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Critiques de Sören Kierkegaard (51)
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Le concept de l'angoisse

Alors, ami(e) babéliote, lire Kierkegaard est-ce vraiment "l'angoisse" ?



Un conseil, méfiez-vous des beaux et belles gosses des arts et des lettres. Vous aimez et c'est normal, vous noyer dans les yeux de Liszt sur un air de Liebestraum, caresser le blé en herbe avec Colette ou devenir moins étranger avec Camus…



Mais avec Kierkegaard le viking, ce grand et svelte danois, aux belles mèches blondes et son air juvénile, il n'en sera rien ! La plume de l'auteur du « journal d'un séducteur » vous perdra vite et l'engouement se changera en agacement. Conscient des difficultés du lecteur à le suivre dans ses raisonnements, il prévient : « si l'on ne me comprend pas, je n'y suis pour rien » !



Notre ami Søren, le séducteur existentialiste, s'écoute parler, est tour à tour pompeux, abscons pour le profane, irritant et irrité, notamment par ses confrères : « ce philosophe moderne inventeur d'une nouvelle preuve de l'immortalité de l'âme, mais incapable en danger de mort de la prouver faute d'avoir ses notes sous la main » ce qui rappelle également le mot de Nietzsche : “je fais cas d'un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir un exemple”.



Mais pour autant je n'ai pas abandonné. Pourquoi ? Justement pour son style vigoureux et subtilement impertinent, très ardu mais résolument vivant.



Je m'interroge toujours sur la nature de l'angoisse, je ne sais pas vous, mais j'ai parfois l'impression qu'elle ne prend aucun recul. On peut être angoissé de la même façon, avec les mêmes « symptômes » pour les choses les plus graves comme les plus insignifiantes, comme si l'angoisse cherchait toujours un objet auquel se fixer. Et lorsqu'on l'observe un peu en nous, quand on arrive à se distancier d'elle, nous la trouvons souvent un peu excessive (donc insignifiante, pour emprunter le mot de Talleyrand). D'ailleurs, peut-être pourrait on tenter l'expérience du Monsieur Teste de Paul Valéry, et « créer une sorte d'angoisse pour la résoudre. »



« Quand l'oeil vient à plonger dans un abîme, on a le vertige, ce qui vient autant de l'oeil que de l'abîme, car on aurait pu ne pas y regarder ». le vertige de la liberté. Pour le philosophe, la notion d'angoisse est intimement liée à la liberté, au choix des possibles, et elle est perçue par l'homme comme quelque chose d'agréable et de désagréable à la fois. Ainsi, si le saut dans le vide ou en eau profonde peut générer de la peur, du fait du danger caractérisé, l’angoisse au contraire se manifeste par la crainte du saut dans l’inconnu, sans que le danger soit, par définition, connu.



L'angoisse serait ce délicieux et inquiétant vertige face à « la possibilité de ». Ainsi nous n'angoissons pas de la situation présente, aussi inconfortable soit elle, mais nous anticipons déjà – au lieu de la régler – ses éventuelles répercussions futures. L'angoisse se conjugue au conditionnel. C'est prototypique du refus de « l'instant présent » non ?



L'angoisse est tournée vers l'avenir, et si c'est le passé qui apporte l'angoisse « ce n'est point comme passé mais en tant qu'il peut se reproduire, c'est à dire redevenir futur. »



Le concept de l'angoisse sous-tend chez le philosophe copenhaguois une véritable réflexion de théologien, cependant critique à l'égard des dogmes et de l'Eglise politicienne. Ce dernier se livre à une généalogie de l'angoisse depuis la manifestation de celle-ci chez Adam, dans la Genèse. D'où un lien entre l'angoisse, la peccabilité et la faute, « l'individu, dans son angoisse non pas d'être coupable mais de passer pour l'être, devient coupable ».



L'angoisse nait avec la pomme. Elle est le ver dans le fruit. Avec la connaissance du Bien et du Mal, l'Homme devient libre, par ce que Kierkegaard appelle un « saut qualitatif » et se trouve à équidistance, comme encerclé, entre le Bien et le Mal.



« Fuir l'angoisse il ne le peut car il l'aime ; l'aimer vraiment non plus car il l'a fuit ». Pour l'auteur la défense de goûter au fruit défendu éveille le désir mais sans qu'Adam ait la pleine conscience de son libre arbitre. Cette liberté est en relation dialectique avec la faute. L'angoisse se matérialise dans la possibilité pour l'Homme de commettre une faute qui le ferait tomber dans le péché. le seul moyen de recouvrer sa liberté étant, pour l'existentialiste chrétien, le repentir. Est-ce à dire que l'angoisse n'existe pas dans la nature ? Qu'elle est sociétale ? Que ressent la proie face au prédateur, si elle doit tourner à gauche ou à droite pour s'enfuir ? Est-ce l'instinct ou le libre arbitre ?



Finalement, pour vaincre l'angoisse, à tout le moins la maîtriser, il faut retourner au fond de soi, ce que notre époque, à l'instar de celle de Kierkegaard (qui publie en 1844) ne permet pas aisément : « Bien que la lâcheté de notre époque fasse tout ce qu'elle peut pour, à coup de distraction et du vacarme d'entreprise à grosse caisse, écarter nos pensées solitaires, comme avec des feux, des cris et des cymbales on tient à distance les fauves dans les forêts d'Amérique. de la vient qu'aujourd'hui on n'en sache si peu sur les plus gros conflits intérieurs de l'esprit, mais d'autant plus en revanche sur tous ces bruits frivoles entre hommes qu'une vie raffinée de salons et de soirées amène avec elle. »



Une lecture a plusieurs étages donc, et faute d'avoir fourni les efforts nécessaires à la compréhension d'ensemble je suis encore au rez-de-chaussée, j'ai surtout cherché à picorer quelques scoops sur l'angoisse en essayant de lire d'un oeil la bonne dose de théologie doublée d'une fine couche d'érudite abscondité.



Reste cette question, qu'adresse l'auteur scandinave à son lecteur « D'abord pourquoi perdre le temps des autres en racontant ce que j'ai perdu le mien à apprendre ? »



Qu'en pensez-vous ? (Si vous l'avez lu, ravi d'échanger pour éclairer davantage mon lampion)
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Le journal du séducteur



Faut-il aborder le Journal du Séducteur comme un vrai roman ? Comme un motif littéraire qui servirait surtout à illustrer une démonstration philosophique ?



Précurseur, avec Schopenhauer et Nietzche, du mouvement de la «Lebensphilosophie» («Philosophie de la vie»), lequel, s'éloignant de l'abstraction pure et de l'«essentialisme» de la philosophie allemande du début du XIXe siècle, s'intéresserait plutôt à l'individu, à sa perception et son expérience subjective de la vie et du monde, son auteur, Søren Kierkegaard (1813 – 1855), considéré par ailleurs comme l'ancêtre du courant existentialiste moderne, ne semblait, quant à lui, aucunement soucieux de faire de distinctions entre les deux genres, «littéraire» ou «philosophique»!



Cet amalgame est d'ailleurs ce qui fascine le plus dans l'oeuvre atypique du grand philosophe danois, dont on est loin d'en avoir à ce jour épuisé complètement le sens et la portée.



Inspirée largement de ses journaux intimes, composée en partie de récits et de petits poèmes en prose, d'aphorismes et de pamphlets se superposant, se succédant, assez souvent dans un même recueil, à des réflexions et à des textes philosophiques ou théologiques, Kierkegaard semble s'amuser à surprendre et à intriguer son lecteur.

Cultivant en même temps une duplicité et une hétéronomie dignes d'un Fernando Pessoa (il signe sous de très divers pseudonymes), un style moiré, changeant, quelquefois à la limite du vaporeux, ainsi qu'une certaine ambiguïté affichée dans les propos tenus par ses personnages et/ou hétéronymes, Kierkegaard n'écarte ni les contradictions internes, ni la mauvaise foi implicites à l'exercice d'auto-observation auquel seront systématiquement soumis ses doublés et personnages, comme s'il cherchait avant tout à explorer librement différentes possibilités d'être dans le monde, évitant dans la mesure du possible de créer un système d'idées cloisonné, sans vouloir faire forcément autorité ou porter trop de jugements définitifs.



C'est ainsi que, en explorateur de l'âme humaine, à l'aide d'un dispositif mis visiblement au service d'une des principales préoccupations qui traversent son oeuvre, à savoir celle d'aller au-delà des apparences, des conventions et des croyances, sociales ou religieuses, qui essayent de nous détourner des questions de fond concernant notre rapport à l'existence, et surtout du sentiment d'absurde et du désespoir qui risquent à tout moment d'y faire irruption (dont en définitive chacun, semble-t-il nous signifier, devra, en négatif ou en positif, faire tôt ou tard l'expérience!) ; à l'aide aussi d'une stratégie d'inspiration socratique, Kierkegaard veut conduire son lecteur à tirer ses propres conclusions, à pratiquer lui-même l'exercice de réflexivité auquel ses multiples avatars et personnages -situés sur leur «chemin de vie» à l'un de trois «stades » définis par sa philosophie : «esthétique», « éthique» et «religieux»- se livrent, ou au contraire, essayent de se soustraire.

