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Citations de Tahmima Anam (23)


Je le crois pas, je le laisse dire – qu’est-ce qui reste aux vieux, sinon les oreilles des jeunes ?
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Treize. Ce bréchet brisé qu’était son pays avait treize ans. Pas très vieux, à première vue, mais au cours de cette période, on avait vu et revu les blindés défiler. On avait élu et nommé des dirigeants. Assassiné deux présidents. A ses débuts, le pays avait commencé à se cannibaliser lui-même, tuant les paysans du Sud, noyant des villages pour installer des barrages, rasant les vieux arbres de la forêt de Modhupur. Un pays en action : prompt à se mettre en colère, prompt à s’autodétruire.
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Le jour de la fête de l'Indépendance, Maya alluma la télévision et vit le Dictateur déposer des gerbes au Shaheed Minar, le monument aux martyrs. Il avait une petite tête sombre et de larges épaules bardées de décorations militaires. Le mois précédent il avait tenté de changer le nom du pays en république islamique du Bangladesh. Et, avant cela, il avait acheté deux Rolls-Royce, une pour lui, une autre pour sa maîtresse.
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Cachée par son sari, Mrs Chowdhury portait un anneau en or qui retenait les clés des armoires et autres verrous de la maison : celle du cellier pour le sucre et l'huile, celle du portail d'entrée, celle de derrière, celle du salon (toujours fermé à double tour, fauteuils recouverts de draps, sauf pour les grandes occasions), celle de la glacière, et surtout celle du coffre à bijoux, scellé à son almirah en fer, la plus solide des armoires que possédait Mrs Chowdhury.
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Lentement, la ville s’adapta à l’occupation. Comme elle s’adapta à la présence des soldats en faction au coin des rues, à leurs uniformes empesés, à leurs visages pâles et grimaçants. La ville s’adapta aux tanks, lourdement installés au milieu des routes, et aux check points où des soldats inspectaient les voitures, aboyaient des ordres à des conducteurs qui hochaient la tête et agitaient les bras pour assurer de leur innocence. La ville s’adapta aussi au silence, car il n’y avait plus ni discours, ni défilés, ni manifestations ; rien qu’un calme immobile et angoissant, interrompu deux fois par jour par la sirène du couvre-feu.
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La bouse sent la rose à côté des excréments humains. Nous régnons sur le monde, mais notre merde sent plus mauvais que celle de n'importe quel animal. Il nous a fallu des cerveaux, des cerveaux puissants, rien que pour trouver le moyen de cacher notre propre puanteur.
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1971 Décembre

Huit jours après la fin de la guerre, Sohail Haque est planté au beau milieu d'un champ de moutarde fanée. Les pétales de la fleur de moutarde séchés au point de tomber en poussière, lui chatouillent les narine et lui rappellent le fumet de la viande, à laquelle il n'a pas goûté depuis des mois. Craquements d'herbes qui gémissent sous ses pas; au-dessus de sa tête, l’œil d'un soleil d'hiver sous sa paupière lourde. Il y a des jours qu'il marche vers le sud, qu'il suit le ruban gris de la route menant à la ville. D'un village à l'autre, tous abandonnés, il s'est nourri de feuilles de bananier, désaltéré dans des mares, embrassant la surface de l'eau et filtrant la mousse entre ses dents. Le troisième jour, un paysan lui a dit que la guerre était finie.
Maintenant, sur le chemin du retour, il s'essaie à prononcer le nom du pays, Bangladesh.
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Il commence à défaire sa ceinture. Je le regarde. Il a une ligne de transpiration au-dessus de la lèvre, et il peine à ôter sa ceinture parce qu’on dirait qu’elle tient toute la moitié supérieure de son corps et que s’il l’enlève, son corps va fondre et dégouliner comme du sirop.
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Il s’appelait Mo. Il ressemblait à bon nombre d’enfants des rues que j’avais vus vendre des fleurs ou de petits paquets de pop-corn carrés à Dhaka. Ils vous sourient comme si une maison avec air conditionné et train électrique les attendait le soir. Même lorsqu’ils mendient, c’est avec des yeux rieurs, détenteurs d’un secret qu’eux seuls connaissent, à savoir que s’ils pleurent, s’ils ont l’air malheureux ou s’ils montrent quelque chose de leur misère, qui vous serait insupportable, vous partirez sans même leur donner le moindre taka. Mo avait la tête de l’un de ces gamins habitués à se rendre tellement amicaux et indispensables que quiconque leur donnait un peu de nourriture ou d’argent arrivait à la conclusion qu’il était plus simple de continuer à leur en donner plutôt que de se débarrasser d’eux. Je ne savais rien de lui, mais je savais au moins ça : sa gentillesse n’était que de façade, et elle masquait une dizaine d’années de choses terribles que j’ignorerais toujours.
