AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Owen Matthews (45)


Owen Matthews
En Russie, les écrivains sont bien plus que des écrivains ; ce sont des prophètes. De leurs héros littéraires, les Russes attendent qu'ils leur donnent de la beauté et du plaisir, mais aussi qu'ils leur ouvrent un chemin, une philosophie de vie. Les écrivains ne se contentent pas de mettre le pouvoir en place devant la réalité : ils sont les véritables guides spirituels de la Russie. Et si le vieux Dieu de l'orthodoxie continue de tracer une ligne infranchissable entre le bien et le mal, c'est de fait dans les œuvres de Dostoïevski, Tolstoï, Pouchkine ou encore Tchekhov que les Russes puisent leurs vérités universelles, les folies et les audaces de ceux qui luttent pour la liberté, contre l'oppression et ces courants de l'Histoire qui cherchent à les briser.

[préface du roman de Gueorgui Vladimov, "Le Fidèle Rouslan"]
Commenter  J’apprécie          220
Un périple aller-retour pour la Sibérie impliquait une absence d'au moins une année passée pour l'essentiel sur les routes.
...la petite expédition de Rezanov roula à vive allure sur la voie impériale en terre battue qui menait de Saint-Pétersbourg à Moscou, laquelle était réservée au trafic gouvernemental et aux personnages de qualité porteurs d'un passeport spécial. Les sujets moins prestigieux avançaient laborieusement dans les ornières des bas-côtés avec leur charrettes traînées par de vieux canassons. Parvenus à Moscou, ils se joignirent au flot d'hommes et de caravanes marchandes qui empruntait le "Trakt", la grand-route reliant la Russie européenne à la Sibérie -- pas vraiment une route au sens moderne du terme, mais plutôt une large bande de pistes sablonneuses qui sillonnaient l'étendue plate de terres agricoles et de pâturages, parsemée de grappes d'isbas blotties autour des clochers trapus des églises.
Certes, Rezanov avait un peu bourlingué à l'occasion des manœuvres du régiment Izmaïlovski, mais, c'est là, sur le "Trakt" qui traversait les villes de la Volga, telles Nijni Novgorod ou Kazan, avant de se perdre dans les solitudes désertes de la steppe, que s'évanouissaient l'effervescence, le va-et-vient incessant de la Russie proprement dite, et qu'il toucha du doigt pour la première fois l'immensité réelle de son pays. Même de nos jours, sans la poussière , sans les lits infestés de punaises, les fesses endolories par les heures à cheval, les bandits de grand chemin, la puanteur du crottin et celle des corps crasseux ou encore les nuages de taons, traverser la Sibérie par la route a quelque chose d'hypnotique : la monotonie du paysage vous engourdit au point de vous plonger dans un état quasi métaphysique qui permet de mesurer pleinement sa propre insignifiance. Vous n'êtes plus qu'un simple point qui progresse à la vitesse de l'escargot sur la surface d'une terre sans limites, au décor presqu'immuable. P 118
Commenter  J’apprécie          150
La mort de Rezanov s’est produite au pire moment pour la réalisation de son grand dessein. Moins d’un an après sa disparition, l’empire espagnol était décapité par Napoléon, qui occupa Madrid avant de destituer le roi Charles IV. La Russie aurait dû profiter des convulsions de l’année 1808 pour fondre sur les colonies espagnoles, à présent dépourvues de chef. Mais à cette période-là, l’attention du tsar était trop absorbée par la négociation d’un traité de paix avec Napoléon pour qu’il s’intéresse au destin des territoires espagnols d’outre-mer soudain orphelins, et il n’y avait nul Rezanov dans son entourage pour le convaincre de monter une opération audacieuse afin de s’emparer des possessions californiennes de l’empire en difficulté. p 378
Commenter  J’apprécie          120
"Si vous lisez ces mots, c'est que la pétasse est tombée"
Inscription figurant au dos de la veste d'un motard moscovite

