Citations de Roger Nimier (130)
"C'est comme ça que doit être le vrai chef: le mot pour rire au bon moment et le regard inflexible quand il faut".
On parle souvent de l’esprit de bourgeoisie comme d’un esprit de caste. C’est tout le contraire, il est digestif. Inlassablement la bourgeoisie a digéré les comédiens, les artistes, les apothicaires. Une singulière instauration leur a rendu la terre sainte. Nous reviendrons à de meilleurs sentiments quand à nouveau, les comédiens seront excommuniés et les écrivains fouettés en place publique.
Les libéraux aiment passionnément les peuples opprimés - sauf celui qu'ils oppriment. Secourir les Grecs, pleurer sur le Bulgare, on n'a pas inventé de meilleur moyen pour oublier l'ouvrier lyonnais et concilier une âme tendre avec le souci de ses intérêts. Toujours ils mettent une petite condition à leur pitié : c'est qu'elle soit inutile.
Il est toujours facile de condamner les fascismes. Les libéraux adorent ce genre d'exercice. Pour s'y livrer à leur aise, ils attendent impatiemment une dictature. D'ailleurs, ils n'attendent pas longtemps, il leur suffit de gouverner quelques années et ils la rendent nécessaire.
A distance les événements de 36 ont retrouvé une signification paisible. Dix ans plus tard, les riches hommes de la nation ont ouvert les oreilles : "Comment, vous vouliez seulement les quarante heures, des congés payés ? Rien n'était plus normal. C'était la justice même. Il fallait le dire plus tôt. Gracieusement nous vous aurions accordé ces faveurs sans qu'il fût nécessaire d'appeler au pouvoir ce M. Blum, qui est un homme compréhensif, nous le reconnaissons, mais qui ne va presque jamais à la messe et qui nous choque profondément dans nos principes (en condamnant le mariage) et dans nos plaisirs (car sans mariage, l'adultère n'est plus possible)".
Dans ses journaux, la bourgeoisie affirmait qu'elle voulait le bien du peuple ; par un malheureux hasard, celui-ci prenait ces paroles dans leur sens littéral, il en déduisait qu'on voulait ses derniers sous.
J. C. à R. N.
Paris, Mercredi 7 juin
Mon cher ami (pourquoi attendre?),
Je ne vous ai pas conseillé d'acheter une auto. Si j'ai supposé que vous en aviez une, j'envisageais tout de suite le pire. Mécaniques ruineuses (toujours malades, toujours en panne et en réparation, qui apportent la désolation au foyer, si on a un foyer;
ou dévorent « l'argent de poche » si précieux; et puis mortelles).
Voilà dilapidée une partie de l'immense lot de bons avis que
C’est un vaste empire, un monotone et régulier mensonge qui indique la présence des Français sur les cartes de géographie.
Il faut savoir désespérer jusqu’au bout...page 46
La France ! Nous lui voulions des victoires comme un jeune homme qui rêve de sortir au bras d’une maîtresse chargée de bijoux. Mais traîner derrière soi cette veuve un peu mûre, avec sa fausse gaîté, tous ses cousins militaires, sa chère respectabilité qui lui tenait lieu d’honneur....page 43
J'ai toujours aimé le café sans sucre et la nuit sans personne.
On voit bien que vous n'avez aucune expérience de la justice. On ne juge qu'un personnage de papier et le sort de ce personnage dépend de l'arrangement de certains mots. La timidité d'un conditionnel peut le sauver quand un impératif le tue. Je ne vais pas me mettre en peine pour mon avenir quand cet avenir dépend de la grammaire.
Un ami, c'est quelqu'un à qui vous pouvez demander de vous aider à transporter un cadavre aux alentours de minuit, et qui le fait sans vous poser de questions.
"Se coucher à trois heures du matin, voir n'importe qui, admirer n'importe quoi... C'est un vice de l'esprit ou un vice tout court." - Les Enfants tristes.
La littérature est une substance maligne qui se glisse partout, sans prévenir, et s’en va comme elle veut.
