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EAN : 9782381340302
300 pages
Marchialy (31/08/2022)
4.17/5   27 notes
Résumé :
1890 : un colonel français entre dans Ségou, ville d’Afrique de l’Ouest, et s’empare d’un trésor. Parmi les objets du butin, des bijoux et un sabre. Alors que le Sénégal réclame la restitution du sabre depuis des décennies, symbole de sa mémoire collective, la France peine à répondre, prise dans un carcan idéologique et juridique. Ironie du sort, les bijoux ont, eux, été perdus, oubliés ou volés.

Partie sur les traces de ce trésor, T. Tervonen découv... >Voir plus
Que lire après Les Otages : Contre-histoire d'un butin colonialVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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En 1890, le colonel français Archinard et son armée prennent la ville de Ségou, dans l'actuel Mali. Ils s'emparent du trésor du palais, dans lequel figurent notamment des bijoux et un sabre, qui aurait appartenu à El Hadj Oumar Tall, seigneur musulman érudit et chef de guerre, qui fonda au 19ème siècle un empire sur le territoire des actuels Sénégal, Mali, Guinée et Mauritanie. Parmi le « butin » ramené en France par Archinard se trouvent également deux enfants, dont Abdoulaye, 10 ans, petit-fils d'Oumar Tall.

A l'heure où le Sénégal et d'autres pays africains réclament la restitution des objets acquis (pour ne pas dire pillés) par les métropoles pendant la colonisation, l'auteure, journaliste et documentariste qui a passé son enfance au Sénégal, a décidé d'enquêter sur les objets volés à Ségou et en particulier sur le sabre d'Oumar Tall, désormais restitué au Sénégal par la France et exposé au Musée des Civilisations Noires de Dakar. Que sont devenus les autres objets, quel a été le sort des deux enfants enlevés à leurs racines ? Et le sabre en question est-il réellement celui d'Oumar Tall ? Exploitant toutes les archives et sources disponibles en France et au Sénégal, elle retrace peu à peu la piste des enfants et du butin, et fait émerger un pan violent et déshumanisant (mais ne le sont-ils pas tous?) et peu connu de l'histoire coloniale française. Sans se prétendre historienne, son enquête est cependant méthodique et fouillée, même si elle n'atteint pas le résultat escompté. L'auteure met le doigt sur la condescendance dont les (anciens) colonisateurs faisaient et font encore preuve à l'égard de leurs (anciens) colonisés. Ainsi, citant Felwine Sarr*: « Il y a comme une impossibilité à prendre en compte le fait qu'il existe un continent d'un milliard d'individus avec une jeunesse qui a droit à son patrimoine – exactement comme les jeunes Européens ont droit à leur patrimoine. Non, ils pensent que ce qui est à eux est à eux, et ce qui est à nous est aussi à eux ! Ils proclament l'universalité des musées, mais c'est une universalité centrée sur soi. [...] Il y a toujours des arguments. 'Il n'y a pas de musées en Afrique' - nous en avons dénombré autour de 500. 'A qui doit-on rendre ? A l'époque, le Sénégal ou le Bénin n'existaient pas'. Quand des objets ont été pris dans l'Empire austro-hongrois, on les a bien rendus à l'Allemagne ou à l'Autriche, même si l'empire n'existait plus. 'Les objets n'ont pas été pris, ils ont été donnés ou vendus'. Oui, donnés ou vendus dans un rapport asymétrique de pouvoir. N'est-ce pas la même question que pour les biens spoliés juifs ? Quand des Juifs vendaient des toiles de maître pour trois fois rien afin d'échapper à la mort, on leur a quand même rendu leurs biens, à eux ou à leurs descendants. Pourquoi ces analogies ne fonctionnent-elles pas ? [...] Rapidement, on se rend compte que la question ne se joue pas au niveau de la raison, mais bien ailleurs, poursuit-il. Elle se joue dans une vérité intime qui s'est construite dans le temps, à force de répétitions dans les films, dans les livres, dans les médias, dans les livres d'histoire, dans les discours politiques. Au fond, il y a toujours cette idée que l'Africain est un incapable ».

