Citations de Sylvain Tesson (7559)
Le loup
Des loups hurlèrent, loin, vers le couchant, par-delà le col.
_ Ils chantent préféra dire Munier, ils sont au moins huit.
Comment pouvait-il le savoir ? Je n'entendais qu'un même lamento. Munier poussa un hurlement. Au bout de dix minutes, un loup répondit. S'établit alors ce que je garde comme une des plus belles conversations tenues par deux êtres vivants certains de ne jamais fraterniser. "Pourquoi nous sommes-nous séparés ?" disait Munier. "Que me veux-tu? " disait le loup.
Munier chantait. Un loup répondait. Munier se taisait, le loup reprenait. Et soudain l'un d'eux apparut sur le col le plus haut. Munier chanta une dernière fois et le loup galopa dans le versant vers notre position. Farci de lecture médiévale - fables du Gévaudan et romans arthuriens -, je ne trouvais pas du tout agréable la vision d'un loup fonçant vers moi. Je me rassurais en regardant Munier. Il avait l'air aussi inquiet qu'une hôtesse d'Air France dans les turbulences.
_ Il va s'arrêter d'un coup devant nous, murmura-t-il juste avant que le loup ne se fige à cinquante mètres.
Il prit la tangente, et nous coiffa par un long cheminement, trottant à niveau, la tête tournée vers nous rendant les yacks fébriles.
Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu'un à qui l'expliquer.
p160
Les nuits dehors, pour peu qu'on les chérisse et les espère, lorsqu'elles couronnent les journées de mouvement, sont à accrocher au tableau des conquêtes. Elles délivrent du couvercle, elles dilatent les rêves.
Neige. Je marche sur le lac et tends le visage, la bouche ouverte. Je bois les flocons à la mamelle du ciel.
Les aphorismes sont les gravats de la pensée. Je ne peux pas m'empêcher d'en formuler.
L’Île au trésor, c’est l’esprit d’enfance qui devient un roman.,
(La grande librairie, 9 octobre 2019)
Fidèle à l'image de l'impassibilité, saint Augustin prêchait que le bonheur était de «désirer ce que l'on possède déjà» ...
Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence, toutes choses dont manqueront les générations futures ?
Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.
Pas un seul visiteur du matin ne regarde la ville autrement qu'à travers son appareil. La vie est un Photomaton. La mémoire des hommes serait-elle devenue à ce point défaillante qu'il faille archiver chaque instant ? Ainsi des voyages modernes: on traverse le monde pour prendre une photo. Il n'y aura plus de récits de voyage, seulement des cartes postales. (...)
Qu'a fait de mal le monde pour qu'on tire des écrans sur lui ? Seuls les enfants, les vieillards et les oiseaux regardent la vue de leurs pleins yeux. Ce sont les derniers êtres à qui il restera des souvenirs. (p. 72)
On dispose de tout ce qu'il faut lorsqu'on organisé sa vie autour de l'idée de ne rien posséder.
L'alpiniste est l'homme en fuite. Il brûle pour le sommet. Aussitôt parvenu il se jette dans la descente. En bas, il rêve de remonter.
Les baleines sont les derniers poètes, elles sautent parce qu'elles sautent. Elles sautent. Elles sautent avec des raisons que nous ne saurons pas. Elles sautent sans raison. Mais nous autres, humains, sommes des comptables mesquins et nous voulons que tout effet possède une cause. (p. 92)
En Angleterre, le soleil est Dieu. On ne le voit pas, il faut y croire. Il ne vient pas, on l'espère. Le voilà, on est déjà parti.
Pendant cinq années, j'ai rêvé à cette vie. Aujourd'hui, je la goûte comme un accomplissement ordinaire. Nos rêves se réalisent mais ne sont que des bulles de savon explosant dans l'inéluctable.
P97
Je me réveillai au pied d'un pin, gonflé d'une excitation nouvelle. L'arbre fait-il percoler un peu de sa force dans l'organisme de celui qui dort à son pied ? Après tout, on gagnait à rester dans le voisinage de certains êtres. Peut-être en allait-il de même avec les arbres ?
Dans tous les massifs du monde le col constituait d'abord une herse, le pic une tour de guet, la crête un rempart.
La guérison, c'est quand les démons reviennent. C'est les démons qui sont guéris quand il y a une rémission physique. La médecine sert à ça, en fait, à vous réinstaller dans vos mauvais penchants.
Interview à La Grande Librairie du 14/12/2017 sur France 5.
Piotr avait un chien pour ne pas être seul, un fusil pour ne pas avoir faim, une hache pour ne pas avoir froid. Ce jour-là, il caressa le premier, graissa le second, aiguisa le troisième. La vie n’est pas compliquée quand on a tiré le rideau de la forêt sur toute ambition.
Il s’envoyait un whisky brun au bon fumet de joie en cendre. Cela le changeait de la vodka. Elle a le goût de la mort. Le whisky a le goût du cercueil.
Des fleurs s'abreuvaient aux margelles. Des sous-bois vert tendre faisaient des berceaux de fées dans les renfoncements du relief. Des tapis de jonquilles duraient le socle des rochers. L'herbe avait des airs de moquette très Agatha Christie. Il ne faut pas en vouloir aux vieilles dames anglaises. Ici, même la nature fait de la décoration intérieure.