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Critiques de Ramon Sender (49)
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Requiem pour un paysan espagnol

"Celui qui meurt, qu'il soit riche ou pauvre, est toujours tout seul même si les autres vont le voir. La vie est ainsi et Dieu qui l'a créée sait pourquoi".





Quelle puissance que ce "Requiem pour un paysan espagnol". Des phrases courtes qui claquent, qui vous obligent à regarder l'Histoire et la folie des hommes, tout en n'exprimant pas ouvertement la violence de la guerre mais qui la suggèrent. Des mots choc qui sollicitent votre imaginaire afin de prendre toute la mesure de ce que fut cette période terrible que la guerre civile espagnole. En quelques phrases, quelques scènes, quelques mots, on capte l'arbitraire, la violence, l'injustice, le fanatisme qui a saisi l'Espagne.



Ramon Sender cherche à secouer nos consciences, à ébranler notre sens moral et c'est, en ce qui me concerne, réussi. C'est un texte court mais saisissant qui s'appuie sur les souvenirs d'un prêtre qui attend de pouvoir célébrer la messe de requiem pour le repos de l'âme de « Paco du Moulin », décédé il y a un an. Accompagné de la chanson écrite en l'honneur de Paco et fredonner par l'enfant de choeur qui est auprès de lui, Mosen Milan, curé de la paroisse d'un petit village aragonais, éloigné de tout, se rappelle l'histoire de Paco du Moulin. Les souvenirs défilent, son baptême, ses communions, son mariage. Il aimait bien cet enfant qui posait des questions auxquelles, le prêtre ne pouvait pas toujours répondre.



Cet homme d'église aurait-il un problème avec sa conscience ? Que s'est-il passé ?



Il se remémore cette scène qui a marqué Paquito au « fer rouge » : Enfant de choeur, Mosen Milan lui avait demandé de l'accompagner à l'extérieur du village, là où la pauvreté pousse les paysans à s'exiler dans des grottes sans eau, ni feu, ni lumière, afin de porter l'extrême-onction à un homme gravement malade, agonisant dans un dénuement le plus total. La vision d'une telle misère, d'une telle détresse marquera à tout jamais le jeune Paquito qui, devenu adulte, Paco, s'engagera sur les chemins de la première République Espagnole.



Egrenant ses souvenirs, Mosen Milan nous restitue le contexte de cette période et les affrontements qui vont en découler entre notables et paysans. Au fur et à mesure que la lecture avance, la tension se fait de plus en plus vive dans le village et le drame se pointe à l'horizon.



Ramon Sender (1901 – 1982), lié aux milieux anarcho-syndicalistes, a perdu sa femme et son frère exécutés par les phalangistes et ce sont ces blessures intimes que l'on prend en pleine figure en lisant ce texte très court mais qui concentre à lui tout seul, à la fois, l'homme dans tout son altruisme, son courage, sa soif de justice mais aussi dans toute son ignominie, sa cruauté et sa lâcheté !



Un texte bref mais si dérangeant qu'il fut censuré pendant toute la période franquiste.



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Requiem pour un paysan espagnol

Un billet poste il y a tres longtemps, et que je retrouve dans mes caves poussiereuses. Un petit coup de brosse et je le reposte parce que j'avoue que j'ai un faible pour les exiles espagnols de la guerre civile, et mon atavisme de soixante-huitard attarde mis de cote, Sender est quand meme un grand ecrivain.



Un campagnard est tue – fusille – parce qu'il prechait des revendications sociales. C'est le cure du village qui l'a donne, qui a denonce sa cache a ses poursuivants franquistes. Il l'aimait bien pourtant. Tourmente par son acte, il finit par offrir une messe de requiem pour l'ame du fusille, messe a laquelle assistent seulement ses ennemis, ses pourchasseurs.



"Requiem" est une oeuvre qui denonce les violences commises pendant et après la guerre d'Espagne, mais c'est aussi – surtout – une sorte de tragedie classique: la tragedie de la mauvaise conscience.

Le cure, le heros de cette tragedie, est un personage gris, conformiste, couard, archetype de l'anti-heros. Il se rememore les etapes de la vie de sa victime depuis qu'il l'a baptise et ressasse sans arret l'amour qu'il avait pour lui. Il l'aimait comme un fils. Est-ce la trahison de Judas? Pourra-t-il jamais se pardoner lui-meme?

Signe que c'est une tragedie, les noms donnes aux protagonistes par Sender. Le campagnard s'appelle Paco, diminutif de Francisco, Francois, l'apotre des pauvres et des opprimes. Ses ennemis, les riches du village ont des noms a resonance paienne: Gumersindo, Valeriano, Castulo. Et le cure, le pere Millan, rappelle le triste nom de Millan Astray, le commandant de la legion espagnole, célèbre pour ses cris: "Viva la muerte!" (Vive la mort!) et face au philosophe Unamuno: "Muera la inteligencia!" (A mort l'intelligence!), a quoi ce dernier repondit, bouleverse: "vous vaincrez, mais ne convaincrez pas".

Sender fait meme allusion a la grande tragedie du patrimoine occidental commun. Quand il confesse Paco devant le peloton d'execution, le cure lui dit: "des fois, mon fils, Dieu permet que meure un innocent. Il l'a permis pour son proper fils, qui etait plus innocent que vous trois".



Cette lecture me permet de voir dans cette oeuvre une portee universelle, transcendant les donnees de lieu et de temps. Meme si c'est peut-etre un requiem pour une certain Espagne que Sender a voulu ecrire. De toutes facons un grand (court) livre.