Un récit sensible et captivant et d'une lecture très fluide, qui témoigne d'une volonté d'ouvrir les esprits, avec humanité et humilité : « Je parcours les vitrines [du musée du Quai Branly], mes leçons de primaire en tête, et je vois une étranger mise en scène de l'histoire coloniale, transformée en un récit de dons, dénuée de toute trace de violence guerrière ou de domination, de toute référence à la brutalité dont ces objets sont les témoins directs. le silence me paraît assourdissant ». « Ainsi, en 1893, il était impossible de penser que ces pièces soient africaines : trop délicates, trop fines, fabriquées avec des techniques trop sophistiquées. L'Afrique ne pouvait produire ce que les journalistes, à la vue des bijoux, qualifiaient d' « originalité » et de « sentiment artistique ». Près de cent trente ans plus tard, leur regard me paraît schizophrène : il fallait admirer la beauté du butin de guerre, témoin de notre domination sur l'Afrique, tout en se disant que cette beauté ne pouvait provenir d'Afrique ».

*auteur en 2018, avec Bénédicte Savoy, du rapport commandé par E. Macron sur la question des restitutions

En partenariat avec les Editions Marchialy via Netgalley.
#LesOtages #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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1890. Alors que les batailles pour coloniser une partie de l'Afrique se poursuivent, le général français Archinard prend la ville de Ségou, et le trésor qui va avec, bijoux et sabre à haute valeur symbolique puisque appartenant à un illustre chef de guerre et héros de la résistance anticoloniale, El Hadj Oumar Tall, le ramène en France, rapporte aussi un dernier petit "bonus", Abdoulaye, petit-fils d'El Hadj, afin de le "civiliser" pour qu'il ne prenne pas la suite de la révolte après son père, qui vient d'être vaincu.

Taina Tervonen, qui a vécu son enfance au Sénégal, connaît l'histoire de ces otages pris par la France, les uns entreposés dans des musées, l'autre placé dans une famille lui permettant d'obtenir une éducation convenant aux préceptes français, tout en gardant contact avec son "sauveur", Archinard.

Partant de cette histoire, elle choisit d'enquêter et de connaître la véritable histoire de ces objets et de ce jeune adolescent : entre témoignages, recherches dans divers musées et lieux d'archives, retranscription de documents comme une partie des lettres qu'Abdoulaye a pu envoyer à Archinard, pour mieux montrer comment le pillage des pays colonisés est systémique, et oblige actuellement les états africains à demander de pouvoir récupérer des objets de valeur, historique, culturelle, qui leur appartiennent de droit - ce qui s'est passé à Ségou n'est en effet qu'un exemple parmi tant d'autres -. Elle montre aussi que, parfois, ces pillages sont en partie supercherie, pour mieux asseoir la position de colonisateur dominant et tout-puissant. Elle montre enfin que ce pillage, en touchant également des êtres humains, n'a fait que renforcer les violences commises et l'inhumanité subie par les pays colonisés, par l'exemple concret d'Abdoulaye et de ses mésaventures à sa tentative de retour au pays.

Une enquête passionnante, écrite comme un roman ou presque, actuellement d'une grande nécessité.
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La restitution d'objets pris de force au cours de la colonisation ou des guerres est un sujet à la mode depuis quelques années. Il va bien avec le renouvellement du discours sur la colonisation, qui parfois cherche à rendre le discours plus nuancé et complexe et parfois le simplifie au point de le rendre pire que caricatural. Alors quand j'ai découvert ce livre, qui prend le temps sur ce sujet qui m'intéresse mais pour lequel je n'ai aucune formation, et qu'en plus j'ai vu qu'il est édité par Marchialy, une maison d'édition spécialisée dans les livres de reportage au long cours que j'ai découvert plus tôt cette année (même si la maison a été fondée en 2016, je ne suis pas toujours en pointe de l'actualité) avec le très intéressant [The Good Girls : un meurtre ordinaire], je n'ai pas été longue à le solliciter sur netgalley et à me plonger dans sa lecture.
Taina Tervonen, une journaliste finlandaise qui a passé une grande partie de son enfance au Sénégal (et qui n'en est pas à son premier reportage au long cours), décide, à la suite de la restitution du sabre d'El Hadj Oumar Tall au Sénégal par la France, de mieux comprendre le cheminement de cet objet et de ceux qui l'accompagnaient et d'éclairer cette décision de restitution et le sens d'une telle décision.