Ceux qui se situent au premier de ces stades -«esthéticien» - tel Johannes, personnage central du Journal du Séducteur-, vivent selon lui dans l'instant, dans la fascination du possible, dans le besoin permanent de «divertissement», pris ici dans le sens pascalien du mot ; l'«éthicien», en quête de continuité, aspirerait quant à lui à la durée, à être dans une relation de conformité entre les différents instants qui constituent son existence, ainsi que vis-à-vis des autres et du monde, suivant pour cela des règles et des préceptes auxquels il cherchera de son mieux à adhérer ; le «religieux», enfin, détaché du purement contingent et du temporel, pour lequel rien qui ne serait en rapport avec l'éternité («sub specie aeternitatis», «du point de vue de l'éternité», comme le soulignait Spinoza) n'aurait plus d'importance…



La réflexivité, ainsi que l'héritage d'une ironie socratique ( Socrate constituant en fin de compte le socle principal sur lequel la pensée originale de Kierkegaard s'appuierait) teintée de naïveté (feinte), et en même temps de détachement (vrai) vis-à-vis des dogmes forgés par le sens commun, seront des éléments qui leur permettront éventuellement de faire l'expérience d'une autre dimension, philosophique, ce que Kierkegaard appelle « l'intéressant», par rapport à ce qui serait de l'ordre donc du pur divertissement. C'est aussi ce qui pourrait, à force, permettre au sujet de passer d'un stade à l'autre.

Cette réflexivité, relation de soi à soi-même, est l'élément essentiel mis en perspective dans le Journal du Séducteur. Johannes y est approché essentiellement du point de vue de sa subjectivité à lui, à travers d'extraits de ses journaux intimes ou de sa correspondance personnelle, auxquels aurait accédé, rassemblé et finalement décidé d'éditer, un dénommé A., un ami de Johannes, auteur en même temps d'un prologue exposant le contexte général, ainsi que certains éléments relatifs à la suite des événements qui y sont évoqués.



Les lecteurs seront cependant déçus, je crois, qui s'attendront à trouver ici un manuel du séducteur à la portée de tous (bien que quelques rouages du mécanisme de séduction y soient par moments décryptés), ou un roman classique inspiré du courant romantique allemand très en vogue à ce moment-là (bien qu'on y trouve des traces lyriques et idéalistes mêlées à l'artificialité «esthétisante» recherchée par le personnage), ou enfin des confidences d'un libertin à l'image d'un Valmont ou d'un Casanova, références absolues en la matière.

Ce qui intéressera surtout l'auteur, beaucoup plus en tout cas que son «modus operandi», c'est de mettre en évidence ce qui soutient subjectivement sa jouissance de séducteur «esthéticien», et qui justifierait à ses propres yeux ses intentions et ses agissements ; son « aliénation », dirait-on aujourd'hui ; les arguties et les artifices grâce auxquels il tente de maintenir cette jouissance le plus longtemps possible, comme une fin en soi, essayant de contourner les barrières que la réalité finit inéluctablement par y apposer.



Le piège de la séduction, mais aussi le piège du séducteur ! L'honnêteté et la fausseté associées par ce dernier lui-même aux motivations qui l'animent (plus ou moins présentes, soit dit au passage, dans toute stratégie amoureuse : qui, dans un sens plus large, pourrait d'ailleurs se targuer d'être toujours honnête à cent pour cent vis-à-vis de soi-même ??).



Kierkegaard nous montre son séducteur, non pas exactement en «amoureux» comme il aimerait se faire passer à son propre regard, autant qu'à celui de Cordélia, mais en se regardant lui-même comme quelqu'un d'extérieur «en train d'aimer». Et, malgré le fait qu'il s'y fourvoie, qu'il s'en mêle parfois les pinceaux, qu'importe, puisque le but ultime de son entreprise est d'amener sa proie, elle, à l'aimer au-dessus de tout, et à accorder par la même occasion un sens et une consistance à son être à lui. Bien plus que dans la possession à proprement parler, effective et physique de l'objet amoureux, c'est en cela que résiderait sa quête de jouissance. Sa possession définitive viendra d'ailleurs mettre un terme à l'illusion du jeu, clore un cycle qu'il faudra recommencer à nouveau ailleurs. Sisyphe, quand tu nous tiens...!!



«Son aventure était tellement embrouillée» - constate A. en dépouillant et essayant de mettre dans le bon ordre des feuillets épars, pas toujours datés – «qu'il lui était possible de se présenter comme celui qui avait été séduit, oui, la jeune-fille elle-même pouvait parfois être indécise à ce sujet, et là aussi les traces qu'il a laissées sont si vagues qu'aucune preuve n'est possible. Les individus n'ont été peut-être pour lui que des stimulants, ils les rejetait loin de lui comme les arbres laissent tomber des feuilles – lui se rajeunissait, le feuillage se fanait.»



«Herr Johanes » ne serait pas pour autant, malgré les apparences, une version danoise de «Don Juan». Son stratégie de séduction n'a strictement rien à voir d'ailleurs avec la «consommation», voire le «consumérisme» effréné d'un Don Giovanni, dont son fidèle serviteur, Leporelo, dans le célèbre air du «Catalogue» de l'opéra de Mozart, dresserait l'imposante comptabilité («En Italie, six cent quarante/ En Allemagne, deux-cent trente et une/Cent en France/En Turquie, quatre-vingt-onze/ Mais en Espagne déjà mille et trois!»)

Pas de «catalogue», ni de «collection» chez Johanes, pas l'ombre non plus du fantasme archaïque masculin de coucher-avec-toutes-les-femmes-du-monde. Notre séducteur est dans un rapport «esthétique», non pas quantitatif, mais qualitatif, avec la séduction, en quête non pas de n'importe quelle représentante du beau sexe croisant sa route, mais d'une en particulier qu'il choisit parmi toutes celles, possibles, qu'il ne cesse d'ausculter dans ses pérégrinations incessantes à travers la ville, ces images lui servant aussi, subsidiairement, de stimulant à son sentiment d'exister, l'aidant à imprimer une vision esthétique de la réalité et alimentant l'écriture de son journal..



«Derrière le monde dans lequel nous vivons» -cogite A., le narrateur, après-coup - « loin à l'arrière-plan, se trouve un autre monde ; leur rapport réciproque ressemble à celui qui existe entre deux scènes qu'on voit au théâtre, l'une derrière l'autre. (…) Beaucoup de gens qui se promènent en chair et en os dans le monde réel ne lui appartiennent pas, mais à l'autre. Se perdre ainsi peu à peu, ou disparaître presque de la réalité, peut être sain ou morbide.»



Entre envolées lyriques empreintes de cet idéalisme romantique allemand, vers lequel le personnage, mais aussi à la base Kierkegaard lui-même, semblent malgré eux portés, entre l'usage de l'ironie, et les leurres et les pièges que Johannes se pose à lui-même, le lecteur est constamment invité à chercher l'erreur :



«Est-ce que j'aime Cordélia ? Oui ! Sincèrement ? Oui ! Fidèlement ? Oui ! – au sens esthétique, et cela signifie bien quelque chose. À quoi servirait à cette jeune-fille d'être tombée entre les mains d'un maladroit de mari fidèle ? Qu'aurait-il fait d'elle ? Rien. On dit que pour réussir dans la vie, il faut un peu plus que de l'honnêteté ; je dirai qu'il faudrait un peu plus que de l'honnêteté pour aimer une telle fille. Et je possède ce plus – c'est la fausseté. Et pourtant, je l'aime fidèlement. C'est avec fermeté et continence que je veille moi-même à ce que tout ce qui est en elle, toute sa nature divine puisse se déployer.»



Convaincu tout de même, en tant qu'«éroticien» accompli, de ne pas chercher un simple dérivatif au sentiment de «se perdre de la réalité», mais de toucher au contraire, de près, à «l'intéressant », il estimera, pour couronner le tout, agir en définitive pour le bien de son élue, avec notamment l'idée de faire éclore peu à peu chez Cordélia, jeune fille encore en fleur, une femme en pleine possession de ses moyens, parfaitement libre et maitresse de sa vie – émanation purement phantasmatique de «La Femme», celle-là même qui, comme le prétendrait Jacques Lacan plus d'un siècle après, «n'existe pas», et à laquelle de nombreux passages du journal de Johannes seront consacrés.



Voici par exemple ce qu'on peut y trouver:



« La femme est donc apparence. (…) C'est ce qui explique que Dieu créant Eve ait fait choir un sommeil profond sur Adam ; car la femme est le rêve de l'homme. (…) En tant qu'apparence la femme est marquée par la virginité pure. Car la virginité est une existence qui, en tant qu'existence pour soi, est au fond une abstraction et ne se révèle qu'en apparence. (…) Il n'y avait d'ailleurs pas, comme on le sait, d'image de Vesta, la déesse qui notamment représenta la vraie virginité. (…) Cette existence de la femme (existence en dit déjà trop, car elle n'existe pas «ex» elle-même) est correctement exprimée par le mot : grâce, qui rappelle la vie végétative ; elle ressemble à une fleur, comme les poètes aiment à le dire (…) Mais dans son existence de rêve, on peut distinguer deux stades : d'abord l'amour rêve d'elle, puis elle rêve de l'amour.»