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L'Empire d'un homme

Je cherchais un livre, un auteur, Ramón Sender, mais je n’ai pas trouvé le bon titre.

Qu’à cela ne tienne, c’est un Sender et je veux découvrir l’auteur. Si l’autre est bon voyons celui-ci. Toutefois, je le regarde, le feuillette et l’ouvre aux trois quarts, le lis un peu en son milieu, juste quelques lignes qui me soufflent que l’écriture est bonne. La couverture est superbe, bien que, s’y fier trompe parfois, mais s’il me plait en entier, je n’en cherche pas davantage. Doubles pages rouge-bordeaux devant, derrière, avec illustrations. Couverture et dessins d’Anne Careil et maquette de Jeanne Witta. A l’intérieur des images en noir et blanc, une cigogne, des loups, des cochons et autres animaux singuliers dont un âne paisible et, je retombe en enfance. Pourtant l’histoire est sérieuse et c’est sur fond de mystère que nous entrons dans l’ouvrage. L’originalité, c’est qu’elle commence comme un conte et finit dans la réalité, tant et si bien qu’au début j’avais dix ans et à la fin... disons... que j’étais une grande personne, mais sans conteste bien plus sage que tous les personnages.

C’est l’histoire d’un homme disparu qui reparait au grand dam des villageois confrontés à leur passé... Mais je laisse le soin à l’auteur de démarrer l’histoire.

Le printemps approchait...

Et pour comble de surprise, voilà que la fin s’achève sur un fait véritable, lequel s’est déroulé en Castille, dans la campagne espagnole de 1911. Un fait divers couvert par l’auteur en qualité de journaliste, travaillant à l’époque pour le journal « La Libertad ». Preuve en est, en fin d’ouvrage, de nombreux commentaires et des articles rédigés par Sender lui-même ravivant ma curiosité et prolongeant l’agréable tête à tête.

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Requiem pour un paysan espagnol

Je suis tout à fait d'accord avec Hubert Nyssen qui dans la préface de « Requiem pour un paysan espagnol » écrit qu'il y a des livres qui restent gravés dans la mémoire. Celui-ci en fait incontestablement partie, je ne l'oublierai pas.

C'est un livre d'une grande puissance qui , sans jamais nommer expressément la guerre civile, dénonce les phalangistes, leurs pratiques violentes et innommables.

C'est à travers les souvenirs de Mosen Millan, que nous faisons connaissance avec Paco.

C'est effectivement en attendant que les villageois viennent assister à ce requiem, que nous apprenons ce qu'a été la vie de Paco. Mosen Millan, ne peut s'empêcher de se souvenir des moments importants qui ont jalonnés la vie de Paco, son baptême, sa présence auprès de lui,lors d'une extrême onction, son mariage et ses derniers jours.

Paco va vivre de façon intense sa visite avec Mosen Millan auprès d'un mourant . Cette extrême onction sera pour lui un révélateur, un déclencheur qui le marquera à vie. Ce n'est pas tant la mort qui le touche mais la misère, l'injustice. Il fera part de son incompréhension à Mosen Millan qui ne saura lui apporter une réponse.

Cet épisode sera le début de l'engagement de Paco pour une autre vie.

Ce roman est terriblement efficace, en quelques pages et sans jamais la nommer, la guerre civile fait froid dans le dos et nous bouleverse.

Culpabilité, lâcheté, horreur, voilà des mots qui ne sont pas prononcés mais qui sont pourtant bien présents dans ce petit livre admirable. Il faut le lire !

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Túpac Amaru

Alors qu'il donne un cours à l'UCLA, Ramón J. Sender est interpellé par une étudiante mexicaine qui l'accuse en tant qu'Espagnol d'avoir exploité et commis des atrocités sur les Indiens. le romancier lui répond en évoquant Túpac Amaru, figure majeure du XVIIIème siècle hispanique. C'est cette anecdote qui ouvre l'essai qu'il lui consacre en 1973.



Se disant descendant de la famille royale repliée au sein de l'état inca de Vilcabamba et ennemie des conquistadors, José Gabriel Condorcanqui dit Túpac Amaru est un administrateur indigène qui s'est enrichi grâce à l'exploitation des terres et au commerce. Métis élevé à l'européenne, il désire se couper de la tutelle politique et financière de la couronne espagnole, et revendique l'émancipation des Indiens.

Il prend en 1780 la tête d'un mouvement de rébellion indigène contre les autorités coloniales, lesquelles soucieuses de leur hégémonie, et craignant la contagion, se lancent dans une répression féroce.



Lorsque Sender rédige son ouvrage, les combats de l'Inca résonnent en Uruguay où les Tupamaros prônent la guérilla urbaine contre le régime, ainsi que dans d'autres nations du continent américain.

Ramón J. Sender établit un parallèle entre la révolte de l'Inca contre la Couronne, qui est aussi celle des pauvres contre les fonctionnaires tout-puissants et corrompus, contre l'Eglise, contre les caciques, contre les propriétaires terriens, contre les exploitants des mines, et celle de nombreux citoyens d'Amérique latine, ceux « d'en bas », pour lesquels peu de choses ont changé.



L'ouvrage à la prose limpide -après tout Sender est l'un des romanciers majeurs du XXème siècle- est riche de nombreux documents historiques, de chansons, en quechua et en espagnol, d'anecdotes, d'histoires comme celle de Apu Ollantay. Il s'inscrit dans une petite production de son oeuvre consacrée à certains épisodes et personnages de l'histoire de l'Espagne, grands et terribles à la fois, que du coup, on a grande envie de lire.
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Requiem pour un paysan espagnol - Le Gué

Ce livre figure dès mon inscription dans mes livres pour une île déserte mais je n'en avais pas fait encore la critique. Qu'ajouter à un tel livre ?

