La cuisine moléculaire a connu son heure de gloire, que la réalité des engouements a vite rattrapé. Aujourd’hui, plus personne n’en parle. Pire que ça, la cuisine moléculaire s’apparente à une déviance honteuse que se serait risquée à emprunter la cuisine française… Est-ce pour cette raison que Thierry Marx et Raphaël Haumont –respectivement chef de cuisine et physico-chimiste- ont préféré intituler leur livre Répertoire de Cuisine innovante plutôt que Répertoire de Cuisine moléculaire ? Façon rusée de ramener la cuisine moléculaire à sa réalité, celle d’une cuisine qui cherche avant tout à proposer de nouvelles formes et saveurs, et qui n’utilise la voie moléculaire qu’afin de mieux parvenir à ses fins. Loin, donc, de l’idée de snobisme qui lui est souvent associée.
Le livre se présente sous la forme d’un répertoire. Pas forcément nécessaire, car les entrées annoncent souvent des thèmes auxquels il aurait été difficile de penser spontanément (« cryoconcentration », « foisonnement », « methylcellulose », « sucroesters »…), mais agréable toutefois car on retrouve la présentation privilégiée des manuels de cuisine plus classiques.
Entre tradition et innovation, on alterne d’ailleurs assez souvent. C’est l’objectif même de ce répertoire, et les auteurs n’hésitent pas à le rappeler. En quoi consiste leur démarche ? Partir des bases de la cuisine traditionnelle, réfléchir sur les processus chimiques à l’origine des particularités de leur réalisation, essayer de généraliser de manière scientifique et, à partir de cette base théorique, passer à la pratique. En un mot : expérimenter. Les règles théoriques issues par exemple de la réalisation d’une chantilly lancent la voie à des combinaisons osées. « Qu’est-ce qu’une chantilly ? » nous demandent les auteurs. Dans la foulée, ils nous répondent : « huile dans eau » + gaz donne « huile et gaz dispersés dans de l’eau ». Et sur ce postulat, de nous lancer sur des pistes créatives : « On peut alors composer une mousse de chocolat, un foie gras fouetté au jurançon, un camembert fouetté au pommeau… Autant de nouvelles textures de chantilly, sans crème ! »
L’étude des densités de différents liquides permettra de concevoir des cocktails esthétiques, aux dégradés variés –et puisque nous parlons de boissons-, auriez-vous pensé qu’il soit possible de consommer des pâtisseries liquides ? (un bel exemple de tarte tatin liquide sera proposé à ceux qui oseront s’aventurer jusqu’à la lettre « P »…)
Ce Répertoire de Cuisine innovante met les idées en ébullition. Il réussit, à la simple lecture, à remuer l’esprit et à faire naître des envies, dont celle d’expérimenter dans le domaine de la cuisine à la fois comme un chimiste et comme un artiste-peintre. En contrepartie, cet ouvrage s’accompagne d’un défaut majeur : celui de ne proposer que des applications irréalisables pour qui n’est pas doté d’une panoplie de matériel coûteux et encombrant. Pas facile de se procurer de l’azote liquide, et même si l’idée d’une écume de chocolat vous tente, l’attrait ne sera certainement pas suffisant pour vous rendre enclin à investir dans un syphon. Quant au lait gélifié, on aimerait bien en boire (en manger ?), mais où se procurer du iota-carraghénane ?
De belles idées qui font rêver emplissent ce livre : quelques-unes enrichissent notre façon de considérer l’exercice de la cuisine, et d’autres nous fourniront des leçons essentielles sur cet aspect immuable de la pratique qui la rattache à la science exacte de la physique-chimie. Ce Répertoire de la Cuisine innovante est aux manuels de cuisine traditionnelle ce que la science-fiction est aux romans réalistes.
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