Citations de Pascale Gautier (112)
- Ça n'a l'air de s'arranger nulle part, soupire Mme Rouby.
- Bah ! Nulle part, c'est pas chez nous !
Elle trouve que même les cons quand le soleil brille c'est plus facile à supporter.
En reprenant l'arrosoir et la pioche, c'est comme si une digue intérieure s'était brisée. Seule dans le jardin, c'est toute l'horreur de la mort de Gilbert qui lui sautait soudain à la figure. Elle a acheté des fleurs, uniquement. Et des fleurs bleues uniquement. C'est sa couleur préférée. Après les premières terribles semaines, une sorte de sérénité s'empare d'elle. Un soir, elle réussit même à installer la table du jardin, à s'asseoir et à boire un verre de sherry. Son travail est récompensé. Le tour de la maison devient bleu. Elle se souvient de ce jour-là. Les fleurs sont plus reposantes que les êtres humains. Elles vous demandent beaucoup et vous donnent parfois ce que vous attendez. Le jardin est irréel. Les fleurs sont admirables et supérieures à ce que nous sommes, pauvres créatures. Elle s'est assise au milieu du bleu, quand elle sent une présence et sursaute. Près du pommier se tient Gilbert. Elle se pince trois fois. Frotte ses yeux. Gilbert est toujours là. Elle se lève et s'approche. Il la regarde. Elle voit bien qu'il n'est pas de ce monde. Sa peau est grise bizarre pas normal de crocodile. Mais c'est bien lui, souriant, qui la regarde le regarder. Elle n'a même pas peur. Elle sent une déchirure dans sa poitrine, et puis son sang se met à turbiner dans ses artères. Comme un moteur qui se remettrait en marche après des années d'arrêt. Elle sent une grande chaleur et se transforme en volcan. Elle lui parle. Les mots sortent de sa bouche comme une lave précieuse. Elle ne sait pas ce qu'elle lui dit. Elle fixe le visage de Gilbert. Il hoche la tête et lui sourit. Puis il lui montre les fleurs et elle comprend qu'il est heureux. Elle promet de s'occuper chaque jour de leur jardin. Il la fixe longuement, lui tend la main. Elle n'ose pas la saisir. Il hausse les épaules disparaît brutalement. Elle est paralysée et n'arrive pas à s'éloigner du pommier. Autour d'elle, la terre repose dans sa splendeur livide.
Elles sont les vraies déesses. Nombreuses et uniques. Elles sont le signe de notre temps.
Les vieilles, c'est ce qu'il y a de plus beau au monde. Leurs corps fripés, leurs visages ravagés, leurs yeux qui n'y voient goutte, leurs oreilles qui n'entendent rien. Les vieilles sont émouvantes. La vie les a malaxées triturées brisées. Elles portent l'empreinte de la mort. Elles sont déjà de l'autre côté et se raccrochent à ce qu'elles peuvent.
Quand elle pense que tout le monde le trouvait gentil, et séduisant, et si drôle! Ça la cloue. Elle se souvient d'une robe magnifique qu'elle avait achetée. Il ne l'accompagnait jamais. Monsieur ne supportait pas les magasins. Monsieur n'aimait pas attendre. Mais une fois essayée à la maison, il lui avait ordonné de la retourner. Le pire, c'est qu'elle avait obéi! Elle avait rendu la robe. Quelle minable elle a été. Jamais capable de se rebeller. Il l'avait bien eue. Elle préfère ne pas y penser mais elle y pense sans arrêt. Son disque dur est rayé.
Comment font les gens depuis toujours quand ils vont mourir ? Elle aimerait se raccrocher à quelque chose. C'est important, paraît-il. Elle envie soudain ceux qui ont la foi. Elle donnerait tout pour croire aussi. Ça doit être tellement rassurant d'être convaincu qu'une fois mort, on est enfin vivant.
- Ça n'a pas l'air de s'arranger nulle part, soupire Mme Rouby.
- Bah ! Nulle part, c'est pas chez nous !
De nos jours, vous l'aurez remarqué , dès qu'il fait chaud quelques heures d'affilées, la météo qui se trompe à longueur de semaines alerte toute la communauté
"Gare ! Gare ! Voici un début de canicule ! Prenez des nouvelles fraîches de vos voisins !"