Ramòn Sender l'a écrit 14 ans après la guerre civile espagnole alors qu'il était en exil. Il a d'ailleurs exigé, avant de rentrer en Espagne qu'il y soit publié.

Il est court (86 pages), la trame en est très simple : Mosén Millán, prêtre d'une paroisse aragonaise s'apprête à célébrer une messe de requiem pour Paco du Moulin, tué par les phalangistes un an auparavant. Il est dans sa sacristie avec un enfant de chœur et régulièrement il demande à celui-ci si les fidèles sont arrivés. Durant ce temps, il se remémore toute la vie de Paco, de sa naissance à sa mort. Il l'a bien connu, a participé à sa formation, Paco fut son enfant de chœur avant de prendre conscience des inégalités sociales et de s'engager en faveur des plus démunis. Adoré de tous, à l'exception notable des riches propriétaires terriens, il doit se cacher. Mosén Millàn, dans un moment de lâcheté révélera sa cachette et Paco sera fusillé.

Le prêtre se sent-il coupable, pas vraiment, il refuse de voir son véritable rôle, et voit dans la mort de Paco une tragédie.

La famille et les amis de Paco ne viendront pas à la messe, ne sont présents que les assassins qui se disputent pour payer cette messe et, revanche posthume, la mule de Paco qui fait irruption dans l'église.

Tout dans ce livre est fait de suggestion, de réserve.

Les souvenirs du prêtre alternent avec ses demandes à l'enfant de chœur; ce dernier chantonne une ballade sur Paco dont nous connaîtrons la fin au terme du récit.

Sous une forme elliptique, les thèmes de la culpabilité, la trahison, la lâcheté, de l'inféodation de l'Église espagnole avec les nantis.

Court récit mais récit dense et inoubliable.

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Requiem pour un paysan espagnol

Espagne, aux temps de la guerre civile. Les cloches de l’église du village sonnent pour annoncer le début d’une messe de requiem, en mémoire du jeune Paco, fusillé un an auparavant. Dans la sacristie, Mosen Millan, le vieux curé, se remémore la courte vie de Paco. Il l’a vu naître, grandir, acquérir une conscience politique, se marier, mourir. Paco, enfant, se demandait déjà pourquoi les pauvres du village vivaient dans des grottes, et pourquoi personne ne les aidait. Devenu adulte, il choisira le camp de ceux qui aboliront la monarchie et les privilèges quasi-féodaux de la noblesse espagnole. L’arrivée au pouvoir des phalangistes brisera brutalement ces idéaux et ceux qui les portent. Paco n’échappera pas au peloton d’exécution, une fois sa cachette dénoncée par Mosen Millan lui-même.

Très court roman (à peine 90 pages), au style sobre, qui ne laisse passer que peu de sentiments et ne permet pas de rendre les personnages attachants. Le récit est très descriptif, presqu’un documentaire ethnographique, et rend très bien les différentes scènes de la vie du village, on s’y croirait. De même pour l’atmosphère oppressante de peur et d’insécurité à l’arrivée des phalangistes, « bel » échantillon de la terreur qui régnera pendant cette période.

On comprend bien aussi que l’auteur est du côté républicain (voir sa biographie), et que l’Eglise ne bénéficie pas d’un grand crédit à ses yeux.

En bref, une lecture aisée, mais qui me laisse perplexe, un peu sur ma faim, sans que je puisse dire ce qui manque à cette histoire. Peut-être un manque d’émotions, ou alors au contraire un trop grand écoeurement pour le comportement du prêtre, trop abruti ou trop lâche pour comprendre et regretter les conséquences de ses actes. Charité chrétienne, qu'ils disaient...

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Le bourreau affable

Le premier texte lu de cet auteur, que j'ai découvert lors de mon cursus de Lettre modernes, dans une Unité de valeur consacrée à la "Littérature picaresque"



« Le bourreau affable » est le récit foisonnant et en effet très picaresque…de la destinée d’un homme qui fascine un journaliste de par sa fonction très spéciale de « Bourreau »… En voyant cet homme lors d’une exécution capitale, il s’interroge sur le pourquoi du choix d’une telle « fonction », méprisée, haïe, crainte… Ramiro, ce bourreau, ressemble à n’importe quel quidam ; comment en est-il arrivé à cette vie, à ce « travail » très spécial, prolongement d’un « Homme de justice »



Le récit de ce « bourreau affable » montre un homme obsédé par le mal, le sens de l’existence, les questions existentielles de tout humain…dans un parcours de vie très mouvementé…



Le souvenir d’une très forte émotion de lecture… mais que je suis bien incapable de narrer en détails…Une immense envie de relecture…



Une analogie très juste a été faite quant à l’univers de Ramon Sender, Un « Goya fait écrivain »… Il est question de la grande Comédie humaine, des interrogations philosophiques éternelles…, du Mal , de la mort omniprésente…

Ce « bourreau affable » à l’image de la condition humaine, du plus terrible à l’ « acceptable », ou du moins à une part bienveillante de cette terre. « Ciel et enfer », mélangés, alternant…le désespoir, et à nouveau le besoin de croire, d’espérer.