(Tête du chapitre 2)
Commenter  J’apprécie          113
Il y avait quelque chose d'horriblement triste à Moscou. La tristesse des vies foutues, des possibilités gâchées, du temps perdu. À la sortie des stations de métro, les babouchkas restaient debout des heures entières dans la chaleur de l'été pour vendre un paquet de Marlboro ou quelques gousses d'ail qu'elles avaient elles-mêmes mises en conserves.../... Des hommes sans âge qui offraient leurs services comme taxis illicites au volant de Volga cabossées se révélaient être des géologues ou des colonels à la retraite. Alexeï, l'homme à tout faire de Publicitas, qui changeait les cartouches des imprimantes et ramassait des pelletées de vieux journaux sur nos tables et nos fauteuils, était un pédiatre en exercice qui travaillait au noir chez nous pour arrondir ses fins de mois.
Commenter  J’apprécie          90
Sachez-le : la Russie dévore ses enfants pour mieux les protéger. Les garder en elle.
Commenter  J’apprécie          80
En Russie, j'ai aimé et j'ai tué. Et j'ai découvert, que des deux, c'est l'amour qui est le plus terrible.
Commenter  J’apprécie          40
Solikamsk était un monde à part, constitué d'êtres hagards, affolés ou déracinés par la guerre. La ville entière, qui semblait avoir été livrée aux orphelins sur décision d'un bureaucrate moscovite, était régie par ce que Ludmila appelait les « lois de la meute » : les enfants se battaient âprement entre eux pour survivre. Les plus âgés tentaient d'obliger les plus jeunes à cacher les petits morceaux de viande qui agrémentaient la soupe du déjeuner dans leurs caleçons longs, afin qu'ils puissent les leur donner en sortant du réfectoire. En cas de refus, les grands mettaient les petits « dans le noir » : ils leurs jetaient une couverture sur la tête et les rouaient de coups. Les cantiniers organisaient trois services à l'heure du déjeuner. Les plus jeunes enfants se restauraient toujours en premier sous la surveillance de quelques adultes exténués, contraints d'arpenter les allées pour s'assurer qu'ils ne cachaient pas leur viande. Constamment affamés, Ludmila et ses amis mangeaient de l'herbe mêlée à du sel : la mixture, qui soulageait leurs carences en vitamines, leur permit d'éviter le rachitisme. Mais ils tenaient à peine sur leurs jambes trop maigres, l'estomac distendu par la faim.
Un éclair de gentillesse venait parfois adoucir leur quotidien. À l'école, l'institutrice demandait aux enfants du village de ne pas manger les cinquante grammes de pain qui constituaient leur déjeuner afin de les distribuer aux orphelins qu'elle accueillait dans sa classe. Les jeunes villageois s'exécutaient, alors qu'ils étaient eux-mêmes au bord de la famine : ils se nourrissaient de radis noirs et amers, et minuscules pommes de terre, les seuls légumes que leurs parents parvenaient à cultiver à la belle saison, toujours trop courte dans cette partie de l'Oural.
Pendant l'été 1943, les enfants de Solikamsk furent chargés d'aller ramasser des baies pour les soldats blessés dans la taïga, la grande forêt entrecoupée de tourbières qui s'étendait à la périphérie de la ville. Ils partaient par centaines au petit matin, munis d'un seau chacun, avec mission de le rapporter à demi plein. La grande crainte de Mila était de chuter dans un des profonds trous d'eau marécageux, dissimulés sous le tapis de mousse qui recouvrait la taïga. Lors d'une de ces expéditions, les enfants durent parcourir vingt-cinq kilomètres dans la forêt avant de trouver des zones de cueillettes encore intactes : les villageois n'étaient pas venus aussi loin. Sur le chemin du retour, Mila, qui n'avait que neuf ans, prit la tête de l'immense file d'enfants en clopinant aussi vite que possible sur sa jambe trop courte. Elle leur fit chanter tout le répertoire des Jeunes Pionniers jusqu'à l'orphelinat. Lorsqu'ils arrivèrent, ses yeux étaient injectés de sang. L'effort physique l'avait épuisée, mais elle tendit fièrement son seau de baies aux responsables de la collecte. Les lois de la meute en vigueur à Solikamsk lui avaient appris que les plus faibles ne pouvaient survivre que s'ils parvenaient à prendre la tête du groupe par leur seule force de caractère.
Commenter  J’apprécie          30
