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Critiques de Pierre Cendors (88)
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L'Homme-nuit

Pierre Cendors, ou l'art de transformer la cendre en or…



« La nuit, mère de la lumière.

Le jour, père des ombres. »



Quel étrange roman que celui de L'homme-nuit. C'est une fable onirique qui sort totalement des sentiers battus de la littérature contemporaine, atemporel pourrait-on dire, dans lequel résonne la marque de quelques auteurs singuliers. Il y a en effet par exemple du Pascal Quignard dans le texte avec cette structure fragmentée, cette parole poétique dilatée et musicale. Il y a du Jacques Abeille aussi dans la façon d'imaginer un empire, d'inventer de toute pièce une géographie, espace onirique pour y dérouler un conte fantastique ; je pense notamment à ce monde imaginaire surprenant développé par jacques Abeille dans « Les jardins statuaires » dont j'ai retrouvé des éléments de belle minéralité dans ce monde imaginaire développé ici avec Pierre Cendors, des colosses de pierre éboulés et des regards de statue de toute beauté, des sables gris et pulvérulent froid au toucher étouffant les pas, des solitude de pierre... « Que devient-il de l'homme, une fois celui-ci taillé, facetté, pétrifié, s'il est dépourvu d'un substrat originel vivace ? »



C'est un texte tellement dense que plusieurs relectures ne suffisent pas à en savourer toute la profondeur et la richesse. Chaque phrase peut être lue et relue, sans exception. Sans doute faut-il être habitué aux écrits de Cendors pour y déceler des liens avec toute son oeuvre et y retrouver une certaine réminiscence de ses thèmes de prédilection (nous trouvons par exemple l'Enigmaire dans ce récit qui est aussi le titre d'un de ses livres). Je n'ai lu de lui qu'Engeland il y a plusieurs années. Aussi, est-il normal de sentir qu'il me manque des clés pour comprendre totalement cet univers que je pressens gigantesque. Une somme humaine à dimension cosmique dans laquelle « tout – les pensées et les émotions dont nous sommes traversés, leur fracas harassé, harassant, le silence tombal des civilisations passées et à venir – absolument tout, ici-bas, même cette parole, nous touche sans nous atteindre face à l'inexorable roue de feu cosmique en quoi tout se consume ».



« de même que le soleil ne cesse de briller quand il se couche, de même une grande nuit se poursuit continuellement en nous ».



Quelle est notre part de nuit ? Quels sont les morts qui nous hantent, les crimes, réels ou imaginaires, qui nous habitent, les sacrifices objets de nos fantasmes, les errances qui nous sont constitutives ? Qui sommes-nous vraiment lorsque, en pleine nuit, dans la plus extrême solitude, nous perdons notre identité sociale pour revêtir notre part essentielle, primale, primordiale, primitive ? Nos racines ataviques ? « En chacun est toujours autre chose, quelqu'un d'autre, qui le précède ou le dépasse ». de cette facette obscure, la lumière peut-elle jaillir ?



« Tout ce que l'on tue – et dédaigner est tuer, écarter est tuer, éconduire est tuer – tout ce que l'on tue nous lie. Tout esprit, entends-tu, tout être arrachée à son existence, se survie à travers la nôtre, brièvement ou pour la vie. de ces mortes noces naissent inexorablement maux, infamies et folies, plus rarement sagesse et vertu (…) L'être que nous entrainons à la mort, par nos actes et nos non-actes, à peine enseveli, poursuit sa vie en nous. Son spectre continuellement harcèle ou conseille. En nous, il revit ses pires souffrances ; en nous, il s'abîme sans un cri et toute notre âme en retentit. ».



Telle est la quête poétique de Pierre Cendors dans un récit magnétique, féérique et magique, un récit autant aventure universelle que épopée de l'intime, aussi bien déplacement spatio-temporel que voyage intérieur, dans une langue particulièrement ciselée, écho troublant de la voix ensilenciée des ciels lourds et bas, de celle encolérée des vents, de celle ensauvagée de la Grande Nuit. Nous détruire ou entrer en connaissance, telle est l'issue pour calmer nos spectres intérieurs.



Nous sommes dans un empire imaginaire où le rite religieux est voué aux dieux de l'Obscurité et notamment à la Mère sombre, La Nocturne. C'est une religion faite de rites, de sacrifices, de sorcellerie. Kamaal en est à la fois l'impératrice et la prêtresse, celle qui communique avec la Nocturne. Mais ces dieux de l'obscurité sont chassés pour le Soleil, pour l'adoration de la lumière incarnée en un seul être auquel croire. Les luministes contre les adorateurs de l'obscurité, ces derniers n'ont désormais plus voix au chapitre et doivent se cacher. Des exactions sont perpétrées au nom de la foi sur le peuple dont les foyers de dissidence, promptement maitrisés, ont profité au commerce de l'esclavage. Pour avoir sur le tout le territoire que des hommes et des femmes de même obédience, quitte à asservir, bruler, tuer, réduire à l'esclavage. Quand la lumière apporte sang, souffrance et chaos…



Nous suivons l'énigmariste, archiviste de la religion de l'ombre, dernier serviteur de cette religion qui n'est plus. Cette homme-nuit est un nain difforme et laid. Nous le suivons, assistons à ses transformations en différents personnages, découvrons sa quête ainsi que ses rencontres avec les différents personnages du récit, notamment Lumnia, aussi appelée la Moureuse, celle qui sait écouter la voix des morts, reconnaissable à « son odeur sauvagine de musc et de santal, une senteur de feu boisé, d'écorce mouillée, de rémanence résineuse ». Mais aussi Kamaal, prêtresse qui sait capturer les murmures du sacré, dont l'alliance avec la Moureuse représente l'union du sacré et de la mort, l'abolition des frontières entre les vivants et les morts. Il croise sur son chemin le fils de Kamaal, Solunus, jeune homme borgne, dont le père a imposé dans le royaume, après la mort de sa femme, le culte du nouveau dieu de façon brutale. Solunus est un personnage central dans le livre car il est à la croisée des deux religions, la religion vouée à la Nocturne de par sa mère, prêtresse, et la nouvelle religion des luministes de par son père. Il y a conflit en lui et décisions à prendre pour l'une ou l'autre religion. Il y a également la Démaphone, porteuse de flambeau, jeune fille solitaire impénétrable « comme on l'est à cet âge où l'âme, sous sa blancheur d'amandier, se découvre une saveur amère » amoureuse de Solunus.



L'énigmariste est à la croisée de tous les personnages du récit qui ont eux-mêmes tous des liens entre eux, nous sommes parfois dans sa tête, parfois nous le voyons au travers le regard des autres. Il est celui qui fait émerger la lumière des ombres, celui qui donne des clés et qui guide, celui qui permet d'affronter nos ténèbres, celui en qui se mêlent « ce qui nait en ce qui meurt, ce qui vient en ce qui part, celui que je ne suis plus en celui que je deviens, l'homme du non en l'homme du oui – un refus, une fureur, une véhémence intérieure mûrissant l'orage d'où renaissent ces ciels printaniers lavés de fraicheur ».



« Va, ne crains pas de te perdre dans son obscurité ! La nuit, étranger, n'est pas un jour privé de lumière. Dit-on du jour que c'est une nuit qu'éclaire l'astre solaire ? La nuit que tu crois connaitre, Solunus, n'est que l'orée d'une plus grande nuit. Vaste son étendue, sans fin son nocturne ondoiement océanique dont le jour n'est qu'un affleurement sableux, un îlet, une escale rythmant cette traversée qui obscurément se poursuit au revers de notre vie. La Nuit, fils de Kamaal, essaime en silence, et ses travailleuses ramènent des noirs vergers un nectar dont elles secrètent un miel au gout soleilleux autant que ténébreux ».