Journées de lecture, 1965
Comme j'étais trop malheureuse, je me suis couchée sur ton lit. Et puis, j'ai eu peur qu'on vienne, je me suis glissée pieds nus sous le drap. J'étais comme dans une tente. Là, je me suis sentie bien. Tu étais avec moi seule, et la pièce c'était le monde entier. La nuit est venue. Je me suis réveillée à six heures du matin.
Elle se leva, passa un vieux pull-over gris, une jupe noire et entra ses pieds nus dans ses tongues . Elle adorait montrer ses orteils et sortir ainsi en plein hiver.
- Mais, chers amis, pourquoi donc est-ce que je ne devais pas mourir ?
Aramis répondit le premier, de sa voix douce et précise :
- Parce que vous n'aviez pas de bonnes raisons à nous en donner.
Porthos, qui avait vidé une seconde carafe pour mieux réfléchir, parla ensuite :
- Parce que vous ne pouvez préjuger des crus de Champagne à venir.
Enfin, ce fut Athos :
- Ami, parce que je ne le veux pas.
D'Alexandre, quand il fut Dieu, nous savons tout et même qu'il regarda le soleil en face. Il est vrai qu'il n'était pas dans le mieux de son état ce jour-là1. De son enfance blonde et sombre, nous ne savons que des phrases ou des exploits, le souvenir d'un adolescent au cou penché, la mine ouverte et boudeuse. Plutarque veut bien nous faire respirer ce héros, il nous dit « Au demeurant, dès qu'il était encore enfant, on connut évidemment qu'il serait continent quant aux femmes. » Il nous parle de Bucéphale, de Ylliade, il nous rappelle que Philippe, son père, bannit de Macédoine « Harpalus, Néarque, Phrygius et Ptolémée, les mignons de son fils, lesquels Alexandre rappela depuis, et les tint tous en grand lien de faveur auprès de lui ». En vain. Le charme de ce pâté en croûte Plutarque traduit par Amyot ne remplacera jamais le témoignage de l'homme qui vit Alexandre incliner la tête pour mieux réfléchir et courir comme un fou vers sa destinée.
D'Artagnan sourit. Sans grade, sans raison, sans roi - puisque Louis XIII venait de mourir - dans cette armée en déroute, il pouvait enfin s'amuser. Les longues veilles, les marches, les gardes, tout cela était passé. Sa vie devenait celle d'un riche amateur, lui qui avait vécu en vendant ses blessures au plus juste prix. Ce désintéressement, c'est à Marie qu'il le devait. Elle lui avait rendu la jeunesse qui dispose de la vie et de la mort comme on lance les dés.
Au théâtre, quand j'étais enfant, n’espérais-je pas toujours que l'acteur tragique allait soudain quitter la scène pour se mêler aux spectateurs ? Comme ce serait facile, pensais-je avec la logique de mon âge. Trois mètres de chemin et Hamlet abandonnera ses scrupules. Hélas, il lui manquait une dimension qui n'était peut-être que la dimension de l'indifférence. La volonté acharnée des imbéciles de ressembler à Dieu ou à l'acteur tragique, en accumulant les incestes, les meurtres, ne prouvait qu'une chose : leur incompréhension de Dieu. Car Dieu est notre spectateur et retirer son épingle du jeu, c'est le rejoindre. Alors plus d'actions, on ne fait que des miracles...
Ces pensées n'étaient plus les miennes pour mille raisons. Mais des pensées qu'on a courtisées, qui ont répondu à votre amour, qui vous ont illuminé, puis qu'on a quittées, sont un peu comme ces anciennes maîtresses que nous rencontrons dans une soirée et chez qui nous distinguons toujours les petits cris de plaisir qu'elles avaient dans nos bras, sous les paroles les plus anodines, à condition d'aimer les femmes, bien entendu. Ainsi de l'indifférence : je la goûtais chez les autres, car je savais que son visage nocturne est de feu (éd. Gallimard, 1978, pp. 113-114).