Citations de Richard Morgiève (152)
Ça lui arrivait de penser qu’elle était derrière lui et il n’osait pas se retourner. Il se demandait s’il n’était pas fou. Il craignait d’être la victime d’un sale atavisme. Qui étaient ceux qui l’avaient engendré et abandonné ? Comment ne pas se méfier de ce passé, de ces ombres dont il était issu ? Et ceux qui l’avaient élevé et chéri avaient été tués par le Diable. Et le Diable narguait leur fils en torchant son gros cul sur sa destinée. La peau du Diable, ça valait combien ?
La guerre était venue et tout le monde s’était intéressé à un autre type de meurtre. Il n’était pas impossible que l’assassin de ses parents ait été décoré pour bravoure ou héroïsme. Corey espérait qu’il était vivant, lui n’avait pas clos l’enquête. Il n’avait pas la possibilité d’avoir accès à toutes les procédures pour homicides, à toutes les enquêtes, alors il attendait. Il attendait depuis vingt et un ans. Il n’espérait pas — c’était un type au bord de l’eau qui attendait que ça morde, sans ligne, sans hameçon.
Il avait dit à haute voix une partie de ce que pensait Corey : les Nord-Américains avaient un besoin pathologique de s’étendre, de construire. Ils ne pouvaient pas s’empêcher de produire en masse. La civilisation nord-américaine s’éteindrait par surplus de production, étouffée par ses frigos, ses téléviseurs.
Personne ne parlait de la vie de la nature, c’était un sujet inconnu des Blancs. Les Blancs étaient des prédateurs sans conscience — les nazis étaient blancs. Lui-même Corey était blanc. Les Blancs ne pouvaient pas vivre dans la nature, avec elle. Les Blancs ne pouvaient que se propager, asservir, produire.
C’était un individu qui vivait du papier, une sorte d’insecte. Il avait décidé d’écrire une histoire des États-Unis — il savait qu’il ne la terminerait pas, ça ne le dérangeait pas.
Elle n’était pas sotte, l’Amérique était la proie d’une puissante hantise, elle vivait son Moyen Âge. À force de trop de néons et de lumières, les gens voyaient des ténèbres insondables dans leurs verres de lait.
La vie d’enquêteur était faite de ce genre de désillusion, la vie de saint inévitablement aussi.
Il avait l’habitude, il fallait croire au quotidien, à sa force inepte et saine. Se laisser porter par l’enchaînement des actions les plus simples et ainsi la vie s’écoulait raisonnablement.
Tant de choses arrivaient aux hommes et aux femmes et puis un pasteur lisait un passage de la Bible et c’était terminé. Il savait qu’il aurait mal à la tête et verrait des formes géométriques et lumineuses, très colorées. Il était crevé, n’avait pas dormi plus de trois heures.
Il fallait prendre du bon temps quand on pouvait — et pour l’accent, il se forçait un peu. La vie était marrante. Mais on pouvait se faire saigner dans son lit, à côté de celui qu’on aimait, de celle qu’on avait regardée tous les jours comme un miracle à portée d’un homme ordinaire.
Il se sentait pétrifié comme s’il avait plongé le doigt dans une des fontaines magiques des vieilles histoires que lui lisait sa maman. Il était là pour quoi ? Il vivait pour quoi ? Pour conduire une longue et magnifique enquête sur l’existence ? Et puis mourir en se persuadant qu’il avait fait un beau chemin ?
Tout était OK, RAS, comme disaient les bidasses, mais rien ne l’était, rien du tout. Corey était du genre plutôt grand, maigre, et à cette heure il avait des yeux plutôt blancs — carrément bizarres, blancs, ou rétrécis et noirs. Un regard de boa qui aurait marché debout. Ça ne mettait pas à l’aise ceux qui le fréquentaient.
« La chance, ce n’était pas pour tout le monde ».
L’année dernière, la police avait recensé près de vingt-trois mille déclarations d’apparitions d’ovnis. Peut-être qu’ils étaient venus en masse fêter la fin de la guerre de Corée ? Va savoir avec les Martiens les idées qu’ils pouvaient avoir.
Dans la glace, j’étais pâle – dans mon cœur, j’en avais marre.
Elle était belle, toute nue comme la préhistoire, mais après il y aurait l’histoire, la postface, les œuvres complètes.
J’aime le genre humain mais moins les hommes.
Les mecs autours de moi parlaient politique et foot : les cons avaient besoin de parler à des cons de sujets cons.
Il y avait quatre croque-morts avec moi, mais un seul homme, il était dans la boîte.
On existe pour les autres plus souvent que pour nous-mêmes, se dit-elle. Notre existence imprime sa trace à notre insu. Mais si on avait conscience d'être incorporé dans l’histoire des autres sans rien y pouvoir on péterait les plombs. Boy pense que le Nord-Tonkin a fait basculer sa vie vers plus... Plus de réalité. Plus d'existence - de reconnaissance d'elle-même. Elle, Boy...