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Citations de Vinciane Despret (71)


Vinciane Despret
Nous reste-t-il assez d'incertitudes
Pour garder aux possibles un peu d'espoir ?
Nous reste-t-il de l'imagination, assez l'habitude
Pour voir des lucioles briller dans le noir ?
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S’il y a des territoires qui tiennent à être chantés ou, plus précisément, qui ne tiennent qu’à être chantés, s’il y a des territoires qui tiennent à être marqués de la puissance des simulacres de présence, des territoires qui deviennent corps et des corps qui s’étendent en lieux de vie, s’il y a des lieux de vie qui deviennent chants ou des chants qui créent une place, s’il y a des puissances du son et des puissances d’odeurs, il y a sans nul doute quantité d’autres modes d’être de l’habiter qui multiplient les mondes. Quels verbes pourrions-nous découvrir qui évoquent ces puissances ? Y aurait-il des territoires dansés (puissance de la danse à accorder) ? Des territoires aimés (qui ne tiennent qu’à être aimés ? Puissance de l’amour), des territoires disputés (qui ne tiennent qu’à être disputés ?), partagés, conquis, marqués, connus, reconnus, appropriés, familiers ? Combien de verbes et quels verbes peuvent faire territoire ? Et quelles sont les pratiques qui vont permettre à ces verbes de proliférer ? Je suis convaincue, avec Haraway et bien d’autres, que multiplier les mondes peut rendre le nôtre plus habitable. […]

Je dis habiter, je devrais dire cohabiter, car il n’y a aucune manière d’habiter qui ne soit d’abord et avant tout “cohabiter”.
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Il s’est d’abord agi d’un merle. La fenêtre de ma chambre était restée ouverte pour la première fois depuis des mois, comme un signe de victoire sur l’hiver. Son chant m’a réveillée à l’aube. Il chantait de tout son cœur, de toutes ses forces, de tout son talent de merle. Un autre lui a répondu un peu plus loin, sans doute d’une cheminée des environs. Je n’ai pu me rendormir. Ce merle chantait, dirait le philosophe Étienne Souriau, avec l’enthousiasme de son corps, comme peuvent le faire les animaux totalement pris par le jeu et par les simulations du faire semblant2. Mais ce n’est pas cet enthousiasme qui m’a tenue éveillée, ni ce qu’un biologiste grognon aurait pu appeler une bruyante réussite de l’évolution. C’est l’attention soutenue de ce merle à faire varier chaque série de notes. J’ai été capturée, dès le second ou le troisième appel, par ce qui devint un roman audiophonique dont j’appelais chaque épisode mélodique avec un “et encore ?” muet. Chaque séquence différait de la précédente, chacune s’inventait sous la forme d’un contrepoint inédit.
Ma fenêtre est restée, à partir de ce jour, chaque nuit ouverte. À chacune des insomnies qui ont suivi ce premier matin, j’ai renoué avec la même joie, la même surprise, la même attente qui m’empêchait de retrouver (ou même de souhaiter retrouver) le sommeil. L’oiseau chantait. Mais jamais chant, en même temps, ne m’a semblé si proche de la parole.
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... ne pas oublier que ces chants sont en train de disparaître, mais qu’ils disparaîtront d’autant plus si on n’y prête pas attention. Et que disparaîtront avec eux de multiples manières d’habiter la terre, des inventions de vie, des compositions, des partitions mélodiques, des appropriations délicates, des manières d’être et des importances. Tout ce qui fait des territoires et tout ce que font des territoires animés, rythmés, vécus, aimés. Habités. Vivre notre époque en la nommant « Phonocène », c’est apprendre à prêter attention au silence qu’un chant de merle peut faire exister, c’est vivre dans des territoires chantés, mais c’est également ne pas oublier que le silence pourrait s’imposer. Et que ce que nous risquons bien de perdre également, faute d’attention, ce sera le courage chanté des oiseaux.
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Une femme du village de Mansfield, en Angleterre, avait promis à une amie proche alors très malade, qu'elle déposerait dans son cercueil un paquet de lettres autrefois écrites par son fils défunt. Dans le désarroi du chagrin, elle a oublié. Elle resta désemparée jusqu'à ce que, peu après, le facteur du même village décède. Elle alla voir la famille du facteur et lui demanda la permission de déposer les lettres dans le cercueil de ce dernier. Elle savait qu'elle pouvait avoir confiance : il serait aussi diligent comme facteur dans l'autre monde qu'il l'avait été dans celui-ci.