Le récit est une fable fantastique dans laquelle l'amitié, la religion et ses fanatismes, la quête intérieure, la porosité entre le royaume des vivants et le royaume des morts, les silences et les retraites solitaires, la vie post-mortem et la mort ante-mortem prennent sens. Il y a un entrelacement troublant du temps, le passé dans le présent, l'avenir dans le présent, la mémoire d'un avenir, un « sous-venir » ou « le venir de la mort sous la vie ».



Le style est flamboyant et travaillé minutieusement, érudit, c'est de la dentelle très fine, aux fils de soie d'une rare qualité, superbement ajourée, aux entrelacs complexes et subtils, une toile d'araignée délicate qui luit et vibre dans l'obscurité. Les mots sont précieux, rarement usités, et au milieu de la poésie en prose, Cendrors ose transformer les verbes en noms, jouer avec les mots et les noms propres des personnages et des lieux (La Moureuse, association d'amoureuse et de mort ; le Démaphone, la voix du daimon, la ville de Solombros)…Notons d'ailleurs que le nom de famille de l'auteur est prémonitoire, Cendors, pour celui qui sait si bien transformer la cendre en or…Malgré cette complexité, le livre se lit d'une traite tant la fable est passionnante et belle. Elle émerveille de ses beautés, de ses trouvailles, de ses sens cachés à dénicher tel le chercheur d'or. Je ressors de L'homme-nuit transformée et travaillée, avec davantage de lumière intérieure qu'au début de ma lecture.



Notre âme est tel un lac sombre qui, au fur et à mesure de la lecture, devient d'une transparence cristalline tant elle boit et se nourrit du ciel de Pierre Cendors, de sa poésie et de sa sagesse.





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Archives du vent

"Mettre en lumière le langage de l'obscur".



Faire naître de l'invisible et des ombres une autre réalité que celle du monde où nous vivons.

Renouer avec l'autre partie de nous-mêmes bien plus révélatrice de qui nous sommes mais ensevelie sous la sédimentation du quotidien.

Pierre Cendors nous offre cet instant dans un texte hypnotique et sublime comme le regard magnétique et profond de l'actrice Louise Brooks, l'ange noir, qui semble sonder notre âme.



"Archives du vent", la seule lecture du titre est déjà prometteur du charme terrible de ce livre : saisir l'impalpable.



" Dans ce monde devenu tout à coup immobile, je crus entrevoir l'essence de la beauté. Elle était là, devant moi : fragile banquise d'un instant, pure flottaison de l'âme sur les hauts-fonds d'un mystère. La contempler ainsi dans sa nudité assouvissait un désir de sacré, qui dans le même temps, se révélait inextinguible".



"Le marcheur du vide", " ouverture au noir", "le cabaret du néant" sont des exemples de titres de chapitres qui sont révélateurs de l'emprise très forte d'emmener le lecteur vers une frontière de plus en plus floue entre la réalité et un autre réel possible, vers une autre dimension où le vrai et le faux s'éteignent.



L'écriture et le cinéma des années 30 et 50 s'imbriquent naturellement dans ce roman très singulier à la fois métaphysique et réaliste construit autour d'une énigme qui s'apparente à une enquête policière.

Egon Storm est un réalisateur islandais reconnu mondialement par son invention technologique révolutionnaire, le Movicône : faire jouer ensemble des acteurs disparus dans des films qu'ils n'ont jamais tournés.

Rattrapé par sa célébrité, cet homme solitaire et adepte de chamanisme se réfugie dans les terres les plus éloignées d'Islande, là où le ciel rejoint la mer.

Dans une cavité rocheuse seulement recouverte à marée haute, Egon Storm y puise l'inspiration. Il a aussi de puissantes visions qui le ramènent à un homme mystérieux, Solness.



Je ne dévoilerai pas plus l'intrigue car tout réside entre les lignes des feuilles blanches et les séquences en noir et blanc du cinéma muet.

J'ai lu le livre, j'ai vu un film , c'est un pur plaisir.

Je ne peux que répéter mon enthousiasme à lire "archives du vent".

J'ai été surprise par la tournure des évènements et complétement envoûtée par son imaginaire très séduisant.

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Archives du vent

Dès sa magnifique couverture, Archives du vent fascine : les yeux de Louise Brooks me saisissent avant que Cendors ne me plonge dans un flou artistique, littéraire, technique et cinématographique.



Entre passé et présent, l'illusion prend parfois la place du réel, les repères s'effacent, le livre devient film à moins que ce ne soit l'inverse. Est-ce un road-movie ? Un polar ? de la science-fiction ? On s'en fout. Pourquoi donc vouloir toujours classer l'inclassable ?



Sauf que pour apprécier un tel livre, il faut totalement lâcher prise et se laisser entraîner dans une improbable dimension. Car à défaut, ça lasse. Et le lâcher prise n'est probablement pas mon fort… Rencontre manquée donc.
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Minuit en mon silence

Un texte court, il s’agit d’une lettre, une lettre qu’un homme qui pense mourir (nous sommes pendant la période la plus meurtrière de la guerre de 14-18) adresse à la femme qu’il pense aimer, Else, bien qu’il ne l’ait croisée que très rapidement, et que pas grand-chose ne semble s’être passé entre eux. Il l’appelle d’ailleurs Madame. Mais la lettre est très elliptique sur les faits tangibles, le scripteur s’attache plus à dépeindre ses états d’âme, ses ressentis, ses émotions, ses aspirations. On peut même se demander si cette femme à qui la lettre est destinée existe vraiment, où si elle n’est qu’un rêve, un mirage, un appel, au moment où le personnage qui l’écrit pense mourir. Où si cette femme entrevue n’est qu’un prétexte, pour dire, pour se dire, se révéler à soi-même au moment où tout doit s’arrêter.



Le projet du livre est ambitieux et séduisant, Pierre Cendors a, à priori, une belle écriture poétique et fine. Je ne suis pourtant pas vraiment entrée dans cette entreprise qui avait pourtant tous les atouts pour me séduire. J’ai trouvé au final l’écriture, comment dire, sur-écrite, un peu artificielle souvent, sauf quelque passages, enfin pour moi. Et les aspirations, les questionnements et les quêtes du personnages ne m’ont pas touchés, un peu artificiels aussi à mon goût, où tout simplement ne correspondant pas aux miens.



Je crois tout simplement que l’univers et la sensibilité de Pierre Cendors ne se superposent pas eux miens et que je resterai toujours un peu sur le bord du chemin, en me demandant bien pourquoi, parce que, par instants, il y a un projet, des fulgurances, qui me font penser qu’il y a là quelque chose.
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Archives du vent

J’avais repéré ce livre à sa sortie : j’apprécie le travail des éditions Le Tripode, qui dénichent souvent des auteurs rares et passionnants. Et une couverture avec le visage de Louise Brooks dans Loulou était une incitation très forte pour découvrir un auteur qui m’était inconnu : Pierre Cendors.



Le roman mêle le cinéma, le mystère, la recherche d’un monde différent … Le personnage principal, Egon Storm, est un cinéaste islandais, qui invente un nouveau procédé de cinéma, lui permettant « d’utiliser » les acteurs du passé pour tourner de nouveaux films. Il est censé avoir réalisé trois films selon ce procédé, qui ont révolutionné l’histoire du cinéma. Après avoir fini sa trilogie, il s’est réfugié dans la solitude du fin fond de l’Islande. Mais son ami Oska, qui a eu droit à la primeur des films de Storm dans son cinéma, commence à penser que ce dernier serait en train de tourner un nouveau film, en lien avec un certain Erland Solness, un personnage insaisissable, jusqu’à ce que son fil n’entre en contact avec Oska….



