Elle vida ce deuxième verre du même geste machinal. Après quoi elle ouvrit toute grande la bouche et se tourna vers chacun de nous : "Et là, vous voyez ? Les quatre dents qui manquent ?
- Où sont-elles donc passées ?...
- Allez savoir ! Moi, une femme instruite, il faut que je me balade avec quatre dents en moins ! C'est à cause de Pouchkine qu'il me les a fait sauter !
Alors, quand je vous ai entendus causer littérature, je me suis dit : "Va donc t'asseoir avec eux et vider un verre, et tu leur raconteras comment Pouchkine t'a fait casser la gueule et éjecter tes quatre dents de devant... "
« Vous n’êtes pas sans savoir combien il est difficile, en France, d’écrire sur l’amour. Car il y a belle lurette que, là-bas, tout a été dit sur ce sujet. Les Français connaissent tout de l’amour, alors que chez nous, zéro. Prenez l’un de
nos compatriotes, d’instruction secondaire, montrez-lui un chancre dur et demandez-lui : “Chancre dur ou chancre mou ?
À coup sûr il vous clamera : “Mou, évidemment.” Puis montrez-lui en un mou : alors là, il est complètement perdu ! En France, c’est autre chose. Peut-être n’y sait-on pas le prix de la vodka, mais quand le chancre est mou, tout le monde sait qu’il est mou, et personne ne s’avise de dire qu’il est dur.
- Aimer à la Tourgueniev, c'est savoir tout sacrifier pour l'élue de son coeur! [...]
Un homme et une femme. Ils sont assis de part et d’autre
de l’allée centrale, près de deux fenêtres qui se font face, et manifestement ils ne se connaissent pas. Mais pourtant ils sont étrangement semblables : tous deux le même gilet, le même béret brun, la même moustache…
Le petit-fils a deux têtes de plus que le grand-père et il est idiot de naissance.
Le grand-père a deux têtes de moins et il est idiot lui aussi.
Mais en voici assez pour la "Larme". J'ai gardé le meilleur pour la fin. "Finis coronat opus", comme disait le poète. Autrement dit, je vous présente le cocktail "Tripe de chien", une boisson qui éclipse toutes les autres. Que dis-je, une boisson: la musique des sphères ! Qu'y a-t-il de plus beau au monde ? Lutter pour la libération de l'humanité. Et qu'y a-t-il d'encore plus beau ? Ceci (prenez note) :
-Shampooing "Nuit sur le mont Chauve" 30g
-Bière de Jigoulis 100g
-Lotion antipelliculaire 70g
-Déodorant pour les pieds 30g
-Désinfinctant antiparasitaire 20g
Vous laissez macérer pendant une semaine avec du tabac à cigares. Puis vous servez.
Aujourd'hui, je l'affirme solennellement : plus jamais je n'entreprendrai quoi que ce soit qui renouvelle cette triste tentative d’ascension. Désormais je reste en bas, et d'en bas je crache sur toute votre échelle sociale. Parfaitement : un crachat sur chaque échelon. Il faut être un sacré coco pour l'escalader, cette échelle ! Nerfs d'acier, cœur de pierre, volonté de fer ! ... Très peu pour moi.
- Mais enfin, qu'as-tu acheté pour finir, Vénitchka ? On aimerait bien le savoir ...
- Je vous comprends. Eh bien voilà, dans l'ordre : deux bouteilles de Koubanskaïa à deux roubles soixante-deux, soit cinq roubles vingt-quatre , puis deux demi-bouteilles de Rossiiskaïa à un rouble soixante-quatre, soit cinq roubles plus trois roubles vingt-huit égalent huit roubles cinquante-deux kopecks. Et aussi un vin rouge ... Attendez que je me rappelle ... Ah oui : un rosé corsé à un rouble trente-sept.
Une fois encore, je m'abandonnai à la vague ...
Mais je fus contrarié dans cet abandon : à peine avais-je sombré dans l'oubli que quelqu'un m'envoya un coup de queue dans le dos.
Je sursautai et me retournai : devant moi se tenait un être qui n'avais ni pieds, ni queue, ni tête.
- Qui es-tu ? demandai-je éberlué.
- Devine !
Et il partit d'un rire cannibale.
Je me demande quand même pourquoi personne n'a encore accroché une guirlande de roses jaunes au toit de ma maison. Ils pensent que je n'ai pas de maison, mais ce n'est pas une raison. C'est vrai que je n'en ai pas; d'ailleurs je n'ai rien du tout. Mais j'ai quand même une maison, j'ai même accroché aux fenêtres des rideaux violets...
(...) C'est d'ailleurs la seule chose qui la décore. Tout le reste, je l'ai vendu depuis longtemps pour ne pas mourir de faim ... Je n'ai gardé que cela ... Les rideaux violets, c'est la dernière chose ...
Car, si je les enlève, tout le monde pourra voir que c'est vide ... qu'il n'y a rien ... Et pourtant, il y avait sans doute ... Il y avait sans doute quelque chose ...
Pendant un temps tout a marché à la perfection : une fois par mois on envoyait à la Direction la liste de nos engagements socialistes et elle, deux fois par mois,nous envoyait nos salaires. Par exemple on lui écrivait : "A l'occasion du prochain Centenaire, nous prenons l'engagement solennel d'en finir avec les accidents du travail." Ou bien : "A l'occasion du glorieux Centenaire, nous nous engageons à obtenir qu'un travailleur sur six s'inscrive aux cours par correspondance d'un établissement d'enseignement supérieur." De toute façon on ne risquait pas grand-chose, pas plus avec les accidents du travail (vu qu'on jouait à la sika toute la sainte journée) qu'avec les études par correspondance (vu qu'on n'était que cinq)...