Citations de Viet Thanh Nguyen (254)
Devant nous se dressait la façade grecque de l'Assemblée nationale, l'ancien opéra de la ville. C'était là que nos hommes politiques avaient orchestré la médiocre opérette de notre pays, parodie absurde jouée par des divas plantureuses en costume blanc et des prima donna moustachues et vêtues d'uniformes militaures taillés sur mesure.
Les journalistes sont toujours gênants quand ils sont indépendants.
Parents et enseignants battaient enfants et élèves comme des tapis persans pour en chasser toute la poussière de la suffisance et de la bêtise...
L'interrogatoire n'est pas une punition. L'interrogatoire est une science.
Quoi que l'on puisse raconter aujourd'hui à propos du général, je ne puis qu'attester qu'il était un homme sincère, qui croyait en tout ce qu'il disait , même les mensonges...
La plupart des gens se comportaient comme un couple en plein naufrage, résolus à s'accrocher courageusement les uns aux autres et à sombrer tant que personne n'énonçait la vérité de l'adultère.
Réfugiés, exilés, immigrés-quelle que fut la catégorie d'êtres humains à laquelle nous appartenions, nous ne vivions pas seulement dans deux cultures à la fois [..] Les déplacés vivaient aussi dans deux fuseaux horaires à la fois, l'ici et le là-bas, le présent et le passé, récalcitrants voyageurs dans le temps qu'ils étaient.
Longtemps après qu'on aura oublié cette guerre, quand elle ne sera plus qu'un petit paragraphe dans un livre que les écoliers ne s'embêteront même pas à lire, quand tous les survivants seront morts, leurs corps devenus poussière, leurs souvenirs des atomes,quand leurs émotions auront disparu, cette oeuvre d'art brillera encore avec une telle force qu'elle ne sera plus seulement sur la guerre, mais qu'elle sera la guerre.
[..] je demandais à une des figurantes, une avocate aux traits d'aristocrate, si les conditions de vie dans notre pays étaient aussi mauvaises qu'on le racontait. On va dire ça comme ça, répondit-elle. Avant la victoire des communistes, les étrangers nous brutalisaient, nous terrorisaient et nous humiliaient. Maintenant, ce sont les nôtres qui nous brutalisent, nous terrorisent et nous humilient. Il faut croire que c'est un progrès.
J’étais un fils, un mari, un père et un soldat, et aujourd’hui je ne suis plus rien de tout ça. Je ne suis pas un homme, et quand un homme n’est pas un homme, il n’est personne. Et la seule manière de ne pas être personne, c’est de faire quelque chose. Donc soit je me tue, soit je tue quelqu’un d’autre. Tu vois ? […]
Jamais, avant lui, je n’avais rencontré un homme qui semblait ému, profondément ému, non seulement par l’amour, mais par la perspective de tuer. S’il était un expert par nécessité, j’étais un novice par choix, même si j’avais eu des occasions. Dans notre pays, tuer un homme – ou une femme, ou un enfant – était aussi simple que tourner la page de son journal le matin. Il suffisait d’avoir une excuse et une arme, deux choses que trop de gens, dans les deux camps, possédaient. Ce que je n’avais pas, c’était le désir de le faire, ou les diverses justifications qu’un homme endosse en guise de camouflage – le besoin de défendre Dieu, son pays, son honneur, son idéologie, ses camarades -, même si, au bout du compte, la seule chose qu’il protège est la part la plus fragile de lui-même, la bourse cachée et ridée que tout homme trimballe avec lui. Ces excuses prêtes à porter vont bien à certaines personnes. Pas à moi.
J’avoue que, bien qu’il fût mon ennemi, je l’admirais. Il vaut toujours mieux admirer les meilleurs parmi adversaires que les pires parmi nos amis.
Grâce à une rigoureuse étude longitudinale des selles effectuée sur les gardiens et les prisonniers, dont moi, il avait calculé que les boyaux collectifs du camp produisaient environ six cents kilos de déchets par jour. Ces déchets, les prisonniers les ramassaient et les transportaient à la main jusqu'aux champs, où ils servaient d'engrais. La précision fécale était donc nécessaire à une bonne organisation scientifique de la production agricole. En cet instant même, tandis que je montais les marches en précédant les gardiens et avant de frapper à la porte du commissaire, je sentis l'usine de mes tripes transformer le pigeon cendré en une brique compacte qui contribuerait, dès le lendemain, à l'édification de la révolution
Les révolutionnaires sont des insomniaques, trop effrayés par le cauchemar de l'Histoire pour pouvoir dormir, trop troublés par les maux du monde pour ne pas rentré éveillés. (P. 451)
Rien n'est plus américain que brandir un pistolet et s'engager à mourir pour la liberté et l'indépendance, sauf s'il s'agit de brandir un pistolet pour priver quelqu'un d'autre de sa liberté et de son indépendance.
Même si chaque pays se croyait supérieur à sa manière, en existait-il un seul qui avait forgé tant de mots en "super" dans la banque fédérale de son narcissisme, qui n'était pas seulement super-confiant, mais super-puissant, et qui ne serait pas satisfait tant qu'il n'aurait pas infligé à toutes les nations du monde une clé de bras pour leur faire crier Oncle Sam ?
Je meurs pour quoi? Je meurs parce que le monde dans lequel je vis ne mérite pas qu'on meurt pour lui! Si une chose mérite qu'on meure pour elle, alors ça donne une raison de vivre.
Le seul remède à la bâtardise est de choisir son camp.
Rappelez-vous que le meilleur traitement médical, c'est la conscience de la relativité des choses. Même si vous vous sentez très mal, rassurez-vous en pensant que quelqu'un d'autre se sent beaucoup plus mal.
Celui qui désignait ce que nous ne possédions pas était argent dont le général disposait peut-être en quantité suffisante pour son propre usage, mais certainement pas pour financer une contre-révolution. L'autre mot était "votes". Si bien que, mis bout à bout, ces deux mots formaient le "Sésame ouvre-toi" des cavernes les plus profondes du système politique américain.
Je fais parti des gens qui pensent que le monde serait meilleur si le mot "meurtre" nous faisait autant grincer des dents que le mot "masturbation".