Le livre commence lentement, un peu trop à mon goût, mais passé les vingt ou trente premières pages, on rentre vraiment dans le vif du sujet et cela devient vite passionnant. Parce que ce sabre et les objets qui l'accompagnent, le trésor de Ségou, ont une histoire bien emberlificotée. On découvre des personnages historiques qui sont semble-t-il connus de tous les petits élèves sénégalais mais dont, pour ma part, je n'avais jamais entendu le nom. Archinard, d'abord, ce grand pacificateur de l'Afrique de l'Ouest (et l'on sait ce que recouvre le mot pacificateur dans ce contexte…), El Hadj Oumar Tall aussi bien sûr, fondateur d'une congrégation soufie. Ces deux-là sont reliés par une confrontation qui culmine (pour l'histoire qui nous intéresse, pas du point de vue de l'histoire ou de la stratégie militaire) dans la « bataille » de Ségou (les guillemets sont de mon fait, parce qu'en matière de bataille, la ville a été évacuée et il n'y a pas eu d'affrontements…). Mais on se rend très vite compte que les dates ne vont pas : El Hadj Oumar Tall est mort en 1864 alors qu'Archinard arrive au Soudan français en 1880. Et puis les lieux non plus : on parle du trésor de Ségou, qui est aujourd'hui une ville du Mali, alors que le sabre a été restitué au Sénégal…
Au fur et à mesure de ses enquêtes, Taina Tervonen démêle ces apparentes contradictions. En particulier elle s'interroge sur la portée historique et symbolique de ce sabre, montrant comment les musées et les objets participent de l'historiographie, montrant aussi comment les discours et les émotions suscités par un objet historique diffèrent selon le côté de l'histoire où l'on se trouve. Au fil des quelques 300 pages de cet ouvrage (et ces 300 pages passent étonnamment vite tant la plume de Taina Tervonen est facile à lire et le propos intéressant), on suit la journaliste dans son enquête pour essayer de démêler cet écheveau. On se promène entre Dakar, Le Havre, Paris, Halwar, Aix-en-Provence… On écoute des héritiers des témoins de cette époque, on compulse des lettres dans les archives…
Et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, j'ai eu la sensation que l'histoire devenait de plus en plus complexe au fur et à mesure de ma lecture et de l'enquête de Taina Tervonen. Car il ne faut pas compter sur elle pour livrer à la fin la vérité vraie sur cette histoire, la version définitive. Non, elle livre les faits, les éclaire par des évocations du contexte, les met en perspective, mais elle garde toute la complexité de cette histoire. A la fin, même Archinard devient une figure plus nuancée que ce que l'on aurait pu penser au début.
C'est donc un livre qui oblige le lecteur à réfléchir, à se forger, petit à petit, sa propre opinion des faits, en demeurant autant que possible fidèle aux faits, à leur complexité et parfois même leurs apparentes contradictions.
Les Otages, un titre qui fait référence aux héritiers des chefs de guerre envoyés en France pour les couper de leurs racines et pour éviter qu'ils ne reprennent le flambeau de leurs pères, mais qui peut englober les objets culturels, leurs trajets complexes, leur histoire, ce qu'ils disent et ce qu'on leur fait dire. Un livre qui fait réfléchir aussi, qui permet de creuser une question importante, plus pour certains que pour d'autres semble-t-il, et qui prend des significations différentes selon l'angle où l'on se place pour l'aborder. Encore une fois, j'ai beaucoup aimé ce livre, qui se lit étonnamment facilement. Je n'ai pas fait le tour de la question, mais j'ai beaucoup appris, et, si j'ai pu répondre à quelques questions, je crois que j'ai plus de questions en fermant ce livre qu'en l'ouvrant, et c'est une bonne chose que d'éveiller l'intérêt, la curiosité et d'affûter les esprits, sur ce sujet comme sur d'autres !