Révélations progressives mais qui gardent toujours quelque chose d’inexpliqué au final, récit dans le récit, qui pose la question où est la réalité et où le scénario en train de s’écrire, chamanisme, voyage dans d’autres univers, la façon dont se construit une identité, en particulier grâce à l’art, la solitude comme destin de tout homme, et encore plus de l’artiste… les lectures de ce roman peuvent être multiples. La poursuite de Solness, l’impossible rencontre avec Storm, le secret de leurs identités complémentaires, sont une sorte de trame. Les films de Storm, et au-delà un certain nombre de films, sont aussi un fil rouge.



L’écriture est belle, des citations diverses, en particulier de poèmes s’y mêlent, là encore, comme dans le cinéma de Storm, les mots des autres se mêlent à ceux de Pierre Cendors pour en constituer un élément essentiel, comme les visages d’acteurs apparus dans d’autres films forment les œuvres supposées du personnage du roman. C’est parfaitement maîtrisé, et ne semble à aucun moment artificiel, ni gratuit. Cela reflète indéniablement la création d’aujourd’hui, dans laquelle les références, les citations, l’utilisation d’éléments venus d’ici ou là semblent incontournables.



C’est incontestablement prenant, par moments fascinant. Toutefois j’avoue ne pas être très sensible à l’inexplicable, au chamanisme, au contact avec un autre monde qui existerait à côté du nôtre. Cet aspect du livre m’a un peu fait décroché par saccades. J’ai plus été sensible à la poésie douce amère des personnages, à l’amour fou du cinéma, de l’art en général, au besoin inexpliqué de créer, à l’ambiance crépusculaire, aux paysages désolés mais habités.



Un auteur qu’en tous les cas j’ai envie de découvrir un peu plus maintenant.
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Minuit en mon silence

Septembre 1914, Werner Heller, jeune lieutenant de l'armée prussienne, poète et peintre à ses heures, est en permission à Paris. Durant ce séjour, de manière un peu fortuite, il fait la connaissance d'Else, une jeune française. La présence mais aussi la beauté candide de cette femme sont une révélation pour Werner. Poussé par ses sentiments pour elle, il lui demande l'autorisation de peindre son portrait. Else accepte, non sans éprouver un certain trouble au coeur. Mais le tableau du portrait ne se fera pas. Werner est subitement appelé à rejoindre son corps d'armée, la guerre prend de l'ampleur. La veille de partir, le jeune homme écrit une longue lettre à Else, une lettre-confession qui sera remise à la jeune femme.



Publié en 2017 aux Editions le Tripode, Minuit en mon silence est après Archives du vent le second roman que je lis de Pierre Cendors. Dédié à la mémoire d'Alain Fournier, le jeune et célèbre auteur du Grand Meaulnes mort prématurément à la guerre en 1914, et inspiré pour partie par sa correspondance, ce court roman épistolaire est d'une écriture à la beauté toute saisissante



La rencontre, les quelques moments qu'ont partagé Werner Heller et Else, le trouble qu'ils ont tous deux éprouvé, ont ouvert chez le jeune homme un sentiment qui le retient tout entier. le portrait d'Else jamais commencé, c'est le regard du féminin, de cette âme-soeur, de l'altérité en lui (Orphée et Orphia, sont deux personnages-clé souvent cités dans la longue lettre) que recherche Werner. Else est cette autre lui-même, elle est cette convergence de l'intime en lui, que même la guerre, le pressentiment proche de sa propre mort ne suffisent pas à atténuer.



Minuit en mon silence est un livre remarquable, qui mérite une vraie estime. Teintée de romantisme et d'idéalisme, il y a dans l'écriture de Pierre Cendors une poésie, une maîtrise, une retenue, une gravité et une érudition qui touchent au sublime. Un très beau roman.

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Minuit en mon silence

Minuit en mon silence de Pierre Cendors est conçu sous la forme d'une longue lettre d'amour rédigée par un officier allemand en septembre 1914 à l'attention d'une jeune femme rencontrée à Paris avant la guerre. On saura peu de choses de cette rencontre car on comprend très vite que cela serait hors de propos dans ce livre à la tonalité à la fois lyrique et sombre.



Un mot sur le nom de l'auteur, comme moi, vous avez peut-être noté la proximité sonore avec Cendrars et ceci d'autant plus que l'auteur suisse a été engagé volontaire pendant la Grande guerre, le payant d'ailleurs d'un lourd prix sur le plan physique. Si vous avez envie d'en apprendre davantage sur cette ressemblance des deux pseudonymes, quelques recherches sur Internet vous éclaireront mais l'auteur (je parle de Cendors) reste malgré tout entouré d'un halo de mystère et ses livres sont parfois décrits comme "indéfinissables" (ça ne m'étonne donc pas que je rame pour écrire ce billet).



La tonalité de ce livre est éminemment poétique, tendue vers cet amour idéalisé que le lieutenant Heller éprouve pour la belle Else, une inconnue ou presque. Leur conversation n'a duré que quelques heures. A un moment, cependant, la jeune femme s'est troublée, trahissant une émotion un peu plus forte. Heller emporte ce trouble avec lui comme un joyau et n'en demande pas davantage. Il n'espère rien d'autre, cette absence sublimée lui suffit. Ce chant d'amour est servi par une écriture magnifique et l'on comprend la référence à Rilke en quatrième de couverture.



Mais le livre comporte aussi une profonde intériorité. Heller ne pense pas que la guerre l'épargnera. Il se livre donc à une sorte d'introspection philosophique ou métaphysique tout en rendant hommage aux poètes. Les références au mythe orphique imprègnent l'ensemble du texte. Le personnage de l'Ordonnance du lieutenant, est particulièrement sublime, à la fois grave, pur, insaisissable et pourtant... Bien entendu, il le surnomme Orphée. D'autres références littéraires émaillent ce petit bijou poétique à l'érudition douce. Je vous invite fortement à les découvrir.
Lien : https://leschroniquesdepetit..
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Minuit en mon silence

En me baladant dans la seule libraire de ma ville - hors une librairie spécialisée en bandes dessinées, comics et mangas et une autre en jeunesse -, je suis tombé sur deux livres de Pierre Cendors : Minuit en mon silence (2017) et son dernier roman, Vie posthume d'Edward Markham, édités par Le Tripode. À noter que chez cet éditeur, il a également publié Archives du vent (2015).



Interpellé par la couverture et le nom proche de celui de Blaise Cendrars, j'ai suspendu quelques instants le vol de mes yeux sur ces deux livres, lu leur quatrième de couverture, les ai ouvert pour être définitivement convaincu de repartir avec ces deux livres dans ma besace par la mention de Ernst Jünger dans l'un des deux - Minuit en mon silence en l'occurence. Ce choix a été confirmé par l'un des deux libraires même s'il ne les avaient pas encore lu.



Minuit en mon silence est la longue lettre - le roman est court et tourne autour d'une centaine de pages - que Werner Heller, Lieutenant du 5ème corps d'armée prussien écrit le lundi 28 septembre depuis Merlenwald à une femme, Else. Renvoyé au front et craignant de ne pas en revenir vivant, Werner Heller, camarade d'un certain Ernst (Jünger) et dont l'ordonnance s'appelle Orphée, écrit une lettre d'amour à cette femme qu'il a connu avant la guerre mais redoute de ne plus la voir.