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Nous avons hésité en haut de ma rue, répugnant à nous séparer et, si je m'étais donné un instant de réflexion, j'aurais peut-être eu l'intuition de ce qui allait suivre : le chagrin que je te causerais, ma quête pour retrouver ma mère, "Grace", la fin et le commencement, l'équipe de haleurs, la découverte de l'amour et le renoncement, et puis le récit que je te fais de notre amour, d'Anwar et de ma mère. Mais je n'ai pas pris le temps, ce moment de clairvoyance m'a passé, et nous nous sommes sommes tout simplement dit au revoir, nous promettant de nous retrouver le lendemain matin.
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Il lui confie que c'est la chose la plus importante qui lui soit arrivée. Il a découvert quelque chose, quelque chose qui explique tout. Ne veut-elle pas savoir ce que c'est ? N'est-elle pas curieuse ? Il est pâle, la peau de son visage est tendue. Elle voit que la mort rôde en lui, cette mort dont il a été si proche pendant la guerre, lui et la mort dans un étroit couloir. Maintenant c'est comme une ecchymose qui ne veut pas guérir. Il presse son visage près du sien et elle se rend compte que, cette chose dont il parle, c'est ce qui empêche l'ecchymose de s'étendre de sa joue à ses os et de ses os à son sang.
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Au loin, il aperçoit une tache dans la plaine.
Une caserne. Il en fait le tour, la main moite serrée sur la crosse de son fusil. Pas un bruit, aucun mouvement. Il s'approche, marchant baissé, le corps rompu aux attitudes martiales, prêt à bondir, jetant des regards furtifs aux limites de son champ de vision, prêt à tirer, le doigt sur la détente. Mais le bâtiment est abandonné.
L'armée en retraite a laissé des traces. Les meubles sentent le tabac, les uniformes pendent encore aux cordes à linge. Il trouve leurs assiettes bien empilées dans un coin, et leurs chaussures, tournées à l'opposé de La Mecque. Des tapis de prière. Il les renifle : un mélange de savon, de craie et de cirage.
Sur le mur de la salle de bains, quelqu'un a écrit Punjab meri Ma. "Punjab, ma mère." Comme ces soldats ont dû haïr le Bengale, se dit-il, haïr ce qu'ils devaient endurer, les pieds qui s'enfonçaient dans la boue, l'air qui se refermait sur eux comme la main d'un criminel, les moustiques, les pluies battantes ininterrompues, la nourriture qui leur donnait la chiasse et les laissait sans forces, déshydratés.
Sohail se demande à présent s'il aurait dû garder un peu de pitié pour ces hommes. Il sent le Sohail d'avant, le géographe pas encore endurci par la guérilla, remuer au fond de lui. C'est dans cette humeur clémente qu'il décide de s'étendre sur une des couchettes avec une cigarette à moitié consumée. C'est cet homme au cœur tendre qui le pousse à explorer la pièce derrière le magasin de munitions. Qui fait coulisser la lourde porte métallique, cherche à tâtons l'interrupteur. Et c'est à cet homme-là que s'offre une vision qui continuera de lui glacer les sangs pour le restant de sa vie.
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Pendant tout ce mois de juin, les soldats de Tikka Khan sillonnèrent les plaines, dans l'été du Bangladesh. Ils pillèrent des maisons et brûlèrent des toitures. Ils commirent des viols. Ils alignèrent des hommes au bord des étangs pour les fusiller. Pratiquèrent des tortures anciennes et nouvelles. Ils innovèrent, firent oeuvre de pionniers en cruauté, se surpassèrent chaque jour en brutalité, se sentant toujours plus proches de la divinité, puisqu'on leur avait expliqué qu'ils étaient les sauveurs du Pakistan, de l'islam et peur-être même du Tout-Puissant en personne face à la dépravation des Bengalais.
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Il en va souvent ainsi dans les familles : on se détruit les uns les autres, puis on prétend que rien ne s'est passé ; on reprend les vieilles habitudes, les humiliations ordinaires, exactement comme Parveen en cet instant, le regard fixé sur l'état lamentable des meubles de Rehana.