Et c'est le même refrain dès que la pluie tombe à seaux sur votre jardin.
" Gare ! Gare ! Le tsunami est pour tout de suite, préparez votre canoë-kayak".
L'être humain en ce début de siècle scrute l'azur avec appréhension et craint le pire.
Que nous prépare le ciel ?
Elle en est à son dixième verre. L'angoisse lui tord les tripes.
Vivement que le rideau tombe ! Elle remplit son onzième verre et le vide cul sec.
C'est quand même sucré le porto, elle sent qu'elle a chaud, comme si elle s'était transformée en bouilloire qui bout.
Pssschtt ! ça fait des grosses bulles dans son intérieur qui se met à suinter. Ouh ! Ce sont les tropiques soudain !
Autour d'elle le paysage se met à onduler. La mer est agitée et la plancher tangue.
Sur l'écran, le visage du Président apparaît.
Il sourit comme il mord. Et annonce que le vaste chantier mis en place pour secouer le pays de sa léthargie catastrophique est enfin opérationnel.
Il, Lui, Personnellement, est en train d'élaborer toutes les réformes nécessaires pour aider les plus riches des citoyens.
Pour leur donner la sécurité, l'impunité et le moyens de s'en mettre encore plus, toujours plus ! Quant aux démunis qui, chaque jour, se reproduisent et se multiplient, il fera tout pour les appauvrir définitivement.
Chacun à sa place ! On n'est pas pauvre par hasard.
On l'est par nature ! Les pauvres sont des fainéants ou des étrangers. L'Etat est bien trop gentil avec eux. Toutes ces allocations, toutes ces aides versées.
Pour quoi ! Pour qui ! Pour rien !
Il va réduire les aides, il va réduire les fonctionnaires, il va réduire l'enseignement, il va réduire les hôpitaux, il va réduire entièrement le service public ! Réduire .... Le Président luit. Il sourit comme il mord.
Il hait la télé et les jeux vidéo.
Il rêve d'un immense autodafé où ces productions du Diable seraient plongées dans d'énormes marmites bouillantes puis concassées, écrabouillées, moulues, pilées, pulvérisées, triturées, démantibulées, escagassées, hachées menu comme chair à pâté.
Tous ces objets ! Toutes ces choses ! Tous ces leurres !
L'homme aliéné plus que jamais.
Il y en a même, pas plus tard qu'il y a pas longtemps, qui se sont pointés à la messe avec les trucs dans les oreilles.
Il s'est débarrassé de sa bibliothèque, son seul bien.
Ca a été une affaire ! Ses milliers de livres n'ont intéressé personne. Biologie, mathématiques, philosophie, théologie ... Une vie d'étude et de lecture.
Sa porte était ouverte. Il donnait tout ! Personne ne s'est présenté.
Il en est presque tombé malade.
Quel pays de gueux ! Quelles trognes d'abrutis collés à leur écran plat.
- ... Vous les avez vues ?
- Vu qui ? Les vieilles ?
- Oui ! Le plus grand rassemblement de vieilles de la région !
Elles sont là tous les après-midi. On dirait les hirondelles, quand elles se préparent à partir et qu'il y en a des centaines sur les fils électriques.
C'est effarant ! Hélas ! Contrairement aux hirondelles, elles ne s'envolent jamais ...
La vie n'a aucun sens, à part celui qu'on arrive peut-être à lui donner
Il vaut mieux prendre la vie comme elle se présente.
Il ne parlait pas beaucoup. Il avait peut-être déjà tout dit.
La vie est légère.
La vie n'a aucun sens, à part celui qu'on arrive peut être à lui donner.
Et encore ! Pourquoi chercher à donner un sens ?
Est-ce que la vie des fleurs à un sens ?
Il faut aller au gré du hasard et se laisser porter.
Ferdinand ça le rend malade de voir à quel point on est devenu des guignols.
Il faudrait juste arrêter de se prendre pour ce que l'on n'est plus depuis belle lurette !
Quand on est inapte à gérer les affaires de son propre pays, ce n'est vraiment pas la peine de se mêler de celles des autres.