Voici également, n'est-ce pas, de quoi faire littéralement bouillir le sang actuel d'une lectrice pour le coup en chair et en os !! Ce que l'on peut parfaitement comprendre!



Resitués cependant dans le contexte de l'ouvrage, ces affirmations ont une importance pour ainsi dire généalogiquement fondamentale : il s'agit ni plus ni moins d'un plongeon dans les abysses de la psyché masculine, autour de l'essence du féminin ; des prémisses du scénario qui s'est construit, au fil du temps, dans cette arrière-scène dont nous parlait A. ; en lien avec le rôle en creux que les femmes ont été contraintes d'y jouer ; étayées par ce mélange de fascination et de peur provoqués par l'énigme de la féminité sur l'imaginaire masculin (le fameux «continent noir» freudien) ; suscitant à la fois désir de séduire et d'assujettir.

Qui, déjà , aurait peur de Virginia (et) Woolf ??





Comme on le sait bien, et ceci est encore davantage vrai que pour ce qui est des histoires d'amour, les jeux de séduction se terminent mal en général !

Je ne vous dévoilerais donc rien d'exceptionnel en vous le révélant ici!

Du reste, dès le prologue, le lecteur l'apprendra par le compilateur des manuscrits, «A» , puisqu'avant même de laisser la parole à Johannes, le narrateur s'empressera de dévoiler au lecteur le contenu de certaines missives de Cordélia qu'il avait récupérées, après s'être mis à la recherche et avoir pu se mettre en lien avec la jeune femme, lettres qu'elle avait adressées à Johannes après leur rupture et que ce dernier lui avait renvoyées sans même les avoir décachetées...



Car la séduction, hélas, s'apparente quelquefois à la pêche (la métaphore figure aussi dans certains passages du journal de Johannes) : le plaisir y est plus grand dans l'attente, dans les rituels qui l'entourent, dans les différentes positions, et dans l'art subtil du tirage ou du lâchage de la ligne, de sorte que lorsque la prise est effectivement capturée, elle risque souvent d'être, sans façons, rejetée immédiatement dans l'eau!!



Pourtant Cordélia aurait pu peut-être s'en douter, si elle avait su lire entre les lignes certains passages des courriers que son fiancé lui adressait régulièrement, lettres qui, d'après Johannes, constituaient des éléments indispensables à l'«érotisation», aussi bien «physique» que «spirituelle» de Cordélia, sorte de préliminaires contribuant à amener sa proie à s'abandonner «librement» et complètement à lui.

Mais en même temps ne lui écrirait-il pas parfois des mots quelque peu sibyllins, tels ceux-ci:



« Ma Cordélia,

Qu'est-ce que le désir ? La langue et les poètes font rimer désir et prison. Quelle absurdité ! Comme si celui qui est en prison pouvait brûler de désir ! (…) Mais peut-on donc désirer ce qu'on possède ? Oui, si on pense qu'à l'instant d'après peut-être on ne le possédera plus! »



En lisant, parmi tant d'autres réflexions du même acabit développées par notre « esthéticien», de tels propos, on ne peut pas s'empêcher, d'autre part, d'imaginer que Proust également, à l'instar des existentialistes, se serait peut-être largement abreuvé chez Kierkegaard ! Et que sous certains aspects, sa «Recherche du Temps Perdu » pourrait aussi être considérée comme une ode monumentale au « stade esthétique», défini par le philosophe entre autres, rappelons-le, comme «fascination des possibles», comme un moyen de se mettre à l'abri du passage du temps, ou encore, comme dirait Johannes lui-même, de «jouir d'une situation tout en évitant d'y être englobé soi-même, caché en elle»!!



Quoi qu'il en soit, le regard que le philosophe porte indirectement, à travers A. , sur le destin réservé aux ruses d'un séducteur tel Johannes semblerait le confirmer : « au moment déjà où son âme inquiète pense voir la lumière du jour pénétrer dans la tanière, c'est en vérité une nouvelle entrée qui apparaît et, poursuivi par le désespoir comme un gibier effaré, il cherche toujours une issue et ne trouve toujours qu'une entrée, par où il rentre en lui-même (…). Il serait trop dire, rajoute-t-il, que sa conscience se réveille pour autant, celle-ci ne se présentant pour lui que «sous la forme d'une inquiétude qui, en un sens plus profond, ne l'accuse pas, mais le tient éveillé, et qui ne lui accorde aucun repos dans son agitation stérile ».



Comment s'en sortir alors ? Proust dirait en définitive « par le chagrin, le seul qui développe les forces de l'esprit ». Ce fut bien le cas ici, pour Cordélia. Alors que pour Johannes, on ne le saura guère : à la limite, on ne peut, tel le narrateur, que l'espérer pour lui!



Enfin et enfin, pour répondre à la question posée comme point de départ à ce billet (encore une fois trop long !), précurseur aussi à son tour, de plein droit, du «roman à thèse» existentialiste du XXe, le Journal du Séducteur pourrait être considéré également comme une excellente porte d'entrée à l'oeuvre de Kierkegaard!

La profondeur du propos, à la fois sur le plan psychologique et philosophique, l'ouverture et la richesse de sens qu'il comporte, les réseaux multiples de significations auxquels chaque lecteur, parallèlement à une intrigue somme toute assez sommaire et sans surprises, pourrait se voir renvoyer, la grande liberté laissée à ce dernier par rapport aux interprétations et aux réflexions qu'il serait en mesure non seulement d'en extraire, mais aussi d'extrapoler à d'autres domaines de son existence, classeraient sans ambages le récit de Kierkegaard parmi ce que le philosophe lui-même appelait «l'intéressant», ce niveau dans notre rapport au monde et aux êtres où, bien au-delà du «divertissement» qu'ils peuvent nous apporter, nous interroge sur le sens que nous cherchons à donner à notre comportement et à nos actes.





(PS : J'espère ne pas vous avoir laissé malgré tout le sentiment qu'il s'agirait d'une lecture trop pointue, peu accessible à un lecteur «lambda», ce qui n'est pas vraiment le cas ! En compensation, la traduction de l'ouvrage, publiée chez Gallimard pour la première fois en 1943, mériterait à mon avis un toilettage en règle : non seulement les constructions de phrase semblent parfois un peu trop lourdes en français, mais le pire, ainsi que j'ai eu l'occasion de constater en tombant par hasard sur une autre édition du roman en langue étrangère (non pas en danois, que je ne connais malheureusement pas, mais en espagnol !), c'est qu'il y a peut-être aussi des passages franchement «tronqués» !)









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Oeuvres - Bouquins

Ce recueil, réunissant quatre excellentes traductions de textes de Kierkegaard par Tisseau, est un véritable coffre à trésors spirituels.

Le choix de ces œuvres nous paraît par contre arbitraire. Si les Stades constituent une continuité éclairante à Ou bien...ou bien et que le fait de trouver ces deux livres sous un même couvert constitue la réalisation d’un fantasme formidable pour tout amateur de Kierkegaard, le fait qu’on y ait mis aussi La reprise et La maladie à la mort constitue un supplément, certes apprécié, mais inexplicable. Ceci dit, nous ne bouderons certainement pas notre plaisir : cet étonnant amalgame est une merveille!

Ou bien...ou bien, c’est un échange de lettres entre un esthète et un éthicien, comprenant aussi le journal d’un séducteur ainsi qu’un discours édifiant, le tout présenté par un éditeur, Victor Eremita, qui nous explique comment il est tombé sur toute cette paperasse. Ce qui fait l’unité du livre, c’est la réflexion sur la possibilité de vivre l’amour de la manière la plus haute qui soit à partir de divers points de vue qui se positionnent les uns par rapport aux autres. L’ensemble est ludique, riche, profond, fascinant.

Ce livre, qui sera le seul succès littéraire qu’obtiendra Kierkegaard de son vivant, demeure la meilleur entrée en matière que l’on puisse trouver si on désire s’initier à sa pensée d’exception.

La reprise est écrite par un jeune poète de l’existence cherchant la rédemption de l’échec de sa vie amoureuse. L’intention du récit, très dense, consiste toutefois, avant tout, à présenter la catégorie de la reprise afin de l’opposer à la médiation hégélienne.

