N°272 – Avril 2007
Requiem pour un paysan espagnol - Jamón J Sender.
Il est des livres qui, avec une grande économie de mots et une histoire sans autre prétention que de porter témoignage, en disent long sur la condition humaine, son hypocrisie, ses trahisons, ses bonnes consciences, ses silences, ses renoncements, son acceptation facile de la loi du plus fort ou de son propre intérêt en se trouvant toutes les bonnes raisons d'agir ainsi, tout en se répétant à l'envi que l'homme est humain et humaniste!
C'est facile de faire bon marché de la vie des autres en se disant que Dieu est bon et miséricordieux, qu'il voit tout et saura faire la part des choses à l'heure du “jugement dernier” pourvu qu'on observe ses lois, c'est à dire celles des puissants et des riches qui possèdent le pouvoir temporel, parce c'est dans l'ordre des choses et qu'il ne faut rien y changer. C'est pratique la religion de type médiéval, celle qui règne dans cette Espagne d'un autre âge, aux valeurs traditionnelles mais surtout inspirée par un régime ultra conservateur qui souhaite que les choses demeurent figées dans un ordre éternel, les pauvres restent pauvres et craignent Dieu, les riches restent riches et commandent aux autres en Son nom et ce d'autant plus que le clergé est là pour rappeler à ces esclaves que Dieu a voulu les choses telles qu'elles sont et qu'il serait criminel de vouloir les changer. C'est aussi une carte postale aux couleurs sépia douloureusement fanées, celle des pénitents de la Semaine Sainte qui se mortifient devant les hommes et s'humilient devant Dieu, avec, en filigrane, l'évocation de deux mondes qui cohabitent sans jamais pouvoir se rejoindre!
L'histoire qui nous est contée évoque des faits vieux d'une année. Nous sommes dans cette Espagne d'une royauté finissante, une fin de règne... Et soudain, tous les espoirs deviennent permis, ceux d'un monde nouveau, où les éternels opprimés auront enfin leur chance. La République porte ses nouveaux espoirs pour les oubliés, ces laissés pour compte que sont les paysans sans terre de ce petit village sans nom mais qui est le miroir de ce pays d'alors. C'est compter sans la société traditionnelle qui voit ses privilèges soudain s'évanouir et qui, avec la bénédiction de Dieu et de son clergé va tuer, au mépris de Ses commandements, pour maintenir sa prééminence. Ce sera la Guerre Civile qui, de 1936 à 1939 va détruire tout un pays déjà exsangue. La dictature franquiste fera plus tard et pour longtemps perdurer les choses dans la haine et la terreur. Elles sont suscitées ici à travers les éléments fascistes qui envahissent le village et y répandent la mort .
Le curé Millan peut nous paraître sympathique. Il nous est présenté comme quelqu'un qui vit parmi ces paysans et leur parlent par ses prêches. L'autre protagoniste, c'est Paquito qu'il a baptisé, qu'il a marié, qu'il connaît bien parce qu'il était son enfant de choeur. Mais ce petit paroissien docile est devenu Paco, a oublié son curé et sa religion et a trouvé intérêt aux idées nouvelles. Il est donc devenu Paco l'apostat et menace l'ordre traditionnel en voulant simplement vivre autrement! Au fond de lui, ce brave curé doit faire vengeance et le lecteur n'est pas dupe. L'ecclésiastique va se révéler tel qu'il est, complice des possédants, de leurs représentants et de leurs tortionnaires et va livrer Paco sachant très bien ce qui l'attend. Il l'accompagnera vers la mort tout en maintenant jusqu'au bout l'illusion d'un justice impossible, lui donnant l'absolution et extrême-onction pour que les apparences soient sauves. Paco tombera sous les balles du peloton avec la bénédiction et la complicité de l'homme d'église qui ne fera rien pour le sauver “Parfois, mon fils, Dieu permet la mort d'un innocent. Il a permis celle de son propre fils qui était plus innocent que vous trois” et peu importe la veuve, les orphelins et la famille en deuil! Il n'a même pas eu le courage, un an après, de rendre aux siens la montre et le mouchoir du mort! Sa honte est grande puisque, un an après, il dira lui-même cette messe de requiem pour Paco, payées par ses ennemis, Don Valériano, Don Gumersino et M. Castulo et à laquelle personne d'autres n'assistera. Seul le poulain de Paco qu'ils ont chassé avant l'office voudra, par dérision, être de l'assistance!
Ce retour en arrière est ponctué par les phrases d'une comptine composée par le peuple du village et dites par l'enfant de choeur en mémoire de la mort de Paco. C'est là un véritable requiem, laïc celui-là! Pourtant, le vieux prêtre espère être quitte avec de belles parole et surtout avec cette amnésie qui caractérise si bien la condition humaine [“Dimanche dernier vous avez dit qu'il fallait oublier”], mais la comptine est là pour faire perdurer la mémoire de l'injustice.
Ce récit nous rappelle aussi que la mort fait partie de la vie et qu'elle peut intervenir à tout moment, surtout quand tous les espoirs sont permis, qu'elle est souvent le fait des autres hommes et de leur injustice, que l'individu en tant que tel ne compte pas et qu'on n'hésite pas à s'en débarrasser quand il devient encombrant, pour peu qu'on puisse le faire en toute impunité. C'est ainsi et malgré tous les discours lénifiants des philosophes sur la valeur et unicité de l'homme, sa position au centre de l'univers... c'est comme cela qu'il faut comprendre les choses de cette vie, simplement, brutalement. C'est ce que nous rappelle Sender dans ce récit devenu célèbre.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette chronique,
Ramon Sender reste bien l' écrivain de la condition humaine, un grand témoin qui ne laisse pas son lecteur indifférent.
©
Hervé GAUTIER - Avril 2007
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