À l'occasion de la 33ème édition du festival "Étonnants Voyageurs" à Saint-Malo, Taina Tervonen vous présente son ouvrage "Les otages : contre-histoire d'un butin colonial" aux éditions Marchialy.
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Note de musique : © mollat
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Cette année-là, Faidherbe crée, d'abord à titre d'essai,
" l'école des otages ".Le nom a le mérite d'être très clair quant au projet de l'établissement : il accueille des fils de chefs soumis au pouvoir colonial, désignés par le gouverneur et envoyés là pour recevoir une éducation française. Ils deviendront ensuite interprètes au service de l'administration coloniale, des intermédiaires entre les deux mondes, coupés du premier sans pour autant avoir pleinement leur place dans le second.L'école institutionnalise une pratique déjà existante de kidnapping de fils de chefs, pour tenir en respect leurs parents.
( p.41)
" Ils veulent seulement les objets , pas les gens"
Saint-Louis, Sénégal, avec le bijoutier Maktar Niang
(Exposition internationale des arts décoratifs-1925)---
L'oncle était allé là-bas, dit-il.A l'époque, c'était comme ça. Ils faisaient venir les gens pour montrer ce qu'ils savaient faire. Maintenant, ils veulent seulement les objets, pas les gens.Les Européens veulent pouvoir venir ici, mais ils n'acceptent pas l'inverse. Ils ont tellement peur qu'on reste.
( p.33)
Et quand j'entends quelqu'un comme Sarkozy dire à Dakar que l'homme africain n'est pas entré dans l'histoire, je préfère mettre cela sur le compte de l'ignorance. Il l'a oublié, ou alors il l'ignore: dix mille ans avant Jésus-Christ, il y avait en Egypte le foyer de toutes les sciences, et l'Égypte, c'est en Afrique. Un dicton peul dit: "Quand tu sais que tu ne sais pas, tu sauras, mais quand tu ne sais pas que tu ne sais pas, tu ne sauras jamais."
Je pense aux contrats signés par Édouard Philippe. Évidemment, l'objet de sa visite à Dakar n'était ni le sabre ni l'histoire d'El Hadj Oumar Tall, mais la vente de missiles et de trois patrouilleurs hauturiers OPV 58, une affaire de centaines de millions d'euros. Comme si le sabre, dans cette histoire, n'était qu'une relique troquée contre de l'influence, à l'instar des verreries et autres pacotilles du temps colonial. Comme si les rôles étaient répartis depuis si longtemps qu'il était devenu impossible de les repenser.
J'écoute Ndiabou Séga Touré et je pense à cette contradiction que je connais moi aussi: la langue de l'ancien colon est toujours celle dans laquelle on enseigne, c'est toujours la langue du savoir et de l'administration, la langue dans laquelle j'ai appris l'histoire des résistants à la colonisation, ceux-là mêmes qui luttaient contre l'imposition de cette langue et de la culture qui va avec.
( p.42)
"Tu as de la chance de vivre dans un pays normal, un pays sans guerre. Parce que la guerre, elle nous a tous changés. Tous. D'une manière ou d'une autre. Après la guerre, c'était encore la guerre pour retrouver une vie normale, une vie quotidienne."
De retour dans mon quotidien, en banlieue parisienne, entre les trajets en métro, les devoirs des enfants, les dîners à préparer, les articles à rendre, les fins de mois parfois compliquées, la garde alternée pas toujours simple, les mots de la mère de Senem me sont souvent revenus. C'était la première fois que cette pensée m'était ainsi exprimée, l'idée que d'avoir échappé à la guerre est non pas un état normal des choses, mais bien un privilège, une chance, comme l'est celle, dans un pays d'après-guerre, de retrouver son proche disparu et de pouvoir l'enterrer. Oui, j'ai de la chance.
Mais peu importe mon histoire, je suis blanche, et le khalife comme moi savons que la couleur colle à la peau et au regard. La mienne m'assigne une place dans l'histoire et il me faudra faire avec. Alors, je me lance.
«La colonisation est une histoire que nous avons vécue ensemble, les Blancs et les Noirs. Sauf qu'on n'en parle jamais comme d'une histoire commune, ni ici ni là-bas. Et comme toutes les choses du passé dont on ne parle pas, elle finit par créer des problèmes ailleurs, par ressurgir là où on ne l'attend pas. Dans ce cas, il est parfois utile de regarder derrière soi.»
Le khalife esquisse un sourire derrière sa barbe blanche.
Il comprend le français, mais attend la traduction en pulaar, c'est ainsi que ça se passera, dans sa langue, et pas dans la langue du colonisateur dont le
fantôme hante nos échanges.
"L'oncle était allé là-bas, dit-il. A l'époque, c'était comme ça. Ils faisaient venir les gens pour montrer ce qu'ils savaient faire. Maintenant, ils veulent seulement les objets, pas les gens. Les Européens veulent pouvoir venir ici, mais ils n'acceptent pas l'inverse. Ils ont tellement peur qu'on reste."
"Je crois qu'en tant qu'individu il (E. Macron) a un vrai souci de l'histoire. Il comprend le rapport entre la mémoire et l'histoire, entre l'oubli et le fait politique. Il comprend que la France a besoin de l'Afrique pour peser et jouer un rôle diplomatique, et qu'il faut envoyer un message différent à la jeunesse africaine qui réclame d'autres rapports avec l'Europe. La restitution peut sembler une solution à moindre coût : on maintient les intérêts économiques et on lâche sur le symbolique. Le problème, c'est que le symbolique est un espace qu'on ne maîtrise pas; On est sur des plaques tectoniques ! Dès que les choses bougent, ça déborde, on ne peut pas contrôler ça. Et c'est là qu'il s'est peut-être trompé. On ne peut pas faire de la géopolitique du sens." (Felwine Sarr)
"Avec ce projet, je vois combien chacun raconte sa propre vérité sur cette histoire. Je me demande de plus en plus ce que ça signifie pour nous, en tant que nation. Comment est-ce possible que, dans certaines régions de ce pays, Srebrenica soit un génocide, mais dans d'autres non? Comment est-ce possible que, quand on arrive à Banja Luka, Srebrenica n'existe plus?"
Je l'écoute, je n'ai pas de réponse. Je ne sais pas s'il est possible, vingt ans après une guerre, de s'accorder sur une vérité à l'échelle d'une nation.