Merci aux éditions Marchialy de m'avoir permis de lire ce livre, via netgalley. Deuxième livre venu de cette maison d'édition et deuxième belle découverte.
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Taina Tervonen est documentariste et journaliste indépendante. Cette franco-finlandaise a passé son enfance au Sénégal avant de venir vivre en France à l'âge de quinze ans. L'ignorance des Français quant à une histoire coloniale dont ils sont pourtant les héritiers l'incite à mener l'enquête dont "Les otages" est le récit.
C'est donc l'histoire d'un butin colonial dont le Sénégal réclame aujourd'hui la restitution, qui compte des bijoux, des manuscrits, et un objet à haute valeur symbolique : un sabre attribué à El Hadj Oumar Tall, éminente figure de l'histoire sénégalaise, à la fois résistant contre l'occupant européen et guide spirituel dont les écrits continuent d'éclairer le monde arabe dans les domaines de la poésie, de la mystique et de la littérature.

Ce butin est le résultat d'un pillage opéré par les troupes d'Archinard. Ce colonel français arrive en 1880 à St-Louis avec pour mission d'élargir le territoire colonial de plusieurs milliers de kilomètres, et de sécuriser le développement des transports de marchandises des côtes atlantiques jusqu'à l'intérieur des terres. C'est dans le cadre de cette mission qu'il juge nécessaire d'attaquer Ségou (au Mali) où il dérobe le trésor du palais d'Ahmadou Tall, fils de El Hadj Oumar, trésor qui connait ainsi le sort de milliers d'objets qui ont rempli les musées d'Europe au gré de l'expansion coloniale et des commandes passées par les conservateurs aux explorateurs, aux missionnaires et aux militaires. Aujourd'hui, certains dorment dans des réserves quand d'autres, exposés au public, mettent en scène une histoire coloniale transformée en récits de dons, dénuée de toute trace de violence guerrière ou dominatrice. Malgré l'évidente légitimité des demandes de restitutions des anciennes colonies, le sujet reste sensible, les nations occidentales arguant notamment de l'incapacité des africains à protéger ces pièces contre les vols et les trafics. Et si, au moment où Taina Tervonen mène son enquête, le sabre d'El Hadj Oumar Tall a été rendu au Sénégal, où il est exposé au Musée des Civilisations Noires, c'est en réalité sous la forme d'un prêt de cinq ans, et ce type de geste s'entremêle généralement aux intérêts économiques : on lâche sur la symbolique pour vendre des missiles, à l'image des verreries et des breloques que l'on offrait aux indigènes pour les amadouer…

Ce sabre est-il d'ailleurs celui du chef de guerre sénégalais ? Les avis des historiens sur ce point divergent. La nature prestigieuse du sabre n'aurait-elle pas été inventée par Archinard pour glorifier sa campagne ?

C'est entre autres autour de cette question que Taina Tervonen organise son enquête, qui la mène du Sénégal -sur les traces des troupes françaises suivant le fleuve Sénégal jusqu'au Mali actuel pour conquérir le Fouta, dans l'échoppe d'un artisan expert en bijoux, ou encore à la rencontre des héritiers d'El Hadj Oumar Tall… - au Havre, ville natale d'Archinard, en passant par les réserves des musées de l'Armée ou du Quai Branly (et la liste n'est pas exhaustive).

Mais elle s'intéresse aussi au sort réservé au jeune Abdoulaye, fils d'Ahmadou Tall kidnappé par Archinard lors de la prise du palais de ce dernier. Ces enlèvements, permettant de tenir les parents en respect, étaient fréquents. On menaçait d'envoyer les enfants en France pour les éduquer à l'européenne, ou de disséminer d'autres membres de la famille pris en otage dans plusieurs contrées africaines, où épouses et petites filles pouvaient être offertes en cadeau à d'autres chefs en échange d'un traité ou d'un accord. Des dizaines de femmes et d'enfants ont ainsi changé de mains…

Abdoulaye a quant à lui été emmené en France et confié à des amis d'Archinard, qui a fini par le considérer comme son propre fils. Une importante correspondance entre le colonel et son pupille traduit les difficultés croissantes du jeune homme qu'est devenu l'enfant, déchiré entre ses racines et son éducation, notamment lorsqu'aspirant à intégrer Saint-Cyr, il subit malgré ses constants efforts d'intégration l'injuste mépris des représentants d'une administration française profondément racistes, qui ne cessent de lui mettre des bâtons dans les roues.