« Ramiro se sentait soulagé de n’avoir rencontré aucun de ses amis anarchistes. Il n’aurait su que leur dire. Il pensait au Cojo : « Il avait raison lorsqu’il disait que je finirai moine ou –quelque chose comme ça- Le bourreau est le prêtre d’une religion ésotérique à laquelle n’accèdent que peu d’élus ». il avait l’ impression , à ce moment-là, d’être comme quelqu’un qui renonce au monde ; (p.373) » (éditions Robert Laffont, coll. Pavillons, 1970)



Il n’est pas inutile de rappeler la situation du moment de Ramon Sender. A 68 ans, l’écrivain est exilé d’Espagne, et exilé de la « Littérature ». La guerre civile le chasse de son pays, et ses écrits ne sont pas vraiment reconnus …

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Requiem pour un paysan espagnol - Le Gué

Voici tout d'abord un beau livre, à la typographie soignée, avec de belles gravures émaillant les pages de ces deux histoires, et c'est suffisamment rare pour être souligné.



Un bel objet. Mais pas seulement.



L'auteur a dû fuir le franquisme jusqu'au Mexique et c'est par la première de ces deux histoires, "Requiem pour un paysan espagnol" qu'il se fera connaître.



En quelques dizaines de pages au style dépouillé, Sender nous fait revivre toute l'horreur de cette guerre civile espagnole, vue de la province, des coins perdus d'Espagne.



C'est court, cinglant, efficace. De poignantes pages d'histoire à se remémorer.
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L'Empire d'un homme

J'aime beaucoup ce genre de roman écrit simplement et sans fioriture. Il décrit parfaitement les hommes et l'ambiance d'une époque qui nous sont méconnus : la campagne sous l'Espagne franquiste.

Les descriptions sont telles qu'on se sent intégré à l'histoire, comme un témoin ou le narrateur.
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Requiem pour un paysan espagnol

Roman si court que d'aucuns le décrètent nouvelle , je pencherai plutôt pour le scénario d 'un drame cinématographique . le livre sera d'ailleurs adapté au cinéma par Francesc Betriu en 1985 avec Antonio Banderas dans le rôle de Paco . Les personnages sont ceux d'un village non nommé et de ceux qui en tirent les ficelles . Nous sommes dans le même climat social que dans " l'empire d'un homme " , des petits paysans , d'un grand dénuement , des riches , souvent propriétaires , ou se disant tel ,du foncier et enfin l'église qui régit la conscience des pauvres mais cautionne celle des autres . Ceux qui assassinent pour faire régner leurs droits sur le peuple sont clairement du coté de la phalange , mais cela n'est que suggéré . Sender qui se rangea un moment dans le clan communiste les trouvant potentiellement plus efficaces que les anarchistes pour lutter contre la droite , se le reprochera toute sa vie . Sa compagne , Amparo Barayon fut arrêtée et fusillée ainsi que son frère Manuel peu après son élection en tant que Maire de Huesca . On comprend alors qu'il n'accepte de retourner en Espagne en 1974 qu'à condition que soit enfin édité " Requiem pour un paysan espagnol " .
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Requiem pour un paysan espagnol - Le Gué

Requiem pour un paysan espagnol (1953) & Le Gué (1948) (aux Editions Attila, 2010)



À l’intérieur d’une église qui reste obstinément vide, le curé, Mosén Millán, est sur le point, en cette année 1936, de célébrer la messe d’enterrement de Paco, fusillé par les phalangistes. Seul, appuyé contre le mur de l’église, il repasse le film de ses souvenirs, ceux du baptême, de l’enfance de Paco, de ses actes de compassion envers les pauvres, de son mariage, de ses espoirs et de sa lutte après 1931, et enfin de sa chute dont le prêtre a été l’artisan sans l’avoir vraiment voulu.



Par les yeux de ce prêtre passif, défenseur avec l’Église de l’ordre établi et des puissants, sont évoqués en filigrane la misère noire de l’Espagne d’alors, le système de domination des propriétaires terriens hérité de l’époque médiévale et les années troublées précédant la guerre d’Espagne.



Inspiré par l'histoire familiale de Ramón Sender, son frère et sa femme étant tombés sous les balles franquistes, ce court roman initialement publié au Mexique en 1953 est surtout une histoire humaine, celle du courage et de l’intégrité de Paco et celle de l’attitude du prêtre, homme gris qui a trop peu de force pour un grand dessein - qui rappelle ces mots de Primo Levi : « Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter »



« Un groupe de jeune gens arriva au village, des fils de bonne famille avec des bâtons et des pistolets.

Ils avaient l’air de pas grand-chose, et certains poussaient des cris hystériques. Jamais on n’avait vu de gens aussi effrontés. Normalement, ces garçons rasés de près et élégants comme des femmes, on les appelait, au carasol, petites bites, mais la première chose qu’ils firent fut de passer une formidable raclée au cordonnier, sans que sa neutralité lui serve à quoi que ce soit. Puis ils abattirent six paysans, dont quatre de ceux qui vivaient dans les grottes, et ils laissèrent leurs corps dans les fossés de la route qui menait au carasol. Comme les chiens venaient pour lécher le sang, ils postèrent un des gardes du duc pour les écarter. Personne ne demandait rien. Personne ne comprenait rien. Les gardes civils n’intervenaient pas contre les étrangers.

À l’église, Mosén Millán annonça que le très saint sacrement serait exposé jour et nuit, puis il protesta auprès de don Valeriano, que ces petits messieurs avaient choisi comme maire, parce que les six paysans avaient été tués sans avoir eu le temps de se confesser. Le curé passait ses jours et une partie de ses nuits à prier.»