[p. 43]
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Vinciane Despret
La joie est une condition pour aller vers le savoir.
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Vinciane Despret
Il faut beaucoup de patience pour observer les moutons, qui ne bougent pas beaucoup. Ils ont des gestes très éloignés des nôtrres et pour en comprendre la signification, il faut souvent les voir manifester des dizaines de fois tel ou tel comportement, suivi de telle ou telle conséquence. Prenons l’exemple d’un mouton couché dans l’herbe, et qui se lève, le visage en avant. On peut penser qu’il hume l’air, qu’il apprécie la force du vent… Eh bien, Thelma a fini par comprendre après des centaines d’observations qu’en réalité ce mouton propose aux autres de partir dans la direction qu’il indique avec sa tête pointée.
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La formidable exubérance des oiseaux, leur inventivité, leur remarquable capacité à faire sentir l’importance du territoire et la beauté mise au service de cette importance.
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(...) les expérimentateurs expérimentés conseillent aux jeunes scientifiques de ne pas travailler avec les chats. Il semblerait en effet que, dans certaines circonstances, si vous donnez à un chat un problème à résoudre ou une tâche à exécuter pour trouver de la nourriture, il va le faire assez rapidement, et le graphique qui donne la mesure de son intelligence dans les études comparatives connaîtra une courbe ascendante assez raide. Mais, [Vicky Hearn] cite ici un de ces expérimentateurs, « le problème est que, aussitôt qu’ils ont compris que le chercheur ou le technicien veut qu’ils poussent le levier, les chats arrêtent de le faire. Certains d’entre eux se laisseront mourir de faim plutôt que de continuer l’expérience ». Elle ajoute laconiquement que cette théorie violemment anti-behavioriste n’a jamais été, à sa connaissance, publiée. La version officielle devient : « n’utilisez pas de chats, ils foutent les données en l’air ».
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Cette orchidée fait toujours des fleurs. Mais plus aucune des abeilles qui en portaient l'image ne vient la visiter, parce que ces abeilles se sont éteintes. [...] Rien ne reste de l'abeille, mais nous savons qu'elle a existé grâce à la forme et aux couleurs de la fleur. Ne subsiste à présent que l'idée de ce à quoi ressemblait une abeille femelle aux yeux d'une abeille mâle, telle qu'elle a été interprétée par une plante. Ainsi la seule mémoire que nous avons de cette abeille est une peinture dessinée par une fleur mourante. p105
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"(…) Notre territoire, notre chez-moi, alors, n’est pas tellement quelque chose que nous dirions « c’est à moi », mais ce morceau d’espace que chacun de nous transforme en y laissant un peu de soi : chez moi, ce n’est pas à moi, mais c’est moi."
C’est ce qui peut expliquer cette étonnante habitude qui conduit de petits oiseaux à construire leur nid dans le même arbre que leur prédateur, qu’il soit faucon, chouette, buse, busard ou épervier, et à vivre au pas de la porte de l’ennemi. On remarque que les oisillons des parents qui ont fait ce choix sont bien moins souvent victimes de prédation que les oiseaux qui nichent plus loin. Une première explication est assez simple à comprendre : en fait, le prédateur chez qui ils habitent empêche les autres prédateurs de s’approcher (ne fût-ce que parce que lui-même doit défendre ses propres petits). Mais comment se fait-il que le faucon, la buse ou l’épervier, qui ne se privent généralement pas de manger les petits oiseaux, n’attaquent pas ceux qui sont à portée de bec ?
Pour l’expliquer, le spécialiste des animaux Jakob von Uexküll proposait d’essayer de comprendre d’abord comment chaque animal perçoit les choses qui l’entourent : une fleur dans un champs pour nous, animaux humains, a la signification « printemps » ou « bouquet », ou « chose à peindre », ou « magnifique tableau ». Pour un abeille, elle signifie tout autre chose (et s’il s’agit d’une orchidée, elle signifiera encore autre chose pour le mâle de certaines abeilles solitaires, puisqu’il croit voir sa femelle dans le cœur de la fleur). Chaque chose que chaque animal perçoit dans son environnement prend pour lui une signification particulière. Ainsi, pour l’épervier ou pour l’oiseau buse, ce qui entoure son nid, ce qui porte son odeur d’oiseau épervier ou buse, c’est encore son nid, c’est-à-dire que c’est encore une extension de soi, on ne l’attaque pas, même si on a très faim.
