Citations de Patrick Modiano (1618)
Pour moi, l'automne n'a jamais été une saison triste. Les feuilles mortes et les jours de plus en plus courts ne m'ont jamais évoqué la fin de quelque chose mais plutôt une attente de l'avenir. Il y a de l’électricité dans l'air, à Paris, les soirs d'octobre à l'heure où la nuit tombe. Même quand il pleut. Je n'ai pas le cafard à cette heure-là, ni le sentiment de la fuite du temps. J'ai l'impression que tout est possible. L'année commence au mois d'octobre.
Personne ne répond jamais aux questions qui vous tiennent à coeur.
Il faut laisser au lecteur une marge suffisante, qu’il puisse achever le travail.
[La grande librairie, 2 octobre 2019]
Je crois qu'on entend encore dans les entrées d'immeubles l'écho des pas de ceux qui avaient l'habitude de les traverser et qui, depuis, ont disparu. Quelque chose continue de vibrer après leur passage, des ondes de plus en plus faibles, mais que l'on capte si l'on est attentif.
Je crois que pour en faire une oeuvre littéraire, il faut tout simplement rêver sa vie - un rêve où la mémoire et l'imagination se confondent.
Je ne serais pas loin de croire que dans le meilleur des cas le romancier est une sorte de voyant et même de visionnaire.
Discours de réception du prix Nobel de littérature, 7 décembre 2014
Winegrain tenta de lui prendre le bras, mais elle se dégagea en riant.
— Vous ne voulez pas faire comme si nous venions de nous marier ? lui demanda-t-il.
— Non…je ne veux pas me marier avec vous.
— Alors, avec qui vous voulez-vous marier ? demanda Bourdon
— Avec le plus riche, dit Martine.
On avait imposé des étoiles jaunes à des enfants aux noms polonais, russes, roumains, et qui étaient si parisiens qu'ils se confondaient avec les façades des immeubles, les trottoirs. Comme Dora Bruder, ils parlaient tous avec l'accent de Paris, en employant des mots d'argot dont Jean Genet avait senti la tendresse attristée.
Si l'on habite près d'une gare, cela change complètement la vie.
On a l'impression d'être de passage.
Rien n'est jamais définitif.
Un jour ou l'autre, on monte dans un train.
Avait-elle encore de la famille ? À Paris ? En province ? Un carnet de chèques ? Au fur et à mesure qu’il me répondait d’une voix triste, je notais tous ces détails qui sont souvent les seuls à témoigner du passage d’un vivant sur la terre. À condition qu’on retrouve un jour le carnet à spirale où quelqu’un les a notés d’une toute petite écriture difficilement lisible, comme la mienne.
Sur le point d'achever un livre, il vous semble que celui-ci commence à se détacher de vous et qu'il respire déjà l'air de la liberté.
Dans les périodes de cataclysme ou de détresse morale, pas d'autre recours que de chercher un point fixe pour garder l'équilibre et ne pas basculer par-dessus bord. Votre regard s'arrête sur un brin d'herbe, un arbre, les pétales d'une fleur, comme si vous vous accrochiez à une bouée. Ce charme - ou ce tremble - derrière la vitre de sa fenêtre le rassurait. Et bien qu'il soit presque onze heures du soir, il était réconforté par sa présence silencieuse.
Il faudrait savoir s'il faisait beau, ce 14 décembre, jour de la fugue de Dora. Peut-être l'un de ces dimanches doux et ensoleillés d'hiver, où vous éprouvez un sentiment de vacance et d'éternité -- le sentiment illusoire que le cours du temps est suspendu, et qu'il suffit de se laisser glisser par cette brèche pour s'échapper à l'étau qui va se refermer sur vous. P 61
Mais il semble que ce qui pousse brusquement à la fugue, c'est un jour de froid et de grisaille qui vous rend encore plus vive la solitude et vous fait sentir encore plus fort qu'un étau se resserre.
Janvier 1965. La nuit tombait vers six heures sur le carrefour du boulevard Ornano et de la rue Championnet. Je n'étais rien, je me confondais avec ce crépuscule, ces rues.
L'un de ses livres de chevet, avec les Mémoires du cardinal de Retz et quelques autres ouvrages, était un traité de morale qui s'intitulait L'Art de se taire. Depuis son enfance, il avait toujours essayé de pratiquer cet art-la, un art très difficile, celui qu'il admirait Ie plus et qui pouvait s'appliquer à tous les domaines, même à celui de la littérature. Son professeur ne lui avait-il pas appris que la prose et la poésie ne sont pas faites simplement de mots mais surtout de silences ?
Vous aviez raison de me dire que dans la vie, ce n'est pas l'avenir qui compte, c'est le passé.
Ecrire un livre, c'était aussi, pour lui, lancer des appels de phares ou des signaux de morse à l'intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu'elles étaient devenues. Il suffisait de semer leurs noms au hasard des pages et d'attendre qu'elles donnent enfin de leurs nouvelles.
Moi non plus je ne me suis jamais senti au diapason de rien.
II avait prononcé cette phrase en la fixant droit dans les yeux, mais elle gardait de nouveau Ie silence. Ils firent demi-tour en direction des quais. En marchant, elle lui serrait Ie bras plus fort. Décidément, elle pratiquait l'art de se taire presque aussi bien que lui. Mais cela ne les empêchait pas de se comprendre à demi-mot.