Stades sur le chemin de la vie, c’est une sorte de suite à Ou bien...ou bien. Ils s’amorcent avec un banquet, où le modèle de Platon est actualisé au XIXe siècle afin que l’ensemble des pseudonymes kierkegaardiens (auxquels s’ajoutent un modiste) qui n’ont pas atteint le stade éthique ou religieux puissent se rencontrer, le temps d’un instant fugace et discuter d’amour. L’ironie kierkegaardienne s’y épanouie à merveille. Au banquet suivent divers propos sur le mariage de l’éthicien d’Ou bien...ou bien, en continuité avec ce que l’on trouvait dans le précédent ouvrage. Enfin, la dernière section présente la triste mélancolie de Frater Taciturnus, personnage qui veut exister religieusement sans y parvenir. Écrite volontairement pour être pénible au lecteur, cette longue dernière section y parvient largement, mais c’est souvent dans la souffrance que l’on apprend le plus.

Enfin, La maladie à la mort est une des réflexions les plus profondes et brillantes que j’ai eu l’occasion de lire sur l’existence et l’existence religieuse chrétienne en particulier. Kierkegaard entre alors, dans une nouvelle période de sa production. Son pseudonyme d’anti-Climacus, contrairement à tous les autres, lui est supérieur du point de vue éthico-religieux et incarne l’idéal vers lequel il travaille. On peut faire un parallèle avec le pseudonyme de Zarathoustra que prendra Nietzsche dans la même intention de présenter son idéal en acte, mais la différence entre les deux est que la positivité de l’idéal est présente ici, contrairement au Zarathoustra dont n’apparaît jamais que la seul dimension strictement négative et critique.
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Traité du désespoir

Kierkegaard, un philosophe bien méconnu relativement à l'influence qu'il a eu sur toute la pensée moderne, et notamment sur tous ceux qui se sont réclamés du mouvement existentialiste, et pour cause, il en est le principal fondateur. Pour comprendre au mieux lesdits existentialistes, il m'a semblé nécessaire de retourner à la racine de leur mouvement, de retourner à la base de cette pensée, cette racine, cette base, c'est la philosophie de Kierkegaard.





Le désespoir est partout. Voilà ce que l'auteur nous assène très rapidement après avoir débuté cette lecture. Nous sommes tous des désespérés, certains s'ignorent, d'autres croient l'être mais pas pour les bonnes raisons, et les derniers - dont l'auteur fait évidemment partie, on n'érige pas un concept sans s'octroyer son sommet - ont conscience, et de l'être, et des raisons de ce désespoir.

Ce désespoir, concrètement, quel est-il ? Il se traduit en différentes attitudes face à son constat, voire à son non-constat pour ceux qui glanent le titre de "désespérés qui s'ignorent", il y a le désespéré de la nécessité, le désespéré du possible, le désespéré de l'infini, le désespéré du fini, le désespéré conscient de son désespoir, le désespéré non conscient... Autant de théories qui finissent toutes de la même manière : on n'échappe pas au désespoir, l'unique porte de sortie face à lui est que l'on se trouve tous face à Dieu. Que l'homme en augmentant la conscience de son moi, se doit de plonger dans la conscience de son Créateur, et c'est cette conscience du moi exponentielle qui permet d'accéder au stade religieux, la plus haute conscience de l'existence - et dominant le stade éthique qui domine lui-même le stade esthétique. Attention, ce n'est pas pour autant que l'on n'est plus désespéré, on le reste, mais au moins, ce désespoir n'est pas vain !

Kierkegaard définit ainsi l'un des nombreux désespoirs auxquels nous somme tous confronté : être prisonnier de son être pour l'éternité - sa philosophie reste basée sur la chrétienté -, je désespère de ne pas avoir la capacité à obtenir ce qui me permettrait de faire un pas de plus vers le bonheur, en tant que je suis prisonnier de mon être, de cet être qui n'arrive pas à saisir ce que je désire, je ne satisferai jamais ce désir, donc je désespère, en l’occurrence, je désespère face à l'éternité. Pour illustrer plus clairement la chose : je désespère de ne pas être César, qui n'est pas César ? Mon être. Qui me conditionne, me nécessite ? Mon être. Qui ne deviendra jamais César ? Mon être. De qui je ne parviendrai jamais à m'arracher ? De mon être. Je désespère.

C'est une pensée réellement fondatrice, je ne vous en ai bien sûr exposé qu'une infime partie, étant moi-même très modeste quant à ma connaissance de sa totalité.

Passons à la forme : d'abord, Kierkegaard se veut être le penseur de l'individualité face à la totalité (cf. la citation que j'ai ajoutée sur le penseur qui n'habite pas le palais qu'il érige), en ce sens il s'oppose à Hegel et à sa pensée systématique, et ce n'est pas une déduction implicite que l'on a tirée de son œuvre, c'est bien lui qui se revendique ainsi. Cette lutte contre la dictature de la totalité se ressent un peu dans son ouvrage, celui-ci semble un peu brouillon, le plan n'apparaît pas clairement défini, il est constitué de "livres" divisés en chapitre parfois eux-même divisés en sous-parties - A) ; B) - auxquelles ils arrivent encore d'être divisées en "sous-sous-parties" - a) ; b) - et qui subissent quelques fois là encore une division - 1° ; 2° . Autant dire que ça paraît flou et l'on s'y perd facilement si l'on veut prendre en notes ce que l'on retire de chaque constitutifs du grand tout qu'est l'ouvrage. Pour autant, et c'est là l'une des grandes qualités de Kierkegaard, il est impossible de nier un style littéraire extrêmement recherché et qui permet une excellente assimilation des concepts, bien que la traduction laisse franchement à désirer - quoique je ne lis pas le danois, il y a des passages à la syntaxe fort douteuse -, le génie stylistique de l'auteur parvient à percer à travers cette transposition linguistique.





Il y a un perpétuel retour au christianisme - dont certaines tares de ses adeptes sont d'ailleurs habilement critiquées - qui peut fortement agacer des lecteurs du XXIème que nous sommes, mais si l'on a la capacité à faire abstraction de cette "échappatoire" - il est bien pratique de recourir au transcendant lorsque des contradictions s'opèrent dans notre pensée -, il y a énormément de concepts méritant un intérêt philosophique dans cet ouvrage. Kierkegaard est un philosophe fondateur et primordial pour comprendre la pensée de ses successeurs. En le lisant, j'y ai retrouvé beaucoup de concepts que Sartre aura repris puis mis à jour pour sa philosophie athée, preuve, s'il en fallait, que Kierkegaard a influencé les plus grands ! Je cite Sartre comme je pourrais citer Deleuze, Camus, Heidegger et pour ainsi dire tous les philosophes qui lui ont succédé et qui s'y sont confronté.

C'est la première brique de sa pensée que je découvrais, pas la dernière, Kierkegaard m'a beaucoup intéressé autant par sa pensée que par son style, un philosophe trop peu cité mais dont le nom mériterait pourtant d'en précéder beaucoup.

A lire pour les philosophes, à éviter pour les anti-religieux qui, se targuant d'une tolérance accrue face à leurs homologues croyants, finissent par les haïr à un point que ces derniers n'ont expérimenté qu'aux heures les plus sombres de leur religion.
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Traité du désespoir

Dimanche, jour du premier tour. Le bureau de vote est situé à 45 minutes de chez moi, il me fallait donc un bon livre pour m’occuper dans le tram. En parcourant ma pile à lire, le choix de cet essai s’est imposé de lui-même, tant il correspondait parfaitement à mon état d’esprit du moment.



Mais une fois passé ce moment de satisfaction un peu masochiste, j’ai eu bien du mal à m’investir dans cette lecture. Kierkegaard est chrétien (ce qui arrive par ailleurs à un tas de gens biens) et son livre est assez théologique. On y brasse les notions de Dieu, de péché, d’infini, et quand on ne se sent pas concerné directement, il faut beaucoup de persévérance pour suivre le raisonnement de l’auteur. J’aime me frotter à des idées qui ne sont pas les miennes, mais cet ouvrage est trop « technique » à mon goût pour pouvoir vraiment m’intéresser. Surtout que Kierkegaard hiérarchise pas mal les gens selon leur conscience de leur propre désespoir, et en tant que présentement non-désespéré, être qualifié successivement de « vulgaire », « inconscient » et « sans moi », même si je ne suis pas spécialement rancunier, ça finit quand même par me vexer.



Enfin, j’aime bien la philosophie pratique, qui a des applications directes sur ma vie quotidienne, telle qu’on peut la trouver dans les écrits de grecs de l’antiquité. Me torturer les méninges pour savoir si je suis désespéré, désespéré par mon désespoir, ou désespéré de ne pas ressentir le même désespoir que les plus grands, ça me lasse rapidement.



Entendons-nous bien, je n’ai pas la prétention de juger la qualité de l’œuvre de l’auteur. Je ne suis juste pas le bon public, malgré toute la bonne volonté que j’ai pu y mettre.
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Traité du désespoir

Kierkegaard a niqué pas mal de vieilles apories de la tradition philosophique occidentale. Son Traité du Désespoir est un genre de brûlot en la matière.





