Il était si manifestement amoureux de la femme et de son mignon petit garçon que Matt s’était senti comme étouffé. Jed allait faire un excellent père, ce que tous les enfants devraient avoir, ce dont Matt avait manqué. Mais cela avait fait de lui un homme meilleur à long terme.
Il n’aimait pas du tout le sentiment de responsabilité accompagnant la présence d’un enfant à naître sur une scène de crime. Il prit soudain conscience de leur vulnérabilité – une petite personne totalement dépendante du bien-être de la femme qui la portait.
Son but était de convaincre tout le monde, un idiot effrayé, ignorant et mal informé à la fois. Elle s’arrêta pour boutonner sa veste en laine bouillie vert pomme. Il faisait beaucoup plus chaud qu’à quatre heures du matin lorsqu’elle était arrivée au travail, mais, même après six ans aux États-Unis, elle n’était toujours pas habituée au froid. La chaleur de Delhi était comparable à celle d’un rôti vivant sur une broche.
Quelque chose en elle suscitait son intérêt. Ce n’était pas son physique en soi. Elle avait ce côté éthéré qui le poussait généralement à faire machine arrière, mais elle n’avait pas l’air fragile ou délicate. Son langage corporel distant, sa structure osseuse scandinave, sa posture rigide et son expression légèrement agacée l’intriguaient. Elle ne portait pas de maquillage et avait des taches sombres sous les yeux. Elle ne faisait aucun effort pour plaire aux hommes, mais elle captait quand même leur attention.
Elle avait été une erreur, mais il savait qu’il ne pourrait pas cesser de chercher avant d’avoir trouvé une remplaçante. Il se releva, recouvrit le corps de feuilles, du bout du pied, le masquant aux yeux indiscrets et l’éloignant de sa vue. En quelques heures, la neige l’envelopperait, et lorsque le printemps arriverait, le ruisseau qui bouillonnait paresseusement inonderait la zone et l’emporterait comme un déchet. Il ramassa la housse mortuaire, balaya la zone du regard pour vérifier qu’il n’avait rien laissé derrière lui, et reprit la direction de sa voiture. Il lui fallut quinze bonnes minutes pour y arriver.
L’air froid lui brûlait les poumons et il frissonnait sous sa veste en peau de mouton. Il monta dans le SUV et démarra le moteur, allumant immédiatement le chauffage. Le fait d’enlever quelqu’un si près de chez soi présentait un risque à bien des égards, mais d’un autre côté, c’était une stratégie qui pouvait s’avérer payante et en dérouter plus d’un. Et il n’avait pas besoin de continuer à tuer… Il fallait juste qu’il trouve la bonne. Seulement, il n’avait pas conscience que ce serait si difficile.
Tu sais où la trouver…
C’était comme un reflet de sa vie : elle se trouvait à la merci de choses qu’elle ne pouvait pas contrôler. Elle réussit à maintenir la voiture dans la bonne direction et poursuivit son chemin. Elle avait besoin de rentrer chez elle. Besoin de trouver un moment de calme dans une journée qui avait viré à l’enfer. Elle fut choquée de réaliser à quel point elle était seule. Pas d’amis. Pas de famille. Personne ne serait là pour elle si son implication éclatait au grand jour. Elle aurait dû mourir ce jour-là. Cela aurait été plus facile que d’affronter l’avenir.
* * *
Elan observait de loin.
Ce témoin gênant menaçait de compromettre le plan. Il avait pensé que l’ancien soldat serait capable de s’en occuper, mais le garçon et sa mère étaient désormais en détention protectrice, et le Syrien avait été arrêté. Ça sentait mauvais.
La deuxième phase de cette opération était de loin la plus délicate et la plus critique. Il n’y avait aucune marge d’erreur.
Le problème avec la kétamine, c’était qu’elle pouvait déclencher de fortes hallucinations et rendait souvent les déclarations des témoins non seulement inadmissibles devant un juge, mais carrément délirantes. En l’occurrence, ils n’avaient rien d’autre à quoi se raccrocher. Peut-être se souviendrait-elle de certains détails à propos du tueur de Meacher.
— Avez-vous vu son visage ?
— Un très beau mec. Ou alors c’était un rêve.
Ses yeux marron louchaient sur le visage de Mallory, peinant à faire la mise au point.
— Vous êtes du FBI ? Que s’est-il passé ? Où suis-je ?
Mais avant que Mallo ne puisse répondre, la femme aperçut le corps de Meacher gisant sur le sol et sembla prendre conscience de son chemisier déchiré et du crissement du plastique dans son dos. Elle se redressa à demi, jeta un œil au sous-sol froid et humide et se mit à sangloter. Puis elle commença à hurler.
Parfois, les gens ne se débattaient pas. Ils se fermaient et attendaient que ça se termine. C’était probablement l’instinct de survie qui se manifestait face à quelqu’un de plus fort, et de plus violent. La survie impliquait de nombreuses choses : le combat, la fuite, l’endurance et la chance. De nombreuses victimes de viols se figeaient et se reprochaient de l’avoir fait. Beaucoup agissaient d’une manière qui n’avait aucun sens pour les observateurs disséquant les événements après coup. Souvent, les victimes ne se souvenaient pas des détails de l’agression, car leur cerveau se mettait en veille pour leur permettre de survivre à ce traumatisme. Perdre la bataille pour gagner la guerre ? Peut-être. Peu importe ce que c’était, les avocats de la défense adoraient cela.
Elle avait besoin de carburant. Elle n’avait pas mangé depuis que tous ces gens étaient arrivés au château et il était devenu clair qu’Alex ne lui avait pas dit la vérité sur ce qui se passait. Elle avait essayé d’être en colère contre lui, mais elle s’était mise à sa place. Il avait dû choisir entre sauver une enfant et contenir une arme biologique.
Le choix était évident, sauf quand cette enfant était la vôtre.
— Vous saviez ce qui se passait avec Ahmed ? Qu’il était suspecté d’être un trafiquant d’armes ? demanda-t-elle à Reilly.
Était-elle la seule qui l’ignorait ?
De légers plis se dessinèrent au coin de ses yeux lorsqu’il fronça les sourcils, mais il y avait une honnêteté dans son regard qui lui coupa le souffle.
Elle semblait être exactement ce qu’elle disait. Une scientifique, dévouée à ses recherches. Il se fiait rarement aux apparences. C’était à ça que servaient les analystes de données, la surveillance et la vérification des antécédents – sans parler des interrogatoires.