Paul Feyerabend

Ce livre montre une série d'images de la culture occidentale, d'occasions où des représentations riches et complexes de l'Être - des réalités - cedèrent la place à des concepts abstraits et à des représentations stéreotypées. L'une des conséquences de cette " conquête de l'abondance", de cette prise de pouvoir par des conceptions simplistes et monolithiques, est ce monde gris et terne où beaucoup vivent, un monde soumis aux dictats scientififques et aux impératifs économiques.

(préface x)

Nous avons besoin de ces moyens irrationnels [la propagande, l’émotion, les hypothèses ad hoc, et l’appel à des préjugés de toutes sortes] pour soutenir ce qui n’est qu’une foi aveugle –jusqu’à ce que nous ayons trouvé les sciences auxiliaires, les faits, les arguments qui transforment cette foi en « connaissance » solide.

Xenophane ( 570 à 470 avant notre ère) était un des premiers intellectuels occidentaux. Comme beaucoup de ses successeurs, il avait une grande geule. Contrairement à la plupart d'entre eux, il avait aussi du charme.

(p.41)

...la science contient bien des conceptions du monde, toutes acceptables sur un plan empirique, et chacune équipée de son propre appareillage métaphysique.

(p.152)

L'Euthydemus de Platon montre la fascination que les Athéniens éprouvaient pour la logique, deux générations plus tard :

" La logique était une véritable rage, partout : au marché, dans les rues, dans les habitations et les édifices publics, à tout instant et parfois même la nuit, les gens étaient occupés en disputations dialectiques et s'assemblaient pour écouter les maîtres de logique faire étalage de leur art. Les écrits de cette époque en portent témoignage : les drames et les dialogues témoignent de l'influence que la science nouvelle avait sur l'imagination des hommes."

(p.58)

Les premiers philosophes grecs supposaient que "le monde réel" qu'ils avaient ainsi introduit était simple, uniforme, soumis à des principes invariants, et qu'il était le même pour tous. (...) Les "problèmes de la relation entre théorie et réalité" qui en résultèrent - problèmes qui existent encore - n'étaient pas le résultat d'une réflexion approfondie, ils venaient du fait que des phénomènes complexes avaient été soumis à des idées grossières.

(p.13)

Un argument - une série de phrases tendant vers une conclusion - trouve sa force et même son contenu de développements en dehors de lui-même.
(...)
Quand nous examinons une nouvelle idée, nous changeons le monde de façon à ce qu'il puisse accommoder cette idée. Ce n'est qu'après que nous nous demandons si ce nouveau monde est possible ou pas.

(p.71)

Il n'est pas possible de tirer une ligne claire et définitive entre les parties "objectives" et "subjectives" du processus d'acquisition de savoir, ou même du savoir tout court.

(p.78)

Ce livre veut montrer combien les spécialistes tout comme la population générale réduisent l'abondance qui les entoure et qui les trouble, ainsi que les conséquences de leurs actions.

(p.viii préface)

Il n'y a pas d'alternative : maîtriser un sujet implique sa transformation, implique de le sortir de son habitat naturel et de l'insérer dans un modèle, une théorie ou une histoire.

(p.12)

Les arguments concernant la réalité ont une composante "existentielle" ; nous prenons pour réels ces choses qui jouent un rôle important dans le style de vie que nous préférons.

(p.71)

Ce que je veux dire, c'est que ces résultats ne sont pas basés sur une réalité "objective", mais viennent d'échanges compliqués entre un matériau inconnu mais assez flexible, et des chercheurs qui affectent, et sont affectés par ce matériau - qui est, après tout, le matériau dont eux-mêmes sont faits. (...) Il y a l'Etre, dynamique et multifacetté qui influence et refléchit les actes de ses investigateurs.

(p.146)

La science peut se tenir sur ses propres pieds et n'a pas besoin d'aucune aide venant de rationalistes, d'humanistes séculiers, de marxistes ou d'autres mouvements religieux analogues; et...les cultures, procédures et hypothèses non-scientifiques peuvent tout autant se tenir sur leurs propres pieds, il devrait leur être permis de le faire si tel est le souhait de leurs représentants. (ma traduction)

Texte original:
[S]cience can stand on its own feet and does not need any help from rationalists, secular humanists, Marxists and similar religious mouvements; and … non-scientific cultures, procedures and assumptions can also stand on its own feet and should be allowed to do so, if this is the wish of their representatives.