Kierkegaard était en outre un type qui s’y connaît en désespoir. Pour l’avoir bien expérimenté, il le stratifie et le décline sur trois niveaux. Premier stade : désespoir qui n’est pas conscient de lui-même (c’est à cause des autres que je ne vais pas) ; deuxième stade : désespoir qui ne veut pas être lui-même (c’est à cause de moi que je ne vais pas) ; troisième stade : désespoir qui veut être lui-même (si seulement ça allait mieux grâce à moi). En termes jungiens on dirait qu’on vise à l’intégration de l’ombre. Je dirais d’ailleurs que Jung est plus intéressant à lire que ce vieux traité écrit en langage obsolète mais ça, les goûts et les couleurs…





Reconnaissons au moins que Kierkegaard a bien œuvré à son époque pour dépasser l’opposition entre l’âme et le corps en insistant sur le mouvement dialectique de la connaissance de soi. Kiekergaard creuse un problème qui trouve actuellement toute son ampleur dans les questions de quantique et tintouin : qui est connu le premier ? le rapport ou le sujet rapporté ? On pencherait pour la première solution, sauf à se demander qui connaît le rapport, et c’est ici qu’intervient la religion chrétienne. Jusqu’à la fin du livre, son rapprochement avec le désespoir convainc peu et pourtant, on se laisse doucement lénifier par cette jolie petite idée selon laquelle, dans la religion, c’est le refus du Christ qui draine le christianisme alors que dans l’âme, c’est le refus de soi sublimé qui lui permet de se déployer dans toute sa magnificence.

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La Reprise

J'ai lu plein de textes sur « La Reprise » et j'ai entendu plein de mecs parler de ce bouquin avant de le lire, si bien que le moment de la véritable confrontation fut anecdotique : je lus le livre comme un médiocre résumé des analyses auparavant farcies, l'histoire d'amour entre le narrateur et Régine ne réussissant guère à émouvoir les quelques corpuscules de Krause encore rattachés à mon cerveau.





Je vous confirme donc mon pressentiment : si vous avez tout compris du concept de la Reprise avant même d'avoir lu le livre, si vous l'avez compris parce que vous l'avez singulièrement éprouvé, ne perdez pas votre temps à lire cet essai narratif ; à la limite, écrivez votre propre version de la reprise et gardez-la pour vous, cela vaudra mieux pour tout le monde.





Si vous n'avez pas encore été confronté à ce concept, je vais essayer de le résumer brièvement pour vous éviter de perdre du temps (il y a beaucoup de livres à lire et vous n'aurez jamais le temps de tous les ingérer, ne l'oubliez jamais) :

- Lorsque vous draguez un être humain parce que celui avec lequel vous êtes actuellement commence à vous lasser (parce qu'en fait c'est de vous dont vous êtes en train de vous lasser, même si vous ne voulez pas le reconnaître), puis que vous réalisez que ce nouvel être humain est aussi insignifiant pour vous que celui dont vous souhaitiez vous évader, vous commettez une REPETITION. Dans l'Autre, vous retrouvez le Même. Vous vivez au stade esthétique : c'est la relation qui vous émeut et non pas l'être humain.

- Si vous vivez au stade éthique, vous avez consenti à épouser l'autre humain avec lequel vous avez lié des contrats moraux, sociaux, professionnels voire familiaux, malgré toute l'indifférence que vous éprouvez désormais (voire déjà avant) pour lui. Vous faites acte d'abnégation pour des principes que vous imaginez supérieurs, mais qui n'en sont pas, si on se met à l'échelle de l'univers. Et l'univers a toujours raison.

- Si vous lâchez toute cette merde sentimentale et si, à l'instar de Kierkegaard, vous consentez à ne plus jamais vous engager dans une histoire sentimentale médiocre avec un autre humain, vous effectuez alors le saut quantique qui vous transportera dans le stade religieux. Vous aimez à nouveau, mais vraiment. Dans l'Autre, vous quittez le Même et découvrez le véritablement Autre.





Le dernier stade est celui qui sera vanté tout au long de ce livre. Pas étonnant puisqu'on se souviendra que Kierkegaard, bousillant son engagement avec la Régine dont il avait toujours rêvé, s'est retrouvé merdiquement seul, pensant peut-être que sa dulcinée pleurerait son amour toute sa vie et se suiciderait –mais non, elle s'est simplement remariée. Il faut bien croire en l'amour d'un Dieu ou d'un idéal supérieur tout différent pour s'en remettre.





Il n'empêche, ce concept de REPRISE n'est pas à jeter et peut servir de base de réflexion qui vous éloignera des autoroutes habituelles. En effet, et c'est ici la conclusion à laquelle je voulais aboutir : rien ne sert de prendre la fuite pour reproduire votre schéma d'errance de prédilection si vous n'avez pas appris à déceler le mécanisme qui plante à chaque fois au fond de votre cerveau pourri.


Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Miettes philosophiques

Kierkegaard prend le pain du système, serre son poing et des phalanges broie la grosse croûte bien sèche. Il ouvre la main et répand ses miettes philosophiques à terre. Il en fait plusieurs petits tas : ce sont des pensées éparpillées qu’il goûte les unes après les autres, sans préférence. Sa thèse : ne pas en avoir. Son opinion : c’est qu’elle n’en est pas une. Au moins un qui ne nous prendra pas trop la tête avec son orgueil.





Il en résulte un drôle de mouvement de bascule qui passe du plus sérieux à la dérision. Chaque chapitre signant le moment d’intéressement autour d’une idée se termine par la même rengaine ; l’idée, exposée avec rigueur et précision philosophiques, ne provient en fait de nulle part ou de si loin qu’on en oublie ses précédents. Passée en un instant, elle fut saisie, bien vite jetée aux ordures en riant après s’être laissée embrasser du regard. « […] Me servant de l’arbitraire illimité d’une hypothèse, j’ai supposé que le tout n’était qu’une idée burlesque de mon cru, que je n’ai pourtant pas voulu abandonner avant de l’avoir examinée à fond ».





Kierkegaard reprend la méthode socratique pour s’inscrire dans sa continuité. Il souligne son admiration pour ce maître qui ne voulait pas en être un et qui affirmait que si le disciple sortait de sa non-vérité, le mérite n’en revenait qu’à lui-même. Le maître n’était ainsi qu’un dispensateur de condition, permettant au disciple de retrouver la mémoire, preuve rétrograde de la préexistence de l’âme. Ici, Kierkegaard fait un peu la gueule car il considère que ce n’est pas la mémoire qui est importante mais l’instant. Alors que tout le pathos de la pensée grecque se concentre sur le souvenir, lui se concentre sur l’instant, moment de la conversion, passage du non-être à l’existence. Il inaugure ainsi une pensée qui propose l’essentiel sous une forme paradoxale : là où l’on pense qu’il n’y a rien, c’est là où se trouve le sujet.





« Aussitôt longtemps que je tiens [la preuve] (c’est-à-dire que je fournis ma démonstration), l’existence n’apparaît pas, ne serait-ce que parce que je suis en train de la prouver, mais, dès que je la lâche, l’existence est là. Mais cet acte de lâcher, il est pourtant bien aussi quelque chose, oui, il est meine Zuthat [mon ingrédient] ».





Aussi longtemps que Kierkegaard ne lâche pas sa pensée, il ne pense pas, et nous non plus. Mais dès qu’il la lâche, la voici qui apparaît. Dès que nous refermons son livre et que nous cessons de penser avec des mots, notre propre ingrédient apparaît, plus souvent dense que futile. Ce n’est même pas le savoir, pas même la foi. Ainsi les yeux et les livres ne servent à rien car « le contemporain peut, malgré sa contemporanéité, être le non-contemporain ; le vrai contemporain ne l’est pas en vertu de l’immédiate contemporanéité, ergo le non-contemporain (au sens immédiat) doit aussi pouvoir être contemporain au moyen de ce que quelque chose d’autre par quoi le contemporain devient le vrai contemporain ». Tout se résume à savoir si l’on est dans le vrai ou non. Prémisses de la mauvaise foi : affirmer avoir fait son chemin alors que le chemin n’apparaît que dans l’instant, qui ne s’exprime pas.





Avec cette idée, Kierkegaard ramène toute la philosophie, de Platon à Hegel, à une position païenne embourbée dans une logique du savoir et de la réminiscence. Il réduit l’hérésie en affirmant que notre identité d’individu ne prendrait place que dans un après-coup. Ainsi, tout ce qui a vraiment de l’importance serait toujours déjà-arrivé.





Précisons quand même que la lecture se montre relativement emmerdante, à la manière de ce torchon.

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Le journal du séducteur

Un personnage complexe, voire très complexe.

Le livre est très bien écrit, le séducteur est l'un des plus bizarre qui soit.

Il séduit une femme comme si il voulait attraper une proie.

Puis dès qu'il l'a, il se détourne d'elle et s'en va. En essayant de recoller les morceau de la femme amoureuse qu'il a laissé derrière lui...

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Le concept de l'angoisse

À la lecture, je ne me rendais pas compte de l'intérêt que pouvait bien avoir ce livre. On s'endort en le lisant si l'on n'est pas bien réveillé. On a l'impression que Kierkegaard se répète constamment. C'est après coup et dans la réflexion que j'y ai trouvé un certain bénéfice. Voici ce que j'en ai tiré.