Requiem pour un paysan espagnol est suivi dans ce volume publié par Attila en 2010 par un deuxième court récit de 1948, également sobre et magnifique, «Le Gué», la culpabilité d’une moucharde après la folle dénonciation de son beau-frère, fusillé lui aussi par les franquistes.
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Requiem pour un paysan espagnol



N°272 – Avril 2007



Requiem pour un paysan espagnol - Jamón J Sender.



Il est des livres qui, avec une grande économie de mots et une histoire sans autre prétention que de porter témoignage, en disent long sur la condition humaine, son hypocrisie, ses trahisons, ses bonnes consciences, ses silences, ses renoncements, son acceptation facile de la loi du plus fort ou de son propre intérêt en se trouvant toutes les bonnes raisons d'agir ainsi, tout en se répétant à l'envi que l'homme est humain et humaniste!



C'est facile de faire bon marché de la vie des autres en se disant que Dieu est bon et miséricordieux, qu'il voit tout et saura faire la part des choses à l'heure du “jugement dernier” pourvu qu'on observe ses lois, c'est à dire celles des puissants et des riches qui possèdent le pouvoir temporel, parce c'est dans l'ordre des choses et qu'il ne faut rien y changer. C'est pratique la religion de type médiéval, celle qui règne dans cette Espagne d'un autre âge, aux valeurs traditionnelles mais surtout inspirée par un régime ultra conservateur qui souhaite que les choses demeurent figées dans un ordre éternel, les pauvres restent pauvres et craignent Dieu, les riches restent riches et commandent aux autres en Son nom et ce d'autant plus que le clergé est là pour rappeler à ces esclaves que Dieu a voulu les choses telles qu'elles sont et qu'il serait criminel de vouloir les changer. C'est aussi une carte postale aux couleurs sépia douloureusement fanées, celle des pénitents de la Semaine Sainte qui se mortifient devant les hommes et s'humilient devant Dieu, avec, en filigrane, l'évocation de deux mondes qui cohabitent sans jamais pouvoir se rejoindre!



L'histoire qui nous est contée évoque des faits vieux d'une année. Nous sommes dans cette Espagne d'une royauté finissante, une fin de règne... Et soudain, tous les espoirs deviennent permis, ceux d'un monde nouveau, où les éternels opprimés auront enfin leur chance. La République porte ses nouveaux espoirs pour les oubliés, ces laissés pour compte que sont les paysans sans terre de ce petit village sans nom mais qui est le miroir de ce pays d'alors. C'est compter sans la société traditionnelle qui voit ses privilèges soudain s'évanouir et qui, avec la bénédiction de Dieu et de son clergé va tuer, au mépris de Ses commandements, pour maintenir sa prééminence. Ce sera la Guerre Civile qui, de 1936 à 1939 va détruire tout un pays déjà exsangue. La dictature franquiste fera plus tard et pour longtemps perdurer les choses dans la haine et la terreur. Elles sont suscitées ici à travers les éléments fascistes qui envahissent le village et y répandent la mort .



Le curé Millan peut nous paraître sympathique. Il nous est présenté comme quelqu'un qui vit parmi ces paysans et leur parlent par ses prêches. L'autre protagoniste, c'est Paquito qu'il a baptisé, qu'il a marié, qu'il connaît bien parce qu'il était son enfant de chœur. Mais ce petit paroissien docile est devenu Paco, a oublié son curé et sa religion et a trouvé intérêt aux idées nouvelles. Il est donc devenu Paco l'apostat et menace l'ordre traditionnel en voulant simplement vivre autrement! Au fond de lui, ce brave curé doit faire vengeance et le lecteur n'est pas dupe. L'ecclésiastique va se révéler tel qu'il est, complice des possédants, de leurs représentants et de leurs tortionnaires et va livrer Paco sachant très bien ce qui l'attend. Il l'accompagnera vers la mort tout en maintenant jusqu'au bout l'illusion d'un justice impossible, lui donnant l'absolution et extrême-onction pour que les apparences soient sauves. Paco tombera sous les balles du peloton avec la bénédiction et la complicité de l'homme d'église qui ne fera rien pour le sauver “Parfois, mon fils, Dieu permet la mort d'un innocent. Il a permis celle de son propre fils qui était plus innocent que vous trois” et peu importe la veuve, les orphelins et la famille en deuil! Il n'a même pas eu le courage, un an après, de rendre aux siens la montre et le mouchoir du mort! Sa honte est grande puisque, un an après, il dira lui-même cette messe de requiem pour Paco, payées par ses ennemis, Don Valériano, Don Gumersino et M. Castulo et à laquelle personne d'autres n'assistera. Seul le poulain de Paco qu'ils ont chassé avant l'office voudra, par dérision, être de l'assistance!



Ce retour en arrière est ponctué par les phrases d'une comptine composée par le peuple du village et dites par l'enfant de chœur en mémoire de la mort de Paco. C'est là un véritable requiem, laïc celui-là! Pourtant, le vieux prêtre espère être quitte avec de belles parole et surtout avec cette amnésie qui caractérise si bien la condition humaine [“Dimanche dernier vous avez dit qu'il fallait oublier”], mais la comptine est là pour faire perdurer la mémoire de l'injustice.