Roman très poétique et empreint d'une grande mélancolie sur la passion, l'amour (impossible) et la guerre aussi, Pierre Cendors écrit un livre d'une très grande intensité, d'une grande inventivité - par exemple, l'auteur appelle l'ami du Lieutenant Heller par son seul prénom, Ernst, et lui met dans la bouche ensuite une citation de Ernst Jünger - et d'une grande maîtrise de la langue (sans tomber dans le superflu), le tout au service de réflexions philosophiques (sur la liberté : "Existe-il ici bas une liberté qui rend libre ?", la condition d'homme : "Naître homme, sans doute, vous naufrage à vie", la mort, la guerre et évidemment l'amour).



Lisant peu et moins de romans qu'à une certaine époque, je ne regrette pas du tout ce choix - je vais d'ailleurs m'empresser d'aller lire la Vie posthume d'Edward Markham - qui s'annonce tout aussi passionnant - puis le reste de sa production.



Un court et grand roman à la fois.
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Archives du vent

L’énigme du quatrième film d’Egon Storm, ou l’éclatant labyrinthe littéraire de Pierre Cendors.



«Les lectures nous mènent au fond du monde plus loin que les voyages.»



Ce treizième livre et cinquième roman de Pierre Cendors, qui paraîtra en septembre 2015 aux éditions Le Tripode, forme une pièce maîtresse du puzzle de son œuvre, de cet univers cohérent et fascinant qui pullule de correspondances.



Inventeur d’une nouvelle forme cinématographique qui deviendra mythique, Egon Storm, cinéaste islandais visionnaire, vit retiré du monde. Depuis sa retraite, il a cédé les droits exclusifs d’exploitation de ses films à son ancien camarade d’études Karl Oska, faisant entrer son ciné-club menacé de faillite dans la légende future du cinéaste.



Dès la projection de Nebula, le premier film d’une œuvre annoncée comme une unique trilogie, le cinéma d’Egon Storm, «ovni cinématographique et prouesse technologique phénoménale», est devenu mythique.



«Artiste au sens où l’entendait la Renaissance, Storm, bientôt surnommé l’apprenti sorcier du cinéma islandais, devint ainsi le poète phare et le savant ouvrier d’une libération de l’image qui, dans la seconde moitié du XXIe siècle, bouleversa l’industrie cinématographique.»



Recevant le troisième et dernier long-métrage de cette trilogie, Oska découvre en écoutant l’enregistrement adressé par Storm l’existence inattendue d’un quatrième film, ayant pour personnage central un certain Erland Solness, énigmatique camarade de jeunesse du réalisateur.



Ainsi s’ouvre ce jeu de pistes borgésien, roman émaillé d’échos et d’indices dont l’aspect se transforme, de l’ombre à la lumière, au fur et à mesure de l’avancée du récit et du dénouement de l’intrigue.



Ayant pris contact avec Oska bien des années après, le fils d’Erland part dans un périple solitaire au bord de l’océan – confrontation avec le silence pour faire surgir ce qui est au-delà du visible, en écho au récit précédent de Pierre Cendors «L’invisible dehors» -, sur les traces de son père méconnu et du lien inexpliqué et visiblement ancien qui relie les deux hommes, Erland et Storm, suivant la piste de ce mystérieux et quatrième film.



«C’est là que je suis né une deuxième fois.

C’était en hiver, une fin d’après-midi. L’esprit vacant, je progressais à l’intérieur d’une ravine abritée de la bourrasque lorsque cela se produisit. L’océan était à portée de regard. Je ralentis, puis je m’arrêtai comme l’eût fait un cerf humant une présence dans le vent. Je ne parle pas d’un paysage, ni du ressac, ni même d’une lumière dans le ciel. Il n’y avait rien à voir. Rien de visible. Pourtant, mon regard était aussi alerte que si j’eusse eu, devant moi, le spectacle d’un incendie immobile, immense, un aperçu immatériel de l’âme du monde, la sensation puissante de ses harmoniques secrets.»



Dans ce roman où les œuvres littéraires et cinématographiques se répondent, où les niveaux de récit s’enchâssent et s’entrecroisent, l’histoire se noue comme un thriller, se penchant sur les correspondances entre imaginaire et réel, entre invention et miroir, formant un labyrinthe fascinant qui conserve sa part d’ombre même après son achèvement, comme le superbe «Lanark» d’Alasdair Gray, quête énigmatique qui s’organise autour du silence et de l’ombre, rappelant «Le soleil» de Jean-Hubert Gailliot.



Dédiée au plus haut comme celle de Pierre Michon, l’œuvre de Pierre Cendors semble poussée par une nécessité obscure, qui permet de révéler l’intériorité, qui révèle le sens caché du «poème sauvage d’une vie», le savoir inconscient à l’intérieur d’une expérience humaine «dans l’arrière-pays de la non-pensée, quelque part sous les astres de la volonté inconsciente, parmi les puissances oraculaires et les femmes-esprits aux paupières peintes de nuit ».



«Que sont les mots, madame, sinon des réservoirs d’énergie ? Des viviers assoupis qui, à la manière de ces flaques croupissant sur le lit caillouteux d’un torrent asséché, l’été, et pour peu que vous incliniez doucement votre ombre au-dessus d’elles, soudain révèlent une vie d’inertie frémissante ?»



Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2015/07/30/note-de-lecture-archives-du-vent-pierre-cendors/



Et vous pourrez rencontrer Pierre Cendors pour une soirée à la librairie Charybde le 1er octobre 2015.
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Le voyageur sans voyage

J’aime sou­vent les petits livres. Un petit livre c’est comme une petite boîte. Enfant, je me sou­viens que j’aimais les petites boîtes. Je sais bien ne pas être le seul dans ce cas, mais je me sou­viens que je les ado­rais avec une fas­ci­na­tion inver­se­ment pro­por­tion­nelle à la taille de la boîte. Je leur prê­tais le pou­voir quasi magique d’y recé­ler les mille tré­sors amas­sés au cours de notre très longue exis­tence d’enfant. Et puis elle est petite la boîte ! Elle passe inaper­çue. En cela, elle cor­res­pond avec exac­ti­tude à l’idée que l’on se fait d’un cache-trésor, d’un confi­dent des objets trou­vés et pré­cieux : ici l’ombrelle en papier et au par­fum de vanille d’une glace man­gée à la ter­rasse d’un café, là une petite voi­ture ban­cale extraite de cet œuf jaune plas­tique tant convoité, ici le petit caillou tout blanc qu’on n’a pas jeté dans la rivière, le caillou res­capé… Tous ces objets, pris indé­pen­dam­ment, paraissent d’une immense vacuité aux yeux des adultes mais ils tissent pour­tant ensemble un réseau de rela­tions et de réso­nances qui forment la base des sou­ve­nirs mytho­lo­giques qui res­sur­gi­ront plus tard. Beau­coup plus tard. Car…



Une petite boîte, c'est discret.

Ça s'oublie.



Dans une poche ou sous un lit.



Une petite boîte ça réapparaît.



Ça ne s'efface jamais vraiment de la réalité.



Le voyageur sans voyage de Pierre Cendors est un petit livre. Carré comme peuvent l'être les petites boîtes de notre enfance. Il commence sur le quai d'une gare et finit nulle part. C'est un voyage sans retour et à jamais répété du train bleu qui surgit la nuit et traverse la gare. Jamais ne s'arrête, jamais ne descendent ni ne montent des voyageurs... Mais quel est donc ce mystérieux train bleu qui revient tous les soirs et qui n'est jamais tout à fait présent, ni tout à fait fantomatique ?



Un narrateur, un enfant, une énigme mystérieuse... Quelque chose qui pourrait être de l'ordre du souvenir, ou du rêve. Mais on ne saurait dire avec discernement. Ce petit livre, il n'y a rien à redire, est une petite boîte de l'enfance, trouvée sur le quai d'une gare...



