Robert Menasse: "Die Europäische Union - Das Ende des Nationalstaats?"
...cet échelon du pouvoir (...) était dominé par les "énarques", les diplômés des usines à cadres du type de l'Ecole Nationale d'Administration, des hommes très minces portant des costumes discrets et pas trop chers, ascétiques en tous points et capables de négocier pendant des heures et des nuits entières. Ils semblaient n'avoir pratiquement pas besoin de nourriture ni de sommeil, ils étaient avares de leurs mots et de leurs gestes, ils évitaient d'entretenir l'hyperglycémie de leur âme avec le sucre de l'empathie, ils n'avaient pas besoin de public, le métabolisme de l'intérieur du pouvoir leur suffisait, ils avaient renoncé aux pompes de l'apparence.
Qu’elle est sereine, la vie, quand c’est là où l’on ne s’attend nullement à tout comprendre que l’on est confronté à l’incompréhensible. (p. 13)
Tu sais lire l'avenir ?
Non.
Tu ne vois rien ?
Non.
Moi non plus. Je ne vois plus rien.
Faitout, dit la mère, le fils ne veut pas entendre, il ne peut plus supporter d’entendre sa mère prononcer faitout, avec cette emphase qui sonne faux, qui sent le fabriqué. Pourquoi ne dit-elle pas tout simplement « casserole » comme avant ? Elle se travestit derrière ce mot et tous ceux du même acabit, comme elle se déguise avec son pantalon en velours à grosses côtes bleues et ses cheveux teints au henné. Elle avait déjà les cheveux gris avant, ou je me trompe ? Ils sont roux maintenant, coupés court et en brosse. Qu’est-ce qu’elle a encore préparé ? Il y en a toujours trop, comme d’habitude. Et puis cette table en bois néo-rustique, dessinée par un designer suédois ! Elle est bien trop solide pour s’écrouler, au sens littéral du terme, sous ce qu’on lui a servi ! Et ça fume et ça dégouline de partout, dans les cocottes, les plats, la casserole, le faitout. Vas-y, mais sers-toi ! Le fils ne veut même pas regarder, il ne voit que la vapeur, et à travers elle le visage luisant de sa mère dont il ne supporte plus d’entendre ce qu’elle dit. L’entendre dire par exemple que l’animal, celui qui est à présent découpé dans le faitout, a été un animal heureux, tout ça parce qu’on l’a élevé conformément à ses besoins, avec une nourriture exclusivement naturelle. C’est comme les légumes et la salade : tout vient de notre propre récolte, tout est naturel, sans engrais chimiques, non traité, biologique. Le fils gonfle ses joues à bloc, comme un trompettiste. Il se voit : il voit son visage, ses deux joues gonflées comme deux ballons de baudruche. Il n’est plus si jeune que ça, en tout cas pas autant qu’il aimerait. Il a quelque chose de bouffi, de spongieux, d’usé ; il donne l’impression d’être déguisé, lui aussi.
lorsque j'étais jeune, le bonheur était vieux [...] Lorsqu'enfin je me suis approché de la possibilité d'être associé au bonheur, tous les gens heureux qui en faisaient la publicité avaient trente ans de moins que moi.
Sie stand auf [Beamtin in der Generaldirektion Kultur der Europäischen Kommission], sie hatte einen schwarzen Rock an, mit einem diagonal verlaufenden, rot eingefassten Reissverschluss. Martin dachte: als wäre ihr Schoss durchgestrichen! Und doch mit einem Mechanismus versehen, um ihn blitzschnell öffnen zu können!
Il n'était que le pantin d'une expérience qui confirmait que les gens s'organisent quand ils ont des intérêts communs et qu'une fois réunis, ils se battent pour défendre leurs intérêts personnels jusqu'à ce qu'ils n'aient plus rien en commun.
Il avait tout de même des souvenirs. Ils s’imposaient à lui. Dans sa mémoire, des noms brillaient, il voyait des visages, il entendait des intonations, il voyait des yeux sombres, des gestes et des mouvements, et il sentait la faim, ce hache-paille de la vie, qui dévore la graisse du corps, puis broie les muscles, puis l’âme que l’on découvre seulement, pour peu qu’on la découvre, au moment où la faim est devenue une métaphore : la faim de vivre. Il la sentait, cette faim, à présent, plus aussi forte, mais il la sentait, et il voulait établir cette liste, noter avec qui il avait partagé cette faim et…
Le XXème siècle aurait dû être la transformation de l'économie nationale du XIXème siècle en économie de l'humanité du XXIème siècle. Ce mouvement a été empêché de manière tellement atroce et criminelle que la nostalgie de ce processus a ressuscitée, encore plus pressante. Mais elle ne l’a fait que dans la conscience d'une petite élite politique dont les successeurs ont vite oublié deux éléments: l'énergie criminelle du nationalisme et les conséquences que l'on avait déjà tirées de cette expérience. (p.290)
Voilà, et maintenant imaginez un organisme, les poumons sévèrement atteints par le tabagisme, le foie par les excès d’alcool, l’estomac par la chimie alimentaire, et votre rôle est de désintoxiquer tout cela – et d’écrire les discours dans lesquels la bouche annonce que tout va pour le mieux dans la mesure où l’on produit les plus grands efforts pour assurer un meilleur fonctionnement de l’organisme, par exemple en amputant tous les doigts pour éviter qu’on se ronge les doigts.