Ce récit nous rappelle aussi que la mort fait partie de la vie et qu'elle peut intervenir à tout moment, surtout quand tous les espoirs sont permis, qu'elle est souvent le fait des autres hommes et de leur injustice, que l'individu en tant que tel ne compte pas et qu'on n'hésite pas à s'en débarrasser quand il devient encombrant, pour peu qu'on puisse le faire en toute impunité. C'est ainsi et malgré tous les discours lénifiants des philosophes sur la valeur et unicité de l'homme, sa position au centre de l'univers... c'est comme cela qu'il faut comprendre les choses de cette vie, simplement, brutalement. C'est ce que nous rappelle Sender dans ce récit devenu célèbre.



J'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique, Ramon Sender reste bien l' écrivain de la condition humaine, un grand témoin qui ne laisse pas son lecteur indifférent.









© Hervé GAUTIER - Avril 2007
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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Requiem pour un paysan espagnol - Le Gué

Le livre est composé de deux courts romans qui se situent tous les deux à l’aube du franquisme.



Requiem pour un paysan espagnol

le héros est déjà mort dès le début du récit, il s’appelait Paco du moulin et son histoire est contée par Mósen Millán le prêtre du village. Le curé est en train de préparer sa messe, mais pas n’importe quelle messe, non celle qu’il va célébrer pour Paco, une messe de requiem. Le temps passe et l’église reste vide, alors Mósen Millán égrène ses souvenirs.

On voit défiler la vie du village avec ses bagarres, ses superstitions, ses mesquineries. C’est un village où les plus pauvres vivent dans des grottes sombres, où le lavoir le carasol est le lieu de tous les échanges.

Paco, le curé l’aime bien, il l’a vu grandir, faire sa communion, se marier. Mais pourquoi est-il allé se fourrer dans les histoires ? Pourquoi livrer un combat perdu d’avance contre les puissants ? C’est un peu de sa faute au curé, car c’est lui qui éveillé la conscience de Paco.



Et quand un jour arrivent au village " Ces garçons rasés de près et élégants comme des femmes, on les appelait, au carasol, petites bites, mais la première chose qu’ils firent fut de passer une formidable raclée au cordonnier, sans que sa neutralité lui serve à quoi que ce soit. Puis ils abattirent six paysans, dont quatre de ceux qui vivaient dans les grottes, et ils laissèrent leurs corps dans les fossés de la route qui menait au carasol." ce jour là Paco a tenté de se battre pour un idéal, il a livré un combat perdu d’avance contre les puissants.

Le Gué

Ce second récit est lui aussi centré sur un mort, mort par trahison. Trahi par la femme qui l’aime le plus mais ce n’est pas sa femme, mais sa belle-soeur.

Il a été arrêté et exécuté, depuis Lucie garde le silence sur sa dénonciation, mais son secret l’étouffe, remonte, revient la hanter jour et nuit. Elle voudrait parler, crier que c’est elle, que c’est sa faute. Cette culpabilité enfle comme les eaux de la rivière, la nature se tourne contre elle, la rivière et le vent murmurent les mêmes mots "Moucharde tu parleras ". Elle croit voir le mort lorsqu’une chemise s’envole du pré, la folie guette, le remords la ronge, elle veut avouer....mais " laisser ce malentendu en suspens c'était peut être guérir son angoisse à jamais."



Deux superbes récits dans lesquels reviennent avec force les thèmes de la trahison, de la culpabilité, de la violence et des choix que les hommes ont à faire devant l’injustice ou l’oppression.

Ici pas de grandes tirades politiques, victimes et bourreaux sont parfois tout aussi malheureux et tout aussi coupables. L’âme humaine apparaît dans toute sa complexité et sa fragilité. Ce livre a été interdit en Espagne jusque dans les années 80. L'église n'en sort pas à son avantage.

L’écriture est fine, sobre, élégante et donne une fausse sensation de simplicité. Les personnages sont de ceux qui entrent en vous et ne vous quittent plus, personnages de tragédie qui continuent de vous habiter une fois la lecture terminée.

L’avis d’un critique

« Peu d’écrivains ont montré avec un tel sens du récit, de l’ellipse et du déplacement imaginaire, les horreurs de la guerre et la folie de l’homme » Philippe Françon dans Libération
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Le Roi et la Reine

Extrait de critique :

Poupées, poupées, petites marionnettes. La Reine descend à rebours du haut de la tour. Cinq, la terrasse donne sur le parc, le visage de la Reine se découpe devant une marine. Quatre, le projecteur est coupable et le Roi emplit de soleil une tapisserie de Goya. Trois, font les petites marionnettes devant l'étranglé de Zurbarán. Deux, Le Greco ressuscite. Un, console, berceau, miroir, la flamme de la morte. Dans l'escalier, le soulier du diable ; dans l'ascenseur, des roses blanches et un squelette élégant qui écoute un madrigal. A la cave, le nain nazi est fou et étrangle les rats ; dans les bois, Cartucho veille, soldat rouge. Poupées, poupées, petites marionnettes.

(Suite sur le blog : http://louetlesfeuillesvolantes.blogspot.com/2016/04/le-roi-et-la-reine-ramon-sender.html )
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Requiem pour un paysan espagnol

Poignant.

Ecriture en osmose avec le thème. Pas de mots superflus, une longueur du texte juste ce qu'il faut pour décrire ce qui, de toute éternité, n'a pas besoin de fioritures.
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Le Roi et la Reine

Fantastiquement bien écrit, ce récit, à la fois original et totalement intégré à l'Histoire, vous prend dès la première page pour vous emmener d'une seule traite à ses dernières pages.

Récit, conte philosophique, narration historique d'une des époques les plus troubles de l'Espagne du XX ème ; la prise du pouvoir de Franco, indiscutablement ce roman est une réussite.