« C'est un livre d'images prégnantes qui se traverse comme un rêve. A la fin - au réveil - on sait ce qu'on a vu sans pouvoir le décrire. Reste la sensation d'avoir approcher quelque chose que la réalité n'aurait pas pu révéler ou qu'on n'aurait pas su reconnaître. »

Cécile Wajsbrot, préface du Voyageur sans voyage.



Voilà qui résume parfaitement l'impression rémanente qui perdure en nous lorsque nous quittons, à notre tour, le quai du livre. Pierre Cendors taille ce livre avec douceur, avec exactitude, simplicité et concentration, tant et si bien qu'en ouvrant la main je désirais ardemment y trouver mon petit caillou blanc, le rescapé.


Lien : http://www.labyrinthiques.ne..
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L'invisible dehors : Carnet islandais d'un ..

Voyage au nord de l’Islande dans la solitude et le silence, «pour rompre avec d’anciennes formes».



Dans ce livre sous titré «Carnet islandais d’un voyage intérieur», et paru en 2014 aux éditions Isolato, Pierre Cendors raconte, avec une langue poétique somptueuse, un voyage entrepris au printemps 2011, une confrontation avec les paysages élémentaires du grand nord islandais pour donner corps à un projet romanesque encore vague.



«Depuis mon retour du Septentrion, je me répète souvent ces paroles de Magnús Morland, les rares dont je me souvienne :

Je ne viens pas en Islande pour voir, au pied d’un glacier, un désert de lave, des geysers ou un volcan, car alors je perdrais l’écho de ce qui m’appelle ici. Je ne viens pas non plus contempler les aurores boréales. Je viens pour rejoindre l’autre côté d’une vision qui m’habite depuis de longues années, une vision dont je ne sais presque rien, sinon que le paysage archaïque, aux reliefs ruiniformes, de cette île qui a surgi de l’Atlantique Nord, il y a de cela 25 millions d’années, lui ressemble.»



Le voyage démarre à Hornstrandir, «un territoire dont le règne sauvage, à cette latitude et si éloigné de l’affairisme amnésique de nos sociétés, n’a rien d’un simulacre.» Pour cet écrivain marcheur, la solitude et la matière brute doivent nourrir la page blanche, dialogue intérieur face au vide entre le mouvement des pas et celui de l’imagination.



Prenant des accents d’une profondeur mystiques, Pierre Cendors dit l’éloignement du monde, le détachement d’une société utilitaire qui mutile, pour entrer dans la beauté puissante et muette et le temps distendu de ce paysage minéral, et renouveler ainsi la pensée et la forme.



«L’homme n’est peut-être qu’un épisode de l’évolution. À quelques kilomètres de Reykjavík, des rangées pimpantes de résidences-casernes, aussi déplacées dans ces étendues désertiques qu’une femme fardée, parfumée, permanentée au milieu du Sahara, soulignent brutalement l’évidence : la civilisation, toute civilisation, est une divinité clandestine déchue.»



Voyage au milieu de nulle part et au cœur de la matière, ce face-à-face avec le vide prend une direction inattendue, devant cette «nature affranchie de toute mainmise» humaine, ces distances et ces durées si vastes qu’elles font disparaître le but et imposent le silence, puis avec le choc de la découverte des toiles du peintre islandais Georg Gudni.



«Hvarfnúpur.

Laekjarfjall.

Látrafjall

Sphinx ruiniformes dont seuls demeurent le train arrière et les puissantes pattes antérieures, scellées à leur socle d’immobilité.

Straumnessfjall.

Skálafell.

Montagnes-enclumes sillonnées de crevées où s’agrège la dernière neige, où ruisselle l’eau de fonte. Montagnes, tours et corniches larvaires aux torsions calcinées, aux cernes de refroidissement moulurés et réguliers.

Pierres sombres, lugubres dévaloirs à avalanches face auxquels, sous la poitrine du promeneur, un vertige s’écœure en silence.

Falaise-cargos dont l’étrave noirâtre partage la baie mouvante et agglomère les nuées sifflantes dans ses hauteurs démâtées.»



Dédié à Georg Gudni, «L’invisible dehors» est un récit d’une beauté intense, tendu vers une forme d’absolu, plus tellurique que céleste, qui évoque les fulgurances d’Emmanuel Ruben et son évocation de l’œuvre du peintre danois Per Kirkeby dans «Icecolor».



«On écrit pour donner voix à ce qui, autrement, demeurerait muet, enseveli sous le piétinement des paroles. On écrit pour quitter l’insomnie des conversations, ces longs repas du langage.»



Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2015/07/05/note-de-lecture-linvisible-dehors-pierre-cendors/



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Minuit en mon silence

Le grand Môme.

Dans une longue lettre datée du 28 septembre 1914 adressée à Else, une femme croisée naguère et idéalisée depuis, le lieutenant prussien Werner Heller, à la veille d’un assaut qu’il pressent fatal, se confie en transcrivant son amour indicible pour une femme entrevue à Paris. Pour atteindre sa vérité et la rendre audible, avec une délicatesse extrême, Werner Heller va fouiller au plus intime de lui-même, fouissant les mots, approchant la zone flottante et féconde du silence intérieur qu’une nuit blanche peut révéler.

A travers une lettre testamentaire fictive faisant l’aveu de l’amour à une quasi inconnue, passante baudelairienne par essence, Pierre Cendors réveille la poésie, lui redonne souffle, l’alimentant aux sources anciennes et toujours vives de poètes portés en soi, qu’elles émanent de Rimbaud, de Rilke ou d’Alain-Fournier conservant le souvenir aigu d’Yvonne de Quiévrecourt croisée à Paris et se métamorphosant en Yvonne de Galais dans Le Grand Meaulnes. Au chapitre X, quand Pierre Cendors narre l’agonie d’un lieutenant français, la main cachant une blessure mortelle, bien que les mots fassent comme une ouate, le lecteur est frappé par la tragédie de la guerre qui gicle aux interstices des phrases. Le poète sera jeté en fosse commune mais Heller, en récupérant les papiers du mort peut y lire : « L’amour est comme une première ligne de feu ».
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Vie posthume d'Edward Markham

Comme beaucoup, c'est dans Temps X que j'ai vu pour la première fois les épisodes de la quatrième dimension - je n'étais pas né lors de la première diffusion en français de quelques-uns des épisodes. Dans mon souvenir Temps X*, c'était les frères Bogdanoff, Igor et Grichka Bogdanoff, dans des combinaisons futuristes, des reportages, des informations, de la science-fiction et des séries dont La Quatrième Dimension, Au-delà du réel, Le Prisonnier, Galactica, Cosmos 1999 et Astrolab 22 (pour cette dernière, je n'ai aucun souvenir et le nom ne m'évoque rien aujourd'hui).