Cette dernière partie m'a particulièrement intéressée et émue (plusieurs lettres d'Abdoulaye sont transcrites). Je dois avouer que le reste de ses investigations (sur les bijoux et les manuscrits du trésor de Ségou) a fini par me perdre dans ses impasses, ses incertitudes et le caractère administratif de certains documents d'époque. Elle est toutefois l'occasion de digressions fort pertinentes en lien avec le contexte des recherches et des rencontres conséquentes.

Car à travers cette enquête, est révélée l'histoire du regard porté sur les peuples colonisés dont on a nié le passé, la culture et les savoirs ancestraux, mais aussi la complexité des liens engendrés par quatre siècles de présence occidentale en Afrique, débutant par exemple pour le Sénégal avec l'installation à Saint-Louis du premier comptoir commercial français, au temps du négoce du cuir et de la gomme arabique… de ces siècles de commerce puis de traite, de cohabitation et de conflits, est née à Saint-Louis une société coloniale métissée, formant l'élite de la ville, devenue le symbole des paradoxes issus de ces relations. le passé y est à la fois critiqué et glorifié, tantôt renié et tantôt célébré, comme si chaque détail de l'histoire était à la fois un stigmate à rejeter et un trésor à chérir.

La difficulté des occidentaux à accéder aux demandes de restitution de patrimoine de plus en plus nombreuses, ou les polémiques suscitées autour des statues de grandes figures de l'histoire française qui ont en réalité été des acteurs de la violence coloniale témoignent des crispations autour de ces contradictions. Il faudra pourtant bien en finir avec cette arrogance européenne, et avec cette impossibilité à admettre qu'il existe un continent d'un milliard d'individus avec une jeunesse qui a droit à son patrimoine et à se réapproprier le récit de son histoire.

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Taina Tervonen, franco-finlandaise, a vécu et a été scolarisée au Sénégal jusqu'à l'âge de 15 ans. Journaliste et documentariste en France, elle s'étonne que les noms de Faidherbe, et surtout d'Archinard soient généralement méconnus ici, alors qu'ils sont évoqués dans les programmes d'histoire de l'école au Sénégal.
Dans ce livre, l'autrice suivra la conquête colonialiste française de Saint Louis à Segou, en menant l'enquête pour remonter aux origines des "dons" du général Archinard à différents musées en France à la fin du 19e et au début du 20e siècle.
En cette période actuelle, où la restitution des objets d'arts ou du quotidien originaires des anciennes colonies est en débat, Taina Tervonen s'intéresse notamment à suivre la trace du butin de Ségou, et du sabre à haute valeur symbolique dit d'El Hadj Oumar Tall, souverain et chef de guerre Toucouleurs, érudit musulman, né au nord du Sénégal.
A travers ses investigations, la violence de la colonisation militaire puis administrative qui s'exerce sur les populations vaincues, et dont les objets dérobés gardent la mémoire, est manifeste. On est aussi ahuri de découvrir l'existence, à Saint Louis, d'une école des otages, rebaptisée plus tard l'école des fils de chefs de guerre, car il s'agissait en effet de scolariser, malgré eux, les fils des vaincus pour en faire des collaborateurs assimilés de la conquête et administration coloniale. Abdoulaye, petit-fils d'El Hadj Oumar Tall, a fréquenté cette école, mais Archinard, dans un souci de l'écarter de toute tentative de rébellion, l'emmène avec lui en France à l'âge de 11 ans, pour le confier à un couple d'amis. L'expérience du jeune Abdoulaye il y a 130 ans, reflète la complexité des relations teintées de paternalisme, bienveillance, condescendance, arrogance, offense ; un passé toujours apparent dans le vécu des discriminations et du racisme aujourd'hui.
On retiendra de cet ouvrage la valeur des enquêtes rigoureuses, la valeur de l'existence d'archives ouvertes à la consultation, la valeur de l'expertise (comme celle du bijoutier Makhtar Niang), la nécessité de questionner, de changer de point de vue pour entrapercevoir la complexité de l'Histoire et comprendre d'où nous venons.
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critiques presse (1)
LeSoir
02 janvier 2023
Avec cette passionnante enquête qu'est Les otages, Taina Tervonen montre à la fois la nécessité et la complexité de restituer les objets volés au temps des colonies.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Cette année-là, Faidherbe crée, d'abord à titre d'essai,
" l'école des otages ".Le nom a le mérite d'être très clair quant au projet de l'établissement : il accueille des fils de chefs soumis au pouvoir colonial, désignés par le gouverneur et envoyés là pour recevoir une éducation française. Ils deviendront ensuite interprètes au service de l'administration coloniale, des intermédiaires entre les deux mondes, coupés du premier sans pour autant avoir pleinement leur place dans le second.L'école institutionnalise une pratique déjà existante de kidnapping de fils de chefs, pour tenir en respect leurs parents.
( p.41)
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" Ils veulent seulement les objets , pas les gens"

