dès lors qu’il avait aperçu les façades du célèbre immeuble, elles lui étaient venues simultanément à l’esprit. Comme une évidence. 

-Il faut appeler Adam et l’avertir que son amante est morte dévorée par un client.
-Je ne saurais trop vous conseiller de légèrement nuancer votre propos.

En proie à une vive excitation, Évariste se mit à marcher autour du bureau. Tandis qu’il était abîmé dans ses réflexions, ses lèvres fines frissonnèrent de nervosité avant de bouger pour former des mots qui restèrent coincés dans sa gorge. (p. 62)

Georges anticipait et satisfaisait tous les désirs domestiques, de la température du thé à la disparition d'un cadavre.

Traversant ombres et lumières, Isabeau chercha du regard le panneau d'affichage des horaires des trains. Information assez peu utile, car, depuis la création du réseau ferroviaire, tout le monde savait que les trains arrivaient non pas quand on le prévoyait, mais quand ils jugeaient bon de le faire.