Dans le jardin d'Éden, Adam est tout ce qu'il y a de plus satisfait. Il respire la joie de vivre jusqu'à ce que Dieu lui ordonne : «Ne mange pas le fruit de l'arbre de la connaissance!» Dès lors, Adam n'est plus libre, puisqu'il y a maintenant une chose qu'il ne peut pas faire. Pour prouver qu'il est libre, il doit impérativement violer cette interdiction, cette loi. Cela en dépit des conséquences. L'angoisse vient de la connaissance de ce que nous devons faire pour prouver notre liberté, quand bien même cela doit nous anéantir. D'où l'idée que «l'angoisse est le vertige de la liberté». La liberté n'est pas un droit, mais un privilège pour celui qui sait se montrer digne d'elle.



Finalement, c'est un livre que je ne regrette pas d'avoir lu!
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Le journal du séducteur

« Le Journal du séducteur » n’est qu’une petite partie de « Ou bien… ou bien », livre de Kierkegaard beaucoup plus riche. C’est une des œuvres les plus ouvertement fictionnelles, littéraires, séductrices de ce penseur chrétien.

Johannes, l’auteur de ce journal, a entrepris de séduire une jeune fille nommée Cordélia. Si l’on peut dire que Johannes est tombé amoureux de Cordélia par hasard, spontanément, sans raison, il n’en est rien quant aux trésors d’ingéniosité qu’il va mettre en place pour séduire la jeune fille. C’est un calculateur, un fin psychologue, quelqu’un d’extrêmement réfléchi, sournois penseront certains, pas du tout pressé de parvenir à son but mais très sûr de lui. Le lecteur assiste à une véritable chasse, il voit Johannes poser tranquillement ses pièges. C’est comme une partie d’échec, où Johannes accepte de perdre des pièces importantes ou de laisser un apparent avantage à son adversaire, pour remporter la victoire finale.

Cette victoire recherchée et inéluctable est la jouissance de Cordélia, de son amour, de son abandon absolu et sans équivoque. Il ne se sent aucun devoir envers elle, il ne s’agit pas d’obtenir une jouissance contractuelle, mais de la piéger, de lui faire perdre la raison pour l’élever aux plus hautes sphères de l’amour. Et en ceci, il y a un véritable aspect pédagogique dans sa méthode de séduction, il cherche à l’élever, au sens le plus noble du terme, il la veut entière, libre, épanouie, transformée, véritablement femme, éveillée à l’éros. « Il faut qu’elle ne me doive rien, il faut qu’elle soit libre. Il n’y a d’amour, il n’y a de passe-temps et d’éternel amusement que dans la liberté. Et si mon dessein est de la faire tomber dans mes bras comme par une nécessité naturelle, si je m’efforce de la faire graviter vers moi, il m’importe aussi qu’elle ne vienne pas comme une masse pesante, mais comme un esprit gravitant vers un esprit. Elle doit m’appartenir, certes, mais sans disgrâce, sans peser sur moi comme un fardeau. Elle ne doit m’être ni une contrainte physique, ni une obligation morale. Entre nous, il ne doit y avoir d’autre jeu que celui de la liberté. Elle doit m’être assez légère pour que je la porte sur mon bras. »

C’est un excellent livre, avec de beaux passages littéraires, qui sous son thème léger du badinage, pose des questions insidieuses sur la liberté, la conscience et bien sûr l’amour, et qui prend une toute autre ampleur si on le comprend dans l’ensemble de l’œuvre de Kierkegaard.
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Le journal du séducteur

Ce séducteur est en réalité un personnage philosophique, une métaphore existentielle : il incarne l’esthétique, l’un des trois stades de l’existence dans la philosophie de Kierkegaard. L’esthète est une catégorie qui renvoie à l’individu vivant au jour le jour, dans l’instant (l’instant n’est pas le présent chez Kierkegaard, l’instant est en dehors de la temporalité), manipulateur et maître de l’ironie.
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Erotisme



Erotisme / Søren Kierkegaard

Il fut un temps où les femmes étaient littéralement considérées comme des objets avant tout, et cette anthologie regroupant des extraits des ouvrages concernant la séduction, écrit par le philosophe danois Søren Kierkegaard (1813-1855), en est une illustration.

Extraits du « Journal du séducteur », de « l'Alternative », et de « In vino veritas », trois ouvrages célèbres de l'auteur, ces textes ont vocation à nous apprendre à savoir apprécier l' « l'objet » à sa juste valeur et surtout s'il vaut la peine de se retourner. « L'essentiel est de savoir déceler ce qu'une femme peut donner et ce que par la suite, elle demande » : tout est là dans l'art de la séduction. Et comme Don Juan, savoir ne pas s'attacher ! Chaque femme doit être un chapitre nouveau du grand livre amoureux dont il faut au plus vite tourner les pages. Et surtout, ne pas oublier que l'on ne jouit point tant de l'objet que l'on en diffère la consommation ! « Amener une jeune fille à voir dans l'abandon total l'unique tâche de sa liberté » ajoute Kierkegaard.

« Quand une jeune fille a tout donné, elle a tout perdu. » Telle est la sombre conclusion du « Journal du séducteur ». Après avoir relu Platon, Kierkegaard en déduisait que pour lui, « L'homme aspire au ciel, la femme lui offre l'enfer » !

Dans son Journal, l'auteur note : « On pourrait appeler la femme « l'appétit joyeux de vivre » ! » Belle formule. Et plus loin : « le premier baiser, quelle suprême volupté ! Quel doux enchantement… ! »

Un intéressant chapitre sur la théorie du baiser, sujet du reste très rarement abordé par les philosophes et écrivains, déplore la pauvreté du vocabulaire pour rendre compte des différentes variétés de baisers. Mais en somme, rien ne vaut le premier baiser qu'aucun qualificatif ne peut définir dans son unicité.

Chemin faisant, on découvre que l'auteur tempère heureusement et à bon escient ses critiques pour retenir que la femme a plus de bon sens et plus de coeur que l'homme.

Une phrase qui demande réflexion pour la bien comprendre et je pense qu'il y aurait matière à développer : « Une jeune fille qui veut plaire en se rendant intéressante plaît surtout à elle-même : elle est l'objection de l'esthétique à toute espèce de coquetterie. »

Doit-on croire comme Kierkegaard que la femme sera toujours la perdition de l'homme dès qu'il contracte avec elle des rapports durables ou encore qu'il n'est beau d'aimer que le temps des obstacles, une fois ce temps révolu, l'amour n'étant plus qu'habitude et faiblesse ? « le mariage n'est pas une chose simple : il offre la plus grande équivoque en sa complexité. » Et l'auteur de développer avec humour ce chapitre crucial !

Vient un chapitre consacré au charme de la femme dans sa diversité et sa beauté, atouts que l'on reconnaîtra, lui octroyant tous les avantages dans la séduction : « sourire joyeux, regard espiègle ou provocant, tête penchée, humeur badine ou doucement résignée, mélancolie symptomatique, nostalgie terrestre, sourcils enjôleurs, lèvres questionneuses, cils dissimulateurs, front plein de mystère, boucles enchanteresses, fierté céleste, pudeur terrestre, pureté angélique, rougeur timide, marche légère, port gracieux, attitude alanguie, soupirs sans cause, taille svelte, formes délicates, gorge opulente, hanches épanouies, pied menu, main ravissante. »

Tous les titres de chapitre sont suscitent notre curiosité : Amant, époux, amoureux, appétit de vivre, art de vivre, le baiser, bagatelle, bavardage amoureux, condition féminine, coquetterie, cruauté féminine, dame de compagnie, danger du mariage, devenir séducteur, divertissement, Don Juan, mariage, expérience amoureuse, femme esclave, femme et magasin, femme et réflexion, fiançailles, fidélité, galanterie, harem, jeune fille, muse, mystère, premier amour, ruse féminine ( en matière de ruse pour séduire, la femme est le sexe fort !), serment, stratégie amoureuse, supériorité féminine, mode (définition : « la mode est l'inconstance dans le non-sens, dont la seule conséquence est d'aller de folie en extravagance… Vous croyez peut-être que la femme désire être à la mode à de certains moments seulement ? Loin de là : constamment : elle n'a pas d'autre pensée. »)

95 pages souvent cruelles ( !) mais pas toujours, pour vous faire une idée avant de vous engager !

Conclusions de l'auteur :

« Plutôt bien pendu que mal marié ! »

« Il y a un séducteur pour toute femme. Son bonheur est de le trouver. »

Et je me souviens que le poète Aragon, repris par le chanteur Jean Ferrat, écrivait que « la femme est l'avenir de l'homme ! ! » À vous de juger !

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La Reprise

Livre qui avec Craintes et tremblements analyse un événement important de la vie de Kierkegaard : la rupture de ses fiançailles avec sa compagne Régine Olsen. En effet, Kierkegaard entretenant une relation suivie avec Madame Olsen, préparant le mariage, étant en fiançailles depuis quelques temps déjà, décide d'un coup subitement de rompre les fiançailles et du coup de rompre tout court.