Le jeu auquel vont se livrer la duchesse et son jardinier est celui mêlant amour et répulsion, il est aussi le reflet d'une image de l'esprit de caste entre la noblesse et les classes les plus populaires. En niant l'état d'homme à son jardinier, parce qu'il n'est qu'un serviteur, elle va plonger Romulo dans des affres qu'il ne connaissait pas. Méprisé aux tréfonds de son âme mais toujours attaché à la servir, il va s'adapter aux circonstances du moment pour lequel il n'éprouve ni ne comprend pas grand chose ; à savoir la cause républicaine pour retourner la situation et se faire le protecteur contre son gré de la belle duchesse prise au piège de son château assiégé par les républicains.

C'est ainsi qu'un personnage à la base inexistant parce que nié, va devenir un héros de la guerre, délier les relations les plus proches de la duchesse pour qu'elle se sente à son tour seule, à la portée des autres et dépendante...

Cet itinéraire, le lecteur le suit avec un intérêt constant, dans un récit superbement bien écrit avec une réflexion sur ce qui constitue l'état d'homme et les relations entre les êtres de classe sociale différente propulsés dans les affres de l'Histoire, un histoire qui bouscule tous les repères.


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Requiem pour un paysan espagnol - Le Gué

C'est avec beaucoup de subtilité et d'à propos que Sender témoigne du traumatisme que fut la guerre civile espagnole. S'il dévoile brillamment la complexité des hommes lorsqu'ils sont aux prises avec les horreurs de l'Histoire, il enrichit son propos d'une dimension sociale importante.

Le récit est court et pourtant d'une puissance narrative admirable. En peu de mots, Sender signe un livre tout à la fois sur la culpabilité, la trahison et la lâcheté humaine. Un livre ESSENTIEL.



La suite sur : http://lebruitdeslivres.blogspot.fr/2013/03/requiem-pour-un-paysan-espagnol.html
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Le bourreau affable



N°271 – Avril 2007



Le bourreau affable – Jamón Sender.



Titre étonnant pour un roman passionnant que j'ai lu presque d'un trait.



Nous sommes dans cette Espagne du début du XX° siècle qui n'avait pas encore basculé dans la franquisme mais où la guerre civile se préparait. On y exécutait au garrot les condamnés à mort. L'auteur qui a assisté à une exécution demande à rencontrer le bourreau. Bizarrement, celui-ci accepte de parler de lui. C'est donc l'histoire picaresque et mouvementée de Ramiro Vallemediano, enfant naturel aux origines pourtant aristocratiques, englué dans une religiosité surannée qui lui fait s'imaginer qu'il a une auréole et qu'une voix intérieure lui parle. Il est obnubilé par des fantasmes comme celui d'avoir mangé de la chair humaine, d'être obsédé par ses rêves bizarres ou de croire, à l'invite de Calderon de la Barca, que “la vie est un songe”, comme le suggère le titre de son œuvre célèbre. C'est qu'il n'est pas franchement né sous une bonne étoile et, malgré des dons indéniables notamment pour la peinture, la bâtardise le poursuivra comme une malédiction. Il fait, comme on dit, les apprentissages d'une vie où les femmes tiennent une grande place. “ je suis potentiellement amoureux de toutes les femmes”, confesse-t-il ! Elles aussi accompagnent son parcours et nourrissent son expérience.



La répression violente et sanguinaire par la force publique d'une révolte paysanne à laquelle il assiste de loin lui montre combien l'homme est voué à la trahison et à la destruction de son prochain[“Il n'est pas nécessaire de vouloir du mal à quelqu'un pour le dénoncer et le faire mourir”], comme si l'équilibre social dont il est désormais le garant demandait pour exister son lot de morts]



Pendant ce parcours, Il prend conscience de la condition humaine mais aussi de sa situation personnelle caractérisée autant par une volonté farouche de s'élever dans la hiérarchie sociale que par une absence de filiation légitime qui trouve un écho dans sa profession, comme une continuation naturelle. Il aura cependant une paternité de substitution dans la personnalité du duc qui l'assistera de ses conseils... et de son argent ainsi que dans celle du Père Anglade qui lui servira de guide spirituel.



De collège catholique en prison, de cirque ambulant en couvent, de bordel en engagement anarchiste, il devient, par hasard, serviteur de l'ordre, c'est à dire “exécuteur de justice”. C'est que son existence était déjà placée dès sa jeunesse sous le signe de la mort avant même que son “métier” ne fasse de lui un zélé serviteur de cette société qui le hait et qui le rejette.



C'est un être éminemment solitaire, une sorte de mystique, sensible et cultivé, ce en quoi il diffère paradoxalement de ses collègues avec qui, d'évidence, il n'a rien de commun. Il marque donc sa différence dans cette corporation déjà fermée. L'auteur le décrit comme un être affable, ce que n'est pas un bourreau traditionnel, et qui se prête de bonne grâce à l'interview en lui racontant sa vie.



Pourtant, il reste obsédé par le mal, par le péché, par l'imperfection humaine et son nécessaire rachat dans la félicité divine. En réalité, il demeure, malgré les vicissitudes de son existence, un enfant de Dieu et c'est Lui qui, d'une certaine manière sanctifie la vie pourtant marginale de sa mère, puisque cette dernière meurt comme une sainte, chez les moniales!



