Sigrún Pálsdóttir est historienne de formation. Elle a été co-auteure du magazine Saga, premier magazine universitaire dans le domaine de l'histoire islandaise. Ce second roman lui a valu le prix de l'Union européenne en 2001.
Toute fin du XIXe siècle, à Skagafjörður ("fjord de la péninsule"). Sigurlina Brandsdottir est la fille du veuf Brandur Jonsson, copiste de son état. Depuis la mort de la mère, c'est elle qui s'occupe de la maison et seconde son père dans ses travaux de copiste. Sigurlina est enfermée dans ce rôle sans qu'elle ne puisse étudier, privilège du frère aîné. Un soir, après une déception amoureuse, elle décide de prendre un bateau pour les Etats-Unis, équipée seulement de quelques billets et de la fibule antique qu'un Américain avait volé dans le musée de son pays. Les choses ne vont pas se dérouler comme prévu, on s'en doute, et si elle fuit son pays, c'est pourtant dans chacun de ses pas qu'elle le retrouvera. Si elle se rend aux Etats-unis, c'est pour occuper l'emploi d'assistante de langue islandaise, requête d'Hoffmann qu'un riche scientifique s’intéressant au patrimoine islandais avait adressée à son père. Pour fuir le destin qui l'attend en Islande, qu'elle s'imagine à l'image de celui de sa mère, morte en couches avec le nourrisson quelques années plus tôt.
Le roman prend une autre dimension dès lors que Sigurlina met un pied sur le bateau, en Écosse, celui qui l’amènera à Ellis Island : une jeune islandaise débarque à New-York sans que personne ne l'attende à l'arrivée, après avoir quitté donc son village islandais, avec la désillusion d'un amour perdu, portée par l'espoir d'un futur autre que celui du foyer, des préoccupations domestiques, auprès d'un homme de science. Car la jeune fille s'est initiée au travail et à la passion paternelle, à savoir le patrimoine culturel de l'Islande. C'est l'occasion d'approfondir mes connaissances sur la littérature islandaise, qui peut se résumer aux noms du polar islandais, par l'évocation entre autres des Sagas du Vinland, deux textes distincts écrits au XIIIe siècle, relatifs à la découverte de l'Amérique du Nord par le Christophe Colomb islandais, Leif Erikson, représentant viking de son état. Avec ces quelques références historiques, que l'on accueille avec plaisir, on prend connaissance du lien entre l'île et le continent américain, qui s'est fait très tôt, avec Gudrid Thorbjarnardottir, encore célébrée en Islande, l'une des premières femmes occidentales à avoir vécu là-bas, et son fils Snorri Thorfinnsson, qui serait, selon la légende, le premier enfant blanc né en Amérique.
La vie américaine va se révéler bien loin des espérances et des attentes de Sigurlina, qui va devoir employer ses talents de couturière, à défaut de ses connaissances en langue islandaise, qui vont la sauver. Ironiquement, tout ce qu'elle souhaitait fuir en quittant son pays, le paternalisme nord-américain n'a rien à envier à l'Islande, d'autant plus en condition d'immigrée, sans amis, sans familles. Si l'Islande était une terre de découverte et d'études pour certains érudits, qui se comptaient sur le doigt d'une main, la plupart des autres ne faisaient pas grand cas de savoir situer l'île sur une carte. Le coup de tête insensé, et fou, de Sigurlina, celui d'une jeune fille, comme tant d'autres, qui essaie d'échapper à sa condition est assez touchant à lire quand on sait qu'elle aurait certainement eu sa place dans la société, et dans les cercles intellectuels, un siècle plus tard avec toute la culture, l'intelligence et la débrouillardise qui sont la sienne.
Un coup de tête comme une tentative de s'émanciper de cette place de ménagère, qui ne lui réservait guère de perspectives réjouissantes, dans une place ou elle était exploitée par son père même. On apprécie les chapitres ou les divers intellectuels islandais omnipotents - des hommes, naturellement - se réunissent pour évoquer son cas sans même penser une minute à l'inclure au débat, on comprend d'autant la tentative de fuite désespérée de cette jeune fille de ce pays qui lui tient lieu de prison, pense-t-elle. Ces dialogues me font penser à une pièce de Molière, Les précieuses ridicules, Le bourgeois gentilhomme, où les personnages sont bien ancrés dans leur rôle et leur fonction, - valet, laquais, bourgeois, médecin, amant, maître-sse de maison, marquis, intriguant quelconque - et s'échangent des répliques qui rendent davantage compte de leur propre prétention, fat et cocasse que leur véritable importance, finalement. Mention spéciale au personnage intitulé Le Poète qui accuse Sigurlina d'avoir l'esprit trop rêveur : d'ici à ce qu'ils se sentent tous menacés par les velléités d'indépendance et de liberté qu'illustre son départ aux Etats-Unis, il n'y a qu'un pas que je franchis allègrement.
J'aime les Sigurlina de la littérature, leur audace, leur courage, leur insolence, leur entêtement à tenter de s'imposer à la société, à surmonter les barrières que tous les juges, poètes, pasteur, trésorier, historien ou gouverneur du monde érigent autour d'elles pour les laisser dans l'ignorance, la dépendance, la soumission et protéger leur petit pouvoir despotique en Islande aussi bien qu'au Vinland.
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