Une petite chienne achetée à Copenhague par Romberg était devenue amie avec le chat d’un marin, et les deux compagnons divertissaient beaucoup l’équipage de la Nadejda. « Leurs jeux sont si hilarants qu’il nous arrive souvent de former un cercle autour d’eux et de simplement nous amuser de ce spectacle 22. » Or, la petite chienne eut ses chaleurs pendant que l’expédition faisait du surplace au beau milieu de l’Atlantique et elle se mit à gémir ou à japper sans arrêt. Krusenstern ordonna qu’elle soit jetée par-dessus bord, à la grande tristesse de Romberg – et de son copain le chat, « qui ne cesse de chercher le petit chien dans toutes les cabines et les recoins du vaisseau […] appelant sa camarade de jeu par des miaulements déchirants. ». Rendu fou par la chaleur et l’immobilité, l’un des porcs du bateau s’échappa de son enclos et sauta à son tour dans l’océan. Mais, contrairement au chien, il se montra si bon nageur que Krusenstern ordonna de passer tous les cochons par-dessus bord pour leur offrir un bon lavage. Les cris perçants et les défécations des bêtes terrifiées que l’on plongeait puis ressortait de l’eau étaient une épreuve supplémentaire pour les nerfs tendus des passagers les plus fragiles. Les poules eurent moins de chance : Langsdorff remarqua qu’entre la température écrasante et le sel qui se mêlait à la poussière s’élevant du pont desséché, toutes étaient devenues aveugles. p 196
Commenter  J’apprécie          30
Tout historien en quête d'un héros découvrira inévitablement la part de la crapule dans son sujet d'étude. L'héroïsme est une vertu visible uniquement au téléobjectif, semble-t-il.
Commenter  J’apprécie          30
En 1812, la limite des possessions du tsar se situait sur ce que l'on nomme de nos jours la Russian River, à une heure de voiture au nord de San Francisco par la Highway 1. La Russie avait également possédé — quoique brièvement — une colonie à Hawaï. Rezanov avait consacré le plus clair de sa vie à défendre l'idée que la côte ouest de l'Amérique pouvait devenir une province de la Russie et le Pacifique, une mer russe. Ce n'était pas du tout un dessein chimérique et farfelu, mais une véritable possibilité.
Commenter  J’apprécie          30
Bien que peu connu,cet arrêté fit plus de victimes que la conférence de Wansee.
Commenter  J’apprécie          30
Mieux valait le silence, le silence profond des Russes, tellement plus éloquent que tous les bavardages érudits du monde.
Commenter  J’apprécie          30
Les Russes ont besoin de gigantisme pour se sentir importants. L'immensité de leur pays trouve son pendant dans l'immensité improbable - et le plus souvent absurde - de leurs réalisations architecturales, comme les Américains, ils arborent leur grossièreté avec fierté. Et comme les Américains, rien ne leur fait honte.
Commenter  J’apprécie          20
Comme le dit le proverbe russe, plus tu bats ta femme, plus la soupe sera bonne. Les vertus immémoriales de l'obéissance et de la peur.
Commenter  J’apprécie          20
Nous aimons croire que la raison gouverne nos pensées. En fait, nous pensons avec notre sang.
Commenter  J’apprécie          20
La sentence a été exécutée dès le lendemain, soit le 14 octobre 1937. Le bourreau y a apposé un vague gribouillis. Les bureaucrates méticuleux qui se sont chargés de l’instruction ayant négligé d’indiquer l’endroit où Boris Bibikov fut enterré, ce tas de papier lui tient lieu de sépulture.
Commenter  J’apprécie          20
Les Russes ont besoin de gigantisme pour se sentir importants. L'immensité de leur pays trouve son pendant dans l'immensité improbable - et le plus souvent absurde - de leurs réalisations architecturales. Comme les Américains, ils arborent leur grossièreté avec fierté. Et comme les Américains, rien ne leur fait honte. Leurs maillots de bain minuscules et leurs ventres de buveurs de bière, leurs survêtements en nylon et leurs fourrures insolentes, leurs montres grosses comme le Ritz. Je leur envie souvent cette liberté, cette capacité à ignorer le bon goût. N'y voyez nulle condescendance de ma part : j'admire sincèrement le sans-gêne bravache qu'ils sont capables d'exprimer en toutes circonstances.
Commenter  J’apprécie          10
