Sylvie Germain

Mais cette histoire échappe à tout récit, c’est un précipité de vie dans le réel si condensé que tous les mots se brisent à son contact. Et même si on trouvait des mots assez drus pour résister, le récit, venu en temps décalé, passerait pour une fiction insensée.

Il était une fois… : corpus d’une mémoire plus profonde et aiguë que celle de l’Histoire ; semence du réel qui au matin oublie cet ensemencement pour n’en retenir que les traces visibles, palpables.

L’imaginaire est l’amant nocturne de la réalité.

Magnus a l’impression d’avoir été introduit subrepticement dans un conte. Un conte désuet intercalé par inadvertance dans le roman décousu de sa vie. C’était charmant, mais il pense qu’il aurait préféré être invité dans une tout autre histoire, il a passé l’âge des contes.

On ne liquide pas d’un coup sa honte et ses remords.

Rien n’est renié ni effacé, mais ils savent qu’il est vain de vouloir tout raconter, qu’on ne peut pas partager avec un autre, aussi intime soit-il, ce que l’on a vécu sans lui, hors de lui, qu’il s’agisse d’un amour ou d’une haine. Ce qu’ils partagent, c’est le présent, et leurs passés respectifs se décantent en silence à l’ombre radieuse de ce présent.

Toute religion n’était à ses yeux que broderies et fioritures, plus ou moins frustes ou raffinées, arrangées autour de ce vide pour en masquer la nauséeuse énormité. La terre, l’ensemble de l’univers, la vie humaine n’étaient que les fruits d’un hasard extravagant. Des fruits splendides autant que vénéneux.

Leur mariage est un contrat qui satisfait chacun depuis le premier jour. Un contrat tout en souplesse, fondé sur le respect et la tendresse, fortifié au fil des années par une profonde complicité.

Écrire, c’est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au cœur des mots.

L’imagination et l’intuition sont requises pour aider à dénouer les énigmes.

À partir de la racine d’un mot, on peut rayonner à travers une constellation de vocables et de sens.

Le cancérologue, sobre comme un employer des pompes funèbres, mais beaucoup mieux payé.

Ordonnance : Sport d'inspiration égyptienne, pratiqué par l'ensemble des médecins, et consistant à remplir une page blanche de prescriptions hiéroglyphiques.

Le médecin est un champion. Le laboratoire est son sponsor.

Interne : Véritable "Canada Dry" de la médecine hospitalière

Ainsi va Magnus dans sa solitude du Morvan, nouant des amitiés posthumes auprés de tombeaux, des amitiés muettes avec tel ou tel arbre, tel boeuf ou telle brebis croisés au bord d'un pré, des amitiés fugaces avec des nuages, des chuchotements de sources, des odeurs de terre, de vent. Des amitiés à fleur d'instant.

"Ces ombres sont pareilles à l'éclat des étoiles dans la nuit, les reflets des nuages sur les champs,le sourire des gens qu'on aime, on ne peut pas les attraper mais on peut faire alliance avec eux, leur promettre, - se promettre à soi-même, de ne jamais les oublier."
p. 96

"L'énigme de sa naissance le tourmente désormais moins que la nuit sans mesure ni fin où son amour a fait naufrage."