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Or, ce que ne pouvait manquer Smuts, de son côté, c’est que les babouins la regardaient souvent et que, plus elle ignorait leur regard, moins ils semblaient satisfaits. Si le processus d’habituation semblait voué à l’échec, c’est parce qu’il repose sur un présupposé un peu simpliste : il mise sur le fait que les babouins sont indifférents à l’indifférence. Il semblait finalement que la seule créature pour laquelle la scientifique, soi-disant neutre, était invisible n’était qu’elle-même. Ignorer les indices sociaux, c’est tout sauf être neutre. Les babouins devaient percevoir quelqu’un en dehors de toute catégorie – quelqu’un qui fait semblant de ne pas être là – et se demander si cet être pouvait être ou non éducable selon les critères de ce qui fait l’hôte poli chez les babouins. Ce type de recherches, en somme, commente Haraway, consiste à se demander si les babouins sont des êtres sociaux sans penser que les babouins se demandent la même chose à propos de leurs observateurs, et doivent en conclure que non, au vu de leur attitude. La question qui finalement affecte, traverse, le plus intensément le terrain n’est pas « est-ce que les babouins sont des sujets sociaux », mais bien « est-ce que les humains le sont ? » La question de qui est sujet, en somme, se renverse : c’est à l’humain qu’elle est renvoyée.
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Nous devons composer avec le monde tel qu'il devient, pas avec le monde tel que le souhaiterions. En veillant toutefois à rester au plus proche de ce que nous pensons que ce monde souhaiterait, en expérimentant et en bricolant, et en priant que le monde ne s'irrite pas de nos erreurs.
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L'indifférence est souvent le meilleur remède aux manifestations d'extravagance. (22)
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(...) ce qu’a fait Watson, dans une procédure qui, si l’on pense qu’elle s’apparente à l’examen, devrait conduire les malades chez un tortionnaire sadique plutôt que chez leur médecin : il a retiré au rat ses yeux, son bulbe olfactif et ses vibrisses, essentiels au sens du toucher chez le rat, avant de le lancer à la découverte du labyrinthe. Et comme le rat ne voulait plus ni courir dans le labyrinthe ni aller chercher la récompense de nourriture, il l’a affamé : « il commença à ce moment à apprendre le labyrinthe et finalement devint l’automate habituel. » Certes. Tout ce que cela prouve c’est que, si on enlève à un psychologue sa conscience, il continue à écrire. Qui est devenu l’automate dans cette histoire ?
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C'est avec la vie, celle qui n'est plus mais qui est encore d'une autre manière, celle qui résiste à son effacement, que le faire avec opère ce que je considère comme une série de métamorphoses, par l’œuvre, par ses débordements inattendus.
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Les poulpes sont intensément animés par cette conviction quasi kafkaïene : il y a toujours une issue. p80
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Dès lors, si les théroarchitectes avaient interprété ces murs fécaux comme de simples marquages territoriaux, il est fort probable que le wombat se serait vu décrit comme un petit propriétaire bourgeois (comme l'ont souvent été, sous l'influence de cette théorie, nombre d'animaux territoriaux), qui, par ses murs fécaux, indiquerait à tout intrus potentiel (tout visiteur, dans un monde de petits propriétaires jaloux de leurs prérogatives, ne peut évidemment être qu'un intrus voulant s'approprier le bien d'autrui) qu'il veille jalousement à l'intégrité de ses frontières : "On ne passe pas !" (49)
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Les araignées dansent sur des sons silencieux. (19)
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Il a été très longtemps difficile pour les animaux de ne pas être bêtes et même très bêtes. Certes, il y a toujours eu des penseurs généreux, des amateurs enthousiastes, ceux qu'on stigmatise comme des anthropomorphes impénitents. [...] Mais, s'il est bien utile de démonter ces grosses machines à rendre bêtes les bêtes, il serait instructif de s'intéresser à ces petites machinations, ces formes moins explicites de dénigrement qui se présentent sous des motifs, souvent nobles, de scepticisme, d'obéissance à des règles de rigueur scientifique, de parcimonie, d'objectivité...
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