Les épisodes de La quatrième dimension - 156 épisodes étalés sur 5 saisons - étaient introduits par une phrase d'accroche - en anglais, le créateur de la série, Rod Sterling, jouait le rôle du narrateur - dont :



« Apprêtez vous à entrer dans une nouvelle dimension, qui ne se conçoit pas seulement en terme d'espace, mais où les portes entrebâillées du temps peuvent se refermer sur vous à tout jamais… La Quatrième dimension ! »



« Au delà des classiques notions d'espaces, où l'homme projette ses pas, il est une dimension où peuvent se glisser par les innombrables portes du temps, ses désirs les plus fous. Une zone où l'imagination vagabonde entre la science et la superstition, le réel et le fantastique, la crudité des faits et la matérialisation des fantasmes. Pénétrez avec nous dans cette zone entre chien et loup, par le biais… de la Quatrième dimension ! »



« Nous sommes transportés dans une autre dimension. Une dimension inconnue de l'Homme. Une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais surtout d'esprit. Une dimension sans espace, ni temps, mais infinie. C'est un voyage dans une contrée dont la seule frontière est notre imagination. Un voyage dans les ténèbres. Un voyage au bout de la peur, aux tréfonds de nous-même. Un voyage dans la Quatrième dimension ! »



« Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais aussi d'esprits. Un voyage dans une contrée sans fin dont les frontières sont notre imagination : un voyage au bout de ténèbres où il n'y a qu'une destination : la quatrième dimension. »



Dans son dernier roman - et le deuxième que je lis de lui après le puissant Minuit en mon silence -, Vie posthume d'Edward Markham, Pierre Cendors invente le dernier épisode de la quatrième dimension dont le générique est le suivant :



« Vie posthume d'Edward Markham - (Usher's Report)





Un film d'Egon Storm





Avec : 


Edward Markham/Usher : Montgomery Clift


Todd Traumer : Emil Cioran


Colonel Powell : Robert Mitchum


Natsuki : Misa Uehara


Rod Serling : Rod Serling


Le journaliste : Joseph Cotten


Kirstine : Ethel Barrymore


Soeur de Markham : Geraldine Fitzgerald


Maitreya : Maitreya





Narration : Orson Welles



Images : Anna Boulanger





Musique de Featherlight





Une production Movicône Vision  - « The best films never made »





Adaptation française : Pierre Cendors »



Comme le mentionne le quatrième de couverture, le pitch de cette Vie Posthume d'Edward Markham est simple : « Arrivé au crépuscule de sa vie, un scénariste (Todd Traumer) est sollicité pour écrire son chef-d'oeuvre : l'ultime épisode de la Quatrième Dimension, la mythique série télé. Vie posthume d'Edward Markham est l'histoire de ce film, et de cet homme. »



Egon Storm, c'est le cinéaste de Archives du vent, le premier livre de Pierre Cendors pour le Tripode ; Movicône Vision, c'est la maison de production de la trilogie d'Egon Storm ; Anna Boulanger, auteur et dessinateur et également publié par le Tripode, a fait les dessins du livre de Pierre Cendors; Edward Markham porte le même nom que le poète américain Edwin Markham ; le groupe français d'électro-pop-rock Featherlight a inspiré la musique de ce dernier épisode de la quatrième dimension avec le titre Lord Zero** qui colle parfaitement au thème du livre ; on note la présence d'Emil Cioran, l'auteur de L'inconvénient d'être né dans une Vie Posthume, Robert Mitchum ou Montgomery Clift au générique, … et bien d'autres choses à découvrir encore - et cela vaut pour moi également.



Proposant un double niveau de lecture - d'une part l'histoire de la version écrite de cet épisode et d'autre part celle d'Edward Markham/Usher - et une forte maîtrise de la mise en abyme, Cendors rend non seulement un bel hommage au cinéma et à la littérature tout en créant un monde digne d'un épisode de la quatrième dimension mais également traite le thème de l'arrêt, de la fin, avec celui d'une série - et du coup, j'en ai ajouté une deuxième en introduisant ici Temps X- , de la course de vie d'un scénariste qui meurt après avoir écrit le point final de son manuscrit - « le scénariste tenait encore le script dans sa main quand on l'a découvert étendu sur son lit d'hôpital. Traumer est mort seul, une nuit, en écrivant la fin du feuilleton qui clôt la dernière saison. Traumer n'a pas écrit le mot fin. Traumer a seulement laissé un blanc après la dernière phrase, après le dernier mot. C'est tout ce qui reste de lui » - et de l'acteur malade qui doit jouer le dernier épisode en question.



Avec cette Vie posthume d'Edward Markham, Pierre Cendors atteint les trois piliers de le Tripode - « Littérature, arts, ovnis » - et livre un livre brillant servi par une très belle écriture et des formules qui s'accrochent au lecteur comme une arapède à son rocher - « Nos pensées sont parfois des pensionnaires turbulents que le sommeil, en bonne maîtresse du logis, envoie excursionner pour une heure ou deux. » ; « le cinéma est une vieille demeure hantée et chaque nouveau locataire de l'écran hérite de ses esprits errants. ».  



Une merveille : à lire, à relire et à faire lire.



* Sur le site de l'INA, un extrait de la dernière émission : http://www.ina.fr/video/I05126509

** À écouter sur leur bandcamp : https://featherlight1.bandcamp.com/album/featherlight-2
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L'Homme-nuit

Exploration, à nouveau, des solitudes nocturnales, mythiques et magiques ; poétique spéculation (jeu de miroirs et de dédoublements autant qu’hantée méditation) sur notre part obscure, les morts qui nous hantent, les sacrifices qui nous tentent, les fuites qui sont cette vérité de l’être que, de livres en livres, Pierre Cendors poursuit. Dans un empire imaginaire, les dieux de l’obscurité sont chassés au nom de la lumière, celui qui en est le secret archiviste, l’énigmariste, est pourchassé, nous suivons ses métamorphoses, sa quête d’une nuit où se franchir. Somptueux roman, L’homme-nuit embarque son lecteur dans ce récit d’aventure autant que d’exploration intime où fantômes et dieux absents disent l’obstinée lumière de l’obscurité.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Chant runique du vide

« Pour ceux qu’elle aura choi­sis, c’est peu de visi­ter la Bre­tagne. Il faut la quit­ter en sou­hai­tant d’y vivre, l’oreille col­lée contre ce pro­fond coquillage en rumeur. Et son appel est celui d’un cloître au mur défoncé vers le large : la mer, le vent, la terre nue et rien. C’est ici une pro­vince de l’âme. “Les Celtes, écrit Flau­bert dans Salammbô, regret­taient trois pierres brutes, sous un ciel tou­jours plu­vieux, au fond d’un golfe rem­pli d’îlots. »



Julien Gracq, Let­trines, Ed. Corti, 1967



La par­tie en gras de la cita­tion est l’incipit du recueil de poèmes de Pierre Cen­dors : Chant runique du vide.



Le recueil place le pré­lude de son chant dans un contexte — et un inter­texte — qui se tient à l’aplomb du large, au-dessus du grand vide, de ce dénue­ment qui emprunte l’épaisseur aux seuls éléments ; l’horizon et le livre ouverts.



Trois par­ties (“Chant runique du vide”, “L’errance du vide”, “L’intime du large”, les textes ont parus anté­rieu­re­ment dans plu­sieurs revues) jalonnent ce qu’il faut déjà entre­voir comme un voyage ini­tia­tique, une quête d’un lieu ou d’un état ori­gi­nel qui demande de se désa­bri­ter (pour reprendre un thème qui m’est cher), de se dépos­sé­der des strates, des habits que nous arbo­rons pour sin­gu­la­ri­ser notre per­son­na­lité, que sont le lan­gage, “ce fouis­se­ment ver­beux”, les leçons apprises (“Un peu d’ignorance pour que la connais­sance devienne adulte”), le “déra­ci­ne­ment visuel” des villes…





Chant runique



Il faut d’abord faire une halte. Ne pas pré­ci­pi­ter la lec­ture migra­toire et faire réson­ner le titre. Chant runique : cette expres­sion, dans un pre­mier élan de réflexion, me parais­sait être la ren­contre para­doxale et conflic­tuelle entre ce qui est de l’ordre du pho­na­toire, le chant, cette vibra­tion en pré­sence et ce qui ne sont que des uni­tés d’écriture, ces minus­cules cosses vides de signi­fié et impro­non­çables que les lettres alpha­bé­tiques, les runes. La ren­contre de ces deux oppo­si­tions me sem­blait énon­cer l’aporie essen­tielle de la poé­sie : l’impossibilité de faire chan­ter la lettre écrite car poé­sie est chant, est vocable (pour reprendre un terme cher à Jabès), est vibra­tion de la glotte autant que de l’air. Mais aussi : est silence entre le chant et le champ de vision, est rythme, ryth­mi­cité (terme que j’emprunte à Deleuze et qui dit cette façon de nier et d’épouser le rythme tout à la fois). Mais encore : l’expression oppose l’unique au mul­tiple, le ras­sem­blé au dis­sé­miné, l’arrangement syn­tag­ma­tique aux éléments d’une com­bi­na­toire pos­sible mais non adve­nue. Mais ça, c’était avant que je ne rentre dans l’univers, ô com­bien vaste, des runes et de la mytho­lo­gie nor­dique qui l’accompagne.