A cause de son éducation catholique, toute sa vie est baignée par Dieu dont il est, à ses yeux, tout autant l' enfant et le serviteur que les autres hommes. Il l'est même davantage peut-être, puisque, de part ses fonctions de bourreau, il sert aussi une société qui le méprise mais “dont il sauve l'ordre” et qui donc lui doit le respect. Il incarne un peu sa face cachée et détestable et son rôle est d'être le garant de l'ordre social et religieux qui, à l'époque, caractérisait l'Espagne, d'en expier aussi les turpitudes et les hypocrisies.



Même s'il est partagé entre une sorte d'idée quasi aristocratique de ses fonctions[“Le bourreau est le prêtre d'une religion ésotérique à laquelle n'accèdent que peu d'élus”] et la sensation qu'ainsi il renonce au monde, cela ne fait pas pour autant de lui quelqu'un d'important, au contraire [“Quand je serai bourreau, l'idée que je me fais de moi-même, de ma personne, va peu à peu se ramener à des proportions plus justes, qui sont celles de n'importe qui.”]



Il reste cependant dubitatif face à ce combat [“La vie est un songe, le songe de notre libération de l'ignominie, sachant en même temps que cette libération est impossible”] qu'il estime perdu d'avance. Il est fondamentalement en mal de reconnaissance et d'estime. Sa vie est une quête à la fois spirituelle et temporelle et, de même qu'il revient dans le village qui l'a vu naître et qui l'a rejeté, il attend de cette société une sorte de consécration quasi religieuse que son destin lui donnera quand même à la fin du récit, dans une sorte d' épilogue un peu surréaliste qui reflète l'âme espagnole.



Pourtant, ce paria de la société nécessairement solitaire et tourmenté finit par se marier, par hasard, mais avec la fille du bourreau dont il prend les fonctions, entrant de ce fait dans cette catégorie sociale très fermée où l'on cache son métier aux autres citoyens et, où, pour la justice, on ne porte même plus son propre nom. Nul doute que ses enfants seront eux aussi bourreaux...



La fin du récit est à l'unisson de ce remarquable texte sur la condition humaine, à la fois reconnaissance de Ramiro pour ce qu'il est qu'un retour vers ceux qui ont guidé ses pas, le duc et le père Anglade, l'aristocrate et le religieux, et qui maintenant s'apprêtent à quitter ce monde. Il peut, dès lors et après un parcours cahoteux, être lui-même, parcourir son chemin seul, même si cela n'est que le fruit du hasard et n'a rien de commun avec ce qu'il souhaitait intimement.



Derrière l'histoire racontée, ce récit est en fait celui de chacun d'entre nous, celui de notre passage sur terre avec ses aspirations, ses hésitations, ses échecs... Tout cela est profondément humain!







© Hervé GAUTIER - Avril 2007
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Requiem pour un paysan espagnol

Requiem pour un paysan espagnol (1953) & Le Gué (1948) (aux Editions Attila, 2010)



À l’intérieur d’une église qui reste obstinément vide, le curé, Mosén Millán, est sur le point, en cette année 1936, de célébrer la messe d’enterrement de Paco, fusillé par les phalangistes. Seul, appuyé contre le mur de l’église, il repasse le film de ses souvenirs, ceux du baptême, de l’enfance de Paco, de ses actes de compassion envers les pauvres, de son mariage, de ses espoirs et de sa lutte après 1931, et enfin de sa chute dont le prêtre a été l’artisan sans l’avoir vraiment voulu.



Par les yeux de ce prêtre passif, défenseur avec l’Église de l’ordre établi et des puissants, sont évoqués en filigrane la misère noire de l’Espagne d’alors, le système de domination des propriétaires terriens hérité de l’époque médiévale et les années troublées précédant la guerre d’Espagne.



Inspiré par l'histoire familiale de Ramón Sender, son frère et sa femme étant tombés sous les balles franquistes, ce court roman initialement publié au Mexique en 1953 est surtout une histoire humaine, celle du courage et de l’intégrité de Paco et celle de l’attitude du prêtre, homme gris qui a trop peu de force pour un grand dessein - qui m’a remis en mémoire cette citation de Primo Levi : « Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter »



« Un groupe de jeune gens arriva au village, des fils de bonne famille avec des bâtons et des pistolets.

Ils avaient l’air de pas grand-chose, et certains poussaient des cris hystériques. Jamais on n’avait vu de gens aussi effrontés. Normalement, ces garçons rasés de près et élégants comme des femmes, on les appelait, au carasol, petites bites, mais la première chose qu’ils firent fut de passer une formidable raclée au cordonnier, sans que sa neutralité lui serve à quoi que ce soit. Puis ils abattirent six paysans, dont quatre de ceux qui vivaient dans les grottes, et ils laissèrent leurs corps dans les fossés de la route qui menait au carasol. Comme les chiens venaient pour lécher le sang, ils postèrent un des gardes du duc pour les écarter. Personne ne demandait rien. Personne ne comprenait rien. Les gardes civils n’intervenaient pas contre les étrangers.

À l’église, Mosén Millán annonça que le très saint sacrement serait exposé jour et nuit, puis il protesta auprès de don Valeriano, que ces petits messieurs avaient choisi comme maire, parce que les six paysans avaient été tués sans avoir eu le temps de se confesser. Le curé passait ses jours et une partie de ses nuits à prier.»



Requiem pour un paysan espagnol est suivi dans ce volume publié par Attila en 2010 par un deuxième court récit de 1948, également sobre et magnifique, « Le Gué », la culpabilité d’une moucharde après la folle dénonciation de son beau-frère, fusillé lui aussi par les franquistes.
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