Moscou adore le simulacre. Autrefois, le vaste monde était un lieu interdit, hostile et inaccessible : désormais, le monde est ici, à notre porte. En une soirée, chacun peut en faire le tour sans quitter le centre-ville. Prendre l'apéritif dans un faux bistro parisien ; dîner géorgien sur la fausse terrasse en bois d'une fausse villa de Tbilissi; siroter un café dans une fausse pizzeria romaine chauffée par un four à bois. Je connais un restaurant chinois qui peut accueillir deux cents clients dans un décor copié sur le Petit Trianon de Versailles : le propriétaire se vante d'a avoir investi cinquante millions de dollars. Si vous voulez du russe pur jus, vous n'aurez qu'à dîner dans une fausse isba dont les fenêtres donnent sur une petite cour ou vous pourrez admirer une vraie vache, une chèvre, des poulets et des canards sous un ciel bleu éclairé aux halogènes. Le resto est au troisième étage d'un immeuble : on y fait monter la vache par l’ascenseur de service tous les soirs. ...
P 365
Commenter  J’apprécie          10
Au début de l'été 1944, tandis que les Soviétiques pénétraient en Pologne et que les Alliés débarquaient en Normandie, Iakov demanda à Lénina de lui rendre un service : un de ses collègues, général comme lui, avait appris que son fils, dont il était sans nouvelles depuis qu'il avait été évacué, avec des milliers d'autres enfants, de Leningrad assiégée, se trouvait dans un centre pour jeunes réfugiés situé au pied des monts Oural. Les deux hommes souhaitaient que Lénina se rende en avion jusqu'au camp avec les documents nécessaires et qu'elle ramène le petit garçon à Moscou.
Lénina partit une semaine plus tard sur un vol militaire à destination de Molotov, l'actuelle Perm. L'appareil, un Douglas américain destiné au transport de troupes et fourni au titre de prêt-bail, était piloté par un équipage russe. Ma tante portait son uniforme de l'armée de l'air ; sa pilotka, son « calot militaire », semblait malicieusement perchée sur sa tête. C'était la première fois qu'elle prenait l'avion.
À Perm, le directeur de l'usine aéronautique, qui connaissait bien Iakov, organisa son transfert à bord d'un vieux Polikarpov biplace. Elle s'installa derrière le pilote. Ils décollèrent aussitôt pour le camp d'enfants où l'attendait le fils du général. Le camp en question s'appelait Solikamsk, comme la ville où il se trouvait.
Le petit avion cabossé se posa tant bien que mal sur une piste d'atterrissage improvisée à la lisière de la ville. Lénina et le jeune pilote empruntèrent une succession de rues boueuses avant d'arriver à l'orphelinat principal, un beau bâtiment en briques rouges construit avant la Révolution. Plusieurs centaines d'enfants en haillons jouaient dans la cour, derrière le muret d'enceinte. Lénina venait de franchir les grilles et se dirigeait vers l'entrée de l'établissement quand une petite infirme s'arrêta et de mit à courir maladroitement vers elle.
« Tak tsé maya sistra Lina ! s'écria-t-elle en ukrainien. C'est ma sœur Lénina ! »
Ludmila était édentée, le ventre distendu par les privations. Bouleversée, Lénina tomba à genoux pour la prendre dans ses bras.
« Yisti khotché ! Yisti khotché ! » gémit ma future mère en sanglotant. J'ai faim ! »
Muette d'émotion, Lénina se mit à pleurer à son tour. Le pilote les observait avec stupeur, sans comprendre ce qui se passait. Incapable de les séparer, il les entraîna à l'intérieur, jusqu'au bureau de la directrice.
Celle-ci fondit en larmes en apprenant que Ludmila venait de retrouver sa sœur. Elle autorisa Lénina à emmener le petit garçon de quatre ans qu'elle était venue chercher, mais exigea l'aval des administrations compétentes pour lui confier Ludmila. Les deux sœurs connurent de longues heures d'angoisse avant d'être fixées sur leur sort – le temps que le pilote appelle son chef à Perm pour lui demander de contacter qui de droit à Moscou, afin que Lénina puisse repartir le jour même avec sa sœur vers la capitale. Quelqu'un parvint à joindre Iakov sur son lieu de travail, ce qui n'était pas une mince affaire dans la Russie en guerre. Il donna quelques coups de téléphone, et l'autorisation leur fut accordée. Lénina rentra à Perm avec les deux enfants. Coincés sur ses genoux à l'arrière du petit avion de chasse, ils vomirent pendant tout le trajet.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Owen Matthews (228)Voir plus

Quiz Voir plus

ELOGE OU CRITIQUE? (titres à compléter)

Kant : "................................. de la raison pure"

Critique
Eloge

13 questions
258 lecteurs ont répondu
Thèmes : philosophie , littérature , essai , poésieCréer un quiz sur cet auteur

{* *}