Car les runes ne sont pas que des gra­phèmes, à l’image de l’alphabet latin, les noms des lettres ont un sens sin­gu­lier interne. En un sens, les runes gardent le sou­ve­nir de leur ori­gine pic­to­gram­mique quand l’écriture latine en a coupé les ponts. Les runes sont les gar­diens de secrets ances­traux (rūn en vieux nor­dique et en islan­dais signi­fie secret, mot que l’on retrouve dans le verbe alle­mand rau­nen : chu­cho­ter, mur­mu­rer) et leurs ori­gines mytho­lo­giques leur octroient non pas des pou­voirs occultes (les odi­nistes récusent ce mot, il est vrai gal­vaudé dans la lit­té­ra­ture occul­tiste) mais des pro­prié­tés ésoté­riques, dou­ce­ment magiques qu’il convient de réveiller, de convo­quer, par le chant. Pour com­prendre ces ori­gines il faut aller fouiller parmi un des textes fon­da­teurs de la mytho­lo­gie nor­dique : le poème Hávamál (Les Dits du Très Haut), et plus pré­ci­sé­ment la deuxième par­tie de ce poème : le Rúna­tal dans lequel Odin raconte la façon dont il décou­vrit le secret des runes :



"Je sais que je pen­dis

A l’arbre battu des vents

Neuf nuits pleines,

Navré d’une lance

Et donné à Ódinn,

Moi-même à moi-même donné,

A cet arbre

Dont nul ne sait

D’où pro­viennent les racines.



Point de pain ne me remirent

Ni de corne ;

Je scru­tai en des­sous,

je ramas­sai les runes,

Hur­lant les ramas­sai,

De là, retombai.



Neuf chants suprêmes

J’appris du fils renommé

De Böl­thorn, père de Bestla,

Et je pus boire

Du pré­cieux hydro­mel

Puisé dans Ódrerir."



Bien sûr comme tout texte fon­da­teur d’une cos­mo­go­nie, les inter­pré­ta­tions sont autant légions qu’il y a de mots dans le texte, mais ce qu’il faut noter : c’est la part sacri­fi­cielle de celui qui part en quête (là encore), le néces­saire aban­don de soi-même à soi-même donné, et l’attachement quasi-obstiné à l’arbre dont les racines sont per­dues. Déra­ci­ne­ment de soi-même à soi-même, aban­don de soi dans la faim et la soif. Hur­le­ment et chute. C’est un des che­mins qu’emprunte le cha­man pour accé­der aux secrets que nos yeux ne peuvent pas voir… En poé­sie, d’Odin à Rim­baud (ou à Cen­dors), il n’y a qu’un pas.





« Maam Unst Iona »



« Maam Unst Iona » sont trois mots qui appa­raissent et repa­raissent dans le recueil comme la scan­sion psal­mo­diée d’un chant runique. Trois mots aux conso­nances et aux cor­res­pon­dances étranges, “comme des rocs scel­lés dans leur chute”. Trois mots mys­té­rieux comme trois gouttes de sang dans la neige. Pour­tant der­rière ces pho­nèmes se cache une réa­lité géo­gra­phique : ces noms dési­gnent trois lieux par­se­mant le Royaume Uni, d’Irlande en Ecosse : Maam Cross est un car­re­four, la ren­contre de plu­sieurs routes tra­ver­sant le Conne­mara, des­servi par une gare. Unst est la der­nière île peu­plée, mais néan­moins sau­vage, et la plus sep­ten­trio­nale de l’archipel des Shet­land. Iona est une petite île d’Ecosse de 120 âmes qui est véri­ta­ble­ment le ber­ceau du Chris­tia­nisme en Ecosse. Qu’ont en com­mun ces trois lieux, hor­mis leur iso­le­ment, leur éloi­gne­ment cer­tain de la civi­li­sa­tion ? Aussi curieux que cela puisse paraître, lorsque l’on relie ces trois lieux (voir la carte sur le blog) on obtient une ligne par­fai­te­ment droite. Le choix de ces rune n’est pas uni­que­ment sonore, il révèle un mys­tère de la géo­gra­phie, il trace un che­min, une cor­res­pon­dance entre le lieu de tous les che­mins (le car­re­four Maam), le lieu de l’extrémité (la finis­terre Unst) et le lieu déta­ché de tout (l’île Iona). Le chant runique du vide est un chant d’itinéraire autant que d’initiation qui apprend métho­di­que­ment à se dépouiller de soi pour atteindre “ce grand vide qui n’est pas le néant — Lao Tseu”. Il y a autant de bizar­re­ries dans le lan­gage que dans les lieux que nous créons : l’homme écrit à la sur­face du globe comme un scribe géo­graphe (et on a déjà parlé ici du rap­port étroit qu’entretient Pierre Cen­dors à la géo­gra­phie, sujet qui pour­rait à lui-seul nour­rir une thèse), il trace des lignes, lisse des courbes, ins­crit des runes spa­tiaux sans même le savoir, tout comme Mon­sieur Jour­dain. Ce sont des hasards sans impor­tance, dont le sens, s’il y en a un, nous échappe tota­le­ment. Mais on peut suivre ces hasards, emprun­ter ces iti­né­raires qui disent une part du secret dans l’intime, ces hasards qui nous font oublier peu à peu d’où l’on vient et qui floute l’idée même de des­ti­na­tion. L’être au monde n’est pas au car­re­four, ni à l’extrémité des terres, ni encer­clé par la mer. Ce n’est pas non plus la ligne qui les relie­rait tous. L’être au monde c’est :



« En ce lieu sans che­mins

Seul d’aventure

L’exilé l’affamé

en quête d’un pas

pre­mier

qui en l’homme dépasse

l’homme



Peu viennent ici »



Il faut aussi insis­ter sur le par­cours emprunté par la langue dans ce che­mi­ne­ment car la langue dans ce recueil est un obs­tacle qu’il faut fran­chir, des entraves dont il faut se délier : “Encore trop de mots | pour dire | ce vide lucide.” La langue aussi doit se sacri­fier, s’emmarginer, rejoindre “le silence men­tal | des cor­beaux”. Se dépouiller au point de perdre tout verbe actant : du départ qui néces­site l’action, du remue­ment de soi dans le voyage jusqu’à la contem­pla­tion ultime de cette “Image temple” qui clôt le recueil, la langue tarit dou­ce­ment, en “un grave et lent mûris­se­ment de ces jours”. Cette recherche du silence ne s’inscrit pas dans un mou­ve­ment menant au mutisme, à l’aphasie mais, comme dans la phi­lo­so­phie taoïste dont il est fait men­tion, elle figure, elle repro­duit le mou­ve­ment qui consiste à aller cherche ce qui s’inscrit dans le vide, plu­tôt que dans le plein, à mettre en relief ce qui, en creux, n’offre aucune aspé­rité à la réalité…



Ce Chant runique du vide, m’a ému pro­fon­dé­ment autant qu’il a agi en moi (“reste ici | pour te quit­ter | attends d’être agi”) et fait mûrir de secrètes envies d’évasions intérieures.
Lien : http://www.labyrinthiques.ne..
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Minuit en mon silence

Deux très courts textes achetés en même temps et lus à la suite l'un de l'autre puisque Bérengère Cournut ou plutôt son personnage de femme, Elisabeth, a répondu à la lettre écrite par le personnage de Pierre Cendors, Werner Heller. Pas besoin d'en dire plus que les quatrièmes de couverture.



