Citations de Paul Guimard (192)
Dans le silence de sa chambre elle ne reconnut pas les battements de son cœur. Elle éteignit sa lampe de chevet pour tenter de voir clair dans sa nuit intérieure mais la jeunesse est l’âge de la myopie.
Isolée dans un no man’s land, elle se trouvait beaucoup plus que seule, sans la ressource dernière du tête-à-tête avec soi-même. Version inédite de l’homme qui a perdu son ombre, elle avait perdu son reflet.
En ces sortes d'affaires, les étrangers rassemblés par le hasard accueillent avec ferveur les sujets généraux et anodins qui peuvent alimenter des échanges de vues unanimes.
J'entends encore le bruit de l'accident. Ce n'est d'ailleurs pas un bruit mais un accord d'écrasements, de déchirures, de tintements, de résonances, de cassements, de ploiements, un accord très complexe.
Certains jours privilégiés d’arrière-saison, en Bretagne, le lever du jour ressemble au paysage mental qui m’entoure actuellement. La brise d'ouest qui s'éveille tard est encore assoupie. Loin derrière l'horizon le soleil n'envoie qu'une lumière indirecte sur les brumes matinales. La mer et le ciel, du même étain poli, se confondent dans une commune immobilité. Le silence est immense. Le regard cherche en vain où se poser, où se reposer dans cet espace sans géométrie. A égale distance de la mer et du ciel le bateau flotte irréellement, suspendu dans un univers de nacre. Je flotte ainsi dans un monde sans mouvements, sans contours et sans bruits, à mi-chemin de la vie et de la mort, encore dans l’une, déjà dans l’autre.
Le voilier est l'une des dernières façons de proclamer que le monde est grand.
Un bateau à voile est le moyen le plus inconfortable, le moins sûr, le plus coûteux et le plus lent pour aller d'un point à un autre, on ne le répétera jamais assez !
Ne valait-il pas mieux s'abstenir de toute étude que de s'embarrasser d'érudition ?
le malheur s’impose avec évidence et brutalité il faut une attention en éveil pour appréhender ne fût-ce que les reflets d’un bonheur p143
L’inattention des vivants est confondante. En fait, on ne voit que ce qui s’inscrit dans le champ des œillères de nos préoccupations du moment. p.132
On est jamais prêt à souffrir, on parvient à s’y habituer à la longue mais aucun entraînement préalable ne met à l’abri de la stupeur et de la déroute hurlante où jette la première attaque de la douleur, d’autant plus qu’elle est multiforme et fertile en nuances. (…) On ne fait que projeter autour de soi son petit cinéma intime .p.89
Un skipper n'est pas toujours plus fort, plus habile, plus savant que chacun de ses équipiers, sa fonction impose d'abord qu'il soit le plus ferme sans quoi l'équipage se change en la réunion vaine d'un certain nombre de solitaires.
A bord de Neptune, Philippe Langaigne s'est blessé au genou pendant les manoeuvres d'appareillage, à Cape Town. La souffrance étant supportable, il a recouru à la psychothérapie courante en pareil cas, dont la formule magique est "Ca devrait s'arranger tout seul."
Faut-il qu'il soit si puissant l'empire des mers, pour inciter tant d'hommes, et si divers, à aller gratuitement au-devant de ce qu'aucun salaire ne les déciderait à entreprendre !
Tout s'aigrit vite en mer, les vivres comme les caractères. Ces garçons qui se connaissent depuis longtemps ont mis moins d'un mois à se désunir. Il aurait sans doute suffi de peu pour que les plus irritables apprennent à faire la part des choses; Il aurait suffi que chacun ait accès, comme moi, aux journaux des autres et découvre que les antagonismes avaient souvent pour base une simple absence de dialogue.
Aucun ne ressemble à l'autre.
D'où viennent-ils ? De partout : on verra, ci-dessous, que les origines familiales, les cultures personnelles, les milieux sociaux accusent autant de différences qu'on en trouverait dans une poignée d'usages de la R.A.T.P. ramassés au hasard.
Le voilier est l'une des dernières façons de proclamer que le monde est grand.
A huit heures quarante et une, François descendit sur le quai de la gare Saint-Lazare et se prit à craindre qu'il n'y eût un peu de littérature dans sa nouvelle détermination. Cela ressemblait au "je repars à zéro" des mauvais films d'aventure. Il ne s'arrêta pas à ce scrupule. La vie elle-même, et la plus quotidienne, se charge souvent d'être très littéraire et de ressembler aux histoires les plus artificielles. En fin de compte, la peur du ridicule est moins un garde-fou qu'une barrière.
Lorsque nous nous quittons le climat est à l'attendrissement. Pourtant la nuit de Noël s'annonce mal. Une pluie fine, froide, donne aux rues un air de mauvaise santé. A deux degrés près ce serait la neige en tapis sous les pas, on entendrait le choeur des anges. Tout serait transfiguré.
Peut-être me suffirait-il aussi de modifier de deux degrés ma température intime pour me sentir l'âme moins pluvieuse.
A ce que j'ai cru comprendre, ce Julien Legris ne mène pas une vie très douillette. Il a une tête de survivant. Le peu qu'il m'a dit m'a fait entrevoir une belle profondeur de solitude. Ces vieillards qu'on voit acheter le sucre au détail dans les épiceries de quartier donnent envie de mourir jeune.