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C'était toujours à cette heure de la journée qu'elle s'octroyait un moment d'égoïsme, à l'heure où la maison, le monde, lui appartenait et où il n'y avait personne à aimer, personne à secourir. Cela ne durait que quelques minutes. Quelques minutes, c'était tout ce qu'elle s'accordait.
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Et là, soudain, avec ces boulettes, le sucre qui fondait dans la bouche et les rayons du soleil rose orangé sur la joue de sa mère, tous les moments où elle avait été aimée lui revinrent en mémoire. C’était comme ça, avec sa mère – elle s’autorisa à se les rappeler maintenant –, une superposition de souvenirs, comme les plumes d’un oiseau sauvage, qui sont là pour lui tenir chaud ou pour voler si besoin est. Sa mère, c’étaient ses ailes, ses propres ailes.
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— Regarde ça. Tu veux savoir ce qui est le plus douloureux quand on vit dans ces taudis ? Quand on est une femme ?
— Quoi ?
— Boire de l’eau.
— Pourquoi, parce que l’eau est sale ?
— Ça aussi, mais pas seulement. Tu vois, si tu es une femme et que tu vis dans ce taudis, tu te réveilles au milieu de la nuit et, à la faveur de l’obscurité, tu vas à la lisière du bidonville, tu relèves ton sari et tu t’accroupis au-dessus de l’égout à ciel ouvert. Puis tu reviens sur la pointe des pieds te recoucher avec ton mari et, le reste de la journée, tu attends, tu attends, jusqu’à ce qu’il fasse nuit à nouveau, tu as l’impression d’avoir des aiguilles plein le ventre, ça te brûle à l’intérieur, mais tu ne peux rien faire, non rien, tu dois attendre la nuit que tout le monde soit couché pour pouvoir aller pisser tranquille, pour la seule et unique fois de la journée.”
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Pourquoi est-ce que je me sens honteux ? C’est une femme, c’est ce qu’elles font, elles en bavent du matin au soir, ça doit leur être égal, ça commence dès qu’elles sont nées. Quand on sait à quoi s’attendre, les choses ne sont pas si terribles.
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(…) c’est que si tu regardes en bas, tu meurs. Tu as l’impression que le monde a rétréci. Tu appelles Dieu mais personne ne répond. Tu récites le Kalma. Tu vois que Dieu n’est pas là. Tu pisses dans ton froc. Personne ne le voit. Personne ne se soucie de ta petite vie de merde. Les personnes en dessous sont de pauvres taches, tu n’es qu’une pauvre tache. Dieu regarde en bas et ne voit rien d’autre que de minuscules fourmis. Tu suffoques. Tu remues les jambes. Tu hurles. Le bâtiment tangue, il bouge, il te régurgite et te voilà qui gît sur le pavé. Tu es foutu, une crêpe. Un coup de racloir et on t’enlève de là ; ils n’écrivent même pas à ta famille. Des mois plus tard, quelqu’un ira dans ton village et apprendra la nouvelle aux tiens. Et ce sera la fin de ton existence.
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Un jour ma mère revient du tribunal, se prend la tête dans les mains et se met à crier comme si quelqu’un la battait. Je me tiens un peu à l’écart, je vois ses épaules s’affaisser. Mon père va vers elle, l’entoure de son bras et ils restent assis un long mo­­ment comme ça. Ils m’aperçoivent, nous nous regardons, je reste sur place, sans qu’ils me disent d’entrer ni de m’en aller. J’ai déjà été témoin de cette chose qui circule entre eux comme un courant, sans qu’aucune explication soit nécessaire, et je sais que ma mère se rappelle quelque chose, ou bien qu’elle se le rappelle à travers l’histoire de quelqu’un d’autre, lourde de tout ce qu’elle sait et de tout ce qu’elle a appris récemment, parce que c’est toujours pire que dans son souvenir, et chaque souvenir enlève quelque chose au reste de sa vie, parce qu’elle en est sortie indemne, et que ce qu’elle est – encore entière – est un fardeau pour elle. Elle vit avec un sentiment de culpabilité permanent et passe ses journées à dédommager les autres de la chance qu’elle a eue d’avoir survécu, de s’être mariée, de m’avoir eue. Elle est une économie morale à elle seule, constituée de petites touches de passé.
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