Je suis restée assez hermétique au texte initial de Pierre Cendors : on ne peut pas vraiment dire que le style est poétique, la prose est poétique pour dire la reconnaissance amoureuse entre deux êtres qui n'auront pas nécessairement de vivre proches l'un de l'autre pour s'aimer. La distance peut nourrir cet amour et permettre à chacun de creuser sa propre intimité, son moi profond, exercice auquel le commun des mortels se livre difficilement. C'est un texte profondément méditatif, intérieur, écrit par un artiste qui sait la mort proche dans les tranchées de 1914.
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Minuit en mon silence

Subir un envoûtement à la lecture de ces phrases, qui coulent en nous, lecteurs chanceux d’avoir cet opus entre les mains.

Ce livre vous parle d’amour en une longue lettre vibrante.

1914 ? Heller lieutenant allemand croit sa fin proche. Il écrit à la femme française qu’il a rencontré juste avant la déclaration de guerre. Il devait faire son portrait mais la toile est restée vierge.

« Ce jeûne me rassurait sans m’illusionner. Devant vous, j’avais entendu une autre vie m’appeler à l’intérieur de ma vie. Loin d’être dupe sur la nature de mes sentiments pour vous, je veillai à ce que ceux-ci ne franchissent pas clandestinement une frontière sensible, la dernière, celle qui m’offrait encore un peu de terre ferme sous les pieds. Aussi me réfugiai-je dans un quotidien où j’étais sûr d’être le moins atteignable. »

En un condensé de mots précieux, de forme poétique, le lecteur voit éclore le sentiment amoureux.

Imagé et hypnotique, les mots coulent dans un temps suspendu entre l’immédiateté et l’infini souhaité.

« C’est une bouche close qui invite l’aveu, c’est les yeux d’une inconnue qui nous exaucent, c’est cette passerelle entre deux souffles, cette séparation des mondes brusquement abstraite dans la nocturne montée d’un désir. Et c’est cette senteur de bouquet déchiré dans l’oragée des corps. »

Le lecteur vit une aventure où il va faire le grand saut dans la beauté absolue de l’écriture de Pierre Cendors.

Tout y est vie qui pulse, les mots nous transpercent pour nous laisser pantois devant tant de magnificence.

« Les mots sont des yeux qui aident à sonder nos tréfonds, même à notre insu. »

Seul bémol, la police utilisée qui fait mal aux yeux.

©Chantal Lafon-Litteratum Amor 28 octobre 2019.

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Archives du vent

Le style et l'atmosphère me rappelaient quelque chose, mais je me demandais quoi, de même que je peinais à rattacher cet ouvrage singulier à un genre littéraire. Finalement, c'est du côté de Nerval, de Poe, de David Lynch que j'ai trouvé le plus de parenté ! L'exercice du metteur en scène qui utilise des personnages historiques échantillonnés dans des rôles de poète (pour Hitler), de moine (pour Hermann Hesse), n'est qu'un aspect de ce roman on ne peut plus intriguant où foisonnent les citations littéraires, les références cinématographiques percutantes, qui côtoient des formules choc troussées par l'auteur lui-même. La lecture donne le vertige, est déstabilisante, mais riche d'enseignements et de plaisirs. L'auteur revendique aussi un principe de Hitchcock selon lequel il ne faut pas suivre sa première intuition, ni la seconde, mais surprendre le spectateur (ou le lecteur). Ce procédé qui prend de court le spectateur dans Psychose n'est pas étranger à ce qui s'applique ici. Comme les films de David Lynch, que l'on adore ou que l'on déteste, les archives du vent s'emploient à remuer nos certitudes, pour mieux nous révéler à nous-mêmes, comme parfois certaines réflexions trouvées dans les productions de Pascal Quignard, également cité ici. Très original, à l'écart des modes et pour renouer les liens d'une manière aérienne avec des habitants de l'éther qui établissent des connexions vertigineuses avec les mortels et qui ont pour nom Kafka, Hitchcock, Tarkovsky, Montgomery Clift, Hermann Hesse, Salvador Dali, Louise Brooks, mais aussi avec des (chefs d')oeuvres plus récent(e)s comme Cashback de Sean Ellis. Très stimulant et garanti sans pathos.
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Le voyageur sans voyage

Il y a d’abord le livre, format presque enfantin, carré qui déborde la paume, et, sur la couverture, titre rouge mordu, des lignes de vitesse, esquissant fuite, faille, et rayant un visage d’homme dévoré par le silence.



Puis les mots s’infiltrent, à petits pas de conte, pour dire le passage d’un train fantomatique, sans arrêt ni direction, filant, bleuté d’un gel esquissant l’idée d’une fenêtre, « griffé de brume sèche, brûlé de la poussière des champs, des orages d’une terre sans chemins ». Le texte dit l’attente, la répétition du mystère, la certitude de son existence, de son mouvement perpétuel vers l’ailleurs.



Il dévoile des voix qui interrogent ce passage imprécis : celle du narrateur, adulte en quête d’épiphanie, celle de l’enfant, curieux prophète à la voix d’italique, deux voix palpant la lisière de cette fable sans souvenir.



Elles s’entrelaceront jusqu’à la révélation, mots mordus à « l’encre lourde d’un regard », paroles réactivées sur les sillons pâles de la page, où tournoient ensemble les brumes floues de la légende-rêve et les ombres-sang de la réalité.

Pierre Cendors façonne un conte moderne interrogeant le pouvoir suggestif du verbe et les tréfonds de l’imaginaire contemporain : son écriture dense laisse le lecteur muet, débordé d’images où le mot s’interstice, étrange inquiétude, inquiétante étrangeté. Le voyage qu’il propose est donc tant celui qui mène à travers un style s’avivant comme une peinture, que celui traversant une forêt de symboles oscillant au fil des pages et des fluctuations d’une mémoire voilée.



Un court texte qu’on lit comme une intuition (c’est-à-dire, étymologiquement, un regard tourné vers l’intérieur) fulgurante, de celles qui, perçant les brumes des non-dits, font jaillir le saisissement du souvenir… texte doublé d’un très bel objet – saluons, une nouvelle fois, le beau travail de Cadex (papier feutrant sensuellement la lecture, format transformant le livre en petit trésor, introduction frôlée d’une plume amicale d’écrivain) et les illustrations, justes échos, de Vincent Fortemps !
Lien : http://www.delitteris.com/no..
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Adieu à ce qui vient

Le mythe de Psyché et d’Eros revue et corrigée par Pierre Cendors. Celui çi est transposé à Venise, à une époque indeterminée.

Ce roman n’est guère évident à aborder à celui et/où celle qui ne connais pas la mythologie grecque, et, notamment le récit légendaire de l’amour unissant Psyché à Eros.



Même si j’ai été, parfois, quelque peu désorientée, voire avoir un peu de mal à suivre la trame principale de l’histoire, j’avoue que ce roman ne m’a pas déplut, et, m’a agréablement surprise.

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