Episode mièvre dirons-nous bien loin de la philosophie.



Pourtant cet événement sera fertile pour le philosophe danois. Dans craintes et tremblements Kierkegaard interroge la notion de choix, et celle de dilemme lors de situations qu'on ne contrôle pas et s'appuie sur l'épisode d'Abraham et du bûcher pour l'illustrer. C'est une manière d'expliquer à Régine les raisons de son choix et de son tourment.



Dans la Reprise, qui cette fois-ci se sert d'une trame fictive, Kierkegaard veut exposer d'une autre manière la notion de décision et ainsi exprimer ses regrets à Régine. Malheureusement cela ne suffira pas, elle se mariera avec un autre tout en continuant à aimer le "philosophe maudit".



La fiction relate l'histoire d'un homme éperdument amoureux d'une femme, un poète qui s'en va trouver conseil auprès d'un philosophe qui va devenir son mentor pour la conduite de ses problèmes.

Le dilemme se résume à la problématique suivante : le poète n'est inspiré que lorsqu'il est seul, doit il sacrifier sa bien aimée pour exercer son art ou sacrifier son art pour sa bien aimée" ?



On retrouve là le dilemme de Kierkegaard pour la rupture de ses fiançailles. Tout le propos philosophique consistera à se demander quelle décision prendre et si décision il y a comment être sur qu'elle est bonne.



Reprise ou Répétition



éternel débat de la philosophie française. Le titre original est Gjentagelsen. Au sens littéral il peut se traduire exactement des deux manières et donc il conviendra d'utiliser le sens que la philosophie de Kierkegaard lui apporte.

Actuellement le terme de répétition est préféré grâce au lobbying sérieux de Hélène Politis. Cependant les traductions les plus fidèles ou les plus reconnues celle de Nelly Viallaneix chez GF-Flammarion ainsi que celle plus ancienne de Tissot conservent et mettent en avant ce terme de Reprise.



La répétition est par définition une action ou un événement qui sans cesse existe ou agit de la même manière en renouvelant son action ou son existence. C'est la réitération d'une même action ou le retour d'un même fait, de façon constante et sans évolution.



La reprise est le fait de recommencer une action ou un événement en se succédant à une même action ou à un même événement mais en ayant l'expérience de ceux qui précèdent. Par exemple, j'ai travaillé tout le lundi, le mardi je ferai la même chose mais en ayant conscience du lundi.



Dans le second concept il y a deux notions qui sont essentielles :

- la temporalité

- la conscience de la succession.



Or quand Kierkegaard utilise le terme de Gjentagelsen, il l'utilise dans des exemples où l'homme fait consciemment la même expérience afin de savoir s'il décide la même chose à chaque fois. Mais également s'il ressent les mêmes émotions, s'il considère et perçoit la situation de la même façon etc.



Ce n'est donc pas une répétition qui se rapprocherait d'une conception plus platonicienne. Il y a bien une volonté de savoir, et de prendre conscience des choses en répétant une situation en effet mais plutôt en la reprenant avec le savoir acquis par la précédente tentative.



c'est pour cette raison que le terme de reprise me semble à moi aussi plus adéquate.



Du reste, c'est à mon sens la meilleure oeuvre de Kierkegaard. C'est la plus instructive sur soi car il y a une part de psychologie assez intéressante mais c'est également une excellente introduction à la façon de démontrer du philosophe.

Elle a l'avantage d'être assez courte, d'être bien écrite car narrée au travers d'une fiction et de demeurer très actuelle.



Un livre qui m'a énormément été utile dans ma vie. Et un chef d'oeuvre de la philosophie.
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Miettes philosophiques

Kierkegaard reprend une thématique que l'on retrouve dans bon nombre de dialogues platoniciens en une unique problématique : la vérité peut elle s'apprendre ?



En effet que ce soit dans le Théétète, le Ménon ou même le Gorgias, Platon se demandait si la vérité était une connaissance dont on devait se ressouvenir ou que l'on apprenait par acquisition. On le note précisément grâce à la théorie de la réminiscence si cher au fondateur de l'Académie.

Kierkegaard se base précisément sur la pensée platonicienne pour s'y opposer.



Pour Platon et Socrate dans le dialogue, le maître est celui qui va servir à révéler une vérité déjà sue mais inconsciente au disciple. Il passe de maître à accident déclencheur du savoir.

Pour Kierkegaard, il faut voir le maître comme celui qui transmet un savoir que le disciple ignore réellement car il ne peut chercher ce qu'il sait déjà, et ne peut savoir qu'il faut chercher quelque chose s'il ignore qu'il ne le sait pas.

A l'image du Christ, le maître est celui qui montre au disciple ce qu'il ignore et l'expérience qu'il faut vivre pour apprendre et comprendre.



Dans la conception socratique, la vérité est figée, éternelle, tandis que celle de Kierkegaard est évolutive, se transmet.



C'est un pas important pour la philosophie car davantage que la vérité était holistique chez les Grecs elle est individualiste et constitue l'existence même de l'individu, son rapport au monde, sa place, son essence.



A vous de lire pour en savoir plus Smile .



Le style est sublime, il existe une portée artistique en plus d'une importance philosophique. Simple et accessible Kierkegaard n'en demeure pas moins érudit et le montre par l'utilisation du grec antique dans le texte et quelques références savamment choisies.

Il demeure une fluidité incontestable et on ressent que le philosophe est aussi un homme de lettres.

Une oeuvre importante pour une philosophie indispensable.
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Traité du désespoir

Etrange expérience que la lecture d’une théorie avec laquelle on est presque en totale opposition. Cette longue diatribe sur la conscience de l’infini en l’homme, sur le péché et le désespoir qui en découle est pour moi un charabia fort désagréable car tout est sous-tendu par la foi au Christ, dont Kierkegaard souligne sans doute avec justesse les conséquences ignobles, cette culpabilisation constante de l’individu devant papa Dieu qui, et c’est le scandale (tournure dont l’auteur use et abuse), sans que l’homme ne puisse rien y comprendre, parce que, jolie formule, le christianisme est « l’invention de la démence d’un dieu », tout à coup, sans que bébé homme, pécheur et continuant de pécher, ce qui est un péché de plus, le vrai péché, papa Dieu donc, qui, ne cherchons pas à le comprendre parce qu’on doit croire, point barre, soudain, parce qu’il est Dieu, mais ne cherchons surtout pas à le comprendre, pauvre mecs déprimés que nous sommes, même pas conscients de notre propre désespoir qui est de vouloir être soi et de ne pas vouloir l’être, papa Dieu donc, et c’est le scandale, prend sa baguette magique et remet nos péchés.



Ce qui néanmoins émerge de ce fatras de sottises, c’est l’affirmation fondamentale de la supériorité de l’individu sur la foule et de l’expérience individuelle sur le concept. Il n’y a pas de concept du péché. Il n’y a que des individus qui, chacun à sa façon, pèchent parce qu’il n’ont pas la foi, comme moi. Kierkegaard, prenons-en note, me relègue, parce que je ne suis pas conscient de la vérité (existe-t-il un mot plus vulgaire ?), de la nature infinie de mon moi, de ma soumission totale à la volonté supérieure de mon créateur et du fait que je désespère parce que je pèche en ne voulant pas être moi et en voulant l’être, quasiment dans l’animalité, ce qui, soit dit en passant, ne m’est pas si désagréable que ça puisque ça me libère de la soumission à la doctrine désespérante du christianisme moralisateur qui me bassine avec la notion d’esprit que je n’ai jamais pu comprendre, trop conscient (c’est-à-dire, selon Kierkegaard, inconscient, parce qu’il renverse totalement la logique qui est la mienne) de n’être qu’un agencement saugrenu de la matière, un amas d’os, de muscles (peu volumineux) et de nerfs qui ne saurait en aucun cas sentir, quand il voit les cadavres pourrir dans leurs tombeaux, en une éternité du moi, incarnant le stade le plus inconscient du désespoir, celui qui, parce qu’elle est un scandale, consiste à fuir la réalité visible pour, illusoirement, croire en des chimères comme l’esprit, Dieu, la rémission des péchés et la vie éternelle.



Mon désespoir à moi est sans rémission parce qu’il est conscience de l’éphémère et de la mort et s’interdit de penser, car ce serait un déni de la réalité, une transcendance. Vivre comme si Dieu existait, voilà peut-être le péché, car c’est ne pas vouloir être soi, etc. Ici je crois que je pourrais reprendre le traité de Kierkegaard en entier mais en le renversant afin qu’il signifie son contraire. Finalement je ne suis pas en opposition avec le Traité du désespoir. Je pense juste que les choses justes qu’il énonce, et elle sont assez nombreuses, ne sont justes que dans la mesure où l’on rejette le fondement même de ce qui pousse leur auteur à les énoncer, la foi, qui n’est pas le contraire du péché mais sa manifestation inconsciente.

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Traité du désespoir

Nous sommes tous désespérés ! Ou presque. Ce serait presque désespérant s’il n’y avait pas de « presque ». Un « presque » qui est l’espoir ! Un espoir qui, dans ce livre chrétien et didactique, est l’exact synonyme d’avoir la foi.