Saint-Louis, Sénégal, avec le bijoutier Maktar Niang

(Exposition internationale des arts décoratifs-1925)---

L'oncle était allé là-bas, dit-il.A l'époque, c'était comme ça. Ils faisaient venir les gens pour montrer ce qu'ils savaient faire. Maintenant, ils veulent seulement les objets, pas les gens.Les Européens veulent pouvoir venir ici, mais ils n'acceptent pas l'inverse. Ils ont tellement peur qu'on reste.

( p.33)
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Et quand j'entends quelqu'un comme Sarkozy dire à Dakar que l'homme africain n'est pas entré dans l'histoire, je préfère mettre cela sur le compte de l'ignorance. Il l'a oublié, ou alors il l'ignore: dix mille ans avant Jésus-Christ, il y avait en Egypte le foyer de toutes les sciences, et l'Égypte, c'est en Afrique. Un dicton peul dit: "Quand tu sais que tu ne sais pas, tu sauras, mais quand tu ne sais pas que tu ne sais pas, tu ne sauras jamais."
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Mais peu importe mon histoire, je suis blanche, et le khalife comme moi savons que la couleur colle à la peau et au regard. La mienne m'assigne une place dans l'histoire et il me faudra faire avec. Alors, je me lance.
«La colonisation est une histoire que nous avons vécue ensemble, les Blancs et les Noirs. Sauf qu'on n'en parle jamais comme d'une histoire commune, ni ici ni là-bas. Et comme toutes les choses du passé dont on ne parle pas, elle finit par créer des problèmes ailleurs, par ressurgir là où on ne l'attend pas. Dans ce cas, il est parfois utile de regarder derrière soi.»
Le khalife esquisse un sourire derrière sa barbe blanche.
Il comprend le français, mais attend la traduction en pulaar, c'est ainsi que ça se passera, dans sa langue, et pas dans la langue du colonisateur dont le
fantôme hante nos échanges.
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Je pense aux contrats signés par Édouard Philippe. Évidemment, l'objet de sa visite à Dakar n'était ni le sabre ni l'histoire d'El Hadj Oumar Tall, mais la vente de missiles et de trois patrouilleurs hauturiers OPV 58, une affaire de centaines de millions d'euros. Comme si le sabre, dans cette histoire, n'était qu'une relique troquée contre de l'influence, à l'instar des verreries et autres pacotilles du temps colonial. Comme si les rôles étaient répartis depuis si longtemps qu'il était devenu impossible de les repenser.
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Videos de Taina Tervonen (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Taina Tervonen
À l'occasion de la 33ème édition du festival "Étonnants Voyageurs" à Saint-Malo, Taina Tervonen vous présente son ouvrage "Les otages : contre-histoire d'un butin colonial" aux éditions Marchialy.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2642847/taina-tervonen-les-otages-contre-histoire-d-un-butin-colonial
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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