Nous sommes tous désespérés, c’est le premier enseignement de ce livre et, malheureusement, il ne suffit pas de clamer haut et fort sa joie de vivre pour prouver le contraire. Ce pourrait même être l’une des plus manifestes démonstrations du désespoir en puissance. Kierkegaard dit qu’avoir la foi c’est abandonner volontairement toute raison (mais qui n’a jamais cru qu’avoir la foi c’était savoir ou raisonner?). La foi n’a besoin d’aucune justification : « Aussi est-il vrai et certain que celui qui, le premier, s’est avisé de défendre le christianisme dans la chrétienté est de facto un Judas numéro deux ; lui aussi trahit par un baiser, sauf que sa trahison est celle de la sottise. Défendre une chose, c’est toujours la discréditer […] Et les choses chrétiennes ? Celui qui prend leur défense n’y a jamais cru. S’il croit, l’enthousiasme de la foi n’est pas une défense, mais l’attaque et la victoire ; car le croyant est un vainqueur. » Ou dans une analogie à l’amour : « N’est-il pas clair qu’un amant authentique ne s’aviserait jamais de prouver ou de défendre son amour par trois raisons ; car il aime, et l’amour est au-dessus de toutes les raisons et de toutes les apologies ; et qui se livre à ces démonstrations n’est pas un amant : il se donne simplement pour tel et par malheur – ou par bonheur – il est tellement sot qu’il dénonce simplement qu’il n’est pas un amant. » Avoir la foi c’est également tuer toute possibilité de désespoir en soi. Mais le désespoir est une maladie du moi, elle lui est attachée, une maladie à la mort. Et dans la première partie il démontre que l’intensité du désespoir croît avec la conscience du moi. Il décrit différents caractères-types de désespérés qui ne sont pas sans rappeler certains de ses anciens pseudonymes.

Dans la seconde partie, il dit aussi que le désespoir est le péché, tous les autres en résulte, et « le péché consiste, une fois que l’on a été instruit de sa nature par une révélation reçue de Dieu, et se trouvant devant Dieu dans l’état du désespoir, à ne pas vouloir être soi, ou, se trouvant dans l’état de désespoir, à vouloir l’être. » Quand sa définition de la foi (l’état contraire du péché) est : « le moi, étant lui-même et voulant l’être, devient transparent et se fonde en la puissance qui l’a posé. » Vouloir être ou être désespéré devant Dieu est impardonnable. C’est impardonnable et même logiquement inenvisageable, comme le suggère la première formule de Kierkegaard ; autant dire, c’est croire en Dieu sans avoir la foi ; mais les hommes sont libres d’être illogiques. Kierkegaard est beaucoup plus indulgent face aux fautes commises par inconscience. Comme une grande conscience de son moi n’est de toute évidence pas la chose la mieux partagée au monde et que par conséquent assez peu de volontés libres s’exercent dans le monde, il est difficile d’imputer une responsabilité à des désespérés qui s’ignorent. Non, le véritable péché c’est toujours le désespoir mais un désespoir conscient devant Dieu, comme un défi : Désespérer de son désespoir c’est refuser la grâce de Dieu, son pardon.

Les dernières pages sont un véritable plaidoyer en faveur de l’individu dans la chrétienté. Aussi, bien que ce livre soit centré sur le péché, il n’est nullement question pour Kierkegaard de donner des leçons aux pécheurs - puisque cela ne regarde que la conscience de chacun -, mais plutôt de donner un témoignage, un résultat, de sa très riche vie intérieure.
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Le journal du séducteur

Etrange, irritant à certains moments, poétique à d'autres...; et finalement: séduisant!



Etrange: un mélange d'amour, et de "professionalisme " de séducteur fier de son expérience et de son infaillibilité



Irritant, la débauche de techniques pour séduire Cordélia drappée dans un vocabulaire amoureux qui perd tout son romantisme quand Joahnnes nous décrit sans fard ni regret sa fonction utilitaire dans les différentes étapes de la séduction. Il est vrai que ce livre avait pour objet de montrer à sa fiancée la vrie nature de l'auteur, ou du moins de provoquer une réaction de recul.

Mal à l'aise en imaginant Cornélia "vaincue" par certaines lettres de Johannes qui paraissent plusieurs fois faire honte à l'intelligence de sa destinatrice : faut il y avoir une, ironie seconde?



Poétique, par exemple la page (179) consacrée à la petite pêcheuse et sa contemplation gratuite: "adieu ma belle pecheuse, adieu, merci pour ta faveur, ce fut un état d'âme, non pas assez fort pour me faire quitter ma place stable sur la balustrade, mais riche cependant d'émotion intérieure".

Et romantique quand il apprend son nom: "Cordelia ! Quel nom vraiment merveilleux". Personne à tromper , pas de ruse à préparer à ce moment. D'ailleurs, quelques lignes plus loin: "le mystére dont j'entoure presque cette affaire est en tre autres une preuve que je suis réellement amoureux".



Et finalement: livre d'un technicien de la séduction, ou livre d'un amoureux fou torturé par le remord quant aux moyens utilisés pour faire valoir son amour?



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Étapes sur la chemin de la vie

Trois stades sur le chemin de la vie. Un stade esthétique et un stade éthique, comme dans « Ou bien… Ou bien », auxquels s’ajoute un stade religieux, qui dans un esprit dialectique et ironique est une synthèse.

Le livre consacré au stade esthétique est intitulé « In vino veritas » et c’est une parodie éthylique du « Banquet » de Platon. Cinq amis (d’anciens pseudonymes de Kierkegaard) organisent un symposium où chacun fait un discours sur l’amour, ou plus précisément sur les femmes. Entre jeune puceau, plaisantin cynique, célibataire endurci, amants amers, les quatre premiers discours rivalisent de misogynie et sont dans le registre du comique, sans qu’on sache exactement de qui se moque le plus Kierkegaard. Sur ce, arrive le tour de Johannes le séducteur de « Ou bien… ou bien », qui, tel un Socrate imperméable à l’ivresse, fait un véritable éloge de la femme, à sa manière : « Pour moi, la femme a un grand prix. J’en assure chacune, et dis la vérité, une vérité dont je suis le seul à ne pas être dupe. »

Dans « Divers propos sur le mariage » on retrouve l’éthicien de « Ou bien…. Ou bien » qui précise sa pensée sur l’amour et le mariage.

Le dernier stade, religieux, qui était à peine esquissé dans « Ou bien… Ou bien » est ici la partie la plus importante. Mélancolique comme un roman romantique et compliqué comme de la philosophie systématique. « Coupable ? Non coupable ? » Telle est la question et le titre de cette partie, « Une histoire de la souffrance » le sous-titre. Frater Taciturnus (sans doute le pseudonyme le plus éloquent de Kierkegaard) en est l’éditeur. Il prétend avoir pêché, arraché, le coffre contenant le manuscrit au fond d’un lac. C’est un journal en deux mouvements : « Sa forme exprime la duplicité. Le matin, le héros se rappelle la réalité [celle de l’année précédente] ; la nuit, il s’occupe de la même histoire, mais imprégnée de sa propre idéalité. » Il s’agit d’une histoire d’amour malheureuse où le héros cherche par tous les moyens à se séparer d’une jeune fille qui manque d’esprit religieux. Une rupture organisée, réfléchie et effectuée par pure sympathie et donc en essayant de lui faire le moins de mal possible. Un échec comique et pathétique, comme le note Frater Taciturnus - qui se révèle dans une lettre en postface être le véritable auteur de cette fiction, de cette « expérience psychologique » ; une longue lettre qui est en fait une critique philosophique du Journal, très extérieure et détachée. Ce Journal pourrait être l’exact opposé du « Journal du séducteur », la face sombre, celle où le héros ne cherche pas à s’attacher une jeune fille mais à s’en défaire. Pourtant ces deux opposés sont très semblables dans leur comportement calculateur, bien que l’un soit d’une confiance en soi inébranlable, alors que l’autre est rongé par les remords.
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Traité du désespoir

Que sommes nous tous, si ce n'est de profonds désespérés? Désespérés car constamment en recherche de ce moi qui ne s'offre jamais à notre existence et à notre conscience. Voilà ce que démontre non sans talent Kierkegaard. Certains tenteront, tout en se voilant la face, de devenir quelqu'un d'autre, d'obtenir un autre "moi" en tout point banal car calqué sur un modèle de sociabilité, le réel étant insaisissable... D'autres au contraire prendront conscience de l'échec que constitue cette recherche du moi et, bien que restant des désespérés, ils mèneront une vie bien moins mensongère et illusoire que ces premiers. Un livre génial qui mène à une réflexion crucial sur ce qu'est l'homme en général, mais surtout un réflexion qui permet de mieux saisir le mal-être qui continue d'entourer notre existence. Car nous aurons beau dire, en chacun de nous sommeil ce moi insaisissable qui jamais ne se laisse saisir...
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